Revue musicale. — L’incendie de l’Opéra, la réouverture du théâtre italien, etc.

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REVUE MUSICALE



Ce n’était pas assez des incendies allumés par la commune ; la salle de l’Opéra, comme l’Hôtel de Ville, les Tuileries, comme le palais du conseil d’état et le ministère des finances, vient, elle aussi, de disparaître dans les flammes ! Que de souvenirs emportés en une nuit ! Au premier moment, on n’aperçoit que le désastre matériel ; on court aux victimes, on déblaie les ruines, c’est à qui s’empressera d’offrir sa coopération à l’œuvre de sauvetage et d’humanité. Plus tard surgissent des idées d’un autre ordre : on se prend à regarder en arrière, à réfléchir sur tout un passé naguère encore vivant parmi nous, et que ces monceaux de cendres recouvrent maintenant à jamais. Les murs parlent, se souviennent, ils font surtout qu’on se souvient. Ceux qui se sont écroulés là devant nos yeux avaient vu naître les plus grandes conceptions d’une période musicale qui de longtemps ne trouvera pas sa pareille ; ils furent la patrie de la Muette, de Guillaume Tell et de la Juive ; Robert le Diable, les Huguenots, le Prophète, l’Africaine, ils ont contenu tout Meyerbeer. Et quels artistes ont figuré sur cette scène, qui, bien que disparus, — par la seule magie et le seul enchantement des lieux, — vous souriaient, vous entouraient ! « Tous ces hommes vieillis glorieusement dans les lettres, ces écrivains auxquels nous succéderons, mais que nous ne remplacerons pas, ont vu des jours plus heureux ; ils ont vécu avec Buffon, Montesquieu et Voltaire ; Voltaire avait connu Boileau, Boileau avait vu mourir le vieux Corneille, et Corneille enfant avait peut-être entendu les derniers accens de Malherbe. » Il semble que cette belle chaîne du génie français que regrettait Chateaubriand se soit également brisée pour la musique. L’incendie a creusé un abîme qui sépare à jamais l’avenir et le passé. Et si de cette scène où revivaient les Nourrit et les Falcon, les Duprez, les Mario, les Taglioni et les Elssler, vos regards se tournaient vers les loges, trois générations de beautés vous apparaissaient aussitôt ; derrière la mondaine d’aujourd’hui et d’hier, la femme intellectuelle et sérieusement artiste du règne de Louis-Philippe, puis au fond, planant et dominant, la grande dame de la restauration ! Et ces couloirs des premières, ce foyer où tout ce que notre siècle a d’illustre et de charmant a circulé : orateurs, poètes, peintres, publicistes, — espèce de Champs-Elysées où les ombres des chers morts venaient comme se mêler à nos groupes, où vous vous sentiez tressaillir par instans à la poignée de main de Berryer, au cri d’enthousiasme d’Eugène Delacroix, à la parole de Stendhal, de Musset, de Loève-Veimars ou de Mérimée ! Campos ubi Troja fuit ! Souvenirs effacés, mirages dissipés par l’ouragan de flammes ! Laissons gronder, fumer le gouffre, et tâchons de regarder ailleurs. Quand Orphée enlevait Eurydice, il voulut tourner ses regards en arrière, et l’Orcus lui reprit sa proie. Disons adieu au passé et n’envisageons maintenant que l’avenir.

L’avenir, c’est la nouvelle salle, c’est-à-dire l’inconnu, la table rase, des conditions d’exploitation inusitées, une augmentation énorme dans le personnel, d’autres systèmes de décors et de mise en scène, tout un monde à dégager du chaos ! Et encore cette nouvelle salle ne l’aurions-nous qu’en 1875. Quinze mois, un an, c’est beaucoup trop, la situation exige de plus brefs délais : qu’on s’y mette donc et rudement ; à force de travail et d’argent, on supprime le temps[1]. D’ailleurs quel besoin d’attendre l’entier achèvement de l’édifice, qu’importent les foyers, les corridors ? Si la salle et le théâtre sont prêts, installez-vous, prenez possession de la maison pendant que les peintres et les ornemanistes y sont encore. Il y a ici en effet deux inconvéniens à ne pas perdre de vue. D’une part, rester plusieurs mois sans jouer, c’est amener la dislocation de la troupe et donner la réplique aux défectionnaires, s’il doit s’en rencontrer, ce qui serait une vraie honte ; mais dans les débâcles de ce monde, grandes ou petites, il faut tout prévoir et ne jamais compter sans la vilenie des hommes. D’autre part, un théâtre comme l’Opéra y regarde à deux fois avant d’aller courir les aventures du Roman comique et traîner ses hardes sur des planches d’occasion. Évidemment un moyen terme est à trouver, et peut-être que de grands concerts formant spectacle, des intermèdes dont Gluck et les maîtres classiques fourniraient le programme, seraient la meilleure pratique pour maintenir la troupe et le public en haleine. J’admire en tout ceci la conduite du directeur ; impossible de montrer plus de sang-froid et d’opposer au mauvais sort plus de courage et d’honnêteté. Notons que ce désastre est venu surprendre le théâtre au comble de sa prospérité, et dans un moment où, des résultats inespérés étant obtenus, il paraissait presque que la chance n’eût désormais plus qu’à tourner. Bien d’autres qui passent ou plutôt qui s’imaginent passer pour de fortes têtes eussent rapidement saisi ce prétexte de mettre à couvert leur fortune, quittes au besoin de revenir le lendemain exploiter au compte de l’état la suite des affaires. Le directeur actuel de l’Opéra n’a point jugé convenable d’agir ainsi. « Tout est perdu, donc je reste, » a-t-il dit, rassurant dès la première heure les intérêts des pauvres et des riches ; ce qui, même au seul point de vue de la spéculation, serait encore fort habile pour empêcher la dispersion immédiate d’une troupe à laquelle l’événement de la veille rendait sa liberté d’action. Vis-à-vis d’une administration qui se comporte ainsi, pas un pensionnaire n’aurait le front de marchander sa bonne volonté, ou d’aller profiter à l’étranger du cas de résiliation dont l’incendie le gratifie. Un homme est pourtant bien à plaindre au milieu du désarroi de cette catastrophe, le veux parler de l’auteur de Jeanne d’Arc. Ce que c’est que les vicissitudes humaines, et que de vérité dans ce proverbe « qu’entre la coupe et les lèvres il y a toujours place pour un malheur ! » M. Mermet voyait se réaliser le plus cher de ses rêves ; dix années de travail forcené, de luttes implacables, recevaient enfin leur récompense. Les répétitions marchaient à ravir ; Mlle  Devriès commençait à se familiariser avec ce terrible rôle de guerrière ; M. Faure, qu’au premier abord les manuscrits du temps avaient rendu si perplexe au sujet du personnage de Charles VII, M. Faure peu à peu s’habituait à la figure du monarque. L’arbre aux fées étendait ses ramures pleines de concerts angéliques, les jardins de Chinon se peuplaient de fleurs et d’oiseaux, les tentes se dressaient sur les champs de bataille d’Orléans, la cathédrale triomphante s’étoilait de cierges et de fleurs de lis. On allait donc enfin l’entendre ce fameux Veni creator qui pousse à la victoire les soldats de Dieu, et cette marche du sacre, elle allait aussi retentir aux acclamations des multitudes. « Est-il heureux ce Mermet, s’écriait-on, toutes les chances le favorisent. Ce n’est point assez que sa pièce soit représentée à l’Opéra, il faut encore que les événemens s’arrangent de manière à lui donner couleur de circonstance ! » C’était trop présumer ; les jeux de théâtre sont les jeux du hasard. En une nuit, la veine a changé ; l’incendie horrible s’est levé, et de toutes ces magnificences en travail déformation, il ne restait le lendemain qu’un amas de poussière calcinée. Brûlés, consumés par le feu, ces châssis qui sortaient à peine de l’atelier, — tordus, fondus, ces faisceaux d’armures résonnantes et resplendissantes, — détruits, anéantis, les instrumens de ce royal orchestre : harpes d’Érard, violons de prix, contrebasses de Renaudin plus que centenaires et d’une valeur exceptionnelle ! Bien peu s’en est fallu que le manuscrit même de la partition s’en allât en fumée ; espérons que les envieux trouveront dans ces malheureuses circonstances un motif de consolation et que pareille catastrophe leur fera prendre en patience le bonheur insolent de M. Mermet !

Le Théâtre-Italien veut absolument revivre : soit ; mais alors qu’il nous montre que son royaume est encore de ce monde, et qu’à l’exemple de ce philosophe de l’antiquité, pour nous prouver le mouvement, il marche. Du reste, la reconstitution de l’entreprise aura coûté de longs efforts ; les choses n’allaient pas toutes seules, non que les candidats à la direction fissent défaut, à Dieu ne plaise ! il s’en présentait par douzaines, tous le cœur brûlant des plus nobles flammes pour l’art, mais la poche également vide, et remplaçant par les meilleures intentions les millions qu’ils n’avaient pas. On écrirait un poème picaresque rien qu’à raconter les combinaisons fantaisistes de ces spéculateurs. Le théâtre ne chômerait jamais, il y aurait grands relais et troupes de rechange ; aux soirées de musique italienne succéderaient les soirées d’opéra comique, d’opérette bouffe et même de tragédie classique ; c’étaient des programmes truculens où le public et les jeunes compositeurs trouveraient à la fois leur compte, des enchantemens et des fantasmagories ! D’ordinaire celui qui promet le moins a le plus de chance d’être accepté, car il y a beaucoup à parier qu’il tiendra ce qu’il promet. M. Strakosch offrait simplement de prendre le théâtre dans les conditions telles quelles, et le ministre, qui ne demandait pas mieux que d’en finir, s’est dit tout de suite, comme le personnage du Calife de Bagdad : « Hâtons-nous de conclure avec cet homme bienfaisant et généreux. » Outre qu’il présente au point de vue financier des garanties sérieuses, le nouveau directeur se recommande et par le nombre et par l’étendue de ses relations. On n’a pas en vain une Adelina Patti dans sa famille. M. Strakosch a passé sa vie au milieu des étoiles ; tant qu’il y en aura au firmament sa main saura les décrocher, et quand il n’y en aura plus, il en fabriquera.

C’est là qu’est le danger. Nous ne sommes qu’au début de cette administration, et déjà le procédé américain s’affiche par tous les côtés. Les talens les plus modestes nous sont présentés comme des merveilles ; il n’est si petit nom autour duquel on n’embouche la trompette, et pour nous empêcher de réclamer trop haut la venue plus ou moins prochaine des Patti et dès Nilsson du présent, on nous offre à grand fracas des Fraschini et des Malibran de l’avenir. Mlle  Belocca est une fort agréable personne, douée d’une voix jeune et veloutée, voix capable d’évoluer vers le haut ou de tourner au grave, mais qui s’établira définitivement dans le domaine du mezzo-soprano. C’est dire qu’elle a rendu à la Rosine du Barbier la tonalité primitive du rôle. Jusqu’ici Mlle  Belocca semble n’apporter au théâtre que les qualités qu’elle tient de la nature : c’est un gosier rare, une heureuse organisation, mais ne possédant rien qui lui soit propre ; de riches facultés, un joli visage et beaucoup d’entrain ; sans doute qu’un jour l’art du chant fera le reste. Il importait à l’administration naissante que Mlle  Belocca réussît et que son début fût un coup d’éclat. On a donc manœuvré à cette intention. Portraits, annonces et légendes ont couru la ville, le public a dû par avance être informé des tenans et des aboutissans, et savoir que la jeune cantatrice était la fille, fort bien rentée d’ailleurs, d’un illustre conseiller d’état moscovite. On nous a même raconté que la Suède ayant donné au monde Jenny Lind et Christine Nilsson, cela ferait grand plaisir à l’empereur de Russie de voir applaudir cette autre enfant du nord, et d’avoir également son gentil rossignol achalandé sur tous les marchés d’Europe et d’Amérique. Même intempestif compérage à propos de Mlle  Tagliana, elle aussi annoncée comme une étoile, et qui, dans la Gilda de Rigoletto, n’a trouvé à déployer qu’un maigre fil de voix dont se contenterait à peine la clientèle de l’Athénée. Parlerai-je du ténor Villa, un prince vraiment déplorable, un duc de Mantoue que la superbe dynastie des Mario et des Fraschini repousse comme atteint et convaincu de bâtardise au dernier chef ?

C’est donc toujours l’ancien système : ouvrir d’abord, quitte à se former une troupe quand et comme on pourra. Autant de représentations, autant de reprises et de débuts. On commence par prendre ce qu’on a sous la main, on engage à la soirée des virtuoses émérites devenus professeurs de chant à Paris, puis viennent les oiseaux de passage, les exhibitions sans conséquence. Si le nouveau directeur s’imagine tirer jamais parti du Théâtre-Italien en rejouant l’ancien jeu, il se trompe. Ce qui de tout temps a fait la prospérité de l’entreprise, c’est sa clientèle d’habitués ; le Théâtre-Italien ne saurait vivre que par ce qu’on appelle l’abonnement. Or les abonnés sont gens qui généralement s’y connaissent ; il leur faut autre chose que des essais continuels et de tapageuses annonces, et tant que vous ne leur donnerez pas une troupe, un répertoire, un programme qui soit une vérité, vous les verrez manquer à l’appel. Le public des Italiens n’est pas un public comme les autres, il sait fort bien se passer de nouveautés, mais il attend que les ouvrages qu’on lui représente soient bons et surtout que l’exécution marche droit. Il va sans dire que cette perfection dans l’ensemble exige beaucoup de temps, beaucoup de soins, et qu’on n’y atteint pas en changeant tous les soirs de spectacle ou en se proposant pour unique objectif le succès et l’apothéose de telle étoile d’occasion. Sous le régime qui nous gouverne, les représentations satisfaisantes se comptent ; le passage de Mlle  Krauss nous en aura valu au moins quelques-unes. Gabrielle Krauss, au cours des diverses campagnes qu’elle était venue faire chez nous, avait marqué sa place au premier rang, et cette place est toujours la sienne. Assurément la voix n’a point gagné, tout au contraire, nous la retrouvons ce qu’elle était jadis avec quatre ans de plus, fatiguée, surmenée, avec des trous dans les registres, mais quelle âme d’artiste, quel foyer ! Cette fière musique du Trovatore, ignoblement travestie et vilipendée par les orgues des carrefours, a semblé tout à coup se redresser. Le sentiment, l’accent s’est retrouvé. Disons aussi que la cantatrice avait rencontré cette fois un baryton digne de lui donner la réplique. Déjà dans Rigoletto nous avions entendu M. Padilla, qui ce soir-là chantait le comte de Luna. Voix splendide, expression puissante et dramatique, c’est un tempérament d’artiste : pour le moment, il y met trop de zèle, sa fougue italienne l’emporte, mais quand il saura se régler, quand il se sera rendu maître et de sa voix et de lui-même, M. Padilla brillera parmi les meilleurs, car cet organe d’un métal, d’un timbre à toute épreuve, qui, dans l’attaque du grand duo avec Leonora, lance la foudre, ce clairon haut sonnant a parfois des douceurs et des tendresses dont jusqu’ici M. Faure nous avait paru posséder seul le secret.

Gabrielle Krauss est de la race des Frezzolini ; les cantatrices de cette sorte survivent à leur voix ; le diable-au-corps, le feu sacré leur tient lieu de tout. Impossible de mieux saisir l’effet tragique, de frapper plus fort et plus juste ! Dans la scène du Miserere, vous êtes empoigné comme s’il s’agissait d’une pièce de Shakspeare, vous sympathisez avec la situation comme si vous la compreniez, — et l’avez-vous seulement jamais comprise, cette situation ? Quant à moi, j’y ai depuis longtemps renoncé, ce qui ne m’empêche pas de reconnaître que le Trovatore est un mirifique poème d’opéra. Tout ce qui constitue le mérite et l’attrait du genre se voit en effet réuni dans ce modèle des scénarios. Il y a là des sorcières et des bûchers, des bohémiens qui battent l’enclume et des moines qui psalmodient ; quel tyran plus farouche que ce comte de Luna, quelle femme plus persécutée que cette jeune princesse gémissante au pied de la tour du nord où va mourir en soupirant sa cantilène le plus triste des amans et des ménestrels ! Il ne manque à ce beau drame qu’un effet, un seul : le pont du torrent ; Meyerbeer l’a si bien compris, qu’il s’est tout de suite dépêché de le mettre dans le Pardon de Ploermel. — Mais, vont dire les esprits chagrins, ces élémens nombreux et pittoresques ne s’amalgament pas, ces tableaux ne nous offrent ni enchaînement ni cohésion. — Raison de plus pour admirer, carde cet imbroglio même naît un intérêt immense, notre imagination mise au défi tend ses ressorts à l’extrême, et, désespérant de jamais saisir la pensée de l’auteur, invente à son tour, au moyen de tout cet appareil décoratif, un drame vigoureux, émouvant, et qui se prête à mille variantes : aussi gardons-nous bien de médire de ce poème du Trovatore, gardons-nous surtout de mal penser de la musique. Aujourd’hui la mode est au stylé, et le ne m’en plains pas. Tant de vulgarités et de platitudes appelaient une réaction. Elle est venue, encourageons-la, rien de mieux. Tâchons pourtant que l’intégrité des genres soit maintenue, et qu’un opéra ne devienne pas une symphonie. Il se peut que le Verdi du Trovatore parle une langue qui n’est point celle de Mozart ou de Racine ; mais cet âpre et viril génie, quand la situation se présente, il sait au moins l’aborder carrément. Verdi est ce qu’on appelle un homme de théâtre. En musique comme ailleurs, on peut avoir au premier degré les aptitudes dramatiques tout en étant pour le reste un mauvais écrivain, de même qu’on peut être un styliste accompli et ne rien comprendre au théâtre. De beaux esprits, des talens fins et délicats, nous en possédons de toutes les couleurs, nous en avons qui réussissent à jouer l’émotion et qui à force de s’ingénier, de se tourmenter, ont l’air de verser de vraies larmes. Les écoliers de notre temps en remontreraient aux maîtres d’autrefois ; le malheur veut que tous ces brillans rhétoriciens formant pléiade ou coterie ignorent la langue du sentiment et de la passion, et, quand ils s’attaquent au drame, ne réussissent à nous donner que des élucubrations symphoniques. Si le Théâtre-Italien tient à nous démontrer sa raison d’être, qu’il monte donc Aïda. Une bonne et sérieuse mise en scène de ce dernier ouvrage du chef de l’école actuelle serait encore près de notre public la meilleure des recommandations ; mais alors il y faudrait mettre le temps, veiller à la distribution des rôles, soigner les ensembles, ne négliger ni les décors, ni les costumes, en un mot donner à cette partition pharaonesque la pompe de grand opéra qu’elle comporte. Le public de Paris saurait ainsi à quoi s’en tenir sur le caractère de la nouvelle œuvre, et s’il est vrai que les tendances germaniques, déjà notables dans Don Carlos, y soient tellement accusées. Au temps des Haydn, des Mozart, et jusqu’à Rossini, l’Italie attirait à elle l’Allemagne ; désormais c’est l’Allemagne qui l’absorbe.

Cette influence, pourquoi veut-on nous forcer à la subir, nous qui devons au contraire n’avoir en vue qu’une chose, maintenir intacte sur tous les points notre nationalité, que tant d’infortunes et de mécomptes nous rendent plus chère ? La France aime les arts avec passion : au milieu du tumulte des partis politiques, du va-et-vient des intérêts matériels, et même pendant la guerre, son goût pour la musique a persisté ; mais de ce que ce sentiment, qui fut jadis notre orgueil, est aujourd’hui notre consolation et notre espérance, il ne s’ensuit pas que le directeur des concerts populaires ait le droit de vouloir l’exploiter au profit des noms les plus obscurs de la petite école de Weimar et de Bayreuth. Ceci devient de l’entêtement. Le public de l’an passé signifiait au prétendu maître de l’avenir son congé en bonne forme, cette année on nous le ramène et avec lui le plus remuant de ses prosélytes. La Danse des dryades, exécutée à la seconde matinée du Cirque, est le fragment d’une symphonie de M. Joachim Raff, intitulée Im Walde. Ce scherzo n’a rien qui le distingue des scherzos les plus ordinaires ; c’est du Mendelsohn revu et corrigé selon la formule, et, sans la marque de fabrique, un pareil échantillon n’eût jamais circulé parmi nous. Il paraît, que le dieu ne suffit pas, nous en arrivons à prendre ses bedeaux. À ce compte, M. Joachim Raff mérite les égards des fidèles ; personne mieux que lui ne s’entend à sonner la messe. Nous en parlons pour l’avoir vu jadis à l’œuvre sous les ordres de l’abbé Liszt. Compositeur assez médiocre, l’auteur de la Danse des dryades est pourtant de ceux qui savent leur affaire. C’est un sectaire passionné doublé d’un praticien habile, ce qui fait qu’en même temps, que son zèle et son fanatisme il aura toujours des modulations et des dissonances à mettre au service de la bonne cause.

De loin en loin, Richard Cœur-de-Lion reparaît à l’Opéra-Comique, et pour y fournir une série de trente à quarante belles représentations. La plus importante à laquelle nos générations aient assisté remonte à 1841. De cette époque date le remaniement orchestral d’Adolphe Adam, et son fameux trémolo des instrumens à cordes sous le deuxième couplet de la romance. On vit encore l’ouvrage en 1856. La reprise d’aujourd’hui semblait indiquée par les circonstances. « Ô Richard, ô mon roi, » prêtait plus que jamais à l’allusion. L’air a magnifiquement réussi, la salle comble l’applaudit chaque soir, mais sans que la question monarchique intervienne ; le débat reste circonscrit entre le public et le chanteur, M. Melchissédec, un Blondel chaleureux, sympathique et bien en voix. M. Melchissédec appartient à cette lignée de barytons ténorisans, ou, si on l’aime mieux, de ténors graves, qui depuis Martin et Chollet se perpétuent à l’Opéra-Comique. Nous l’avons vu cet été faire un excellent Zampa, et sa manière de comprendre et de tenir le rôle de Blondel ne mérite guère que des éloges. M. Duchesne, qui chante le roi Richard, oppose au vigoureux ténor sa résonnante haute-contre, trop vibrante pourtant dans les notes élevées. Au deuxième acte, les appels et les réponses se succèdent vaillamment ; avec un peu plus de modération des deux côtés, ce serait parfait.

À propos de cette nouvelle reprise, nous demandons qu’il nous soit permis de ne point aller compulser les mémoires de Grétry pour en extraire quelques-unes des mille sottises que cet homme de génie se plaisait à débiter sur ses propres ouvrages. Ce qui importe en pareil cas, c’est l’impression produite sur le public contemporain et non ce que l’auteur pensait de sa partition, toujours plus ou moins le chef-d’œuvre du genre, cela va sans dire. Chef-d’œuvre du genre ennuyeux, ajouterions-nous franchement cette fois. Le fait est que ce Richard a beaucoup vieilli. La pauvreté de ce style, même remanié par la main d’Adolphe Adam, est aujourd’hui quelque chose de lamentable. Aussi, lorsque de ce milieu, frippé, suranné, jaillit l’inspiration, l’accueillez-vous avec enthousiasme sans trop vous interroger sur la véritable valeur musicale de cette inspiration. Qu’est-ce par exemple que cet air si renommé dont nous parlions, « ô Richard, ô mon roi ! » Un élan sublime et puis plus rien. La phrase, après quelques mesures, tourne court et laisse en détresse l’émotion. « Une fièvre brûlante » est aussi un morceau plein de pathétique, mais c’est du pathétique sur l’air de la Belle Gabrielle. Rendez sa mélodie naïve à Thibault comte de Champagne, qu’Adolphe Adam reprenne son trémolo, que restera-t-il à Grétry de cet effet prestigieux ? Non, Grétry n’est point là ; l’héroïde exige un autre style que le sien. Ces personnages de la chronique deviennent entre ses mains des troubadours de pendule. Son vrai tempérament, son vrai génie, c’est dans ses opéras comiques non larmoyans qu’il les faut chercher. Pour le relief des caractères, la franchise du tour, le Tableau parlant vaut une comédie de Molière. L’air de Cassandre, « pour tromper un pauvre vieillard, » élève jusqu’à la passion, jusqu’au tragique, le désespoir partout ailleurs ridicule d’un sexagénaire amoureux et dupé. En musique, personne, comme Grétry, n’a su faire parler les vieillards ; qu’ils s’indignent comme ce misérable Cassandre ou se chamaillent joyeusement comme les deux compères de la Fausse magie, c’est naturel, c’est admirable. Et n’oublions pas, n’oublions jamais que notre école française offre seule de tels modèles, et que le duo du Chamberlin, dans le Nouveau Seigneur, le duo de ma Tante Aurore, « quoi, vous avez connu l’amour ? » sont aussi bien des richesses nationales que les contes de La Fontaine ou les peintures de Chardin.

« Quel est en 1784 le grand succès du moment ? Richard Cœur-de-Lion, où l’on voit derrière les grilles d’une prison ressemblant à la tour du Temple un roi malheureux et prisonnier. Avec Richard Cœur-de-Lion, Grétry avait payé sa dette à la société et aux maîtres dont il avait été le favori. Il avait donné une forme musicale immortelle aux aspirations de tous les Blondels qui allaient venir avec un dévoûment admirable et inutile, hélas ! mourir sous les murs de cette prison où agonisaient de royales victimes. Que de fois peut-être, le soir, au fond de la tour, dans la chambre sordide éclairée par une chandelle fumeuse, les captifs du 10 août n’ont-ils pas relevé la tête en entendant dans la rue noire, dont un sinistre réverbère étoilait le brouillard d’une tache pâle et huileuse, une voix invisible et lointaine chantant :

      Ô Richard ! ô mon roi !
      L’univers t’abandonne.
Sur la terre, il n’est que moi
Qui s’intéresse à ta personne ! »

J’extrais ces lignes d’un livre intitulé un Musicien en vacances et qui contient sur l’Opéra-Comique et ses tendances vers la fin du dernier siècle quelques pages d’un sens critique remarquable. Dans un chapitre consacré aux souvenirs de la Comédie-Italienne, le rôle que l’Opéra-Comique de cette époque fait jouer au paysan est ingénieusement raconté. On le voit, berger d’abord avec sa houlette enrubannée, chaussé, culotté de taffetas, jeune, sensible et galant, s’appelant Colin et courtisant Colette. C’est le règne du pavillon de Lucienne, de Fontainebleau et de Trianon, le règne du paysage sans le paysan : « Otez de devant moi ces vilains magots ! » Cependant de ce personnage roucoulant et bénin le drame va bientôt s’emparer, et voici que paraissent les révolutionnaires sans le savoir : Greuze, Sedaine (le tailleur de pierres), Philidor et Monsigny. Le type alors s’accentue, le paysan est mis en présence de son éternel ennemi, le seigneur, lequel, scandale énorme, cessera désormais d’avoir toujours le beau rôle : le Jardinier et son Seigneur, de Philidor, le Droit du seigneur, de Martini, ouvrent, sur ce théâtre inoffensif de la Comédie-Italienne, la voie au Mariage de Figaro. Pour réclamer les droits imprescriptibles de la justice et de la raison méconnues, toute voix est acceptée, toute scène sert de tribune. Nous sommes en 1762, la Comédie-Italienne vient de fusionner avec l’Opéra-Comique. « Un des premiers succès fut le Bûcheron ou les Trois souhaits, paroles de Guichard et Castel, musique de Philidor, ce grand compositeur français, effacé plus tard par Grétry, et dont les ouvrages oubliés dénotent une véritable organisation dramatique servie par une éducation musicale bien supérieure à celle de son heureux rival, — Philidor l’auteur du Sorcier, du Maréchal ferrant, d’Ernelinde et de l’ouvrage le plus fort qu’un musicien ait publié en France de Rameau à Méhul : le Carmen seculare ! » Que nous veut ce bûcheron ? Il entre la cognée sur l’épaule et s’essuyant le front avec sa manche : « Ouf ! je suis tout en eau ; respirons un moment, les pauvres gens sont-ils assez à plaindre ! Depuis que je suis au monde, le ne fais que travailler, et le n’en suis pas mieux ! » Suit un air d’une énergie âpre, sauvage, navrant à la fois et terrible, et qui se termine par une explosion majeure dont les premières notes rappellent le début de la Marseillaise. Toute la fatigue héréditaire qui pesait depuis tant de siècles sur le pauvre Jacques surmené, et lui faisait paraître si lourd l’outil avec lequel il travaillait pour un autre, est exprimée ici avec une justesse et un talent musical merveilleux. Tout dans ce beau morceau, — peut-être à l’insu des auteurs traduisant naïvement les impressions qui étaient alors dans l’air, — porte l’empreinte d’une patience arrivée au dernier degré de lassitude ; il semble que derrière la musique et les vers on entende les lointaines clameurs des foules irritées, et rien n’est plus saisissant que ces douleurs physiques et morales exposées sans plaintes, sans demandes de secours, et auxquelles succède tout à coup cette explosion farouche d’une gaîté menteuse et menaçante :

Mais un peu de vin
Me redonne haleine,
Me remet en train !

Maintenant mettez dans le parterre tous ces jeunes inconnus qui seront demain Hoche, Marceau, Vergniaud, Danton peut-être, et songez à l’effet que devait produire sur ces cœurs enflammés cette émouvante mélopée. Dans le Droit du seigneur, les vieilles querelles, les impardonnables offenses reparaissent : tout un village révolté crie vengeance contre le jeune et félon châtelain ravisseur de Babet, et l’amoureux de la jolie rosière, le hardi garçon qui mène la bande, ce n’est plus le Colin, le Lubin d’autrefois, c’est un hussard, un futur héros. La musique n’est que de l’émotion écrite ; il faut que le mouvement de la Marseillaise fût partout dans les chansons et les morceaux d’ensemble de cette période, car plus tard, lorsqu’il s’agit de composer l’hymne du 10 août, Catel n’eut en quelque sorte qu’à se souvenir. « Les deux premières mesures de son héroïque mélodie sont empruntées notes pour notes à une des phrases de Martini, phrase dans laquelle se trouve aussi, comme dans l’air du bûcheron, un pressentiment de la Marseillaise. » À la bonne heure, voilà de la critique intelligente, avec des points de vue et du pittoresque ! Il s’en faut que les divers chapitres du volume aient tous l’intérêt de ce morceau. Tous dénotent cependant du goût et du talent dans l’emploi des matériaux mis en œuvre de l’érudition, tout le monde en a, la grande affaire est de savoir tirer parti de ce qu’on possède, d’avoir la main habile et prompte à saisir le trait caractéristique d’une époque, à lier les rapports et dégager l’anecdote, de n’être ni ennuyeux ni frivole, et de savoir entrer en son sujet, s’y installer et le produire sous ses aspects divers. le ne connaissais M. Eugène Gautier que par ses opéras représentés à Favart, entre autres le Mariage extravagant, charmante musique, toute de verve et d’esprit, qui lui aura sans doute valu cette rare fortune d’obtenir un poème de M. Octave Feuillet, la Clé d’or. Et maintenant que j’ai lu son livre, le ne puis que féliciter le Conservatoire de s’être adjoint un pareil professeur d’histoire et d’esthétique musicales.

L’occasion m’est trop rare de parler des ouvrages qui se publient sur la musique, et le ne la laisserai pas échapper sans dire quelques mots d’un traité sur la voix dont les plus habiles auront à profiter. Voci e Cantanti, ces pages sont écrites dans la langue de Porpora et nous viennent en droite ligne d’Italie, désormais la patrie adoptive de l’auteur, qui, mal récompensé sinon méconnu à Paris, a fini par aller demander à Milan et à Florence la juste consécration de ses travaux et de son mérite. Tous, ceux qui. portent intérêt à ce bel art du chant connaissent de près ou de loin l’enseignement de M. Panofka, — enseignement raisonné, sévère, un peu abstrait et s’appuyant sur les principes du grand professorat en honneur au dernier siècle. Restaurer en Italie même une méthode qui fut jadis une des gloires de l’Italie, c’était pour un étranger faire œuvre nationale ; aussi tous les conservatoires du royaume l’ont accueilli spontanément. Technique et spécial comme il sied à un traité, le livre de M. Panofka touche à des questions d’un ordre plus général, à la physiologie par exemple : les conditions bonnes ou mauvaises de la voix à l’état naturel y sont l’objet d’études curieuses ; vous apprenez par quels moyens on arrive tantôt à déguiser d’incurables défauts, tantôt, à donner tout leur essor aux qualités latentes. Apprendre n’est point tout dans un art qui, comme le chant, a sa partie imitative, et quel avantage pour l’artiste, si ces voix qu’il n’a pu matériellement apprécier, ces voix illustres, légendaires des David, des Braham, des Donzelli, des Rubini, des Nourrit, des Duprez, lui sont rendues avec une précision photographique par un maître qui les a non-seulement toutes entendues, mais qui les a toutes aimées, senties ! L’ancien professorat faisait durer les voix qu’il élevait ; nous autres, nous les tuons. Je recommande aux esprits que ce sujet préoccupe les chapitres sur les fatigues vocales, le timbre, la respiration, l’attaque, la prononciation (quelle que soit la langue où l’on s’exerce) et sur la recherche du son : tout cela est judicieusement observé, clairement énoncé, vrai et opportun.

La critique doit tenir compte de tout, et, quand des résultats d’un genre absolument phénoménal se posent devant elle, son métier est de chercher à les expliquer. Ici nous abordons la question de la Fille de madame Angot et de l’incroyable succès qui depuis un an s’attache à cette pièce, irrésistiblement victorieuse et des feux de l’été et des soucis de la politique. En juillet, en août, quand les recettes fléchissaient à l’Opéra, quand, à la Comédie-Française l’Absent, l’Avocat chez lui, et tout ce dessous du panier que le théâtre garde en réserve pour ses vacances, se jouaient dans le désert, quand le Gymnase agonisait, les Folies-Dramatiques refusaient du monde ! Pas un seul jour ce succès n’a varié. Les chanteurs s’en vont ou reviennent, le ténor d’hier, quel ténor ! passe la main à celui d’aujourd’hui, rien n’y fait. Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, que la bourse monte ou qu’elle baisse, salle comble et toujours salle comble ! Ce petit théâtre, en jouant chaque soir la même petite drôlerie, aura fait plus d’argent dans son année que le grand Opéra. Pour la musique et la littérature, d’autres ont le pas ; mais dès qu’il s’agit du chiffre des recettes, les Folies-Dramatiques prennent les devans sur toute la ligne. Ce n’est pas simplement un succès, c’est une fièvre chaude, une de ces maladies qui possèdent et galopent toute une population, et dont on ne se défait plus.

D’où vient cela ? Quelle raison un pareil engouement peut-il avoir ? Est-ce à l’originalité du poème, à l’agrément de la musique qu’il faut demander le mot de cette énigme ? Comme partition, la Fille de madame Angot a bien son mérite ; c’est une suite de rhythmes chantans et dansans, distribués en dialogues, en ariettes, en vaudevilles, par la main d’un harmoniste adroit et souvent ingénieux ; mais ces qualités, combien d’autres les ont eues que la vogue n’a point si follement récompensés ! Compulsez le répertoire d’Adolphe Adam, de Grisar et d’Aimé Maillard, et dites lequel de leurs ouvrages, dont plusieurs sont des chefs-d’œuvre ! leur valut jamais une fortune ! J’entendais dernièrement le Bijou perdu, qu’on vient de représenter à l’Athénée pour la jolie Mlle  Singelée, qui sans trop de désavantage y tient le rôle créé par Mme  Cabel en 1853. J’avoue que cette musique ne me semblait pas inférieure à celle de M. Lecocq, j’y trouvais même plus d’entrain et moins de vulgarité dans les motifs, bien qu’en fait de distinction et d’élégance la fameuse ronde des fraises soit tout autre chose que la fleur des pois. Et cependant le Bijou perdu, au plus beau temps de sa carrière, n’obtenait qu’une popularité contestable, tout aidé qu’il fût par le talent d’une cantatrice alors au plein de la faveur. Ici, point de virtuose, une exécution telle quelle, et par contre un succès dépassant tout ce qu’on peut imaginer. Maintenant l’explication que la musique se refuse à nous donner, la chercherons-nous dans le poème ? Mais cette pièce ressemble à tous les vaudevilles du genre. Ce n’est ni mieux conçu, ni plus spirituel, ni plus drôle que la plupart des œuvres de cette espèce. Cette vogue doit pourtant avoir une raison, il faut que cette raison se trouve, et nous la trouverons dans les circonstances mêmes où s’est produite la Fille de madame Angot. L’ignoble opérette, avec ses travestissemens, ses cascades et ses platitudes carnavalesques, avait fait son temps. À sa puissance enfin démodée se substituait la muse grivoise de Désaugiers et d’Adolphe Adam, on avait devant soi non plus cet éternel mardi gras qui vous écœure, mais simplement une comédie à ariettes dans les conditions naturelles et nationales, une musique ordinaire, si l’on veut, mais qui ne se moque ni de soi ni des autres, en un mot un spectacle dont les honnêtes gens peuvent se divertir : l’opéra comique mis à la portée de tout le monde, tandis que l’opérette ne s’adressait qu’au demi-monde.


f. de lagevenais.
  1. Voici l’état dans lequel se trouvent en ce moment les travaux du nouvel Opéra ». « Les bâtimens d’administration comprenant les magasins, les salles des bibliothèques et des archives sont à peu près terminés ; il ne reste à exécuter que quelques travaux de menuiserie sans importance. Il en est de même des loges des artistes. La salle elle-même est également fort avancée, du moins pour le gros œuvre ; mais le travail d’ornementation n’est même pas commencé. À la scène, — la partie la plus difficiles à cause des complications de la machinerie, — à la scène, il n’y a rien de fait. C’est là une grande affaire, qui demande à être conduite avec beaucoup de circonspection, et les améliorations que l’on se propose d’y apporter exigeront que l’on procède avec quelque lenteur. Le grand escalier, qui sera une pièce extraordinairement remarquable, est loin d’être fini, bien que l’on y travaille depuis plus de deux ans ; il y a là de l’ouvrage pour plus d’une année encore. Les travaux d’art et de décoration qui restent à exécuter sont nombreux ; mentionnons les candélabres énormes de l’escalier les incrustations de marbre de plusieurs pièces, les dessins du plafond de l’avant-foyer, les statues et les draperies du grand foyer de la danse, sans compter une foule de petits détails dont l’énumération serait trop longue. Tel est sommairement décrite, la situation actuelle du nouvel Opéra, dont la partie extérieure est entièrement terminée. » En présence d’un pareil tableau, est-il permis d’espérer que d’ici à quelques mois la place puisse être occupée ? Il faudrait pour cela des prodiges de volonté qui ne sont guère dans nos mœurs administratives. Le ministre s’entoure de lumières, nomme des commissions et fait des vœux ; de son côté, l’architecte tient à parachever et parfaire son chef-d’œuvre, ce qui demandera du temps ; mais ne serait-ce point possible, sans rien bâcler, d’aller vite et surtout d’aller au plus pressé ?