Revue parisienne - Romans - Poésie de Lacenaire - M. Alexandre Dumas

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Revue parisienne - Romans - Poésie de Lacenaire - M. Alexandre Dumas
La Variété, revue littéraire (p. 190-192).

REVUE MENSUELLE


L’époque actuelle est féconde en énigmes de tout genre, et nous le concevons facilement, car rien n’est encore stable en politique comme en littérature ; mais s’il existe un problème dont la solution soit de toute impossibilité, c’est la verve intarissable de M. de Balzac. Le plus fécond de nos romanciers a maintenant trois ou quatre ouvrages sous presse, sans compter Pierrette, que vient de publier l’éditeur Souverain

On a tout dit sur le talent littéraire de M. de Balzac, et peut-être n’a-t-on rien dit de vrai ; aussi ne nous chargeons-nous pas encore d’en donner une appréciation, même après avoir lu le premier numéro de la Revue parisienne, recueil d’art, de critique et de politique, entièrement rédigé par lui. C’est toujours ce style surchargé de termes techniques, abondant mais diffus, brillant mais superficiel ; le style de la Peau de chagrin et du Lys dans la vallée. Nous n’adresserons pas le même reproche à la suite des Mémoires d’un Sans-culotte bas-breton, par M. E. Souvestre. Les deux premiers volumes qui déjà en ont été publiés, ont révélé un noble et beau livre, écrit avec énergie et avec sagesse, et bien digne en un mot de continuer la réputation de son auteur. — Les secrets de famille de M. Alphonse Brot, le spirituel narrateur des Folles amours et de la Comtesse aux trois galants ; l’Esclave des Galères, de M. A. de Kermainguy et plusieurs autres ouvrages de nos premiers romanciers, ont été, ces derniers mois, l’événement le plus saillant de la librairie parisienne, si ce n’est une découverte inattendue que voici : les vers suivants ont été retrouvés dans les papiers de Lacenaire, et sont adressés à Mme N. de N… :


Être divin, beauté touchante et pure
Que je rêvais dès mes plus jeunes ans.
Qui que tu sois, esprit ou créature,
Prête l'oreille à ces derniers accents !
Sur ces rescifs d’une mer agitée
Tu m’as guidé, phare mystérieux :
Je vois le port, et mon âme enchantée
Ira bientôt t’attendre dans les cieux.

Je te cherchais sous les brillants portiques
Où vont ramper les séides des rois ;
Je te cherchais sous les chaumes rustiques.
Ton ombre seule apparut à ma voix.
Peut-être, hélas ! mon œil trop faible encore,
Soutiendrait mal ton éclat radieux.
Veille sur moi, sylphide que j'adore,
Vierge immortelle, attends-moi dans les cieux !

Je te rêvais au matin de ma vie,
Le front paré de riantes couleurs ;
Pauvre et souffrant dans ma longue insomnie,
Je te rêvais plus belle dans les pleurs.
Mais de la mort j’entends la voix sévère ;
Elle a brisé le prisme gracieux…
Je n’ai plus rien qui m’attache à la terre,
Vierge immortelle, attends-moi dans les cieux !


avons parlé dans la revue précédente, est un recueil de romans dont le second mérite est d’être fort courts. Une des plus saillantes de ces nouvelles est sans contredit celle intitulée : Pierre Grasson. L’auteur y déploie une grande verve d’analyse et un esprit entraînant. Pierre Grasson est le type du médiocre dans l’art, et l’on sait que M. de Balzac en est l’ennemi le plus acharné.

— La librairie parisienne ne produit rien qui soit digne d’intérêt. Nos premiers romanciers se reposent ; nos grands poètes font de la politique ; mais, en revanche, nos jeunes poètes publient de nombreux volumes versifiés. C’est un fait plein de tristesse à remarquer que le vide ou la médiocrité de ces publications. À défaut de spontanéité dans l’art, encore faut-il de l’étude ; car alors le succès, pour être moins beau, n’en a pas moins une base solide, sur laquelle il peut s’appuyer et grandir. Mais non ; aveuglés par l’éclat du rhythme, ces jeunes littérateurs n’ont fait qu’une copie de rhythme. Entre autres ouvrages de ce genre, nous citerons les Premières Fleurs, de M. Jules de Gères.

— Une copie de la Courtisane, de Sigalon, est exposée à l’Hôtel-de-Ville, dans la salle des concerts. Nous regrettons de ne pouvoir donner des éloges à M. Bouttier, qui a entrepris une tâche bien au-dessus de ses forces. Pour rendre la touche large et le dessin pur du maître, il fallait une main habile et naïve, et nous n’avons pas même trouvé dans cette peinture l’exactitude qui, avant tout, doit être le cachet d’une copie. — Les bras de la courtisane sont trop gros et engorgés. Le deltoïde et la naissance du sein sont plats et faits de telle sorte qu’on ne sait comment le peintre les a travaillés — Si nous voulions analyser chaque partie de cette copie, chaque partie serait le sujet d’une critique. Nous conseillons donc à M. Bouttier d’étudier sérieusement l’anatomie qu’il ne connaît pas.

Camille A. Y. G. Maugé.