Revue pour les Français Juin 1907/III

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Collectif
Imprimerie A. Lanier (2p. 692-694).

LA VISITE DES JOURNALISTES ANGLAIS
EN ALLEMAGNE



Il est impossible de laisser passer sans y donner un regard l’article par lequel, dans le numéro de juin de la Contemporary Review, le docteur Friedrich Dernburg, vice-président du Comité de réception des journalistes anglais en Allemagne, s’efforce d’exposer au peuple britannique l’état actuel de l’esprit public en Allemagne au point de vue des relations avec l’étranger. Cet article où la pommade, si l’on ose ainsi dire, s’associe à la brillantine, a été écrit sur la demande expresse du prince de Hatzfeldt, président du Comité de réception.

Comme les lecteurs de la Revue pour les Français l’ont appris par la presse quotidienne, des journaux anglais de l’importance du Times n’ont pas jugé opportun de se faire représenter dans cette visite et l’effort de l’Allemagne officielle pour exagérer l’importance de la manifestation n’en apparaît que plus remarquable. Cet effort procède d’ailleurs d’une considération très juste à savoir que le rôle de protagoniste, joué par la France aux dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles dans la politique continentale, est dévolu à l’Allemagne depuis le traité de Francfort. Or la politique traditionnelle de l’Angleterre a été orientée d’une manière invariable contre la puissance qui visait à l’hégémonie continentale. Tel a toujours été pour le grand premier rôle terrien de la vieille Europe le revers de la médaille. On semble redouter Outre-Rhin la catastrophe maritime et industrielle qui résulterait pour l’empire d’un conflit armé avec les flottes britanniques. Les journaux politiques ont bien émis, il est vrai, la théorie de la France otage, mais les revues militaires et les hommes du métier parlent des succès de cette combinaison dans des termes infiniment mesurés. Le résultat de tout ceci est une certaine inquiétude et un nervosisme évident. Mais il faut faire contre fortune bon cœur et l’on sourit aux représentants de la presse anglaise. La risette du Docteur Dernburg est pleine d’onction. Il parle avec admiration du développement de la civilisation sur le sol britannique, développement qu’aucune invasion étrangère n’est venu troubler. Il insiste sur ce fait pour mieux établir le contraste avec l’histoire de l’Allemagne, sur le territoire de laquelle ont passé en maîtres Espagnols et Suédois, Polonais et Russes, Français et Anglais. Il cite le duc d’Albe, Gustave Adolphe, Marlborough, Turenne et Napoléon. Il rappelle la guerre pour l’indépendance conduite de concert avec Wellington et attire l’attention de ses hôtes anglais, lorsqu’ils iront de Munich à Francfort, sur le village de Dettingen où Marlborough fut victorieux.

Une nation dont le sol a été ainsi foulé aux pieds ne doit compter que sur elle-même et sur sa force soigneusement entretenue et sa discipline, non seulement pour résister à un ennemi, mais à une coalition d’ennemis. Aussi ne doit-on pas s’étonner qu’une proposition tendant à diminuer cette force défensive soit mal accueillie d’une telle nation. Le docteur Diernburg affirme catégoriquement que le désir ou la volonté d’attaquer qui que ce soit sont très éloignés de l’âme allemande. On n’en saurait donner de meilleure raison que celle-ci : une nation arrivée à un développement industriel et économique aussi considérable que celui auquel l’Allemagne est parvenue n’est pas prête à risquer les produits de son labeur dans de dangereuses aventures.

L’influence étrangère qui a été la plus profonde sur l’Allemagne, prétend-il, est celle de l’Angleterre, au triple point de vue de la philosophie, de la littérature et de la politique. Et notre auteur en tire cette conclusion que plus les deux nations ont de rapports et plus leurs dons naturels se ressemblent, plus leurs visées industrielles doivent s’assimiler. Ceci paraît vraiment un peu hasardeux. Au fond, et à part des guerres dynastiques ou de magnificence comme nous en avons pour notre part trop soutenues, c’est toujours pour des raisons économiques que les nations sont entrées en conflit les unes avec les autres. On s’est battu sur toutes les mers pour des harengs et pour des épices. La rivalité industrielle et commerciale, parvenue à un certain degré d’acuité, sera encore dans l’avenir l’agent le plus redoutable et le plus actif des luttes armées.

Quoi qu’il en soit, le comité allemand qui s’est constitué pour recevoir les journalistes anglais et qui est composé de membres de la haute aristocratie, de bourgmestres des grandes cités, de recteurs d’universités, de représentants des grandes banques et d’importants établissements industriels, de présidents de chambres de commerce et d’hommes distingués dans les sciences, dans les arts et dans les lettres a bien mérité à la fois de la patrie et de l’humanité pour son effort à maintenir des relations cordiales entre deux grandes puissances militaires et maritimes.


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L’AUSTRALIE DE NOS JOURS[1]



L’opinion publique européenne s’occupe peu de l’Australie. Les Anglais eux-mêmes la connaissent mal ; la plupart des Français, pas du tout. C’est dommage. L’importance d’un pays par rapport à nous ne se doit pas mesurera la distance. La politique de toutes les grandes puissances étant devenue mondiale, rien de ce qui se passe hors de chez elles ne leur doit rester inconnu, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un pays vaste et riche d’espoirs avec lequel l’Europe entretient d’activés relations. C’est le cas de l’Australie.

Si l’éloignement de ses territoires n’infirme en rien les

  1. À propos d’un livre récent : l’Aurore australe, par Biard d’Aunet, 1 vol. à la librairie Plon.