Revue scientifique — Les Sporozoaires
Parmi les grandes divisions du règne animal, les Sporozoaires forment la plus récente, et, — pour des raisons diverses que nous allons indiquer, — l’une des plus importantes. Elle date de 1879. C’est le naturaliste allemand Leuckart qui l’a établie. Il y a placé les êtres parasitaires, microscopiques, unicellulaires, dont la connaissance venait précisément de faire, dans les années précédentes, un sérieux progrès, les Grégarines et les Coccidies. À ces deux groupes fondamentaux et suffisamment caractérisés furent successivement rattachés les organismes vaguement connus sous le nom de psorospermies, qui vivent les uns, en parasites, dans les tissus des poissons, les autres dans les muscles des mammifères, ou qui produisent chez les vers à soie, par exemple, la maladie de la pébrine. De telle sorte qu’en 1882, lorsque Balbiani prit pour sujet de son enseignement au Collège de France ce chapitre nouveau de la Zoologie, il put diviser cette classe nombreuse des Sporozoaires en cinq sous-classes : les Grégarines, les Coccidies, les Sarcosporidies des muscles, les Myxosporidies des poissons, les Microsporidies, enfin, comprenant les corpuscules vibrans des vers à soie et les organismes analogues. Mais, nous le répétons, l’intérêt principal se concentre sur les deux premières de ces sous-classes.
Cet intérêt tient à diverses causes. Il faut mentionner, en premier lieu, l’utilité pratique qui s’y attache. Beaucoup de ces êtres sont des parasites de l’homme et des animaux domestiques : ils s’attaquent à notre santé ou à notre bourse ; d’où la nécessité de les connaître pour les combattre. Bien que leur malfaisance, en général, soit sans comparaison avec celle des microbes infectieux, ils tiennent cependant une place importante dans la pathologie humaine et comparée. Les sarcosporidies des moutons et des volailles engendrent les épizooties meurtrières qui déciment, de temps à autre, les bergeries et les basse-cours. Les coccidies oviformes font périr les lapins domestiques et s’attaquent parfois à l’homme. Les myxosporidies détruisent les poissons de nos viviers et, à de certains momens, dépeuplent nos cours d’eau. Ce sont, enfin, des microsporidies qui, il y a une trentaine d’années, ont envahi épidémiquement les magnaneries et produit cette maladie de la pébrine qui faillit ruiner l’industrie séricicole du monde entier et qui coûta à la France seule un peu plus d’un milliard. La découverte, en 1880, par Laveran, de l’hématozoaire de la malaria est venue ajouter encore à l’intérêt pathologique de ce groupe. Cette redoutable affection, la fièvre malarique ou paludéenne, qui transforme en cimetières ou en solitudes un certain nombre de pays tropicaux et même quelques régions de l’Europe méridionale, a pour agent pathogène un sporozoaire : et celui-ci est, sans doute, comme Metchnikoff l’avait annoncé prophétiquement dès 1887, une coccidie.
A ces considérations pratiques, qui recommandent l’étude des sporozoaires, s’enjoignent d’autres d’un ordre plus désintéressé. Nous nous attachons à ce que nous avons vu naître et grandir sous nos yeux. C’est le cas pour l’histoire naturelle des Sporozoaires : elle est essentiellement contemporaine ; nous avons assisté à ses premiers pas. Sa marche, par surcroît, a été féconde en surprises. Deux fois en vingt-cinq ans, les zoologistes ont vu se modifier les aspects sous lesquels peut être envisagée l’évolution de ces animaux rudimentaires. Les problèmes de leur développement et de leur cycle évolutif ont reçu successivement des solutions différentes. Les derniers travaux de Pfeiffer, en 1895, et ceux de Siedlecki, Simond, Léger, Vasiléevsky, et Schaudinn, en 1897 et 1898, ont modifié sensiblement les idées admises jusque-là sur la reproduction de ces animaux, et jusqu’à leur classification.
Un naturaliste trouve à ces péripéties un intérêt palpitant. Et ce n’est pas une vaine curiosité qui l’émeut. Les doctrines et les théories les plus importantes de la biologie y sont en jeu. Il ne faut pas oublier, en effet, que les sporozoaires sont des êtres unicellulaires. Ils forment avec les rhizopodes et les infusoires le vaste sous-règne des protozoaires, animaux dont le corps est formé d’une cellule unique, par opposition à tous les autres dont le corps est un édifice cellulaire complexe. Il en résulte que toute découverte faite sur leur organisation éclaire, par cela même, la biologie de la cellule, c’est-à-dire de l’élément universel des êtres vivans.
Il n’y a pas de progrès qui soit insignifiant, dans cet ordre d’idées. C’est ainsi que l’étude des grégarines a fourni des enseignemens précieux pour la théorie de la génération. On a décrit, en effet, chez quelques-uns de ces animaux, un procédé de génération dont on n’avait guère d’exemple que chez certaines algues inférieures, telles que les Zygogonium, c’est-à-dire chez les plus simples des végétaux. Ce mode de reproduction est la conjugaison totale isogamique. Les deux conjoints qui s’accouplent, — les zoologistes disent : les gamètes, — sont des grégarines adultes, identiques entre elles, qu’aucun caractère sexuel ne distingue l’une de l’autre en mâle ni femelle, qui sont, en un mot, isogames. Dans ces noces totales, ils ne se contentent pas d’échanger et de mettre en commun quelque particule extraite d’eux-mêmes : ils se mêlent et se confondent tout entiers l’un dans l’autre : ils fusionnent intégralement leurs substances et forment ainsi un être nouveau qui est, à la fois, la somme et le mélange des deux autres. Phénomène remarquable, qui n’est possible, précisément, que parce que ces êtres sont de simples cellules. Il offre cet intérêt de nous montrer le premier stade, dans la série des procédés qui établissent la transition de la reproduction asexuée ou par spores à la reproduction sexuée ou par œuf.
Un autre exemple de contribution apportée par l’étude des sporozoaires à la Biologie générale est fourni par une observation de A. Labbé. Ce zoologiste a vu se produire, chez quelques coccidies, un arrêt, une coupure dans l’enchaînement des actes dont l’ensemble réalise la reproduction sexuelle. La série des phénomènes s’arrête, chez eux, après la réduction chromatique ; elle n’est point poussée jusqu’à la fécondation. Le rideau tombe après le premier acte : la pièce est finie. Et cependant, cette réduction chromatique non suivie de fécondation, cette opération tronquée, est parfaitement efficace : elle suffit à régénérer l’espèce. C’est une forme de parthénogenèse. On pourrait tirer de là une conclusion, quant à la valeur relative de l’un et l’autre de ces actes, dans le processus de la reproduction sexuelle. La fécondation n’aurait qu’une signification secondaire, contrairement à l’opinion commune qui lui en attribue une essentielle. Le rôle dominant appartiendrait à la réduction chromatique, c’est-à-dire à l’expulsion du globule polaire. M. Delage accepte cette manière de voir. Elle entraîne immédiatement une conception particulière de la parthénogenèse et de sa place dans le développement phylogénétique des êtres vivans.
On pourrait signaler bien d’autres notions d’un intérêt général évident, qui découlent de l’examen des sporozoaires. Mais il ne convient pas de promener plus longtemps notre lecteur dans ces régions un peu arides. Il faut maintenant revenir à l’histoire concrète des deux groupes, grégarines et coccidies.
Les grégarines offrent un intérêt purement zoologique. Ces parasites s’attaquent exclusivement aux animaux de l’embranchement des annelés, aux insectes, crustacés, myriapodes et vers. La pathologie humaine n’a rien à voir avec eux. L’homme et tous les vertébrés en sont exempts : les mollusques en sont également indemnes : en revanche, comme nous allons le voir, les uns et les autres sont exposés aux invasions des coccidies. C’est ne rien gagner au change.
Les grégarines sont extrêmement fréquentes chez les insectes. Elles s’y présentent, ordinairement, groupées dans l’intestin et quelquefois appliquées à l’extérieur de ce canal. On s’explique donc que ce soient des entomologistes qui en aient rencontré les premiers exemplaires et qui les aient fait connaître. Les plus anciennes descriptions sont dues aux Allemands Ramdohr et Gaede. Bientôt après, c’est-à-dire entre les années 1826 et 1837, vinrent les observations d’un autre entomologiste bien connu, Léon Dufour, qui, ayant passé sa vie à disséquer des insectes, n’avait pas manqué de se trouver souvent en présence de ces parasites rudimentaires. C’est lui, d’ailleurs, qui a été le parrain du groupe. Il a créé le nom de grégarines pour exprimer, précisément, que ces êtres se présentent en troupes nombreuses et plus ou moins serrées.
Tous les insectes ne sont pas également exposés à l’invasion grégarinaire. Ceux dont toutes les phases de la vie sont aériennes sont rarement infectés par ces parasites. Au contraire, ceux qui vivent dans le sol, au moins à l’état de larves, comme lever blanc du hanneton, ceux dont l’habitat est le fumier, la terre humide, ou même les eaux, comme les diptères, les hémiptères et les névroptères, sont fréquemment envahis. Les myriapodes qui vivent sous les pierres, à l’obscurité, sont encore plus sujets à l’infection : quelques-uns hébergent jusqu’à trois espèces ; ils sont une véritable mine de grégarines. Ces particularités ont une raison d’être. Elles s’expliquent par les circonstances de l’évolution du parasite, qui ne peut se reproduire indéfiniment, à l’intérieur de son hôte. Il doit en sortir, à un moment donné, et tomber dans le milieu extérieur. Il y arrive, non sans doute à l’État libre, — la transition serait trop brusque pour être supportée, — mais sous forme de kyste, c’est-à-dire de sac protégé par une épaisse enveloppe, à l’intérieur duquel se développent les propagules préposés à la continuation de l’espèce, corpuscules falciformes ou sporozoïtes. La véritable nature de ces kystes est encore obscure et incertaine : il en sera question plus loin. Quoi qu’il en soit, leur maturation doit se faire à l’extérieur. Pourquoi ? Les zoologistes ne sont pas embarrassés pour le dire. Ils sont, comme l’on sait, des téléologistes déterminés : toute circonstance favorable à un résultat est, pour eux, une cause de ce résultat. Or, il n’est pas douteux que, si le parasite ne pouvait quitter son hôte, il mourrait avec lui et l’espèce perdrait bien des chances de se perpétuer. Il faudrait que cet hôte devînt, au moment opportun, la proie d’un autre animal de même espèce. Disons plutôt qu’il s’agit d’une question de fait : la grégarine se propage, à un moment donné, par des kystes dont la maturation se fait au dehors, dans le milieu ambiant. Il faut donc que celui-ci offre des conditions favorables : l’extrême sécheresse, l’éclat des rayons solaires, auraient bientôt fait de détruire les spores : il leur faut l’ombre et l’humidité.
L’apparence de la grégarine adulte est celle d’un très petit ver blanchâtre. L’exiguïté de sa taille la soustrait à la vue simple. Les plus grosses atteignent à peine quelques dixièmes de millimètre. On connaît, cependant, une espèce géante, que E. van Beneden a trouvée chez le homard, et dont il a donné en 1871 une excellente monographie. Cette grégarine colosse ne mesure pas moins de 16 millimètres de long avec une largeur dix fois moindre. La grégarine du homard n’est pas seulement le plus grand des sporozoaires, c’est aussi le plus grand de tous les êtres qui forment le sous-règne des protozoaires.
La forme des grégarines varie quelque peu. Le plus souvent, elles ont l’aspect d’une bouteille ou d’un cruchon qui serait rempli de protoplasma. La grégarine du ténébrion ou ver de farine, si abondant dans les boulangeries mal tenues, a la forme des anciens canons : la bordure de la gueule représenterait la partie antérieure de l’animal, sorte de premier segment ou protomérite, selon la nomenclature de A. Schneider ; le reste, volée de la pièce et culasse, est l’image du corps de la grégarine, c’est-à-dire du second segment ou deutomérite, pour employer le langage technique. Cette division apparente, qui se retrouve chez un grand nombre de grégarines, n’est point une segmentation véritable. La notion de l’unicellularité domine toute l’histoire de ces organismes. Le contenu cellulaire, seul, est divisé, chez un certain nombre d’entre eux, et, par exemple, chez la grégarine du ténébrion, en deux compartimens par une cloison transversale. Chez d’autres, il n’y a point de traces de cette cloison ; le corps ne présente qu’un unique compartiment. La cloison, d’ailleurs, peut exister ou faire défaut chez les représentais d’une même espèce, ainsi que l’a vu M. Léger : et, c’est là ce qui en démontre la faible signification morphologique. Ajoutons que la partie antérieure du corps, ou du premier pseudo-segment étiré, se renfle de manière à simuler une sorte de tête (épimérite). Celle-ci est armée de crochets, de pointes radiées ou de tubercules qui sont autant de moyens de fixation.
Il est bien entendu que c’est par un abus de mots que nous employons ces expressions de tête, de cou, d’organes de fixation, trop ambitieuses pour la simplicité des objets qu’elles désignent. Le corps de la grégarine adulte est une construction peu différenciée. Une masse protoplasmique modifiée à sa surface (ectoplasme), un noyau, une enveloppe en font tous les frais.
Si l’on ajoute qu’il peut se produire, dans cette couche ectoplasmique, une différenciation de substance qui donne naissance à des fibres contractiles entourant comme un ruban hélicoïdal la masse intérieure ; si l’on tient compte de la cloison possible et des appendices fixateurs de l’épimérite, on aura épuisé la liste des détails qui marquent le plus haut degré de complication de la forme adulte. C’est, en définitive, un sac sans ouverture, sans bouche, ni anus, ni intestin : la nutrition s’y accomplit par imbibition des alimens tout digérés que l’hôte a préparés pour lui-même. Il n’y a pas de vésicules contractiles, pas de cils ou de flagella pour permettre à la grégarine de voguer. L’animal adulte n’a que des mouvemens obscurs. On voit, d’après cela, que les grégarines peuvent être rangées parmi les formes les plus simples et les plus inférieures des protozoaires.
Les crochets ou les saillies dont nous venons de parler permettent à l’animal de se fixer au revêtement intestinal de son hôte. L’épimérite est engagé dans le corps de la cellule épithéliale et l’animal, ainsi suspendu par une extrémité, flotte et se balance dans les liquides digestifs. Le même appareil sert aussi à une grégarine pour se fixer à une autre. On trouve ainsi de ces animaux associés en file, l’avant d’un individu étant engagé dans la partie postérieure de l’autre. Il se forme de cette manière des chaînes qui ne sont pas sans ressembler grossièrement (par exemple chez quelques Eirmocystis) à un tænia. Une confusion de ce genre a été commise par Cavolini.
Lorsque l’animal est arrivé au moment où il doit vivre isolé ou libre, — et nous allons voir que c’est le temps de la reproduction, — il se dégage de ses entraves d’une manière curieuse : il se décapite lui-même. Nous devrions dire, plus exactement, qu’il subit une décapitation automatique : le col se rompt et la grégarine se libère en abandonnant son épimérite tout entier dans la cellule épithéliale de son hôte ou dans le corps de son associé. S’il ne réussit pas à se séparer de ce dernier, il se résigne, et fait contre fortune bon cœur. Il s’applique plus intimement en se rabattant latéralement sur lui, tête-bêche, et il subit à son côté les opérations ultérieures de l’enkystement et de la sporulation. Cette association par contiguïté, a été prise, à tort, par quelques naturalistes, pour une conjugaison véritable. D’autre part, la grégarine dégagée du revêtement intestinal mène une vie libre, errante, mais peu mouvementée, ainsi que nous l’avons vu ; à cet état, elle prend le nom de Sporadin. Ses efforts se bornent à résister à l’entraînement trop rapide des liquides digestifs. A proprement parler, elle ne séjourne pas dans l’intestin, elle ne fait que le traverser lentement, tandis qu’elle s’organise pour la reproduction.
C’est là le moment essentiel dans l’histoire du parasite ; c’est celui qui mérite le plus d’attention. La connaissance des modes de propagation et des termes du cycle évolutif est des plus importantes à acquérir.
Les grégarines ont un mode de reproduction qui leur est commun avec les autres animaux de la même classe ; c’est la reproduction par spores, d’où le groupe tout entier des sporozoaires tire son nom. On a cru, pendant assez longtemps, que ce procédé était le seul qui servît à leur propagation. En 1891, un observateur allemand, Max Wolters, en a découvert un autre. Il a signalé, chez quelques-uns de ces animaux, parasites du ver de terre, les monocystis, un second mode, de génération, qui fait intervenir deux individus. Ceux-ci s’accolent, échangent entre eux réciproquement une moitié de noyau, et se séparent ensuite. Régénérés et invigorés par cette opération, les deux acteurs de la conjugaison nucléaire, sans échange de cytoplasma, subissent ensuite, comme les autres grégarines, le travail habituel d’enkystement et de sporulation. On peut voir là une sorte de génération sexuelle rudimentaire qui vient interrompre la série des sporulations à germes ordinaires. Ce phénomène est-il général ? Est-il seulement peu répandu ou tout à fait rare ? On n’en sait rien. La reproduction par spores reste donc le procédé de choix pour la propagation des grégarines.
Ce n’est qu’à travers mille erreurs et mille difficultés que l’on est arrivé à bien connaître toutes les circonstances de cette délicate opération. La grégarine s’y prépare par l’enkystement. Libérée de ses connexions avec le revêtement intestinal, amenée, comme nous l’avons dit, à l’état de sporadin, elle ne tarde pas à se contracter en boule et à s’entourer d’une coque protectrice au dedans de laquelle elle pourra se livrer, avec tranquillité, au travail de la sporulation.
Celui-ci comprend deux degrés et s’accomplit en deux temps : le premier correspond à la formation des spores aux dépens de la masse enkystée. Ces spores sont d’abord des masses nues (sporoblastes), puis entourées de deux membranes (sporocystes). La seconde phase répond à la formation des jeunes grégarines ou sporozoïtes aux dépens de chaque spore. En général, la masse enkystée fournit un nombre considérable de spores par division du noyau primitif en noyaux filles et en cellules filles. Au contraire, chaque spore fournit un nombre fixe de sporozoïtes, ordinairement huit. Ces jeunes grégarines présentent, à ces débuts, un aspect assez caractéristique pour que A. Schneider l’ait fait servir à l’établissement des genres. Elles ont la forme de petits barillets chez les clepsidrines : le plus souvent elles ressemblent à des navettes de tisserand, ou navicules. Elles sont mobiles, susceptibles de vifs mouvemens de flexion et de détente. Introduites avec les alimens dans le tube digestif de l’hôte, chacune pénètre, par effraction du plateau épithélial et bris de clôture, dans une cellule de l’intestin, y passe une partie de sa jeunesse, puis achève sa croissance hors de cette cellule et seulement accrochée à elle par son renflement céphalique. Le cycle évolutif est tout entier accompli.
L’évolution ne se produit donc point tout entière dans le corps de l’hôte. Elle comporte un passage obligatoire dans le milieu ambiant à l’état de kyste, dont la maturation est impossible sans cela. On voit assez, sans que nous y insistions, combien cette circonstance est favorable à la dissémination de l’espèce. L’animal infecté rejette continuellement des kystes qui mûrissent dans le milieu ambiant et qui, ingérés avec les alimens par un nouvel hôte, éclatent dans l’estomac ou l’intestin et mettent en liberté un grand nombre de sporozoïtes ou jeunes grégarines qui accompliront le même cycle évolutif que leurs ainées.
Tous les kystes, cependant, ne sont pas ainsi dirigés au dehors par la voie intestinale. Quelques jeunes grégarines, au lieu d’évoluer vers la cavité digestive, la traversent et vont former leur kyste de l’autre côté de la paroi, dans la cavité générale. Cet enkystement cœlomique a été observé en 1892 et 1893 par M. Léger, qui en a bien pénétré les raisons. C’est là encore une condition avantageuse à la dissémination du parasite. Elle a son utilité particulièrement chez les insectes à métamorphoses complètes et lentes.
Nous n’avons rappelé ici que les faits les plus élémentaires relatifs à l’histoire des grégarines : leur enkystement et leur sporulation ; leur fausse conjugaison, la conjugaison nucléaire de Wolters, la conjugaison isogamique probable de Léger. Ces connaissances ont été le prix des efforts successifs d’une longue série d’observateurs de mérite. On trouve, parmi ces premiers sporozoologistes, presque toutes les illustrations de l’Histologie moderne. Henle, alors prosecteur à Berlin, reconnaît en 1835, chez le lombric, l’existence des kystes reproducteurs, et des navicules qui en sortent ; mais il croit avoir affaire à des sortes de diatomées. Meckel, en 1844, se trompe plus gravement : il s’imagine que ces kystes sont les œufs du lombric lui-même. Siebold, plus tard, refait les observations de Henle ; il voit, comme lui, à l’intérieur des kystes, les corps en navette, et il saisit même les premiers stades de leur formation. Dans tout cela, il n’est pas encore question des grégarines, qui se rencontrent cependant souvent côte à côte avec ces kystes énigmatiques. On ne comprend pas les rapports des unes avec les autres : on les considère comme des objets distincts, réunis par le seul hasard d’un habitat commun. Stein, enfin, vers ce même temps, c’est-à-dire vers 1848, aperçoit tout à coup la relation du kyste et du corps en navette avec la grégarine, qui n’en est que l’épanouissement. Il ne reste plus, dès lors, qu’à développer les détails de l’évolution. C’est l’œuvre des micrographes et des naturalistes qui ont successivement abordé ce problème : Kölliker, en 1849 ; Lieberkühn, en 1854 ; Ray-Lankester, en 1866 ; E. van Beneden, en 1871 ; A. Schneider, en 1875 ; Gabriel, en 1880 : Bütschli, en 1881 ; Balbiani, en 1882 ; L. Léger, en 1891 : Wolters, en 1892. C’est par leurs observations que nos connaissances ont été amenées au degré de netteté que l’on vient de voir. En même temps que s’éclaircissait le difficile problème de l’évolution, les autres questions, plus simples, recevaient une solution ; le nombre des espèces de grégarines, qui était de 68 à l’époque de Stein, s’accroissait de toutes celles que les zoologistes rencontraient incidemment au cours de leurs dissections. Giard en signalait la présence chez une ascidie composée ; P. Hallez, chez les planaires. On en a trouvé dans tous les groupes de vers chez les Échinodermes et chez les Cœlentérés. Parmi les naturalistes qui, en France, ont contribué à cette œuvre d’avancement de nos connaissances, il faut citer, en première ligne, le savant professeur de l’Université de Poitiers, A. Schneider, et ses élèves.
Les coccidies forment une classe étroitement unie à la précédente. Leur histoire est singulièrement facilitée par la connaissance de celle des grégarines. Ce sont encore des parasites rudimentaires, microscopiques, cellules vivant à l’intérieur d’une cellule de l’hôte. La grégarine adulte, après une phase d’inclusion intra-cellulaire s’échappe de l’élément épithélial : elle n’y conserve plus qu’un point d’attache qui lui permet de flotter dans l’intestin : elle vit, en réalité, dans les liquides digestifs de son hôte et non dans ses élémens anatomiques. Ici, rien de pareil : d’un bout à l’autre de son existence, la coccidie reste confinée dans la cellule où elle s’est tapie. Elle y grandit, la distend, aplatit son noyau, la réduit à une coque vide, la détruit fatalement. La taille du parasite est réglée par cette nécessité : elle ne dépasse point 20 ou 30 millièmes de millimètre. Pour la même raison, la coccidie est privée des mouvemens de déplacement.
Nous avons dit que les grégarines et les coccidies semblent avoir procédé, entre elles, à un partage du monde animal : les premières se sont attribué l’exploitation des articulés des vers, des Échinodermes et des Cœlentérés. Les coccidies se sont réservé les Vertébrés et les Mollusques, mais sans s’interdire quelque empiétement sur le domaine voisin. On connaît des coccidies chez les insectes, et chez les myriapodes. MM. Caullery et Mesnil en ont signalé récemment des exemples chez les Amiélides. Chez les Vertébrés, les organes envahis par ces parasites sont au nombre de trois : l’intestin, le foie et le rein.
L’organisation de la coccidie est celle d’une cellule sphérique, avec noyau et sans membrane. Elle n’a d’organes d’aucune espèce, ni vésicule pulsatile, ni tube digestif, ni bouche, ni anus, ni cils ou autres instrumens de mouvement. Balbiani considérait la coccidie comme une grégarine dégradée par un parasitisme plus étroit. Et, en effet, elle n’est pas, comme celle-ci, simplement attachée à son hôte : elle est plongée dans la substance même de ses élémens anatomiques.
Parvenu au terme de son accroissement et à sa taille définitive, le parasite entre dans la phase de reproduction. Cette phase aboutit, en définitive, comme chez la grégarine, à l’enkystement et à la sporulation. Ce sont ces actes que l’on croyait simples qui se sont révélés, d’après les récentes découvertes, d’une complication et d’une richesse de moyens incomparables. On peut y apercevoir nettement l’extrême souci que prend la nature d’assurer la pullulation des parasites.
L’histoire de cette génération sporulaire est la répétition de ce qui se passe chez la grégarine. Tout s’y retrouve. Le kyste se comporte de même : il fournit des sporoblastes, des sporocystes, et, en fin de compte, des sporozoïtes, c’est-à-dire de jeunes organismes parasitaires, en forme de navette ou de faux (corpuscules falciformes), mobiles, prêts à entrer par effraction dans les cellules de l’intestin ou du foie, si le kyste est avalé par un animal susceptible d’être infecté. La paroi, rompue par l’action du suc gastrique, laisse alors échapper son contenu. L’analogie est frappante. C’est A. Schneider qui l’a mise en lumière et qui a établi ainsi, sur des fondemens solides, l’intime parenté de ces deux classes d’animaux.
Telle est ce que l’on a appelé l’évolution exogène des Sporozoaires. Elle comporte un acte qui s’accomplit, en effet, hors du corps de l’hôte. Elle est appropriée à la dissémination du parasite d’un animal à un autre, c’est-à-dire au changement d’hôte, par l’intermédiaire du milieu extérieur. Si elle n’avait point d’autres moyens de propagation, la maladie parasitaire, la coccidiose, ne pourrait pas se communiquer par le contact direct de l’animal infesté avec un autre de même espèce ; le contact serait sans effet, puisque le kyste doit mûrir au dehors. C’est du milieu que viendrait tout le danger. On pourrait dire que l’infection est miasmatique.
Chez les coccidies, il y a, en plus, une évolution intracellulaire ou endogène, appropriée, cette fois, à la dissémination du parasite dans le même hôte et à sa pullulation dans l’organe déjà attaqué (auto-infection). Ce mode de propagation a été découvert en 1892 par H. Pfeiffer et étudié soigneusement, en 1897, par Simond. La multiplication se produit surplace, sans que la coccidie abandonne sa cellule hôte. Entourée et protégée par celle-ci, elle n’a plus besoin, alors, de s’entourer d’une membrane kystique ; et, en effet, elle n’en produit point. La division nucléaire et protoplasmique se fait par un procédé spécial et aboutit, comme tout à l’heure, à la formation d’un certain nombre (30 à 40 en moyenne) de corps en croissant, en navette, en forme de faux, qui sont des sortes de sporozoïtes ou plutôt de jeunes coccidies. Celles-ci sont mises en liberté par l’éclatement ou la chute de la cellule hôte, dans le tube digestif ou le canalicule biliaire : elles se fixent de nouveau sur des cellules indemnes et propagent ainsi l’infection.
Il y a, en d’autres termes, un véritable dimorphisme évolutif chez les coccidies.
Ces corps en croissant, ces formes jeunes de coccidies ont reçu le nom de macrogamètes. On peut les considérer comme des individus sexualisés, des femelles véritables. Leurs générations se succèdent ainsi, comme celles des pucerons parthénogénétiques, étendant de plus en plus leurs ravages. Ils n’ont joui de la vie libre que pendant une très courte période, entre le moment où ils sont tombés dans le canal digestif ou biliaire avec la cellule hôte qui les logeait, et le moment où ils ont trouvé à se fixer sur une nouvelle cellule épithéliale. S’ils tardent trop, ils périssent.
Y a-t-il, chez les grégarines, des phénomènes de ce genre ? On a tendance à le croire. Un avenir prochain fera connaître si cette opinion est fondée. En tout état de cause, MM. Caullery et Mesnil en ont signalé un cas chez une grégarine parasite d’une annélide marine.
Cette sorte de reproduction parthénogénétique ne peut durer indéfiniment. Comme il arrive chez les pucerons à la fin de l’automne, on voit à un moment donné apparaître ici des élémens mâles, des microgamètes. Ce sont de très petits corpuscules, munis de deux longs cils qui leur servent à se mouvoir activement. Ils ont été bien vus par Simond et décrits par Léger en 1898. Ils fécondent les macrogamètes. C’est l’œuf fécondé (ookyste) qui formerait le kyste à sporulation dont nous déclarions, tout à l’heure, ignorer l’origine. Telle est celle que leur assignent les travaux récens.
A. DASTRE.