Revue scientifique - Chirurgie de guerre
REVUE SCIENTIFIQUE
CHIRURGIE DE GUERRE
J’ai indiqué dans ma dernière chronique comment évolue normalement vers la guérison une plaie de guerre où les réactions de défense de l’organisme triomphent des processus infectans ; j’ai décrit aussi, et sommairement, le cas opposé où les germes pathogènes triomphent de la résistance du sujet et amènent toutes les navrantes complications des plaies avec, comme conséquences, la nécessité d’amputer et souvent la mort. Pour compléter ce dernier tableau, j’aurais dû donner quelques indications sur la flore microbienne extrêmement complexe que le microscope repère dans ces infections en voie de généralisation ; qu’il me suffise de dire qu’on y découvre à la fois des espèces anaérobies, c’est-à-dire ne pouvant vivre qu’à l’abri de l’air, et des espèces aérobies. Parmi les premières, le micrococus fetidis (Fiessinger), le vibrion septique, le bacillus œdematiens (Weimberg), le redoutable B. perfringens se font surtout remarquer avec diverses variétés intermédiaires. Parmi les aérobies, c’est généralement le streptocoque et le staphylocoque qui dominent.
Cette symbiose, cette cohabitation, cette complicité des microbes qui ne peuvent vivre dans l’air et de ceux qui ne peuvent vivre sans lui est caractéristique d’un grand nombre des accidens graves des plaies de guerre. Il semble d’ailleurs que les anaérobies, que l’existence de cavités closes favorise évidemment, soient les plus néfastes, leurs compagnons paraissant en partie destinés surtout à absorber l’oxygène avoisinant. Et ceci est dès l’abord une raison puissante pour un large débridement précoce des plaies qui ouvre ces cavités closes.
Si nous prenons maintenant comme fil directeur dans le labyrinthe touffu des méthodes et des faits chirurgicaux, l’exposé succinct de l’évolution microscopique des plaies que nous avons esquissé, nous pouvons dès l’abord poser ce principe : le rôle de la chirurgie de guerre doit être d’intervenir dans l’évolution de la plaie de façon qu’à la croisée des deux chemins qui la peuvent conduire vers la guérison ou vers les accidens infectieux, cette évolution prenne nécessairement le premier.
Rejeter l’ennemi (projectile, corps étrangers et microbes), puis réparer le mal qu’il a fait, tel est idéalement l’alpha et l’oméga de la chirurgie guerrière. Ou, pour parler plus exactement et plus modestement, son double objectif doit être d’aider l’organisme dans ses réactions naturelles, à rejeter l’ennemi, à réparer ses dégâts. Car le mot d’Ambroise Paré reste toujours vrai, même pour les athées, si on l’exprime sous la forme suivante :
« Je l’ai soigné, la nature l’a guéri. »
Leur objectif ainsi défini, par quelles modalités particulières les chirurgiens militaires, — et j’entends par-là tous les chirurgiens qui soignent les militaires, — le réalisent-ils, ou du moins devraient-ils le réaliser ? C’est ce que nous allons tenter de voir à la lumière de la cruelle expérience dont trois ans de guerre nous ont saturés.
Nous avons vu que les phénomènes d’infection des plaies se produisent dans un certain ordre de succession chronologique. Pour les plaies que l’on rencontre dans la pratique courante de la chirurgie civile, le blessé peut généralement être mis entre les mains du chirurgien disposant de tous les perfectionnemens de la technique un temps très court après la blessure, temps presque toujours inférieur à celui qui précède, comme nous avons vu, la naissance des accidens infectieux. Il n’en est plus de même, il n’en était surtout au début de la guerre pas de même sur le champ de bataille. Là le blessé ne peut être relevé qu’un temps souvent assez long après qu’il a été touché ; son transport hors de la ligne de feu est long aussi et difficile.
Or la doctrine officielle, en août 1914, était par surcroît qu’une fois hors de la ligne dangereuse, le blessé fût simplement pourvu d’un pansement protecteur qui n’était, si j’ose dire, qu’un vêtement pour sa plaie, puis expédié dans les hôpitaux de l’arrière, généralement à l’autre bout de la France, en un voyage qui durait des journées. Il n’y avait à l’avant pour ainsi dire pas de chirurgien, pas d’installations chirurgicales permettant d’intervenir rapidement. Évacuer, telle était la seule fonction chirurgicale de l’avant.
Aussi, dans ces conditions, les infections généralisées étaient fatales. On sait assez, — pour que nous n’ayons pas besoin d’y insister ici, — ce qu’elles nous ont coûté, et comment l’organisation préexistante du service de santé aux armées, erreur administrative fondée sur une erreur technique (la croyance à la stérilité, à l’asepsie des plaies de guerre) a dû sous la pression cruelle des faits être entièrement refondue. Que les neuf dixièmes environ des plaies de guerre ne fussent pas aseptiques, c’est ce que l’on eût pu savoir d’avance si l’on avait mieux profité de l’expérience rapportée de la guerre balkanique, par les jeunes chirurgiens que la France y avait délégués. En 1914 du moins, la démonstration fut rapide et terrible.
C’est ainsi que — quelque bien toujours sortant de l’excès même du mal, — on a été amené à réorganiser complètement l’évacuation des blessés. Aujourd’hui heureusement, leur transport des postes de secours aux ambulances est considérablement abrégé par l’emploi des voitures automobiles naguère à peu près proscrites. On a créé en arrière du front, mais dans ses abords immédiats, de vastes hôpitaux chirurgicalement fort bien outillés et qui permettent d’opérer rapidement un grand nombre de blessés, et d’expédier plus en arrière les autres dans des conditions toutes nouvelles et fort différentes du far niente prétendument aseptique de jadis. Outre ces formations fixes, on a multiplié près de la ligne de feu des formations mobiles dont les plus précieuses sont les ambulances chirurgicales automobiles.
En somme, on a fini par comprendre que ce qui différencie le blessé de guerre du blessé civil, la chirurgie de guerre de la chirurgie pacifique, c’est uniquement la durée qui s’écoule entre la blessure et l’acte opératoire. On s’est donc efforcé, par une nouvelle organisation administrative des évacuations et des soins, de réduire au minimum ce temps forcément assez long du fait des circonstances du combat on a tâché de le réduire assez pour que l’évolution pathogène des plaies soit gagnée de vitesse, et pour que le chirurgien arrive avant elle sur cet autre champ de bataille : la plaie.
À cette révolution administrative du service de santé qu’ont accompagnée des mesures qui eussent semblé naguère révolutionnaires (par exemple la spécialisation des chirurgiens et des médecins, l’utilisation de diverses compétences autrement que hors de leur compétence, une certaine proportionnalité enfin établie entre la capacité et la fonction, etc.) ; à cette révolution administrative, dis-je, ont correspondu des changemens dans la technique chirurgicale, imposés par la force des choses et qui devaient résulter du caractère même des plaies de guerre.
Rien ne montrera mieux le chemin parcouru que les résolutions arrêtées à l’unanimité par la conférence chirurgicale interalliée qui s’est réunie tout récemment au Val-de-Grâce sous la présidence de M. Justin Godart, sous-secrétaire d’État du Service de santé. Je me borne à en résumer quelques-unes :
« Il est essentiel de transporter les blessés le plus rapidement possible, dans l’un des grands hôpitaux du front situé de 10 à 20 kilomètres des lignes.
« Il est avantageux que chacun de ces hôpitaux ait sous sa dépendance une ou plusieurs annexes avancées, plus rapprochées de la ligne de feu, destinées à recevoir le plus tôt possible certains blessés graves (blessés shockés ou atteints d’hémorragie grave, blessés du thorax ou de l’abdomen, etc.).
« D’une manière générale, les plaies de guerre doivent être considérées comme contaminées ou infectées.
« Le but du traitement doit-être : 1o d’empêcher l’infection de se produire, si la plaie n’est pas contaminée, ou d’obtenir sa stérilisation, si l’infection est déclarée ; 2o de permettre la suture, quand la stérilisation clinique de la plaie est réalisée. »
En un mot, il s’agit d’abord de juguler les germes pathogènes introduits dans la plaie, puis de fermer celle-ci, mais seulement ensuite, de façon à ne pas enfermer le loup dans la bergerie.
Le blessé arrive au poste de secours. Il est capital que les plaies soient pansées le plus vite possible et qu’à l’infection à peu près fatale amenée par le projectile ne se surajoute pas une autre infection exogène. À ce titre, — mais peut-être à ce titre seulement, — le pansement individuel que possède réglementairement chaque soldat répond à une indication impérieuse. Il étend une infranchissable barrière entre la plaie et les sources nouvelles de contamination extérieure.
À ce sujet la conférence chirurgicale interalliée, dont je rappelais ci-dessus les conclusions, a émis l’avis que « dans les postes de combat et particulièrement dans les tranchées, les soins chirurgicaux doivent être réduits au minimum. Ils doivent se borner à parer aux complications pouvant être immédiatement mortelles et à mettre les plaies à l’abri des souillures… On les recouvrira simplement d’un pansement sec aseptique ou antiseptique. » Certains praticiens néanmoins se sont demandé, et avec beaucoup de raison, à mon sens, s’il ne convenait pas de contrarier d’une manière quelconque, dès l’arrivée au poste de secours, le développement de l’infection. Car, sous le pansement individuel, lequel n’est alors comme on l’a dit, qu’un « cache-misère, » les germes introduits par le projectile et ce qu’il entraîne ne restent pas inactifs, eux. Quel que soit, en effet, le progrès réalisé dans le rapprochement des ambulances chirurgicales, les nécessités du combat, le bombardement, les difficultés du terrain, la multiplicité des blessés font qu’il n’est pas rare que certains d’entre eux restent de nombreuses heures, même actuellement, sans avoir reçu d’autre pansement que celui du poste de secours.
Ces praticiens se sont donc préoccupés de réaliser dès le poste de secours un pansement, si j’ose dire, préventif, qui agit sur l’infection en attendant des soins plus complets, comme font à la frontière les troupes de couverture, en un mot une sorte de traitement prophylactique et simple des plaies dès le premier pansement. Dans cette catégorie il faut ranger comme ayant donné des résultats particulièrement heureux, la méthode de Vincent et celle de Mencière. Nous en reparlerons tout à l’heure.
Les projectiles produisent dans l’intérieur des chairs des cavités closes très volumineuses par rapport à leur orifice d’entrée, cavités qui sont, comme nous avons vu, favorables au développement infectieux. La première chose à faire pour le chirurgien doit donc être d’ouvrir ces cavités, de débrider largement la plaie pour mettre à un et rendre accessibles les plaies infectieuses, d’enlever les caillots et les parties mortifiées qui sont, comme nous avons indiqué, des milieux de culture favorables aux germes infectieux ; et surtout d’extraire les corps étrangers, projectiles, débris vestimentaires, etc., qui ont été les vecteurs de ces germes.
La question de savoir si ce débridement de la plaie et cette ablation des parties contuses doivent être faits d’une façon très large dès la formation de l’avant n’est pas considérée comme résolue dans le même sens par tous les praticiens et on en pourrait discuter longuement. Ce n’en est pas le lieu ici.
On a dit justement (J. L. Faure) que c’est au premier débridement, à la première désinfection d’une plaie qu’est lié le sort du blessé. Il est essentiel que cette opération soit précoce, mais par la force des choses elle ne pourra en général être accomplie que sommairement au poste de secours. C’est plus loin, à l’ambulance ou à l’hôpital de l’avant, que l’acte chirurgical essentiel sera accompli.
Là on incisera, on débridera les bords de la plaie qui sera nettoyée à fond. On extraira dans la mesure du possible les projectiles.
Cette extraction, qui constitue la phase préliminaire de presque toutes les opérations chirurgicales de guerre, est aujourd’hui réalisée dans la plupart des formations, même au voisinage du front, par des procédés empruntés à la physique, et si ingénieux que je demande la permission d’en dire quelques mots.
J’ai déjà montré qu’on pouvait assimiler la plaie de guerre à un champ de bataille, et que les combats que s’y livrent les germes pathogènes et les leucocytes sont très analogues à ceux des humains… qui, du point de vue de Sirius, sont aussi des microbes. Si on considère d’un autre point de vue cette analogie, on verra que le chirurgien de guerre se trouve en présence de problèmes analogues à ceux d’un chef de secteur de combat.
De même, en effet, que le premier problème de la tactique est, je l’ai montré cent fois, de repérer les positions de l’ennemi, ses batteries, ses mitrailleuses, ce qui est la condition nécessaire pour les anéantir, de même le premier devoir du chirurgien est de repérer dans la chair du blessé la position des projectiles et des débris qu’il en doit extraire, s’il veut supprimer les causes, les véhicules de l’infection.
L’extraction du projectile est nécessaire pour d’autres raisons encore : même supporté au début, il peut à tout moment, sous l’influence de causes multiples, provoquer des accidens sérieux, jusqu’à une époque très éloignée de la blessure, et alors que celle-ci est guérie depuis longtemps. Lorsque le projectile a traversé l’organisme de part en part en creusant un séton, le problème est tout résolu. Mais le plus souvent, en particulier avec les éclats d’obus, le projectile reste inclus dans les tissus, et on constate une « plaie borgne. »
Quelquefois, et surtout quand la blessure est très récente, on peut, en la sondant, suivre le trajet du projectile et la sonde aidée d’une dissection attentive permet de parvenir au corps du débit et de l’enlever. Mais généralement, la plaie est très loin d’être rectiligne, et les projectiles font dans les chairs les trajets les plus imprévus, les plus contournés. Si on voulait le rechercher à l’aveuglette, on risquerait de faire subir au patient des mutilations souvent dangereuses. C’est ici qu’intervient le repérage des projectiles par les ingénieux artifices que la physique moderne met à notre disposition.
Tout d’abord, un grand nombre de projectiles sont magnétiques : l’acier des éclats d’obus et des bombes, la fonte des grenades, c’est-à-dire la majorité des projectiles vulnérans ; en outre, si les balles françaises en cuivre ne sont pas magnétiques, les balles allemandes le sont, au contraire, grâce au nickel de leur surface de maillechort. Il sera donc plus facile, toutes choses égales d’ailleurs, et comme nous allons voir, de repérer une balle allemande dans le corps d’un blessé français, qu’une balle française dans le corps d’un blessé allemand. C’est un petit avantage auquel je parierais que n’avaient pas songé ceux qui nous ont dotés de la balle D.
En approchant une aiguille aimantée de la région du corps où se trouve un projectile magnétique, elle sera attirée dans la direction de celui-ci ; une autre aiguille placée à un autre endroit, le sera de même et le recoupement de ces directions fournira la direction cherchée. Il n’y a plus alors qu’à extraire le corps étranger à coup sûr d’un bistouri qui sait où il va et y va tout droit. Malheureusement, les magnétomètres nécessaires sont des instrumens délicats, fragiles, peu transportables et assez peu sensibles. Aussi leur emploi ne s’est-il guère généralisé. En revanche, on a utilisé avec succès des électroaimants pour extraire de petits éclats d’obus de certaines régions délicates comme les yeux.
Il faut indiquer, dans le même ordre d’idées, la balance électromagnétique de Hughes, dont M. Violle et M. Lippmann ont signalé naguère la possibilité d’emploi pour le repérage des projectiles métalliques dans les plaies. Je ne sache pas d’ailleurs que cette suggestion ingénieuse ait été pratiquement réalisée, et c’est peut-être dommage.
Dans le même domaine, l’ingénieux électro-vibreur du professeur Bergonié, d’un emploi aujourd’hui classique, a rendu et rend chaque jour les plus grands services : c’est une sorte d’électro-aimant dans lequel le courant ne passe que d’une façon intermittente et qu’on place près de l’organe blessé. À chaque passage du courant, l’électro attire un peu le projectile inclus qui tend à soulever les tissus sous-jacens, puis retombe quand le courant cesse. Les interruptions et passages du courant étant fréquens, il s’ensuit, à l’endroit de la peau qui est en regard du projectile, une sorte de vibration très visible et sensible au doigt, et qui permet de localiser le corps étranger.
Malheureusement, ces méthodes (sauf celle de la balance de Hughes qui s’applique à tous les métaux, mais ne paraît pas être entrée dans la pratique), ne sont pas applicables aux projectiles non magnétiques (éclats de laiton, de bois, de pierre, etc.), qui sont d’ailleurs les moins nombreux. S’il s’agit de corps métalliques, on peut les repérer à l’aide de sondes spéciales constituées par deux tiges métalliques accolées, mais isolées électriquement et placées sur un circuit de piles. Lorsque la sonde touche à son extrémité un objet de métal, le courant est fermé et fait fonctionner une sonnerie ou un téléphone.
Mais les rois des agens de repérage, pour les projectiles de quelque métal qu’ils soient, sont sans conteste les rayons X. Aujourd’hui, il n’est plus une formation sanitaire de quelque importance où on ne les emploie couramment ; ils sont l’agent physique le plus constamment utilisé par le chirurgien de guerre.
Les divers modes opératoires utilisables dans l’emploi chirurgical de ces rayons ont donné naissance à une foule de dispositifs extrêmement ingénieux. Je ne saurais ici les examiner en détail. Ce qui suit suffira pour faire comprendre tous les progrès réalisés dans ce domaine.
Tout d’abord, on peut utiliser simplement la radioscopie (mes lecteurs ont trop de grec pour que je ne puisse pas me dispenser de leur expliquer ce mot) dans laquelle on projette à travers la région blessée les rayons X sur un écran fluorescent. Cette méthode fournit de suite une indication qualitative, c’est-à-dire qu’elle indique s’il y a des projectiles, combien, de quelle forme et de quelle dimension approximatives.
Si l’on veut maintenant localiser exactement par ce moyen le projectile dans la profondeur des chairs, on peut opérer ainsi. La jambe, — s’il s’agit d’elle par exemple, — étant placée sur la table radioscopique, on marque sur la peau, au rayon dermographique, les deux points où le rayon qui passe par le projectile rencontre la face antérieure et la face postérieure du membre. Faisant alors tourner celui-ci d’environ 90 degrés, on recommence la même opération. Le recoupement des deux droites tracées idéalement à travers la jambe fournit l’emplacement exact du projectile, et il ne reste plus au chirurgien qu’à l’aller quérir par la voie d’accès la plus facile et qui n’est pas toujours, — l’anatomie n’étant pas la géométrie, — la ligne droite.
On peut aussi faire deux radioscopies sous deux angles différens le sujet restant immobile et l’ampoule étant déplacée. Il y a de la sorte une quantité de méthodes radioscopiques de trigonométrie chirurgicale, qui conduisent toutes au résultat cherché. Certains chirurgiens, — il faut pour y réussir une grande habileté, — emploient la radioscopie, non seulement pour découvrir le projectile, mais pour l’extraire. Ils opèrent alors sous l’écran, et les précieux rayons servent en ce cas non seulement à repérer, si j’ose dire, l’objectif, mais à régler le tir du praticien. Deux modes opératoires sont alors employés : dans le premier on opère au moyen d’instrumens coudés que l’on place par rapport aux rayons X de telle sorte que la projection de l’une des branches soit réduite à un point et se confonde avec le projectile ; on est sûr alors que l’instrument est dans la direction voulue. Dans le second, on opère avec une sorte de jumelle radioscopique employée par un radiologiste, auxiliaire du chirurgien qui regarde pendant que celui-ci opère et le guide. L’auxiliaire seul voit radioscopiquement le corps étranger. C’est, comme on l’a dit, « l’aveugle et le paralytique. »
Le danger de ces méthodes radioscopiques est qu’elles obligent à maintenir le patient assez longtemps sous les rayons, ce qui peut amener parfois des radiodermites douloureuses. Aussi emploie-t-on beaucoup plus souvent la radiographie dans laquelle on opère par la photographie, ce qui ne laisse qu’un temps très court les organes exposés aux rayons. On peut abréger encore beaucoup le temps de pose en combinant les deux procédés, c’est-à-dire en appliquant un écran fluorescent contre la couche gélatinée de la plaque. À l’action directe des rayons X sur celle-ci s’ajoute celle des rayons lumineux de l’écran.
Soit qu’on ait ainsi sur la même plaque deux images obtenues en déplaçant l’ampoule, soit qu’on ait deux plaques différentes, une opération trigonométrique ou stéréoscopique simple permet de repérer exactement le projectile cherché. Mais il ne faut pas tarder alors à l’extraire, car souvent il se déplace peu à peu dans l’intérieur des tissus.
Qu’elle soit radiographie ou radioscopie, la radiologie se montre ainsi l’auxiliaire le plus précieux du chirurgien de guerre ; elle est pour lui ce qu’est l’avion pour l’artillerie. Mais de même qu’il y a des batteries irrepérables à tous les avions, il y a des corps étrangers que ne peuvent déceler les méthodes précédentes ; les débris de vêtemens sont dans ce cas, et c’est pourquoi l’art du chirurgien doit toujours compléter de quelque manière les indications exactes, mais partielles que, par les méthodes précédentes, lui apporte la science.
Le projectile extrait, je n’entrerai point dans les détails depuis longtemps classiques du traitement purement chirurgical de la plaie, dans ce qui concerne notamment l’emploi des drains et les résections jugées nécessaires.
Ces actes chirurgicaux, usuels, doivent être nécessairement accomplis par le praticien, quel que soit le mode de pansement et de désinfection adopté. Une chose pourtant est à remarquer : c’est que dans les plaies de guerre les débridemens devront toujours être très larges, car les lésions profondes sont généralement toujours plus étendues qu’on ne l’aurait supposé a priori. Aussi quand une hésitation pourrait subsister sur la nécessité d’une intervention opératoire, il faut intervenir : dans le doute ne t’abstiens pas !
Une méthode qui a donné de bons résultats, notamment entre les mains de Gaudier, mais qui doit être minutieusement surveillée sous peine de terribles dangers, consiste dans l’excision précoce et totale, quand elle est possible, de tous les tissus lésés qui sont enlevés comme une tumeur. Cette excision, suivie de suture primitive de la lésion, amène quand elle réussit une guérison très rapide. Mais elle n’est applicable que peu après la blessure, avant que celle-ci ne soit infectée, c’est-à-dire avant la sixième heure et en tout cas avant la vingt-quatrième. L’état de dépression et de shock (c’est ainsi qu’on dit à la Faculté) des blessés dans les premières heures est par ailleurs quelquefois une contre-indication à ces larges interventions précoces.
L’acte opératoire essentiel est accompli. Comment allons-nous panser, désinfecter, guérir les plaies ? Comment allons-nous favoriser les réactions de défense, contrebattre les processus infectieux dont nous avons examiné l’évolution microbiologique ? Un certain nombre de méthodes nouvelles se disputent sur ce terrain la prééminence.
Il y a d’abord le raisonnement de ceux qui disent : « Il n’y pas de raison de panser autrement les plaies de guerre que celles de la chirurgie civile. » — C’est là une affirmation peut-être hardie. Sans doute lorsqu’une plaie est largement ouverte, drainée, débarrassée de tous corps étrangers, lorsque aussi elle peut être pansée à plat, la chirurgie purement aseptique est admissible. Mais dans combien de cas cette chirurgie ne présente-t-elle pas des aléas terribles ! Aussi la majorité des chirurgiens, se rangeant aux leçons de l’expérience et du bon sens, disent aujourd’hui : Aux plaies aseptiques les pansemens aseptiques ; aux plaies septiques, les antiseptiques.
Il reste à trouver les meilleurs et les moins nocifs de ceux-ci, ceux qui sont les plus efficaces contre les germes pathogènes les plus inoffensifs pour le protoplasma cellulaire.
Nous ne dirons que peu de chose des techniques sérothérapiques et vaccinothérapiques en chirurgie de guerre. La vaccinothérapie préventive de Wright, les vaccins et sérums de Weimberg et Séguin peuvent avoir leur valeur comme adjuvans du traitement chirurgical ; mais il y a des méthodes d’une autre envergure et qui ont fait leurs preuves.
Pourtant, il faut dans ce domaine faire une place la part au sérum polyvalent de Leclainche et Vallée qui, — mes lecteurs l’ont deviné à la seule lecture de son nom, — comporte toute une série de microbes septiques et s’emploie soit en applications locales, soit en injections sous-cutanées contre les infections. Parfois cette méthode améliore nettement l’état général, atténue la suppuration, active l’épidermisation. Parfois l’amélioration est moins évidente. C’est qu’alors sans doute la flore microbienne du blessé contient des germes non encore incorporés à ceux très nombreux qui entrent dans le sérum. Aussi la polyvalence du sérum est-elle sans cesse améliorée, et il finira par être une vraie Babel, une vraie Cosmopolis microbienne.
Parmi les complications les plus terribles de plaies de guerre, il faut signaler le tétanos qui, dans les premiers mois de 1914, et par suite d’une imprévoyance qui n’eût pas dû exister, nous a coûté des milliers de vies humaines. Dès le commencement de 1915, des injections préventives de sérum antitétanique ont été faites systématiquement à tous les blessés, et le tétanos a pratiquement disparu de l’armée. C’est que si le traitement curatif du tétanos n’est pas encore d’une efficacité parfaite, il n’en est pas de même du traitement préventif qui agit à coup sûr. L’injection préventive, pour être vraiment efficace, doit être faite d’ailleurs le plus tôt possible après la blessure, dès le poste de secours ou l’ambulance de première ligne. De plus, comme l’immunité produite ne dure qu’une dizaine de jours, et qu’on a vu le bacille tétanique persister dans les plaies un temps parfois bien plus long, il est prudent de refaire une injection antitétanique huit jours après la première.
Pour ne rien celer, il nous faut signaler aussi la solution au chlorure de magnésium de Delbet et la solution hypertonique de sel marin de Wright employée surtout par les Anglais. Elles donnent souvent de bons résultats contre les incidens infectieux.
La méthode de Vincent mérite une mention particulière. Elle utilise les hypochlorites dont on connaît les propriétés désinfectantes, — à l’état sec, à l’état de poudre. On y emploie un mélange d’hypochlorites et d’acide borique que l’on pulvérise dans la plaie. Elle est inoffensive, indolore, d’application facile, lorsque la plaie est plate ou n’a pas de trajets anfractueux. Si l’on a affaire, en revanche, à un trajet de ce genre, l’artifice qui consiste à user en pareil cas d’un pulvérisateur avec tube de verre coudé pour faire pénétrer la poudre dans les « boyaux » de la plaie est bien précaire, et comporte des risques d’infection. Enfin la poudre de Vincent, lorsqu’on en fait des applications trop répétées, tend à dessécher, à cautériser les plaies, à en empêcher les sécrétions nécessaires. En outre, à cause de l’instabilité des hypochlorites, son action ne dure que quelques heures. Elle ne saurait donc prétendre, à mon avis, à réaliser le souhait de mon maître M. Dastre, pour qui le plus grand progrès apporté à la chirurgie de guerre serait celui qui permettrait de désinfecter précocement les plaies.
Il n’en est pas moins vrai, et cela ressort nettement de la discussion qui a eu lieu à la dernière séance de la Société de chirurgie, que la méthode Vincent peut fournir de précieux services, par sa simplicité, comme pansement prophylactique des plaies au poste de secours.
Quant au souhait de M. Dastre, il me paraît mieux réalisé par la méthode de Mencière. C’est par un examen de cette méthode et de celle de Carrel, qui constituent à mon sens les deux plus belles conquêtes chirurgicales de la guerre ; que je voudrais achever cette brève promenade… je devrais dire cette incursion dans le domaine hippocratique.