Revue scientifique - La Robe vaporeuse du soleil

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Revue scientifique - La Robe vaporeuse du soleil
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 21 (p. 687-696).
REVUE SCIENTIFIQUE

LA ROBE VAPOREUSE DU SOLEIL

La fable de l’aveugle et du paralytique me paraît fournir un symbole exact des rôles respectifs que jouent dans la science la théorie et l’expérimentation. L’une ne peut pas plus se passer de l’autre que ne le peuvent les deux dolens héros de Florian. L’expérience, sinon aveugle, au moins très myope, qui ignore tout ce qu’elle ne touche pas du doigt, tout ce qui dépasse le bout de son nez fureteur, piétinerait lamentablement dans le même cercle si la théorie à l’œil clair et qui voit de loin les obstacles… et aussi les mirages de l’horizon, ne venait à son secours. Mais la théorie à son tour ne serait rien, si elle n’était juchée sur les robustes épaules de l’expérience : sans celle-ci, elle ne pourrait jamais distinguer dans les apparences qu’elle aperçoit au loin ce qui est réel de ce qui est illusoire. Impuissante à avancer par elle-même sur le terrain solide des réalités, condamnée à tourner toujours ses regards dans le cercle immobile du même panorama fallacieux, elle ne bougerait pas plus qu’une souche et ne tarderait pas à radoter.

C’est ainsi que la collaboration, quelquefois orageuse, de l’expérience qui touche et de la théorie qui prévoit, des réalités ou des systèmes, du fait et de l’hypothèse, a construit clopin-clopant l’édifice, toujours inachevé, de la science contemporaine. Mais jamais sans doute cette collaboration du cerveau qui conduit et des mains qui tâtonnent n’a été aussi complète et aussi féconde que lorsqu’elle a décelé, dans l’atmosphère du Soleil, toutes les choses étonnantes qu’on y a découvertes depuis quelque temps.


L’existence d’une vaste atmosphère absorbante autour du Soleil, probable a priori en vertu de toutes les analogies astronomiques, est déjà démontrée expérimentalement par la décroissance de 1 état du disque solaire du centre au bord et par les raies noires de Frauenhofer dans son spectre, qui prouvent l’existence autour de lui d’une couche de gaz relativement froids et définis chimiquement précisément par ces raies. Mais c’est en réalité les éclipses totales du Soleil qui nous ont d’abord révélé l’atmosphère solaire. En temps habituel, elle nous est complètement invisible pour les mêmes raisons qui empêchent de voir les étoiles en plein jour : l’éclat du disque solaire lui-même et la lumière diffuse de notre ciel bleu. La lumière du jour a donc été longtemps un obstacle à nos progrès astronomiques ; si le rideau éblouissant qu’elle étend devant le ciel est tissé de rayons éclatans, c’est un rideau quand même, car il nous rend pareils aux phalènes qu’une lumière trop vive empêche de voir plus loin que le bout de leurs ailes.

Les éclipses de Soleil, déchirant à de rares intervalles ce rideau, ont révélé autour du disque obturé par la noire gibbosité de la Lune, une immense gloire lumineuse dont les banderoles s’étendent jusqu’à plusieurs millions de kilomètres, et qui se divise ainsi : d’abord, tout autour de l’astre un mince anneau rose vif, on dirait de rubis, qu’on appelle la chromosphère et d’où s’élancent de minces flammèches, roses aussi, les protubérances. Celles-ci ont souvent plusieurs centaines de milliers de kilomètres d’étendue, et on les voit se déplacer et changer de forme pendant la faible durée d’une éclipse avec une vitesse que le calcul montre fantastique, et qui dépasse souvent 100 000 kilomètres par seconde. Tout autour de la chromosphère et de ses protubérances roses, s’étend l’immense atmosphère coronale, l’immense couronne verdâtre qui constitue l’atmosphère externe du Soleil.

L’étude spectrale de ces diverses couches faite depuis un demi-siècle dans les éclipses a prouvé que la chromosphère et les protubérances sont composées surtout d’hydrogène luminescent, et que la lumière verte de la couronne provient d’un gaz qui n’a pu être encore identifié à aucun de ceux qu’on connaît sur la terre. On l’a appelé le « coronium. » — Le fait n’est d’ailleurs point sans précédent, puisqu’on a découvert également dans l’atmosphère solaire, lors d’une éclipse il y a une quarantaine d’années, un gaz inconnu qu’on a nommé hélium et qui n’a été trouvé que bien longtemps après dans l’atmosphère de notre planète.

Le spectroscope, cet outil unique de merveilleux savoir, fournissait, lors de chaque éclipse nouvelle, une telle moisson de découvertes, les expéditions organisées chaque fois étaient d’autre part si dispendieuses et si aléatoires (puisqu’un seul nuage suffisait à les rendre inutiles) que l’on en vint à désirer impérieusement des méthodes qui permettraient de voir, même en dehors des éclipses, ce que ces capricieux et fugaces phénomènes montraient seuls jusque-là.

Par exemple de 1868 à 1906, c’est-à-dire en trente-huit ans, le nombre des éclipses totales de Soleil a été exactement de vingt-quatre avec une durée moyenne de 3 minutes et 6 secondes. Un astronome qui aurait pu organiser des expéditions dans toutes les régions du globe où elles ont eu lieu n’aurait donc vu l’atmosphère solaire que pendant moins de 1 heure et demie en tout. C’est peu.

Le premier pas pour remédier à cette situation fut réalisé par Janssen et Lockyer, lorsqu’ils découvrirent leur célèbre méthode aujourd’hui universellement employée pour voir les protubérances en plein jour. Elle est trop connue pour qu’il soit besoin de la décrire ici.

Dès lors, en ce qui concerne au moins la chromosphère et ses sommets protubérantiels, l’observation des éclipses totales devenait presque superflue. En revanche, tous les efforts tentés jusqu’ici pour observer la couronne en dehors des éclipses ont échoué complètement. De là l’ignorance dans laquelle nous sommes encore relativement à la nature exacte de cette gloire dont se nimbent parfois les faces superposées de la Lune et du Soleil. Pourtant il est bien établi que la couronne est formée de gaz extrêmement ténus et transparens qui tiennent en suspension des poussières très subtiles et qu’elle est si légère que, malgré son énorme épaisseur, elle est transparente à la lumière des étoiles.


Si l’observation de la couronne en dehors des éclipses est encore impossible, en revanche les astrophysiciens ont réalisé une œuvre magnifique en nous dotant, avec le spectrohéliographe, du moyen d’observer continuellement des phénomènes que les éclipses elles-mêmes ne montraient pas, cachés qu’ils étaient alors derrière le disque opaque de la Lune : je veux parler des diverses couches de l’atmosphère solaire, non plus seulement au bord du disque d’Hélios, mais sur toute la surface de celui-ci.

Le spectrohéliographe est l’œuvre commune et indépendante de deux éminens astronomes, l’un Français, M. Deslandres, aujourd’hui directeur de notre grand observatoire solaire de Meudon, l’autre Américain, M. Hale, directeur de l’observatoire de Mount-Wilson. Malgré son nom un peu rébarbatif, cet appareil est, comme toutes les inventions vraiment belles, fondé sur une idée à la fois simple et ingénieuse et nos lecteurs me pardonneront si je ne puis résister au désir de leur exposer brièvement en quoi il consiste, dussé-je leur paraître pendant quelques instans un peu trop « technique. » Aussi bien, on ne peut prendre un plaisir véritable et complet aux harmonieuses constructions de la science, si on n’a pas une idée un peu exacte des mécanismes qui en ont édifié les lourdes pierres de taille. Si la science nous enseigne le « comment, » — et non point le pourquoi, — des choses, il n’est point indifférent de savoir comment on découvre ce « comment. »

Imaginons que, ayant une image assez large du Soleil au foyer d’une lunette, je place la fente d’un puissant spectroscope suivant un diamètre de cette image, par exemple suivant l’équateur : j’aurai à l’autre bout du spectroscope un spectre complet de l’équateur solaire. Supposons que j’isole dans ce spectre une raie déterminée, par exemple la raie rose de l’hydrogène, et que je cache tout le reste du spectre à l’aide d’un écran percé d’une fente fine qui coïncide avec cette raie : si je place derrière l’écran une plaque photographique, j’aurai sur celle-ci une raie allant d’un bout à l’autre de l’équateur solaire, et dont l’épaisseur et l’intensité ne seront pas égales d’un bout à l’autre, mais dépendront de la répartition sur l’équateur solaire des masses d’hydrogène dont l’absorption dans l’atmosphère du Soleil produit cette raie. Imaginons maintenant que, laissant tout le reste immobile, je déplace l’image du Soleil sur la fente, de manière à la faire balayer entièrement et successivement par celle-ci ; si je donne, à l’autre bout de l’appareil, un mouvement simultané et correspondant à la plaque photographique, il est clair que j’aurai finalement sur celle-ci une image du Soleil tout entier provenant uniquement de son hydrogène atmosphérique.

On peut ainsi, en isolant telle ou telle raie du spectre, avoir une image de l’atmosphère solaire provenant uniquement de tel ou tel élément chimique de cette atmosphère, ou plus exactement de telle ou telle raie de cet élément.

Mais on a fait beaucoup mieux encore et on est arrivé, comme nous allons voir, et grâce surtout aux beaux travaux de M. Deslandres, à reconnaître au moyen du spectrohéliographe quelle est la répartition en hauteur d’un élément chimique donné, sa distribution dans les diverses couches de l’atmosphère solaire projetée sur le disque. C’est un résultat admirable, et ici encore la physique du Soleil est en avance sur celle de notre globe, puisque nous n’avons aucun moyen actuel de connaître par une simple opération optique la composition des diverses couches de notre atmosphère suivant la verticale.

Voici comment on arrive à ce résultat dans le cas du Soleil. Lorsqu’on dirige pendant une éclipse la fente d’un spectroscope ordinaire radialement au bord d’une image solaire, c’est-à-dire perpendiculairement à ce bord, on constate que les raies du spectre du bord n’ont pas un aspect identique suivant qu’elles proviennent de son voisinage immédiat ou d’une région un peu plus éloignée. Par exemple, les raies bien connues du calcium, à et à (on sait que Frauenhofer a baptisé les principales raies noires découvertes par lui dans le spectre solaire au moyen des lettres de l’alphabet), ont le caractère suivant : tout près du bord solaire la raie est très large, puis, à mesure qu’on s’éloigne du bord vers l’extérieur du Soleil, son épaisseur diminue, et elle va en s’effilant de plus en plus. On pouvait s’attendre à ce résultat puisque, d’après ce que nous avons vu, la pression augmente la largeur des raies spectrales, et que la pression doit forcément diminuer à mesure qu’on s’élève dans l’atmosphère solaire. Mais ce n’est pas tout : ces raies qui sont brillantes dans l’atmosphère solaire vue pendant une éclipse le sont également en temps normal en leur partie centrale au-dessus des facules du disque, comme MM. Deslandres et Hale l’ont reconnu en 1891.

C’est au moyen de cette partie centrale brillante des raies à et à du calcium qu’ont été faits par ces inventeurs les premiers spectrohéliogrammes. Puis ils n’ont pas tardé à reconnaître qu’il n’était pas nécessaire que les raies du spectre fussent brillantes pour qu’on pût obtenir avec elles des photographies de l’atmosphère du soleil : les raies noires du spectre solaire ne sont obscures que relativement à l’éclat éblouissant du fond continu du spectre sur lequel elles se détachent. En réalité, leur partie la plus noire émet encore une lumière très notable. C’est ainsi que M. Deslandres le premier a réussi à obtenir des images solaires produites par des raies noires du spectre, soigneusement isolées au moyen des fentes du spectrohéliographe.

Dans ces conditions, ce n’est plus qu’un jeu de photographier par exemple la répartition des vapeurs de calcium dans les diverses couches qui entourent le Soleil : pour avoir cette répartition dans les couches basses, on utilisera dans le spectrohéliographe uniquement les bords des raies H et K ; pour les couches les plus élevées de l’atmosphère seulement la partie centrale des raies, et leur portion intermédiaire pour les couches moyennes.

L’application de ces méthodes à toutes les raies des multiples élémens chimiques contenus dans le Soleil constitue un labeur formidable qui sera l’œuvre de l’avenir. Dès maintenant, les premières séries de documens obtenus aux observatoires de Meudon et de Mount Wilson ont conduit à plusieurs résultats remarquables, dont voici quelques-uns.

Il est maintenant démontré que la plupart des quelque 20 000 raies noires que l’on a relevées dans le spectre solaire proviennent uniquement de l’absorption d’une couche atmosphérique relativement très mince et en contact immédiat avec la photosphère. L’existence de cette couche dite couche renversante (car, en vertu des idées de Kirchoff, c’est son absorption qui a pour effet d’inverser et qui fait apparaître en noir les raies brillantes qu’elle-même émet spontanément) a été récemment confirmée par la photographie de son spectre qu’on a pu faire lors des éclipses : tout au contact de la photosphère, celui-ci a montré pendant un bref instant, — d’où son nom de spectre-éclair, — sous la forme de raies brillantes toutes celles qui sont noires dans le spectre solaire ordinaire[1]. Confirmation éclatante des idées de Kirchoff.

En général, les élémens chimiques les plus lourds ne se trouvent que dans la partie inférieure de l’atmosphère solaire. Il y a pourtant des exceptions remarquables, et on trouve en particulier des nuages de vapeurs de calcium très au-dessus des couches où l’hydrogène est abondant.

Enfin M. Deslandres et M. Hale ont, chacun dans des directions différentes, découvert et étudié dans l’atmosphère solaire, sous les noms de flocculi, de filamens et d’alignemens, toute une série de phénomènes étranges présentés par les diverses masses gazeuses en mouvement dans l’atmosphère et dont l’importance pour la physiologie du Soleil ne le cède en rien à celle des taches elles-mêmes.

M. Deslandres a complété ces études à l’aide d’appareils spéciaux, qui, grâce au principe de Doppler-Fizeau, nous renseignent à chaque instant sur les vitesses des courans atmosphériques du Soleil (vitesse que nous n’avons pas encore le moyen de connaître optiquement dans notre propre atmosphère).

Les vitesses observées sont parfois fantastiques : on a observé ainsi récemment une masse d’hydrogène solaire attirée et comme aspirée brusquement vers une tache à la vitesse de 350 000 kilomètres à l’heure (la distance de la Terre à la Lune). De pareilles vitesses, comme aussi l’existence même de la luminescence de l’atmosphère solaire (on sait qu’on n’a jamais réussi à rendre lumineux des gaz par la seule chaleur et en l’absence d’une excitation électrique), comme aussi l’incurvation caractéristique des protubérances, ont depuis longtemps conduit les théoriciens à supposer que le Soleil est le siège de phénomènes magnétiques et électriques puissans. Il manquait à ces inductions le critère de l’expérience : celui-ci vient d’être récemment apporté par une découverte magnifique, issue directement des recherches spectrohéliographiques, et qu’il nous reste à exposer maintenant.


Il y a quelque temps, M. Hale a remarqué que, sur certains de ses spectrohéliogrammes obtenus avec les raies de l’hydrogène, ce gaz se présentait au-dessus des taches sous forme de traînées incurvées régulièrement vers celles-ci, avec l’apparence que leur aurait donnée un violent mouvement tourbillonnaire ayant son centre dans la tache elle-même. Une étude plus détaillée montra que le mouvement tourbillonnaire de l’hydrogène incandescent était bien réel, et on put même surprendre parfois des masses gazeuses violemment aspirées, comme nous l’avons vu, vers le centre de la tâche. Cette constatation était fort intéressante en soi, puisqu’elle assimilait l’atmosphère solaire au-dessus des taches aux tourbillons, tornades et cyclones de notre propre atmosphère. Il n’y avait rien là qui pût étonner. C’est pourtant de ce simple fait d’observation que le génie de M. Hale, par une chaîne étroitement serrée et merveilleusement combinée d’expériences et de raisonnemens, a tiré une des plus jolies, une des plus suggestives découvertes de l’astronomie moderne : celle du magnétisme des taches solaires, et du champ magnétique de tout le Soleil. Voici comment.

Si, s’est dit M. Hale, la matière tourne en tourbillonnant au-dessus d’une tache solaire et si elle est électrisée, elle doit engendrer un courant électrique, c’est-à-dire un champ magnétique. Or la matière doit être très probablement électrisée aux abords de la photosphère : d’une part, en effet, comme nous l’avons indiqué, la luminescence des gaz de la chromosphère est très certainement d’origine électrique. D’autre part, notre atmosphère terrestre est électrisée (et on sait que les mouvemens qui engendrent les orages produisent des décharges électriques intenses, les éclairs) ; les mêmes phénomènes, mais à un degré inférieur, doivent exister dans le soleil. On sait aussi que la lumière solaire agissant sur les particules de notre atmosphère les ionise, c’est-à-dire les dissocie en particules plus petites chargées, les unes d’électricité négative, les autres de positive ; a fortiori cette même lumière ne saurait agir autrement dans l’atmosphère même du Soleil, là où elle est des millions de fois plus intense. Enfin on a découvert, depuis quelques années, que les corps incandescens émettent des électrons négatifs en grande quantité ; le filament de carbone d’une lampe à incandescence peut produire par exemple de cette façon un courant de plusieurs ampères par centimètre carré de sa surface ; la photosphère solaire, où la matière se trouve à un état d’incandescence encore bien plus élevé, doit forcément se comporter de même. Pour toutes ces raisons, on ne peut échapper à la conclusion que la matière qui est en mouvement dans l’atmosphère solaire doit être très fortement chargée d’électricité.

S’il en est ainsi, cette matière électrisée en mouvement doit avoir les mêmes effets que le courant électrique qui circule dans un fil de cuivre : le physicien américain Rowland a montré en effet naguère, dans une expérience célèbre, qu’un corps chargé d’électricité statique, et qui se déplace très vite, est analogue à un courant d’électricité dynamique. En particulier, il a, comme celui-ci, la propriété de dévier les aimans placés dans son voisinage, et on sait par les célèbres expériences d’Œrsted et d’Ampère que le sens de cette déviation est déterminé par une règle simple et se fait de telle sorte que l’aimant tend à se mettre en croix avec le courant électrique. Autrement dit, les corps électrisés en mouvement produisent dans leur voisinage un champ magnétique. Il s’ensuit donc que les gaz électrisés qui tournent en tourbillonnant au-dessus des taches solaires doivent se comporter comme ferait une gigantesque bobine d’électro-aimant, et produire au-dessus des taches un champ magnétique dont l’axe est sensiblement perpendiculaire au Soleil.

Tout cela était bel et bien, mais il fallait le prouver. C’est ce que M. Hale a réussi à faire en utilisant le célèbre phénomène de Zeeman par des moyens d’une ingéniosité admirable, que seuls, — il faut bien l’avouer aussi à notre corps défendant, — l’organisation unique et les budgets considérables de l’astronomie américaine pouvaient permettre de réaliser.

Le phénomène de Zeeman, du nom du physicien hollandais qui l’a découvert sur les suggestions admirablement prophétiques de l’illustre Lorentz, est un effet produit par les aimans, et, plus généralement, par tous les champs magnétiques sur la lumière : on sait que, d’après les découvertes récentes, celle-ci est causée par les mouvemens excessivement rapides de petites planètes minuscules et chargées d’électricité qu’on appelle électrons et qui forment ce petit système solaire en miniature qu’est l’atome.

Une raie spectrale d’un gaz donné correspond à une fréquence particulière de vibration de l’éther, et celle-ci est due elle-même à la vitesse avec laquelle les électrons tournent autour du centre de l’atome. Considérons par exemple les électrons qui, dans l’hydrogène par exemple, produisent une raie donnée. Si nous faisons agir sur ce gaz un aimant puissant, nous pourrons subdiviser ces électrons en trois catégories : ceux qui, au moment de l’expérience, sont orientés de telle sorte que leur mouvement de rotation est contrarié par l’aimant, ceux qui au contraire ont leur mouvement accéléré par lui, et enfin ceux qui sont dans l’orientation intermédiaire où il n’a aucune action sur leur vitesse. Il s’ensuit qu’au lieu d’une raie unique, ces électrons donneront trois raies spectrales dont celle du centre coïncidera avec la raie unique primitive. De plus, la théorie montre que les deux raies extrêmes jouissent de la propriété d’être polarisées en sens contraire l’une de l’autre. Le phénomène découvert par Zeeman a montré que, conformément à l’explication élémentaire que nous venons de donner et qui est d’ailleurs bien incomplète, il en est bien ainsi.

M. Hale s’est donc proposé de rechercher si le spectre du Soleil au voisinage des taches ne présentait pas le phénomène de Zeeman, et il s’est adressé pour cela à certaines raies du spectre des taches qui étaient, on l’avait déjà constaté sans en entrevoir l’explication, élargies ou même dédoublées par rapport aux raies du spectre normal. Le succès a couronné cette longue série d’ingénieux efforts et, par des procédés d’une prodigieuse délicatesse instrumentale, M. Hale a montré d’une façon indubitable que les taches du Soleil constituent des champs magnétiques puissans dont l’intensité atteint souvent et dépasse 3 000 gauss, c’est-à-dire plus de 6 000 fois la force magnétique qui, à la surface de la Terre, attire vers le Nord l’aiguille aimantée. M. Hale a découvert aussi que la polarité magnétique des taches solaires dépend du sens dans lequel elles tourbillonnent et que souvent deux taches placées symétriquement de part et d’autre de l’équateur solaire ont un magnétisme opposé. Enfin, il y a quelques semaines, M. Hale a découvert aussi, et par des méthodes analogues, que le Soleil tout entier, et en dehors des champs magnétiques locaux des taches, est magnétique dans son ensemble comme la Terre elle-même, et de telle sorte que ses pôles magnétiques Nord et Sud sont orientés comme sur la Terre et près des pôles de rotation. Quant à l’intensité de ce champ magnétique général, elle serait en moyenne 80 fois plus grande à la surface du Soleil qu’à la surface de la Terre.

M. Deslandres a obtenu de son côté des résultats dans le même sens par l’étude de la courbure des protubérances solaires et de leur vitesse radiale.

Enfin une découverte, faite il y a quelques semaines à peine par le physicien allemand Stark, vient d’apporter un élément nouveau d’intérêt et d’espoir à ces études de physique solaire : elle prouve en effet que les raies spectrales peuvent manifester non seulement l’existence des champs magnétiques, mais aussi, par un effet analogue au phénomène Zeeman et d’ailleurs différent dans sa modalité, celle des champs électriques qui agissent sur les sources lumineuses.

Il est encore trop tôt pour envisager les conséquences qu’aura en astrophysique le phénomène de M. Stark. Certains astronomes n’envisagent point sans un peu d’affolement la complication nouvelle qu’il va introduire dans les études d’optique solaire ; ils craignent qu’on ne finisse par ne plus pouvoir se débrouiller dans l’enchevêtrement des causes multiples qui agissent sur les raies du spectre. A mon sens, ils ont tort, et c’est un peu se plaindre que la mariée est trop belle. Plus la science progresse, plus les apparences fugitives qu’elle nous montre se compliquent. Si cela n’avait que l’avantage de nous rendre plus modestes dans nos prétentions et moins béatement catégoriques dans nos systèmes, ce serait déjà tout bénéfice. Mais il en est bien d’autres encore, ne fût-ce que l’éternel attrait du « nouveau, » de l’ « inédit. »

En tout cas, dès maintenant la moisson est belle des découvertes faites dans l’atmosphère de notre petit Soleil, et ce n’est point en vain que les astronomes ont lentement dégrafé la robe vaporeuse où flotte son disque d’or fluide.


CHARLES NORDMANN.

  1. La plupart des élémens chimiques connus sur la Terre ont été retrouvés ainsi dans le spectre solaire. Il y a encore quelques exceptions parmi les métalloïdes. L’une d’elles cependant, concernant l’oxygène, vient d’être récemment écartée : après de nombreuses recherches et des discussions passionnées, il est maintenant bien prouvé que cet élément si abondant sur la Terre existe aussi dans le Soleil. Mais on peut se demander pourquoi ses raies sont si difficiles à déceler sous le spectre solaire. Quant au radium dont l’existence dans ce spectre avait été annoncée récemment, son identification n’est pas encore certaine. Elle est cependant probable, puisque l’hélium, produit de la désagrégation du radium, est abondant dans le Soleil. Et puis elle aurait l’avantage de fournir un aliment presque inépuisable à la formidable consommation d’énergie du Soleil.