Revue scientifique - Pour une réforme chronologique
Dans ma dernière chronique où j’exposais les nombreux inconvénients pratiques (les théoriques ont moins d’importance) des calendriers en usage, j’émettais finalement le vœu que le Congrès de la Paix fût saisi de ce problème, étant donné que les circonstances présentes fournissent une occasion unique de le résoudre sainement.
Depuis, — et je n’ai pas l’outrecuidance de voir là une relation de cause à effet, — ce vœu est entré dans la voie de la réalisation : l’Académie des Sciences a été saisie de la question par un de ses membres les plus qualifiés, M. Deslandres, directeur de l’observatoire de Meudon, et le souhait a été émis par lui que l’Académie prît cette réforme sous son haut patronage et la soumît à bref délai à l’Assemblée internationale de la Conférence de la paix. Que décidera sur ce point l’Académie ? On n’en saurait rien préjuger encore. Mais il suffit qu’elle soit saisie de ce problème pour que, sortant enfin des limbes velléitaires, il soit entré définitivement dans la voie qui aboutira à une solution.
Dans sa communication à l’Académie, M. Deslandres a déclaré que « la question est bien mûre et prêle pour une décision définitive. » On peut discuter cette affirmation ; mais du moins, parmi les éléments du problème, il en est qui sont parfaitement au point et dont la solution est d’un commun accord immédiatement facile ; il en est d’autres sur lesquels on peut disputer, et sur lesquels on disputera… on en dispute déjà ; et sur ceux-ci l’accord sera peut-être plus malaisé. « Sérions donc les questions, » comme disait un homme politique célèbre dont j’ai oublié le nom.
Il est clair que l’inconvénient primordial des calendriers actuels est qu’il y a des calendriers. Rien qu’en Europe les peuples ont en usage trois nomenclatures chronologiques différentes, si bien que le jour où parait ce numéro de Revue qui est pour nous le 15 février 1919, s’appelle le 2 février pour les Slaves, donc pour presque une moitié de l’Europe, et le 14 Djoumada IIe, de l’an 1337 pour les musulmans (je ne cite que pour mémoire, car elle n’a nulle part de caractère officiel, la date correspondante du calendrier israélite qui est le 15 Adar de l’an 5679).
Au point de vue des relations internationales, politiques, commerciales, financières, postales, etc., cette situation a les inconvénients les plus graves qui sautent aux yeux. Ils sont analogues à ceux qu’il y avait en France lorsque chaque ville avait son heure locale, lorsque les unités de mesure différaient d’une province à l’autre.
On a unifié l’heure en France à un moment donné, de façon que, au même instant physique, à la même époque, comme disent les astronomes pour qui les mots ont parfois un sens professionnel un peu particulier, toutes les pendules françaises marquassent la même heure... supposé qu’elles fussent bien réglées.
Le plus important n’était pas que toutes les villes de France eussent une heure parfaite, mais qu’elles eussent une heure unique. La meilleure preuve que la perfection, l’exactitude scientifique de l’heure officielle n’était que d’une importance secondaire, dans ce domaine où il y a beaucoup de conventionnel, c’est qu’on a changé récemment à diverses reprises l’heure officielle sans grand inconvénient. Avant tout, il importait que l’heure fût unique.
Pour le calendrier qui n’est qu’une sorte de classification, de langage, il en est de même : il faut avant tout que tous les hommes parlent la même langue, même si celle-ci n’est pas parfaite.
C’est ce qu’ont eu le tort d’oublier certaines personnes qui, dans le passé et surtout en Russie, se sont opposées à l’unification des calendriers, en prétendant que le julien n’était après tout pas beaucoup plus mauvais que l’autre et que les Slaves n’adopteraient un nouveau calendrier que s’il supprimait tous les inconvénients du grégorien lui-même. C’était là en vérité de la surenchère, c’est-à-dire cette sorte d’utopisme ultra-révolutionnaire qui, sous prétexte de ne vouloir que des résultats idéaux, n’en obtient jamais aucun. « Tout ou rien » est une très mauvaise devise, même en matière chronologique, car avec elle, comme évidemment dans les choses humaines, on n’a jamais tout, il faudrait se résigner à n’avoir toujours rien. Mieux vaut un seul calendrier même médiocre, que deux qui seraient bons et a fortiori que deux qui sont médiocres : c’est comme à la guerre où un chef unique vaudra toujours mieux que plusieurs, même excellents.
Et c’est pourquoi j’estime que le Congrès de la Paix doit, avant d’aller plus avant à cet égard, inscrire dans les conditions internationales qu’il prépare, l’unification des calendriers employés par toutes les nations, unification réalisée par l’adoption commune d’un des calendriers existants, ce qui se fera avec le minimum de trouble. Il est clair d’ailleurs que cette unification ne peut et ne doit se faire que par l’adoption du calendrier grégorien. Cela résulte d’un grand nombre de raisons, les unes théoriques, Iles autres pratiques, comme nous allons voir.
La question de l’unification des calendriers grégorien et julien a été traitée d’une façon très approfondie, notamment par le professeur Stanoïewitch, recteur de l’Université de Belgrade et directeur de l’Observatoire de cette ville. Dès 1892 ce savant a soulevé cette question en fournissant au métropolite de Belgrade des propositions fortement documentées qui furent transmises par lui au Saint-Synode grec à Constantinople et au Très-Saint Synode russe à Pétrograd, mais n’eurent malheureusement pas de suite.
M. Stanoïewitch a fait notamment une critique très fine du calendrier grégorien et a le premier attiré l’attention sur certaines imperfections de la réforme grégorienne. En voici une. La durée moyenne de l’année est de 11 minutes et 15 secondes plus courte que l’année julienne (365 jours et 6 heures). Cette différence de 11,25 minutes atteint la valeur d’un jour exactement en 128 ans, c’est-à-dire qu’on perd un jour dans le calendrier julien exactement au bout de 128 années révolues. Or, non seulement on obtient ainsi un nombre entier d’années pour la perle d’un jour, mais encore ce chiffre 128 et tous ses multiples sont divisibles par quatre et présentent par conséquent des années bissextiles. Il s’ensuit qu’en supprimant, comme le fait le calendrier grégorien, 3 jours en 400 ans, on supprime un jour tous les 133, 3 ans au lieu de tous les 128. Cette petite erreur grégorienne n’est pas très considérable puisqu’elle n’atteint que 3 heures tous les 4 siècles et par conséquent un jour au bout de 8 fois 400 ans.
Elle méritait pourtant d’être signalée, car il ne faut jamais marchander avec la rigueur scientifique. Pour rectifier cette petite erreur et éviter à ses effets de s’accumuler, M. Stanoïewitch a formulé la règle suivante qui compléterait et rectifierait heureusement le calendrier grégorien et pourrait être adoptée sans inconvénient par le Congrès de la Paix : les années divisibles par 4 seront bissextiles, sauf lorsqu’elles sont divisibles par 128. — Prenons, pour citer un exemple, l’année prochaine, l’année 1920 : cette année est divisible par 128 et donne le quotient 15. Cela veut dire que, depuis l’ère chrétienne, on a perdu, d’après le calendrier julien, 15 jours. — Or, la différence entre le calendrier grégorien et le julien n’est que de 13 jours, et ceci nous amène à une autre défectuosité de la réforme grégorienne que signale très justement M. Stanoïewitch : lorsque le Pape Grégoire XIII en 1582 a proclamé sa réforme, on ne l’a appliquée qu’à dater de l’époque du concile de Nicée (325), alors qu’il eût été logique de l’appliquer à dater de la première année de l’ère chrétienne. Or, l’erreur du calendrier julien, pendant ces 325 ans où elle subsiste aussi dans le grégorien, est précisément de 2 jours, et M. Stanoïewitch remarque justement qu’en toute logique, il faudrait faire là une petite rectification qui ramènerait l’équinoxe de printemps à la date où il était au début de l’ère chrétienne.
Tout cela est bel et bien, mais il résulte d’une conversation que j’ai eue tout récemment avec le savant astronome serbe qu’il ne considère pas ces détails, non négligeables en toute rigueur scientifique, comme devant constituer des pierres d’achoppement de l’unification des deux calendriers. Finalement, M. Stanoïewitch est tombé d’accord avec moi que, si on voulait aboutir, il convenait de laisser provisoirement ces raffinements scientifiques de côté, et je suis heureux de pouvoir dire qu’il s’est entièrement rallié à mon idée qu’il fallait d’abord demander l’unification des calendriers par l’adoption généralisée du calendrier grégorien, adoption que le Congrès de la Paix pourrait imposer.
Non seulement, et en dépit de ces petites défectuosités, le calendrier grégorien est scientifiquement très supérieur au julien qui n’est qu’une approximation beaucoup plus éloignée de la réalité, mais d’impérieuses raisons pratiques militent, — à côté de cette raison pure, — en faveur de l’adoption générale du premier.
C’est d’abord que le grégorien est actuellement employé par un beaucoup plus grand nombre d’hommes et de nations que le julien. C’est ensuite que le centre de gravité de la civilisation se trouve sans conteste aujourd’hui parmi les nations utilisant le calendrier grégorien. C’est enfin et surtout la marche même des événements qui entraine irrésistiblement, comme nous allons voir, les nations encore dissidentes vers l’adoption de ce calendrier, et de celui-là seulement.
Sans parler de la Chine et du Japon qui ont adopté officiellement naguère le calendrier grégorien, c’est-à-dire le nôtre, la Bulgarie orthodoxe a fait de même depuis la guerre, exactement dès 1915 et à la suite de la pompeuse visite que Guillaume II fit alors à Sofia. Les raisons de cette mesure sont curieuses. Depuis 1914, les Bulgares déclaraient urbi et orbi qu’ils n’étaient pas des Slaves, voulant par cela expliquer leur trahison envers leurs libérateurs, les Russes... qui depuis. Et c’est précisément pour rompre un lien qui les rattachait à la Russie, qu’après la visite du Seigneur de la Guerre qui suivit l’écrasement de la Serbie, les Boulgres adoptèrent solennellement et définitivement le calendrier grégorien. A quelque chose malheur est bon.
Ainsi les sujets de Ferdinand croyaient donner une marque démonstrative de leur rupture intellectuelle avec leurs ennemis ; mais ils oubliaient qu’ils se rattachaient ainsi par l’almanach, non seulement à l’Allemagne, mais à la France, à l’Angleterre, à l’Italie, aux États-Unis, à toutes les grandes nations qui comptaient le temps grégoriennement.
Or, et c’est là le point intéressant, cette réforme s’est accomplie en Bulgarie de la façon la plus simple sans apporter aucune perturbation. Aucune émeute, aucune protestation n’accompagna ce vieillissement officiel de 13 jours qui soudain sévit sur tout un peuple [1].
Ce qui s’est fait sans heurt chez les Bulgares peut et doit se faire de même ailleurs.
Déjà en Serbie, un mouvement très net se dessine dans le même sens, notamment sous l’impulsion du professeur Stanoïewitch. C’est ainsi que le pacte de Corfou du 7/20 juillet 1917, qui a fondé le « royaume des Serbes, Croates et Slovènes, » (les Serbes sont orthodoxes, les Croates et Slovènes, catholiques), porte dans son article 8 que le calendrier sera unifié le plus tôt possible, évidemment, par le choix du calendrier grégorien. Une dépêche de l’agence Havas, parue il y a quelques jours dans la presse quotidienne, et dont je n’ai pu contrôler l’exactitude d’ailleurs très probable, vient même de nous annoncer que le calendrier grégorien a dû être introduit le 28 janvier dans toute la Yougo-Slavie.
Nul doute que la Roumanie, si on l’y invite, ne fasse de même Le gouvernement roumain avait déjà présenté à son parlement un projet d’adoption du calendrier grégorien. Mais à ma connaissance, il n’est pas encore venu en discussion. Les descendants du sage Ulysse, sous la haute direction de M. Venizelos, ne manqueront pas non plus de se rendre avec empressement à l’invitation que les Alliés pourront leur faire à ce sujet.
La Bastille du Calendrier julien, son bastion le plus puissant est d’ailleurs entrée déjà dans cette voie. On nous dit, en effet, que depuis un an environ le gouvernement bolchevik a officiellement adopté le calendrier grégorien. Ce qui prouve que toute médaille a son avers.
Restent les Turcs : ils feront d’autant plus gentiment ce que le concert des nations imposera à ce sujet que la religion n’a décidément rien à voir dans toutes ces questions d’almanach, puisque la Chine et le Japon, qui ne sont nullement catholiques, ont adopté officiellement la chronologie grégorienne.
Les objections que certaines personnalités slaves avaient autrefois soulevées en pensant à des résistances, — je parle de résistances justifiées, — de la part du clergé orthodoxe, ne paraissent décidément pas fondées, comme il résulte ce qui précède.
D’ailleurs, — et ceci est un fait très peu connu chez nous, — chez les orthodoxes pratiquant la chronologie julienne, l’Église n’emploie nullement la même manière de me surer le temps que le calendrier julien qui est adopté officiellement par les gouvernements orthodoxes. L’année religieuse orthodoxe commence au mois de septembre, et non le 1er janvier, date officielle ; les années ne sont pas comptées depuis la naissance du Christ, de sorte que l’année 1919 est l’année 7427 de l’Église orthodoxe.
Même les chiffres dont se sert cette Église ne sont ni des chiffres arabes, ni des chiffres latins connus ; elle a ses propres chiffres tirés de l’alphabet vieux-slave. Et c’est ainsi que, quand les autorités publiques ont adopté le calendrier julien, l’Église est restée fidèle à ses règles chronologiques particulières.
Le calendrier et la religion peuvent donc bien être considérés, comme disent les mathématiciens, comme des variables indépendantes, et c’est pourquoi l’adoption officielle de la chronologie grégorienne par les Turcs et les orthodoxes ne peut avoir à cet égard aucun inconvénient.
En résumé, l’adoption générale du calendrier grégorien peut et doit être inscrite parmi les conditions imposées au monde par le Congrès de la Paix.
Subordonner cette mesure facile à la réforme intime de tout le mécanisme du calendrier, dont il me reste à parler maintenant, ce serait mettre la charrue avant les bœufs, et risquer de n’aboutir à rien : qui trop embrasse mal étreint.
Que si maintenant, après avoir réglé ce premier point d’une si grande importance pratique, il sied au Congrès de la Paix, lorsqu’il sera découragé dans ses tentatives si louables pour fonder un Éden terrestre, d’aborder plus profondément la réforme chronologique, il pourra alors encore faire œuvre utile, car, hélas ! bien des choses sont à améliorer dans le calendrier grégorien, qui, à ce point de la discussion, sera devenu l’unique calendrier des peuples civilisés.
Mais ici il y a un certain nombre de matières à dissidences, comme nous allons voir, et il faudrait que ces dissidences fussent conciliées d’abord par l’organisme compétent, — Académie des Sciences ou autre, — qui les examinera. Le plus sûr moyen d’obtenir un résultat du Congrès de la Paix est de lui présenter quelque chose qui soit techniquement au point.
Depuis la réforme grégorienne il n’y a eu dans le monde civilisé qu’un seul projet de calendrier réformé qui ait eu la sanction de la pratique, — sanction tout éphémère comme on sait : — ce fut le calendrier républicain.
Un coup d’œil rétrospectif sur ses qualités et surtout ses défauts nous permettra de juger plus sainement les écueils que doivent éviter pour aboutir les systèmes aujourd’hui en présence et qui vont être confrontés à la barre de l’Académie des Sciences.
Je crois, — sans vouloir médire de la Convention, — que si la numération grégorienne parut en 1793 bonne à mettre au panier, ce fut moins par désir d’un perfectionnement scientifique et pratique qu’à cause de la naïveté qui portait alors à supprimer pour le principe la plupart des vestiges du passé. Instauré par Jules César, mis au point par Grégoire XIII, le calendrier usuel avait l’irrémédiable tare d’être, pour le citoyen Homais, doublement romain. Le conventionnel Romme en fut le plus décidé détracteur. Il n’eut point de cesse qui ! ne l’eût, par ses discours et sa propagande enflammée, fait condamner à mort. Romme voulait briser ce que Rome avait fait.
Ce qu’on mit à la place avait, quoi qu’on en ait dit, plus d’une qualité. Douze mois, tous de trente jours, avec, suivant les années et pour faire le compte, cinq ou six jours supplémentaires. Chaque mois divisé, à l’imitation des Romains, en trois décades, dont les noms des jours (primidi, duodi, etc.) avaient l’avantage de toujours correspondre aux mêmes quantièmes du mois, le début des saisons coïncidant avec celui des mois (puisque l’année commençait à l’équinoxe d’automne), tout cela faisait du calendrier de la Convention un des plus logiques et des moins... conventionnels qui aient été imaginés. Mais il avait des défauts très graves : d’abord d’avoir jeté par-dessus bord la semaine qui, dans le monde moderne, est une division du temps tellement incontestée que, pour de nombreuses raisons économiques et sociales, il paraît impossible d’y renoncer ; ensuite, de prétendre à la logique. C’est précisément les entorses qu’il donnait à la logique qui finalement le jetèrent bas. Les noms si pittoresques et si charmants donnés aux mois par Fabre d’Églantine ne pouvaient rien être que des contresens sous d’autres latitudes, et même parfois en France (que peut signifier vendémiaire, là où il n’y a point de vigne ?) Le remplacement des saints patronymiques par des noms empruntés à l’agriculture (au risque de rendre jaloux le commerce et l’industrie) avait le même défaut. Je ne parle que pour mémoire du nom grotesque de « sans-culottides » donné aux jours épagomènes. Le calendrier de la Convention périt par l’excès de sa qualité dominante, le pittoresque : ce qui est pittoresque et précis ne peut être que local, et ne devient pas facilement universel sous une planète où il y a aussi peu d’uniformité.
Il faut donc que les calendriers réformés qu’on nous propose prennent garde aux noms qu’ils proposent (ici le nom fait beaucoup à l’affaire), qu’ils conservent autant que possible ceux dont on a l’habitude, et qu’ils n’aient point trop de prétention à la parfaite logique.
Voyons maintenant les principaux systèmes aujourd’hui en présence. Je ne saurai les décrire tous, mais seulement les catégories où on peut les ranger. De plus, comme il n’entre pas dans mon rôle de rechercher et d’indiquer aujourd’hui les priorités des divers auteurs, je me bornerai à citer incidemment sans les classer, les noms de certains d’entre eux.
La plupart de ces systèmes ont été mis sur pied ou du moins précisés à la suite d’un ingénieux concours que fit en 1S87 la Société Astronomique de France et qui fut organisé par M. Flammarion et excellemment rapporté par M. Fouché. 50 mémoires avaient ôté déposés. Le prix fut décerné à M. Armelin qui proposait :
De former l’année de 4 trimestres égaux de 91 jours chacun (2 mois de 30 jours et un de 31), ce qui fait 364 jours auxquels on ajoute 1 ou 2 jours supplémentaires, selon que l’année n’est pas ou est bissextile. Ces jours supplémentaires sont placés hors date ; de la sorte, chaque trimestre comprend 13 semaines entières, et dans le trimestre les mêmes dates correspondent toujours aux mêmes jours d’une semaine donnée du trimestre.
Un grand nombre d’auteurs ont proposé des projets analogues à celui-ci dont ils sont des variantes et qui en diffèrent plus ou moins d’une part par la manière dont sont placés respectivement les mois de 30 et de 31 jours (il y a plusieurs combinaisons possibles) ; d’autre part, par le jour de la semaine qui correspond au 1er jour de chaque trimestre et de l’année ; troisièmement par la place que l’on donne au ou aux jours intercalaires et qui peuvent être séparés ou juxtaposés et situés à la fin de tel ou tel trimestre. Je n’entre pas dans le détail de ces diverses combinaisons auxquelles sont attachés les noms de MM. Flammarion, Grosclaude, Philip, Armand Baar, Hénin, etc.
Il est clair d’ailleurs que chacun de ces points a son importance et qu’il ne sera pas indifférent que le premier jour de tous les trimestres soit ou non un lundi, que le 15 ou le 30 soit ou non un dimanche, que le mois de 31 jours soit le premier, deuxième ou le dernier du trimestre, que les jours hors date qui seront des jours fériés soient au début ou au milieu ou à la fin de l’année, et se placent après un dimanche ou dans la semaine, etc.
Mais toutes ces discussions nous entraîneraient trop loin, et ce sont là en somme des points secondaires sur lesquels on pourra facilement après examen se mettre d’accord.
Ce qu’il reste, c’est que dans ce système, ou plutôt dans ces systèmes, l’inégalité actuelle des trimestres et des semestres est supprimée, que le nombre des semaines de chaque trimestre est entier et constant que les quantièmes dans chaque trimestre, c’est-à-dire dans chaque mois (à 3 mois de distance) correspondent toujours aux mêmes jours de la semaine. Pour le surplus, la plupart des particularités habituelle du calendrier en usage sont conservées avec la suppression d’un grand nombre des inconvénients que j’ai signalés.
Un autre groupe de calendriers réformés a été proposé. Le type le plus connu en est le calendrier Delaporte. Dans ce système, l’année est également composée de 364 jours datés, plus un ou deux jours sans date. Mais tandis que dans le système précédent, c’est le trimestre qui était la base, c’est ici la semaine : l’année est composée de 13 mois de 28 jours chacun (13 X 28=364), et chaque mois comprend exactement quatre semaines de 7 jours.
Dans ce système extrêmement logique et simple, le même quantième de tous les mois correspond au même jour de la semaine, et les mois ont une longueur identique. Il est clair d’ailleurs que ce système comporte, lui aussi, de nombreuses variantes provenant du jour de la semaine qui sera le premier du mois et de la place des jours supplémentaires. Ce système est encore plus logiquement rigoureux que le précédent, mais en revanche, et par une conséquence naturelle, il heurte davantage les habitudes séculaires. Le public admettrait-il une année de 13 mois ? Et je ne parle pas de la superstition du nombre 13, mais plutôt de la gêne, de la désorientation qui pourrail résulter pour les habitudes commerciales, de ces subdivisions, si commodes et si importantes, que sont le trimestre et le semestre.
Tel semble avoir été l’avis des membres du congrès de Liège pour la réforme du calendrier, puisque parmi les vœux qu’il a émis, je rappelle qu’il y a celui-ci : « que la division de l’année en 12 mois soit conservée. »
En somme, si l’on relit les vœux de cet intéressant congrès de Liège, on constate qu’ils tendent plutôt à l’adoption d’un système plus ou moins analogue au système Armelin. Je constate le fait sans vouloir me prononcer aucunement à ce sujet. Adhuc sub judice lis est.
n ne faut point se dissimuler d’ailleurs que de nombreuses questions subsidiaires peuvent être soulevées à propos de ces projets, et notamment celle des fêtes mobiles. Mais, comme il a été constaté à Liège, il semble qu’il ne se rencontre pas là d’obstacle insurmontable. Le principal reproche qu’on adresse de certains côtés aux systèmes par ailleurs si séduisants qui viennent d’être exposés est l’existence des jours hors date qui romprait, dit-on, la continuité de la semaine.
Cet inconvénient est-il aussi grand qu’on le dit ? Du fait que le dimanche a toujours été suivi d’un lundi jusqu’ici dans l’histoire de la chrétienté (et sauf en France sous la Révolution) s’ensuit-il qu’il y aurait un inconvénient réel, tangible à ce que le samedi fût parfois séparé du dimanche par un jour férié non daté ? On peut en douter, étant mis à part le respect légitime qui s’attache toujours aux vieilles traditions. Mais les progrès, ou du moins les réformes... qui ne sont certes pas toujours des progrès… consistent précisément dans le changement de certaines choses en usage.
Quoi qu’il en soit, on a proposé divers systèmes intermédiaires entre les systèmes décrits ci-dessus et le calendrier actuel. En particulier, M. Bigourdan, l’éminent astronome de l’Académie des Sciences, justement préoccupé d’éviter cette rupture dans la continuité traditionnelle de la semaine, a, dans un intéressant projet présenté, il y a quelques jours, à ses confrères, préconisé le système suivant qui supprime les jours hors date :
Chaque trimestre serait formé d’un premier mois de 31 jours suivi de deux mois de 30 jours ; toutefois, dans le quatrième trimestre, le dernier mois aurait toujours 31 jours, et l’avant-dernier en aurait aussi 31 les années bissextiles.
Ce système ingénieux supprime quelques-unes des défectuosités du calendrier actuel ; en revanche, il supprime aussi quelques-uns des avantages les plus nets des jours hors date, dont je ne vois pas pour ma part que l’adoption présente un inconvénient sérieux, en dehors d’une petite entorse à nos habitudes. La rupture de la continuité de la semaine ne me paraît pas plus difficile à accepter que la rupture de la continuité de la journée qui fut faite, lorsqu’on réalisa l’heure d’été pour la première fois ou lorsqu’on a adopté chez nous le méridien initial de Greenwich.
Pourtant M. Bigourdan a remarqué avec beaucoup de raison et une profonde connaissance de ces questions que la rupture de la continuité de la semaine, subdivision qui est liée aux traditions religieuses universelles, pourrait soulever de ce côté quelques difficultés.
Quoi qu’il en soit, l’exposé précédent aura suffi pour montrer qu’un accord, si souhaitable qu’il soit, n’est point encore établi dans ces questions, et c’est pourquoi il faut souhaiter, avec M. Deslandres, de voir l’Académie des Sciences en fasse une mise en point rapide qui permette de les soumettre avec chances de succès au Congrès de la Paix.
Parmi les réformes subsidiaires qui se rattachent à l’amélioration du calendrier, M. Deslandres voudrait voir déplacer l’origine de l’année et qu’on la plaçât au solstice d’hiver de manière à mettre les quatre trimestres en meilleur accord avec les saisons astronomiques. L’importance de cette considération me parait, l’avouerai-je ? pouvoir être discutée. Outre que la longueur des saisons est très inégale et que par conséquent la concordance en question ne sera jamais que très grossièrement exacte, on ne voit pas pourquoi alors l’année ne commencerait pas aussi bien à l’équinoxe d’automne ou à celui de printemps. Il y a d’excellentes raisons en faveur de l’une ou de l’autre solution.
D’ailleurs, le changement d’origine de l’année soulèverait, au point de vue des affaires, des difficultés nombreuses, ne fût-ce qu’en obligeant les gouvernements à modifier l’année financière.
Ne cherchons pas une trop grande rigueur scientifique dans la réforme du calendrier. Cette réforme est avant tout imposée par des raisons pratiques comme l’ont compris les Congrès des Chambres de Commerce qui la réclament. Et c’est pourquoi cette réforme, il faut l’aborder pratiquement et commencer par le commencement, par l’échelon le plus facile à franchir : l’unification des calendriers dans le moule grégorien. Chi va piano va sano.
S’il est permis de faire un peu la philosophie de ces choses, on voit finalement que toutes les difficultés, toutes les imperfections des calendriers proviennent de ce que le mois et la semaine ne sont pas simplement commensurables dans le cadre de l’année, autrement dit de ce que la révolution synodique de la lune et celle de la Terre autour du soleil n’ont point de commune mesure simple.
L’une des erreurs les plus importantes de ce divin rêveur que fut Platon fut de penser qu’il n’y avait dans les choses naturelles que des rapports simples et parfaits, et c’est ainsi qu’il pensait avoir prouvé qu’il ne peut y avoir que cinq mondes parfaits, parce qu’il n’y a que cinq corps réguliers en géométrie.
La vérité est, hélas ! tout autre ; les harmonies réelles et profondes du monde ne sont pas soumises aux normes mesquines de notre logique, et comme l’a dit Fresnel : « La nature ne se soucie pas des difficultés analytiques. »
CHARLES NORDMANN.
- ↑ A propos de l’histoire, que j’ai narrée dans ma dernière chronique, des émeutes que fit le peuple londonien lorsqu’on adopta en Angleterre la réforme grégorienne, un lecteur me demande comment les émeutiers pouvaient crier : « Rendez-nous nos trois mois ! » puisque l’écart des deux calendriers n’est, même aujourd’hui, que de 13 jours. C’est qu’on fit coïncider en Angleterre cette réforme avec le changement de l’origine de l’année qui, alors le 25 mars, fut (c(était, je crois, en 1752) reportée au 1er janvier.