Revue scientifique - Qu’est-ce que les rayons X ?

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Charles Nordmann
Revue scientifique - Qu’est-ce que les rayons X ?
Revue des Deux Mondes7e période, tome 2 (p. 919-930).
REVUE SCIENTIFIQUE

QU’EST-CE QUE LES RAYONS X ?

S’il est une découverte scientifique dont la guerre avec toutes ses misères, et à cause même de ces misères, a montré l’utilité pratique, c’est assurément le rayonnement découvert par Rœntgen il y a vingt-cinq ans. Sans lui, la besogne affreuse et charitable des chirurgiens n’eût pas eu la moitié de son efficacité. Cela, tous ceux le savent qui pendant ces quatre mortelles et immortelles années ont fréquenté les innombrables salles de chirurgie que la guerre avait fait jaillir en tous les points du territoire. Récemment, les rayons X ont de nouveau attiré l’attention du public. Ce fut à l’occasion de cet horrible radiodermite, de ce cancer des radiographes dont plusieurs radiologistes des hôpitaux parisiens viennent d’être coup sûr coup victimes. Sur les tombes de ces modestes martyrs à 300 francs par mois les autorités constituées prononcèrent les panégyriques rituels, et puis on repensa à autre chose. Ainsi va le train du monde, et il ne se trouva même personne pour remarquer philosophiquement que ces rayons X, si précieux par certains côtés, si meurtriers par d’autres, sont un peu comme ce sabre de M. Prudhomme, qui semble décidément, et de plus en plus, le symbole immortel de la plupart des œuvres humaines.

Saluons bien bas le dévouement de ces obscurs héros de la charité et de la science qui sont tombés victimes de l’engin par lequel ils sauvaient leur prochain. Eux aussi sont morts au champ d’honneur.

Et puisque, grâce à eux, un peu de la sautillante attention du public s’est fixé, l’espace d’un instant, sur les rayons X, le moment nous paraît venu d’examiner, à la lumière de quelques découvertes récentes, ce qu’on sait aujourd’hui de ces rayons et de leur nature exacte où tant de mystère régnait, naguère encore, que pour les nommer, on ne put mieux faire qu’emprunter à la science le signe bref qui est pour elle le symbole même de l’inconnu.

Mais d’abord, un bref rappel du passé qui étayera les mémoires, quelquefois un peu négligentes par ces temps où les questions de physique... et même de morale, ont cessé d’être les dominantes.

Les rayons X sont une radiation qui prend naissance lorsque les rayons cathodiques viennent frapper violemment un corps solide. Je rappelle que les rayons cathodiques sont constitués par un bombardement ininterrompu d’ « électrons, » de ces petits projectiles infinitésimaux auxquels j’ai consacré naguère ici même une étude à laquelle je prie mes lecteurs de se reporter.

Quant aux rayons cathodiques, je rappellerai qu’on les produit communément, dans un tube de verre où l’on a créé un vide assez élevé et au travers duquel on fait passer une décharge électrique. Lorsque, dans un tube de verre contenant de l’air ou un gaz quelconque, on fait passer un courant électrique à haut potentiel et qu’on y fait en même temps un vide progressif, on voit les phénomènes produits se modifier à mesure que s’accentue le degré de vide réalisé. Lorsque le vide est tel qu’il ne reste plus qu’un trois centième à peu près de l’air qui se trouvait au début dans le tube, celui-ci se remplit d’une merveilleuse lueur cramoisie qui, à une des extrémités, prend une teinte violette. Un vide un peu plus élevé manifeste dans le tube des stries palpitantes aux couleurs merveilleuses qui dansent le long des parois de verre, tandis que celles-ci luisent elles-mêmes d’une étrange fluorescence. Chaque gaz, lorsqu’on modifie le contenu du tube, donne sa teinte particulière et caractéristique, et, pour chacun, les phénomènes sont différents aux divers degrés du vide.

Lorsque le vide est suffisamment « poussé, » ces phénomènes de luminescence gazeuse disparaissent, l’intérieur du tube est sensiblement obscur et on n’y remarque plus guère qu’une fluorescence locale du verre à l’endroit du tube qui est opposé à l’électrode (c’est-à-dire à la prise interne de courant) par laquelle le courant électrique sort du tube. Cette électrode s’appelle la cathode ; mes lecteurs sont assurément assez versés dans les racines grecques pour qu’il ne soit pas nécessaire de leur expliquer le sens de ce mot. Ce sont certains rayons émanés de cette cathode et que, pour cette raison, on a appelés rayons cathodiques qui produisent la fluorescence caractéristique du tube de verre à l’endroit frappé par eux. Comment Crookes et ses successeurs ont étudié les propriétés de ces rayons, c’est ce qu’on me permettra de ne pas redire en détail. Rappelons seulement qu’on constate que ces rayons sont déviés lorsque la tache fluorescente qu’ils produisent dévie elle-même. On a observé ainsi qu’ils sont déviés par l’électricité et par les aimants ; M. Jean Perrin a achevé la démonstration en montrant qu’il sont chargés d’électricité négative. Crookes avait d’ailleurs déjà montré qu’il s’agit d’un véritable bombardement corpusculaire de « matière, radiante, » au moyen des merveilleux radiomètres qu’il installait dans ses tubes à vide sur le trajet même des rayons, et dont les ailettes délicates tournaient sous le choc de ceux-ci, comme celles d’un moulin infiniment sensible sous une brise légère. Lénard, enfin, a définitivement mis au point la question en réussissant à faire sortir de leur cage de verre et à étudier en liberté, c’est-à-dire à l’air libre, les rayons cathodiques. Il y est arrivé grâce à l’artifice qui consistait à sceller dans le tube à vide une plaquette, une fenêtre très mince d’aluminium que les rayons cathodiques, pareils à des obus rencontrant un blindage trop faible, traversent facilement. Ajoutons que Lénard utilisait comme « récepteur » du faisceau cathodique une substance étalée sur un « bout de carton » et que leur choc rend magnifiquement fluorescente : la pentadécylparatolylcétone. Qu’on ne s’étonne point de ce nom un peu inusité. Il est en vérité parfaitement clair à ceux qui ont un peu fait de chimie et son seul énoncé suffit à leur faire voir l’agencement et la liaison dans l’espace des atomes dont l’agrégation forme cette molécule. C’est en effet une chose merveilleuse que la nomenclature officiellement et internationalement adoptée aujourd’hui pour indiquer les substances, aux mille ramifications, de la chimie organique ; c’est même, peut-on dire, le langage mathématique excepté, la seule langue internationale véritablement adaptée à ses fins, puisque, par le seul agencement des syllabes, elle montre la forme de l’objet désigné, même si cette forme était jusque-là inconnue de l’auditeur.

C’est en étudiant un tube à rayons cathodiques que Rœntgen, le 8 novembre 1895, découvrit, rappelons-le, les rayons X. Le physicien de Wurtzbourg était en train de faire fonctionner un tube de Crookes qu’il avait entouré d’une cuirasse de carton noir. Un morceau de papier recouvert de platinocyanure de baryum, une de ces substances dont les rayons cathodiques produisent la luminescence dans l’obscurité, se trouvait sur la table. En faisant passer le courant électrique dans le tube, Rœntgen remarqua que le papier au platinocyanure s’éclairait. Le hasard l’avait servi ; il sut à son tour collaborer avec le hasard. « Aide-toi, le hasard t’aidera : » telle pourrait être la devise des expérimentateurs dignes de ce nom. Il faut une singulière intelligence, une acuité visuelle et raisonneuse hors pair, pour voir les trésors qu’une combinaison accidentelle met parfois à portée de nos mains maladroites, et ne pas passer aveuglément à côté. Aimez ce que jamais on ne vit ici-bas : c’est cette pensée qui tend le cerveau et les sens du savant digne de ce nom vers tout ce qui échapperait au vulgaire. C’est elle qui guida si heureusement Rœntgen. Et par là sa découverte n’est pas si fortuite et si dénuée de mérite qu’on l’a souvent dit et écrit.

Au bout de quelques minutes. Rœntgen était fixé sur la nature tout à fait insolite et nouvelle (il y avait pourtant plus de vingt ans que des physiciens manipulaient des rayons cathodiques !) du phénomène constaté. La luminosité du papier au platinocyanure ne pouvait provenir de rayons analogues aux rayons cathodiques, car ceux-ci ne traversent pas le verre et sont déviés par l’aimant. Or un aimant ne déplaçait pas la tache lumineuse sur le papier. Celle-ci ne pouvait pas provenir non plus de radiations analogues à la lumière ou aux rayons ultra-violets, car celles-ci sont réfléchies, réfractées par les surfaces des objets et polarisées par d’autres, et Rœntgen eut tôt fait de constater que les rayons nouveaux ne possédaient pas ces propriétés.

Très rapidement les diverses propriétés principales qui caractérisent les rayons X furent mises en évidence : leur pouvoir d’impressionner la plaque photographique (comme font les rayons cathodiques) ; leur pouvoir (que possèdent aussi les rayons cathodiques) de décharger les corps chargés d’électricité en rendant l’air ambiant conducteur de l’électricité, par ionisation (j’ai déjà expliqué ce mot) ; leur puissance de pénétration qui n’était comparable avec rien de connu et qui fait qu’ils traversent, sans absorption sensible, le papier, le bois et les étoffes, et qu’ils passent à travers tous les métaux en étant à peine absorbés, et d’autant plus d’ailleurs que le métal est plus dense.

Depuis lors on a découvert une autre radiation qui a les mêmes propriétés que les rayons X : ce sont les rayons gamma qu’émettent les substances radioactives et dont le pouvoir de pénétration à travers les corps matériels est généralement encore plus grand que celui des rayons X. Les rayons X étant appelés, suivant l’habituelle terminologie radîologique, « durs » ou « mous, » suivant leur pouvoir pénétrant, on peut donc dire que les rayons gamma des substances radioactives sont plus « durs » en général que les rayons X.

On ne tarda pas à remarquer que la production des rayons de Rœntgen dépendait du degré de vide du tube à décharge. Le degré de vide suffisant pour produire les phénomènes cathodiques ne suffit pas pour engendrer les rayons Rœntgen ; il faut pousser l’épuisement des gaz encore plus loin, à un degré si élevé que le tube est sur le point de ne plus laisser passer du tout la décharge électrique.

On remarqua aussi que les rayons X produits étaient d’autant plus pénétrants que le vide était poussé plus loin. Il fut prouvé ainsi que les rayons X étaient d’autant plus pénétrants que la force d’impulsion électrique des rayons cathodiques producteurs était plus grande, c’est-à-dire que les particules infimes, les électrons constituant les rayons cathodiques [1] frappaient avec plus de violence la paroi du tube d’où émanaient en conséquence les rayons X. Dans le tube initial de Rœntgen les rayons provenaient du point de la paroi de verre qui était en face de la cathode. On remarqua que ces rayons nouveaux étaient émis avec plus d’énergie si, à la place de ce point de la paroi, on fixait dans le tube une plaque de métal qui, pour ce motif, fut appelée l’anticathode. Tout cela pour mémoire.

Je passe rapidement sur les applications pratiques aujourd’hui classiques et même populaires des rayons X. La pratique va souvent plus vite que la théorie : un aveugle fait plus de chemin qu’un paralytique. C’est ainsi qu’il a fallu attendre bien longtemps avant de savoir non pas comment on fait des rayons X, mais ce que sont ces rayons. Depuis très peu de temps, on commence à être, après une longue période de controverse et d’ignorance, fixé là-dessus. Ce sont ces découvertes récentes dont je voudrais maintenant exposer les grandes lignes et la haute importance.


Dès la découverte des rayons X, et comme il arrive toujours quand « on ne sait pas encore, » les hypothèses se sont multipliées relativement à leur nature.

Les rayons X sont-ils un bombardement corpusculaire analogue aux rayons cathodiques ou aux rayons alpha et bêta du radium, une émission de projectiles minuscules lancés par l’anticathode ainsi que les balles d’une mitrailleuse ? Cette hypothèse a dû être rapidement abandonnée. Sont-ils au contraire de simples vibrations immatérielles du milieu qui emplit tout l’espace... du moins on le dit... et qu’on appelle l’ « éther ? » Sont-ils en un mot parents de la lumière qui se propage dans cet éther comme les ondes que la chute d’une pierre produit à la surface de l’eau ? Mais alors les rayons X devraient être susceptibles de se réfléchir, de se réfracter, de se diffracter, de se polariser, d’interférer, à l’instar des vibrations connues (hertziennes, calorifiques, lumineuses, ultra-violettes) de l’éther. Or Rœntgen et ses successeurs immédiats ont vainement essayé de produire avec les rayons X des phénomènes de réflexion, de réfraction, de diffraction, de polarisation et d’interférence. Mais alors ?

On a cru sortir d’embarras en admettant que les rayons X étaient, comme la lumière, des vibrations ondulatoires de l’éther, mais avec cette différence que, dans le cas de la lumière, ces ondulations sont continues, tandis que, dans le cas des rayons X, elles seraient intermittentes, interrompues à chaque instant et immédiatement amorties, n’étant émises que chaque fois qu’un corpuscule cathodique viendrait frapper l’anticathode.

Il est certain, ou du moins pour parler correctement, il est plausible, en effet, qu’un projectile lancé comme l’électron des rayons cathodiques à la vitesse de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres et même parfois de plus de 200 000 kilomètres par seconde, doit, lorsqu’il arrive sur ce blindage résistant qu’est une surface métallique, y produire et y subir un choc, une perturbation d’une brusquerie extrême. Que cette perturbation se traduise par un ébranlement instantané, une pulsation de l’éther, cela n’a non plus rien d’invraisemblable. L’impact des projectiles cathodiques contre l’anticathode produirait donc une sorte de pulsations de l’éther qui ne différerait des ondulations de celui-ci qu’autant que, dans le domaine des vibrations acoustiques, un bruit causé par un choc ou une explosion diffère d’un son musical. Le caractère musical d’un son provient précisément de la succession périodique des actions exercées sur l’oreille par les vibrations régulières qui se succèdent avec continuité vers l’oreille. Au contraire, dans le cas d’un bruit, on n’a affaire qu’à une onde instantanée et solitaire. Les rayons de Rœntgen seraient donc les bruits de l’éther, tandis que la lumière avec toutes ses gammes variées en serait la musique.

Cette hypothèse expliquait qu’on ne peut produire d’interférence avec les rayons X ; malheureusement, elle clochait sur divers autres points On en était là, c’est-à-dire à zéro ou du moins à pas grand’chose, lorsque le physicien Laue eut une idée véritablement géniale.

Depuis longtemps certains physiciens avaient émis l’hypothèse que les rayons X sont des vibrations et non des pulsations de l’éther, vibrations en tous points analogues à celles de la lumière, et comme celles-ci continues, mais d’une longueur d’onde infiniment plus petite. Je rappelle que la longueur d’onde d’une ondulation est la longueur qui sépare deux sommets successifs ou deux « creux » successifs de l’ondulation en question. Dans le cas des ondes produites par la chute d’un caillou dans l’eau, la longueur d’onde est généralement de quelques centimètres ; elle atteint des dizaines de mètres et même davantage dans le cas de la houle de l’océan.

En ce qui concerne la lumière et les autres ondulations analogues et jusque-là connues de l’éther, je rappellerai seulement que les ondes les plus longues de cet océan immatériel et répandu dans tout l’univers qu’on appelle l’éther sont les ondes hertziennes. On en a produit dont la longueur atteint plusieurs kilomètres ; les plus courtes ont deux millimètres ; immédiatement au-dessous se placent les curieux « rayons restants » étudiés par Rubens et qui tiennent à la fois par leurs propriétés des rayons électriques et des rayons caloriques ; puis viennent les rayons infra-rouges ou calorifiques, ces rayons qu’émet une bouillotte d’eau chaude ou un poêle allumé, invisibles et qui pourtant échauffent à distance la main, et dont la longueur va jusqu’à quelques centièmes de millimètres. Immédiatement au-dessous dans l’échelle des longueurs, viennent les rayons lumineux visibles dont les plus longs, les rayons rouges, ont 8 dix-millièmes de millimètres, dont les plus courts, les rayons violets extrêmes, ont une longueur moitié moindre. Au delà s’étendent de nouveau des rayons invisibles, les rayons ultra-violets qui ont des propriétés curieuses, et qui sont décelables photographiquement. Les rayons ultra-violets les plus courts mis en évidence jusqu’à ces dernières années sont ceux que Lyman, à la suite des beaux travaux de Schumann, a décelés, et dont la longueur d’onde ne dépasse pas six cent-millièmes de millimètre. C’est-à-dire qu’il faudrait mettre bout à bout plus de seize mille de ces ondes pour réaliser une longueur d’un millimètre.

Certains physiciens, notamment Lénard, — l’homme des rayons cathodiques étudiés à l’air libre, — avaient donc fait depuis longtemps l’hypothèse que les rayons X sont eux aussi des ondulations de l’éther, mais d’une longueur d’onde encore incomparablement plus petite que celles des rayons ultra-violets extrêmes. C’est cette hypothèse-là qui s’est trouvée finalement la bonne et que l’expérience a vérifiée récemment, comme nous allons voir.

Il est tout d’abord évident que cette hypothèse rendait a priori très bien compte des propriétés qu’ont les rayons X et aussi des propriétés qui leur manquent.

Supposons, en effet, pour prendre une comparaison du profes-eur Righi, que des ondes sonores, telles que le bruit d’une cascade, frappent un objet de dimensions assez grandes comme un mur. Elles seront réfléchies régulièrement par cet objet, ainsi qu’on peut le constater. Au contraire, elles ne seront pas réfléchies, si elles tombent sur un objet beaucoup plus petit tel qu’un pieu enfoncé dans le sol. Les ondes sonores alors, celles du moins qui parviennent à cet obstacle négligeable pour elles, le contourneront simplement et continueront leur chemin derrière lui. En somme, pour qu’il y ait réflexion régulière des ondes incidentes, il faut que les dimensions du corps réfléchissant soient plus grandes que la longueur de ces ondes (et qui, dans le cas des ondes sonores, du la normal, par exemple, est de quelques décimètres). Faute de quoi, les ondes contournent l’obstacle sans être rejetées par lui vers leur point de départ. C’est ainsi qu’un serpent, qui se propage lui aussi sur le sol par des ondulations, franchira sans difficulté les petits cailloux semés sur sa route et sera, au contraire, arrêté par un mur.

Une application en grand de ce phénomène est réalisée dans la télégraphie sans fil : si les ondes hertziennes contournent les obstacles matériels, les montagnes, les maisons, la rotondité même de la surface terrestre, c’est à cause de leur grande longueur d’onde. C’est pour le motif contraire que la lumière est arrêtée par le plus léger obstacle, tandis que le son aux ondes plus longues contourne des obstacles assez volumineux. Lorsqu’une radiation contourne un obstacle dont les dimensions ne sont pas grandes par rapport à la longueur d’onde de cette radiation, celle-ci est donc seulement un peu déviée de sa route par l’obstacle, au lieu d’être réfléchie. Cette déviation produit ces phénomènes qu’on appelle en optique la diffraction. Sans entrer dans le détail de ces phénomènes dont l’étude constitue une des branches les plus séduisantes et les mieux connues de l’optique ondulatoire, il importe d’en dire ici quelques mots, car ce sont eux qui nous ont fourni la clef du problème des rayons X.

J’ai indiqué récemment ici même, à propos de la formation des images des étoiles dans les télescopes et les lunettes, que ces images sont constituées par un point central brillant autour duquel s’étagent de petits cercles de diffraction alternativement sombres et lumineux et d’intensités décroissantes. Pareillement, si on étudie la nature des rayons lumineux au bord d’un écran qui les intercepte, par exemple les rayons qui rasent le bord d’une fenêtre, on voit avec des instruments suffisamment sensibles qu’au lieu d’un passage brusque de la lumière à l’ombre, il y a en réalité une transition causée par la présence de petites bandes de lumière alternativement sombres et lumineuses, très rapprochées et d’intensité rapidement décroissante.

Revenons maintenant à notre hypothèse. D’après ce qui précède, pour expliquer que les rayons X ne sont pas réfléchis ni arrêtés par les substances matérielles, il suffit d’admettre qu’ils sont constitués par des ondes très petites, beaucoup plus petites que les distances, les intervalles qui séparent les unes des autres les molécules matérielles. En ce cas, au lieu d’agir sur elles comme une surface unique et continue, comme un bloc homogène, comme le mur qui réfléchissait tout à l’heure nos ondes sonores, la matière agit sur nos petites ondes de Rœntgen, comme feraient vis-à-vis du son, une série de ces piquets dont nous parlions et que contournent les ondes sonores. Les rayons X ne seront donc pas arrêtés, ni réfléchis par la matière ; ils passeront entre les molécules de celle-ci comme le son passe entre des piquets espacés. On sait, en effet, depuis longtemps, par toutes les découvertes de la physique moléculaire, que non seulement dans les gaz, mais dans tous les corps solides que nous connaissons, les molécules matérielles sont séparées les unes des autres par des intervalles bien plus grands que leurs propres dimensions, ce qui légitime notre comparaison. Dans ces conditions, on s’explique aussi et immédiatement pourquoi les métaux lourds, comme le plomb, absorbent davantage, arrêtent mieux les rayons X que les métaux légers comme l’aluminium, et pourquoi d’une manière générale les substances arrêtent d’autant mieux les rayons qu’ils sont plus denses. Les molécules, les piquets sont en effet d’autant plus volumineux, et d’autant plus serrés les uns contre les autres, par conséquent ils laissent d’autant moins filtrer les rayons, que la substance considérée est plus dense.

Considérons à nouveau maintenant les phénomènes de diffraction. La lumière, lorsqu’elle traverse une fente très mince, produit de l’autre côté de la fente, et comme nous l’avons dit, une série de franges de diffraction, de bandes alternativement sombres et lumineuses, de cannelures brillantes. La distance de deux bandes successives dépend de la largeur de la fente et de la longueur d’onde de la lumière incidente. Il s’ensuit qu’une lumière composée de plusieurs longueurs d’ondes différentes, comme la lumière du soleil par exemple, observée à travers une fente fine, donnera des franges d’interférence différemment placées selon leur longueur d’onde. En un mot, la lumière sera décomposée, étalée, dispersée par une fente fine, comme par un prisme. Sur ce principe on a construit des « réseaux de diffraction, » constitués par des stries très fines tracées sur verre et qui permettent, comme le spectroscope ordinaire à prismes, d’analyser la lumière et de définir les longueurs d’onde. Dans les réseaux de diffractions ordinaires qui servent à l’analyse de la lumière, les stries tracées sur le verre sont au nombre de quelques centaines par millimètre.

Si, suivant l’hypothèse émise, les longueurs d’ondes des rayons X sont petites par rapport aux intervalles des atomes matériels, c’est-à-dire si ces ondes ont une longueur de l’ordre du dix-millionième de millimètre, c’est-à-dire mille fois plus courtes que les ondes lumineuses, il doit être évidemment impossible de graver un « réseau » capable d’analyser ces rayons. Il faudrait en effet que ce réseau comportât plusieurs centaines de milliers de stries par millimètre, et si habiles que soient nos opticiens, ils ne sont pas encore capables de faire cela.

L’idée géniale du physicien Laue est d’avoir pensé et d’avoir démontré ensuite, que, faute de ceux que nous sommes incapables de fabriquer, la nature nous offre des « réseaux » suffisamment serrés pour être capables de résoudre, d’analyser en les diffractant, les rayons X, si ceux-ci sont ce qu’on a supposé.

Ces réseaux naturels, ce sont les cristaux dans lesquels, comme on sait, les atomes matériels sont rangés symétriquement et alignés les uns à côté des autres en lignes droites parallèles et infiniment serrées. On a établi en effet depuis longtemps que les faces d’un cristal sont comparables à un tamis dont les traits entrecroisés, et formés d’atomes juxtaposés, sont au nombre de centaines de mille (et même parfois de plusieurs millions) par millimètre. Ils réalisent donc précisément les conditions de réseaux propres à analyser les rayons X !

C’est exactement ce que l’expérience a vérifié entre les mains de Laue lui-même, de Bragg, de Moseley, de Broglie et de beaucoup d’autres. En faisant tomber sur une face d’un cristal un faisceau de rayons X parfaitement homogène et très délimité par des trous fins percés dans des écrans de plomb, on constate qu’après leur traversée du cristal ces rayons présentent des phénomènes de diffraction, c’est-à-dire des maxima et des minima d’intensité séparés par des intervalles bien déterminés, et qu’on peut photographier facilement. L’étude de ces photographies permet (par des calculs dont le détail importe peu ici) de définir avec précision la longueur d’onde des ondes incidentes.

Les résultats obtenus prouvent que l’hypothèse faite est bien la bonne, à savoir : que les rayons X sont des ondulations vibratoires de l’éther dont la longueur d’onde est beaucoup plus faible que celle des ondes lumineuses. Cette longueur d’onde varie beaucoup, selon le mode de production et l’origine des rayons X étudiés ; pour un même tube à rayons X, la radiation produite est d’ailleurs généralement très hétérogène, et elle comprend divers rayons inégalement durs, c’est-à-dire de longueurs d’ondes diverses, qu’on sépare à volonté les uns des autres par des procédés ingénieux. Comme on pouvait s’y attendre a priori, on trouve ainsi que les rayons X différant le plus de la lumière par leurs propriétés, c’est-à-dire les rayons les plus durs et les plus pénétrants, sont aussi ceux qui diffèrent le plus de la lumière par leur longueur d’onde, c’est-à-dire ont la longueur d’onde la plus faible.

Un moyen simple et qui a beaucoup été employé pour simplifier ces recherches de diffraction radioscopique permet de produire des rayons X à peu près homogènes : il consiste à faire tomber le faisceau hétérogène émané d’un tube à rayons X ordinaire sur un métal donné. Par suite du choc de ce faisceau, la surface du métal émet des rayons X secondaires, qui sont caractéristiques de chaque métal et ont des longueurs d’onde bien déterminées.

Je passe, — car il faut se borner et j’aurai peut-être quelque jour l’occasion d’y revenir, — sur les découvertes que ces rayons ainsi étudiés ont permis de faire récemment, relativement à la structure intime des cristaux et à celle des métaux émetteurs.

Les longueurs d’ondes ainsi trouvées pour les rayons X s’étageaient, il y a peu de temps encore, entre un millionième de millimètre et un cent-millionième de millimètre.

S’imagine-t-on la petitesse féerique, — car le petit n’est pas moins féerique que le grand, — de cette houle invisible et muette qui déferle à travers l’espace à la vitesse de 300 000 kilomètres par seconde, et dont chaque ondulation est si minuscule qu’il en faudrait mettre cent millions bout à bout pour faire un millimètre ? Quant à la fréquence de ces ondes, elle dépasse l’imagination : elles correspondent à une vibration qui frémit chaque seconde un nombre de fois égal à cent millions multiplié par trois cent mille millions (qui est le nombre de millimètres contenus dans 300 000 kilomètres).

Il y a pourtant des ondes encore plus petites, c’est-à-dire encore plus rapides ; ce sont les ondes des rayons les plus pénétrants parmi les rayons gamma des substances radio-actives, qui sont les rayons X naturels. La plus petite longueur d’onde trouvée jusqu’ici pour les rayons gamma est égale à seulement sept milliardièmes de millimètre. Ce sont donc des ondes cent mille fois plus courtes que les ondes de la lumière rouge qui sont elles-mêmes dix milliards de fois plus petites que les ondes hertziennes les plus longues. Ainsi la gamme des ondulations de l’éther comprend des vibrations dont les unes sont un million de milliards de fois plus petites que les autres.

D’ailleurs, il n’est plus douteux maintenant que, de même qu’entre les ondes hertziennes et les ondes lumineuses, une transition continue existe entre les rayons ultra-violets et les rayons X. Cela est démontré d’abord par les recherches de Milikan qui, récemment, a découvert des rayons ultra-violets encore doux fois plus courts que ceux de Lyman et ensuite par les beaux travaux de M. Holweck, qui a réussi depuis peu à produire des rayons X d’une « douceur » jusqu’à lui inconnue, c’est-à-dire d’une longueur d’onde relativement énorme, et qui est voisine de deux dix-millièmes de millimètre.

Ainsi, dans cette immense gamme muette dont les vibrations de l’éther emplissent le monde, et qui va des ondes hertziennes aux rayons gamma, il n’y a plus maintenant de lacune. Rien ne prouve d’ailleurs qu’on ne trouvera pas bientôt des rayons encore plus longs que les ondes hertziennes, plus courts et plus prodigieux encore que les rayons X et gamma. Il y a, disait Shakspeare qui pourtant n’a pas connu ces merveilles, plus de choses entre le ciel et la terre que n’en contient toute notre philosophie...


CHARLES NORDMANN.

  1. Je rappelle que les électrons des corpuscules cathodiques ont une masse qui est près de 2 000 fois plus petite que celle de l’atome d’hydrogène.