Revue scientifique - Quelques travaux récents sur le soleil
L’étude de cette petite étoile que les poètes classiques appellent l’ « astre du jour » a fait depuis quelque temps des pas de géant. Quand on pense qu’il y a quelque deux mille ans à peine, — un atome de l’éternité — je ne sais plus quel Athénien souleva un grand scandale, et fut même accusé d’impiété pour avoir osé suggérer que le Soleil était peut-être plus grand que le Péloponèse ; quand on se souvient que, tout près de nous, il y a un siècle, le grand Herschel croyait le Soleil habité, et que, plus récemment encore, Arago le croyait habitable ; quand on met en regard de tout cela nos connaissances récentes sur cet astre, on ne peut se garder d’admirer la marche triomphale que la science a réalisée dans ce domaine naguère à peine défriché. Mais à côté de toutes les choses que nous savons aujourd’hui du Soleil, celles que nous commençons à peine à soupçonner sont, comme nous allons voir, bien plus nombreuses encore. Toute la vie terrestre est suspendue au Soleil comme sont accrochés les légers fils de la vierge aux ballonnets mystérieux qui les promènent dans les bois. Cette importance il la tient seulement de sa proximité ; il est tout près de nous, à 150 millions de kilomètres à peine, ce qui est peu de chose dans l’espace sidéral. Cela nous a permis de l’étudier plus à fond que les autres étoiles ; les résultats récens de cette étude sont suggestifs et très inattendus sur bien des points, mais, par ailleurs, ils n’ont fait que dresser devant nous des interrogations nouvelles. En jetant un coup d’œil rapide à travers toutes ces portes merveilleuses récemment entrouvertes sur le mystère par les héliophysiciens, ces modernes prêtres du dieu Soleil, nous mesurerons mieux notre ignorance presque totale du vaste univers que font les millions de soleils inaccessibles de la voie lactée.
Le Soleil n’est en effet qu’une des plus médiocres, une des plus quelconques et des plus banales parmi les étoiles. Aldébaran, par exemple, l’œil rouge du Taureau, qui est une des belles étoiles visibles dans ces soirées de printemps, mais non la plus belle, ne nous envoie guère qu’un quatre-vingt-dix milliardième de la lumière que nous recevons du Soleil. Si celui-ci était placé à la même distance de nous qu’Aldébaran, il ne serait plus qu’une étoile de cinquième grandeur, à peine visible à l’œil nu et quarante-cinq fois moins brillante que cette étoile. Mais il y a des étoiles comme Rigel, Canopus ou Deneb qui sont prodigieusement plus éloignées de nous qu’Aldébaran et qui sont pourtant plus brillantes que lui. Notre Soleil à côté d’elles serait donc un bien pitoyable lumignon. Si encore il pouvait se targuer d’être la moins lumineuse des étoiles, il aurait encore dans le monde une situation en quelque sorte exceptionnelle : mais il n’en est rien et la 61e du Cygne par exemple, qui est, à une exception près, la plus voisine de nous des étoiles boréales, est 10 fois moins brillante que notre Soleil. Celui-ci est donc dans l’univers stellaire un individu tout à fait médiocre, banal. Il est un peu, dans la théorie brillante des étoiles, pareil à l’élève moyen dont M. Maurice Donnay fit naguère le spirituel panégyrique. Ne le méprisons point pourtant ; bénissons plutôt la contingence providentielle qui nous a couvés sous l’aile chaude de ses rayons vivifians : car sans lui, nous ne saurions pas qu’il y a des étoiles plus éclatantes encore, et jusqu’à ce qu’on ait découvert dans quelque autre système stellaire, — ce ne sera pas demain, — d’autres êtres qui pensent mal, mais qui pensent, nous garderons le droit de considérer notre petit système comme la capitale de l’Univers, et le Soleil comme le phare du monde. C’est ainsi que notre ignorance demeure le dernier boucher de l’orgueil anthropocentrique.
Si les anciennes méthodes d’observation, la lunette astronomique et la mécanique céleste nous ont appris à connaître la distance du Soleil, son volume 1 206 000 fois plus grand que celui de la Terre, sa densité moyenne inférieure au quart de celle de notre globe, sa masse 332 000 fois supérieure à la masse terrestre et qui fait qu’à sa surface la pesanteur est plus de 27 fois supérieure à ce qu’elle est sur la Terre, en revanche, c’est uniquement aux méthodes nouvelles de l’astrophysique et surtout à la spectroscopie que nous devons une connaissance un peu exacte de la constitution physique du Soleil. Ces méthodes nous ont fait connaître la physiologie, si j’ose dire, de cet immense organisme dont nous connaissions à peine auparavant l’anatomie.
On sait que la lumière du Soleil tombant sur une fente fine, et étalée dans le spectroscope qui permet d’en analyser et d’en disséquer les élémens, se présente sous la forme d’une bande lumineuse continue, présentant les diverses couleurs de l’arc-en-ciel, parsemée d’une multitude de raies fines et noires dont la position est sensiblement constante. Elles correspondent aux divers corps simples chimiques qui se trouvent dans l’atmosphère du Soleil, tout près du disque éblouissant dont nous recevons la lumière et qu’on appelle pour cela la photosphère. On n’avait jusqu’à ces dernières années réussi à produire un spectre artificiel analogue à celui du Soleil, qu’en plaçant des gaz incandescens devant une source lumineuse solide ou liquide plus chaude qu’eux et rendue elle-même incandescente par la chaleur, et qui seule fournissait un fodd spectral continu comme lui. On en avait déduit que les espèces de nuages lumineux sans cesse en mouvement qui forment la photosphère et que décèlent fort bien, dans leurs détails, les admirables photographies de l’observatoire de Meudon, sont composés de particules solides ou liquides.
Mais il y avait là une chose bien singulière : la température de la photosphère a été trouvée, comme nous le verrons, très supérieure à la température de volatilisation de tous les élémens chimiques connus, et on ne savait comment sortir de cette contradiction. Des recherches récentes permettent d’y échapper, car elles ont montré que les raies spectrales brillantes des gaz, qui sont nettes et fines lorsque la pression est fine, s’élargissent dès qu’elle s’accroît et jusqu’à se rejoindre et à donner un spectre continu. On tend donc aujourd’hui à penser que tout le Soleil, y compris sa photosphère, est entièrement gazeux.
Nous ne savons pas grand’chose sur ce qui se passe au-dessous de la photosphère. Celle-ci nous masque l’intérieur du Soleil de même que les nuages nous cachent la surface de Vénus ou de Saturne. Comment pourrait-on s’étonner d’ignorer à peu près tout dans cet ordre d’idées quand nous ne savons rien de positivement observé sur ce qui existe dans l’intérieur de notre Terre, à moins de deux kilomètres sous nos pieds. Une chose est certaine en tout cas, car la mécanique la démontre d’irréfutable façon : c’est qu’il doit régner au centre du Soleil des températures formidables et des pressions chiffrant par milliards d’atmosphères. Que peuvent être les gaz sous de pareilles pressions ? Nous n’avons aucun moyen de l’imaginer.
Nos connaissances solaires positives se rapportent d’une part à la photosphère elle-même et aux phénomènes connexes, taches et facules, et d’autre part aux diverses couches de l’atmosphère solaire qui entourent la couche photosphérique et dont les dernières s’étendent jusqu’à plusieurs millions de kilomètres du Soleil. Nous passerons donc en revue ces divers phénomènes.
C’est la photosphère qui nous envoie la majeure partie de la chaleur et de la lumière que nous recevons du Soleil. Ses rayonnemens sont d’ailleurs un peu absorbés par l’atmosphère solaire sus-jacente et c’est ce qui fait, comme on l’a constaté, que le bord du Soleil est d’une part moins brillant, d’autre part plus rouge que le centre. Notre atmosphère se comporte de même : elle absorbe les rayons solaires, mais inégalement et plus du côté violet du spectre que du côté rouge, et c’est pourquoi le soleil couchant nous semble à la fois moins brillant et plus rouge que le soleil de midi.
Considérée dans son ensemble, la photosphère nous envoie des quantités d’énergie rayonnante dont la détermination exacte est depuis longtemps une des opérations fondamentales de l’astronomie physique. La puissance lumineuse du Soleil a été déterminée par diverses méthodes qui ont fourni des résultats concordans. L’auteur de ces lignes notamment, par l’emploi de son photomètre hétérochrome, est arrivé à ce résultat que l’hémisphère du Soleil tourné vers nous envoie dans l’espace autant de lumière que neuf milliards de milliards de milliards de bougies décimales. Le misérable lumignon dont nous parlions tout à l’heure est donc, somme toute, assez brillant malgré tout.
Pour exprimer l’énergie thermique du rayonnement solaire (dont les rayons lumineux ont aussi leur part) les astrophysiciens définissent une certaine unité qu’ils appellent la constante solaire et qui est la quantité de chaleur reçue normalement du Soleil pendant une minute par chaque centimètre carré de la Terre, addition faite de ce qui en est absorbé au passage par notre atmosphère. On a eu grand tort, comme nous le verrons, de nommer ainsi cette unité, car la quantité qu’elle mesure n’est rien moins que constante, mais les astronomes ont mieux à faire sans doute que d’épurer leur langage et chacun sait ce que parler veut dire.
Donc la constante solaire, — puisqu’il faut l’appeler par son nom, — se trouve, d’après les plus récentes expériences, celle notamment de l’Observatoire américain de la Smithsonian Institution, très voisine de 2 petites calories. Cela veut dire que le rayonnement solaire suffirait à élever de 2 degrés eu 1 minute ou de 0° à 100° en 50 minutes une couche uniforme d’eau d’un centimètre d’épaisseur et qui, comme une immense coupole, entourerait le Soleil à la distance qui sépare de lui la Terre. De cette donnée on s’est proposé de déduire la température du Soleil, ou plutôt de la couche photosphérique rayonnante. Pour cela il suffisait de savoir quelle est la loi qui lie la température d’une source à l’énergie thermique qu’elle émet. Nous avons exposé naguère[1] comment on a pu y parvenir grâce surtout aux travaux de mon maître M. Violle et du physicien autrichien Stefan. Nous n’y reviendrons donc pas. Qu’on sache seulement que cette méthode a conduit à une valeur voisine de 6 000 degrés. On est arrivé à des nombres du même ordre de grandeur par des méthodes fort différentes et notamment en étudiant à l’aide du pyromètre stellaire que j’ai décrit naguère[2] le rapport des intensités des diverses régions du spectre visible du Soleil.
La température effective du Soleil est donc voisine de 6 000°. Comme les diverses couches du Soleil sont certainement à des températures très différentes les unes des autres (les couches extérieures étant plus froides que les couches internes), la conclusion précédente signifie ceci : le rayonnement que nous recevons du Soleil est quantitativement et qualitativement à peu près identique à celui que nous enverrait un astre homogène de mêmes dimensions que le Soleil, situé à la même distance et dont toutes les parties auraient un pouvoir émissif égal à l’unité (comme c’est à peu près le cas pour le noir de fumée, par exemple), et une température d’environ 6 000°. Comme on le voit, la notion de température du Soleil est beaucoup plus complexe qu’on ne le croit communément. Il n’en saurait guère être autrement lorsqu’on songe à tout ce que représente de données multiples, variées, la notion météorologique de température moyenne de la surface de la Terre.
Avant qu’on ne connût les lois physiques du rayonnement, on avait sur la température solaire les idées les plus fantaisistes. Herschel et beaucoup d’autres croyaient le Soleil froid, obscur, couvert de montagnes et de vallées, revêtu d’une végétation luxuriante. Il est vrai qu’il énonça ces théories astronomico-bucoliques vers 1795, et que la mode était alors aux bergeries. Les cours royales elles-mêmes en étaient pleines. Pourquoi les astres auraient-ils échappé à la mode, et surtout celui qui avait eu l’insigne honneur de fournir un symbole au plus grand des Louis ?
Lorsque les Christophe Colomb de l’analyse spectrale, Kirchoff et Bunsen, eurent montré que la composition de la lumière solaire n’était compatible qu’avec un état d’incandescence élevée, on passa à l’autre extrême. Le Père Secchi notamment, qui par ailleurs a laissé en astrophysique des travaux qui ne périront pas, attribuait au Soleil une température de 10 millions de degrés. M. Violle qui, le premier, mit un peu d’ordre, dans cette incertitude, définit la notion de température effective, et montra que celle du Soleil ne saurait dépasser quelques milliers de degrés, m’a raconté que parlant un jour à Secchi de ces questions, il lui proposa de transiger et d’adopter entre leurs chiffres respectifs un nombre intermédiaire ; mais Secchi ne voulut rien entendre et il resta cabré avec une souriante intransigeance sur ses millions de degrés. Les travaux modernes des physiciens sur le rayonnement, qui seuls auraient pu le convaincre, n’étaient pas encore nés.
Le rayonnement total du Soleil est chaque année d’environ calories. C’est un nombre qu’on ne sait pas nommer et qui aurait 34 chiffres si on l’écrivait à la manière ordinaire. Qu’est-ce qui entretient sans défaillance depuis les commencemens de l’histoire ; qu’est-ce qui renouvelle sans cesse la perte énorme d’énergie que représente ce formidable rayonnement ? C’est une question que nous examinerons quelque jour.
Même si le Soleil rayonnait dans l’espace une quantité d’énergie rigoureusement invariable, l’expression constante solaire serait absurde, car la Terre, par suite de l’ellipticité de son orbite annuelle, recevrait même dans ces cas une quantité sans cesse variable d’énergie solaire (et qui dépasserait en janvier au moment du périhélie de près d’un dixième la valeur qu’elle a en juillet). En dehors de cela l’agitation constante et tumultueuse de la surface solaire, les variations extraordinaires que l’on observe dans son apparence et dont les taches sont, comme nous le verrons tout à l’heure, les plus curieuses, devaient conduire à penser que le rayonnement solaire n’est pas constant. Effectivement, c’est ce qu’ont établi des expériences récentes et tout à fait remarquables, réalisées par les astronomes américains de la Smithsonian Institution sous la direction de M. Abbot. Les mesures du rayonnement solaire, bien que faites avec les appareils les plus délicatement précis, sont forcément affectées par toutes les variations que subit le pouvoir absorbant de l’atmosphère terrestre, qui sont intenses, fréquentes et irrégulières et qui dépendent d’un grand nombre de facteurs impossibles à connaître : humidité de l’air aux diverses altitudes, poussières, répartition des pressions, etc. Pour éviter ces causes d’erreur on a cherché depuis quelque temps à faire ces observations sur le sommet de hautes montagnes, mais cela ne permit que de s’en affranchir partiellement, puisque, au sommet du Mont-Blanc, par exemple, la pression atmosphérique est encore plus de la moitié de ce qu’elle est au niveau de la mer. De là résultait l’impossibilité de discerner, dans les variations observées du rayonnement solaire, si une part d’entre elles provenait du Soleil lui-même.
M. Abbot et ses assistans ont tourné la difficulté en faisant d’une manière continue des observations simultanées en deux stations de montagne très éloignées l’une de l’autre (Mount Wilson et Mount Whitney), en même temps qu’à Washington, puis tout récemment en des régions très séparées (Algérie et États-Unis). Les nombres obtenus dans ces conditions présentent une marche parallèle et concordante qui permet d’éliminer l’influence perturbatrice de notre atmosphère et de déterminer l’intensité du rayonnement solaire à 1 pour 100 près environ.
Or il résulte de ces observations poursuivies depuis près de neuf ans que le rayonnement solaire subit dans l’espace de quelques mois et même souvent de quelques jours des variations irrégulières qui peuvent atteindre jusqu’à 10 pour 100 de sa valeur et atteignent couramment 3 à 5 pour 100. Il y a quelques semaines M. Abbot a annoncé au Congrès solaire qui vient de tenir ses assises à Bonn qu’il avait, en outre, observé avec ses appareils des variations du même ordre dans l’intensité relative des rayonnemens que nous envoient le centre et le bord du Soleil. Cette constatation très importante prouve que les variations de l’énergie rayonnante du soleil est due, au moins pour une large part, aux variations de la transparence de l’atmosphère solaire. Ceci ne sera plus pour nous étonner lorsque nous aurons passé en revue les mouvemens étonnans dont cette atmosphère est le siège.
Mais ces variations, qui viennent d’être ainsi établies dans le rayonnement solaire ne peuvent pas être sans effets notables sur la climatologie terrestre. Nous y reviendrons quelque jour, lorsque nous traiterons de toutes les sympathies mystérieuses qui lient magnétiquement les moindres pulsations du Soleil à tous les phénomènes de notre petit habitacle. Dès maintenant, il nous suffira de remarquer que d’après le calcul, une variation de 10 pour 100 dans le rayonnement solaire et qui durerait six mois, altérerait la température moyenne des continens terrestres de 2 degrés centigrades, c’est-à-dire d’une quantité qui correspond à la différence existant entre une saison extrêmement chaude et une saison exceptionnellement froide.
La surface de la photosphère n’est nullement homogène : ses granulations sont séparées par des espaces plus sombres et animées de mouvemens extraordinaires qui déplacent, avec des vitesses de plusieurs kilomètres par seconde, des masses de matière plus grandes que la France. En outre, dans cette mer de nuages incandescens, il y a des sommets et des trous. Les premiers sont les facules qui s’élèvent au milieu de la surface photosphérique, comme la colonne de lumière qui jadis guida le prophète. Elles paraissent à la lunette ou sur les photographies plus brillantes que le niveau général de la photosphère, sans doute parce que, à cause de leur altitude, leur lumière subit moins, avant de nous parvenir, l’absorption de la lumière solaire. Les dépressions, les trous que l’on observe dans la photosphère, sont les taches.
Lorsque, peu après l’invention des lunettes, vers 1610, Fabricius, Scheiner et Galilée les découvrirent indépendamment, l’étonnement fut grand. C’était le dernier coup donné à la vieille astronomie mystique du Moyen âge, à celle qui, dans l’emboîtement compliqué de ses sphères de céleste cristal, n’imaginait que des astres immaculés et en quelque sorte immatériels. Il y a beaucoup d’autres choses dans le monde, dont l’éblouissant éclat comme celui du Soleil paraît intact et sans défaut, et où l’on découvre soudain des taches inattendues, lorsqu’on les regarde à la lunette, ou simplement à la loupe.
En général, les taches offrent l’aspect d’un noyau central très sombre, par rapport au reste du disque solaire et qu’entoure une pénombre dégradée. On dirait un entonnoir jeté dans la photosphère et qui se termine par un trou profond. Certaines ont jusqu’à 1/20 du diamètre solaire, c’est-à-dire jusqu’à 5 fois le diamètre de la Terre. En les observant, on les a vues se déplacer lentement, et c’est ainsi que, malgré les variations qu’elles subissent parfois dans leurs formes, on a découvert d’abord que le Soleil n’est pas immobile mais tourne autour d’un axe peu incliné sur l’écliptique et dans le même sens que la Terre sur elle-même et les planètes autour du Soleil. Par ce procédé, que compléta d’abord l’observation des facules, on a découvert les lois si curieuses qui régissent sa rotation. Elle ne se fait nullement en bloc comme celle d’un astre rigide et cohérent : elle se fait en à peu près vingt-cinq jours à l’équateur et plus lentement de part et d’autre de celui-ci, de telle sorte, qu’à égale distance des pôles et de l’équateur, il faut à la photosphère 27 jours et demi, soit 2 jours et demi de plus pour faire une rotation complète. Cela est fort curieux, d’autant plus qu’on se serait plutôt attendu à voir l’équateur tourner moins vite que le reste, puisque, pour une même vitesse angulaire, sa vitesse linéaire serait plus grande. Nous n’entrerons pas dans la discussion des innombrables théories qui ont été édifiées pour expliquer ces faits. Elles sont toutes trop compliquées pour ne pas toucher dans leurs méandres la vérité par quelque point, et trop ingénieuses pour être parfaites. Aussi bien les faits seuls importent ici.
Mais c’est surtout l’analyse spectrale, auxiliaire imprévue de l’astronomie de position qui nous a donné des renseignemens complets, et tout récemment des révélations fort curieuses sur les mouvemens solaires. Cela a été rendu possible par l’application du principe de Doppler-Fizeau (cette appellation évoque les noms de deux physiciens qui l’ont découvert et mis au point) ou principe des vitesses radiales. Cette méthode prodigieusement féconde a apporté des clartés imprévues dans presque tous les domaines de l’astronomie ; elle dérive de cette analyse chimique des étoiles qu’Auguste Comte considérait jadis comme la plus décevante des impossibilités, d’où il appert que le pape du positivisme n’était pas infaillible. Rappelons brièvement ce qui constitue cette méthode :
Nous avons tous remarqué que lorsque la locomotive sifflante d’un express traverse à toute vitesse une gare où nous stationnons, le son du sifflet qui paraissait très haut pendant que l’express approchait, s’abaisse brusquement dès que la locomotive a traversé la gare et s’en éloigne. Il aurait pris un diapason intermédiaire si l’express, tout en continuant de siffler, s’arrêtait dans la gare. La raison en est simple : la hauteur du son dépend de la longueur des ondes sonores émises par le sifflet. Or cette longueur est diminuée de la vitesse de la locomotive lorsque celle-ci s’approche ; elle en est augmentée, au contraire, lorsqu’elle s’éloigne. Le son est rendu plus aigu dans le premier cas, plus grave dans le second. La même chose a lieu pour les ondes lumineuses et les raies d’un élément chimique donné sont déplacées vers l’un ou l’autre bout du spectre d’une légère quantité qui permet de connaître la vitesse de la source lorsque celle-ci s’approche ou s’éloigne de nous, c’est-à-dire sa vitesse radiale. Lorsque la source s’éloigne de nous, les raies spectrales ont leur longueur d’onde augmentée, c’est-à-dire se déplacent vers le côté rouge du spectre ; elles sont déviées vers le violet dans le cas contraire. On mesure très facilement ces déplaceinens. S’il s’agit par exemple d’une étoile dans-le spectre de laquelle on veut observer les raies de l’hydrogène, on projette sur la fente du même spectroscope les rayons d’un tube de Geissler contenant de l’hydrogène et on juxtapose ainsi au spectre stellaire un spectre artificiel, qui permet de connaître et de mesurer facilement, — surtout lorsqu’on opère par la photographie, — les déplacemens des raies du premier.
Dans le cas de la rotation solaire, c’est beaucoup plus simple encore : il suffit de juxtaposer sur la fente du même spectroscope (et sans qu’il soit besoin de spectre artificiel) les images des deux bords opposés du soleil situés aux deux bouts de l’équateur ou d’un parallèle dont on veut mesurer la vitesse de rotation. Chaque raie paraît dédoublée, puisque l’un des bouts s’éloigne de nous et que l’autre s’en approche, et la grandeur de ce dédoublement fait connaître la différence des vitesses linéaires des deux bords, d’où on déduit facilement la vitesse de rotation. Il y a pourtant certaines raies qui ne sont pas-dédoublées ; ce sont des raies dues à l’absorption des rayons solaires par notre atmosphère et surtout par l’oxygène. Janssen les a appelées raies telluriques et c’est même là un moyen de les découvrir.
Par ce procédé, on a déterminé récemment avec une grande précision la rotation du Soleil. L’observation des taches ne permettait pas de la connaître d’une façon complète, d’abord parce qu’elles ne sont pas toujours visibles, ensuite parce qu’il n’y en a jamais près des pôles solaires, presque jamais au-dessus de la latitude 45° et qu’elles ne s’écartent guère de deux zones privilégiées, qui s’étendent de part et d’autre de l’équateur entre les parallèles de 5° et de 30°. Les récentes mesures faites par la méthode de Doppler-Fizeau ont confirmé et étendu jusqu’au pôle la loi de décroissance de la rotation solaire avec la latitude : tandis que la rotation sidérale du Soleil s’opère en un peu moins de 25 jours à l’équateur, elle exige 26,3 jours, à la latitude de 30° ; 31,2 jours à 62° et 35,3 jours, à la latitude de 80°. Ces énormes différences sont une chose surprenante. Elles sont cependant constamment mises en évidence, quelles que soient les raies spectrales auxquelles on s’adresse. Il y a d’ailleurs quelquefois des différences systématiques et les raies d’un élément chimique donné fournissent le long d’un même parallèle des vitesses linéaires plus grandes que celles d’un autre. Cela provient évidemment de ce que le premier élément se trouve dans une couche atmosphérique plus élevée au-dessus de la photosphère solaire que le second, et c’est ainsi que l’on a entre les mains un moyen commode de déceler l’altitude des couches qui renferment les divers élémens chimiques. En particulier et tout récemment, on a découvert, parce procédé, à l’observatoire de Mount Wilson (Californie), qu’il y a des masses énormes de calcium gazeux très au-dessus des couches qui fournissent les raies solaires de l’hydrogène, et ceci en dépit de la légèreté bien plus grande de ce dernier gaz. Nous verrons commentée fait a été établi aussi au moyen d’une autre méthode très 1ingénieuse et qui, entre les mains de M. Deslandres, a donné à l’observatoire de Meudon des résultats tout à fait remarquables.
Mais de tous ces faits étranges que nous révèle la rotation solaire, le plus paradoxal a été mis en évidence, il y a quelques mois, par un astronome néerlandais, M. Hubrecht, toujours par la méthode des vitesses radiales. Grâce à des précautions minutieuses, cet astronome a réussi à augmenter notablement la précision des mesures et il a découvert que les deux hémisphères du Soleil tournent dans leur ensemble avec des vitesses différentes, et l’hémisphère Nord notablement plus vite que l’hémisphère Sud. Quelle est la cause de cette bizarre dissymétrie ? On n’en sait rien encore, mais il faut s’attendre à voir bientôt, — comme pour tout fait nouveau, — surgir, si j’ose dire, la longue théorie des théories explicatives aussi nombreuses qu’incertaines.
Les études les plus récentes sur les taches solaires ont montré que leur spectre diffère à plusieurs égards de celui de la photosphère environnante. D’abord il est moins brillant, proportionnellement surtout du côté violet et moins du côté rouge. On peut expliquer de plusieurs manières la faiblesse relative des petites longueurs d’onde dans le spectre des taches : ou bien elle est due, conformément à ce que nous avons expliqué à diverses reprises, à ce que les taches sont à une température plus basse que la photosphère ; ou bien elle est causée par une absorption plus grande de l’atmosphère au-dessus des taches (on sait que l’absorption atmosphérique s’exerce surtout sur les faibles longueurs d’onde) ; ou bien elle est due aux deux causes réunies. Il est probable, en tout cas, que la première des causes invoquées s’exerce efficacement. Cela résulte de ce que nous allons voir. Les raies noires visibles dans le spectre des taches et qui sont dues à l’absorption des gaz atmosphériques immédiatement sus-jacens ne présentent pas toutes la même intensité que les raies correspondantes du spectre photosphérique. Or, parmi ces raies, il en est un grand nombre que l’on peut reproduire artificiellement au laboratoire en rendant incandescentes les vapeurs des élémens chimiques par divers procédés. Sir Norman Lockyer a remarqué depuis longtemps que lorsqu’on produit le spectre du fer, soit dans l’arc électrique, qui a une température voisine de 3 500°, soit dans l’étincelle électrique fortement condensée qui a une température bien plus élevée encore, certaines raies, qui étaient à peine visibles dans le premier cas, deviennent très fortes et apparentes dans le second. Ces raies qu’on a appelées raies renforcées sont donc l’indice d’une température élevée. Or ces raies sont précisément beaucoup plus faibles, par rapport aux autres, dans le spectre des taches que dans celui de la photosphère. Celle-ci doit donc avoir une température supérieure à celle des taches. Des comparaisons minutieuses faites récemment par Haie, Adams et King des spectres des élémens vaporisés dans l’arc et le four électrique avec les spectres de la photosphère et des taches ont conduit au même résultat.
Un autre phénomène, enfin, tend à prouver nettement la température relativement basse des taches solaires : c’est la présence dans leur spectre de bandes spectrales absentes du spectre photosphérique. Ces bandes sont formées de multitudes de raies fines et rapprochées les unes des autres qui donnent au spectre un aspect cannelé et forment tout le long de celui-ci comme des colonnades régulières et régulièrement espacées. Ces bandes sont dues, on l’a prouvé, il y a peu de temps, à la présence, dans les taches, de divers oxydes et hydrures métalliques, et notamment de ceux du titane, du magnésium et du calcium. Or on sait qu’à haute température, les composés chimiques tendent tous à se dissocier, et qu’ils ne subsistent guère au-dessus de la température de l’arc électrique. La présence abondante des bandes d’oxydes et d’hydrures dans le spectre des taches suffirait à démontrer catégoriquement la température relativement basse de celle-ci et permet de lui assigner une valeur voisine de 3 500 degrés.
Le fait le mieux établi de l’histoire des taches solaires est leur curieuse périodicité : tous les onze ans environ, (en moyenne exactement tous les onze ans et un dixième), elles sont presque absentes du disque solaire, puis, pendant trois ou quatre ans, leur nombre et leur étendue totale augmentent progressivement, puis restent à peu près stationnaires pendant quelque temps, pour diminuer ensuite pendant Environ six ou sept années, jusqu’à un minimum et recommencer indéfiniment le même cycle. Le dernier maximum des taches solaires a eu lieu en 1901 ; le minimum précédent en 1901 : le dernier minimum a eu lieu, l’an passé, et il semble qu’actuellement la courbe ait déjà repris sa marche ascendante. On a fait des efforts inouïs pour arriver à découvrir la cause de cet étrange phénomène qui, comme la respiration gigantesque de je ne sais quel monstre interne, déchire périodiquement la surface du soleil, pour la laisser s’apaiser ensuite et qui recommence indéfiniment. On a voulu incriminer l’action attractive combinée des grosses planètes sur le noyau solaire, bien d’autres choses encore. Aucune de ces tentatives n’a abouti, et nous sommes, il faut l’avouer, dans l’ignorance la plus complète des causes qui font de notre soleil, non une étoile fixe, mais une étoile variable, analogue à tant d’autres que le photomètre décèle au fond des deux. C’est d’autant plus regrettable que tous les autres phénomènes du Soleil, tous ceux qu’on a découverts récemment dans son atmosphère, notamment son curieux magnétisme, sont, comme bien des phénomènes terrestres, sous la dépendance étroite de cette périodicité undécennale de l’activité solaire.
Du moins, par l’exposé de ces découvertes, dont il nous reste à parler maintenant, il apparaîtra sans doute que, s’il n’y a rien de neuf sous le Soleil, — à ce que dit la sagesse des nations, — en revanche, depuis quelque temps, il y a beaucoup de nouveau sur le Soleil lui-même.