Revue scientifique - Spiritisme, métapsychique et ectoplasme

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Charles Nordmann
Revue scientifique - Spiritisme, métapsychique et ectoplasme
Revue des Deux Mondes7e période, tome 11 (p. 458-469).
REVUE SCIENTIFIQUE

SPIRITISME, MÉTAPSYCHIQUE, ECTOPLASME

Il y a quelques mois, — mes lecteurs ne l’ont peut-être pas oublié, — analysant sommairement ici même le magistral Traité de métapsychique du professeur Richet, j’étais arrivé à cette conclusion qu’il n’y a, dans les phénomènes dits métapsychiques, dont l’existence est supposée et affirmée par certaines personnes, rien qui puisse être rejeté comme impossible a priori. L’argumentation des hommes qui, — comme Babinet, — se sont refusés non seulement à expérimenter, mais à examiner même ces phénomènes en arguant qu’ils étaient contraires aux principes bien établis de la science, cette argumentation ne me parait nullement convaincante, pour la bonne raison qu’il n’y a dans la science nul principe, si bien établi qu’il paraisse, qui ne soit, à chaque instant du présent et de l’avenir, justiciable de l’expérience, « source unique de la vérité. » Le professeur Richet a cent fois raison d’affirmer que les phénomènes dits métapsychiques, si leur existence est prouvée, ne doivent pas plus être rejetés par ceux qu’ils étonnent que la télégraphie sans fil ou la téléphonie ou la radiographie ne doivent être considérés comme inexistantes, sous prétexte qu’elles eussent paru invraisemblables à maints contemporains de Louis XIV.

Je crois donc que parler, à propos des phénomènes métapsychiques, de « faits extraordinaires que la raison rebelle se refuse à reconnaître » (ainsi que disait récemment un magistrat éminent, M. Maxwell, qui a beaucoup étudié ces problèmes) ne procède pas d’un état d’esprit véritablement scientifique. Il n’y a aucun fait, si fait il y a, que notre raison rebelle puisse se refuser à reconnaître, puisque les faits sont la seule chose sûre pour l’homme de science.

Il y a lieu de considérer comme ne possédant qu’une valeur très minime tous les arguments théoriques ou a priori par lesquels on serait tenté de rejeter d’emblée les phénomènes dits métapsychiques (tels qu’ils ont été définis dans notre étude rappelée ci-dessus.) C’est ainsi que, transposant un mot célèbre de Crookes (Je ne dis pas que c’est possible, Je dis que cela est), j’avais été amené, pour conclure cette précédente étude, à dire qu’il convient d’aborder l’examen des phénomènes métapsychiques en se disant : « Je ne dis pas que c’est impossible, je dis qu’il faut prouver que cela est. »

Or, il n’est que deux manières de rechercher cette preuve : 1° l’expérimentation et l’observation personnelles ; 2° l’étude des témoignages des autres expérimentateurs et observateurs.

Celui des phénomènes métapsychiques, dont je voudrais sommairement aborder aujourd’hui étude, est le phénomène de matérialisation que le professeur Richet a appelé, d’un mot heureux et dès aujourd’hui classique, l’« ectoplasme. »

Mais auparavant, et afin de déblayer le terrain, il convient que nous repoussions du pied un état d’esprit plus déplorable encore que l’apriorisme soi-disant rationnel, et qui n’est pas moins fâcheux pour l’étude consciencieuse de ces problèmes : je veux parler des plaisanteries et des sarcasmes qui conduisent à dénier a priori toute réalité aux faits métapsychiques, sous prétexte qu’ils sont ridicules. La nature ne se soucie pas du ridicule qui est quelque chose de subjectif et de très artificiellement humain, et nous la voyons dans quelques-uns des actes les plus fréquents et les plus utiles de tous les êtres vivants, franchir sans vergogne et sans cesse les petites bornes anthropomorphiques dudit « ridicule. » Ces actes en sont-ils moins accomplis pour cela, en sont-ils moins réels ?

Il n’y a jamais rien de ridicule à étudier les phénomènes de la nature, quels qu’ils soient, et à chercher la vérité. Et même s’il devait être prouvé que les phénomènes qu’on étudie ont été causés par des supercheries, ce serait encore servir la vérité que d’étudier ces produits de la supercherie. Nous ne pouvons donc que réprouver certaines attaques, d’ailleurs négligeables et sans portée, qui se sont dessinées dans ce sens contre l’homme qui a eu le courage de porter devant le monde savant l’étude de ces questions réprouvées. Le maître Charles Richet est un des plus vastes cerveaux de ce temps, et, même s’il devait être démontré que certaines des expériences métapsychiques auxquelles on l’a fait assister ont été frauduleusement truquées, il n’en resterait pas moins l’homme qui a tracé les principes dont ne devra pas s’écarter la métapsychique si elle veut accéder quelque jour à la dignité de science ; il n’en resterait pas moins l’illustre physiologiste dont les découvertes positives honorent la France et ont été soulignées par le prix Nobel ; il n’en resterait pas moins le savant devant qui tout Français, devant qui tout homme qui réfléchit, quelle que soit par ailleurs son opinion sur la réalité des faits métapsychiques, s’incline avec respect et admiration.

Ce qu’écrivait, il y a quelque vingt ans, le professeur Flournoy reste plus vrai que jamais : « ... Il faut savoir gré à M. Richet de ce que, titulaire d’une des plus hautes chaires scientifiques du monde civilisé, il a eu le courage de s’attaquer, sans parti pris et sans siège fait, à un domaine aussi mal noté que celui des phénomènes dits occultes, au risque d’y compromettre, non pas la science qui ne court aucun danger, mais sa réputation personnelle, son prestige officiel, son autorité aux yeux de ses confrères et du grand public cultivé [1]. »

L’ectoplasme a fait énormément parler de lui depuis quelque temps, et nous allons voir qu’il y a de quoi. Mais avant d’en aborder l’étude je suis tenu à une dernière précaution oratoire, ou pour mieux dire à une précision qui évitera certaines interprétations erronées de nos conclusions.

Il existe de par le monde une quantité considérable de spirites qui sont organisés en sociétés, ont des publications souvent très bien faites et intéressantes, et ont à leur tête, — en France notamment, — des hommes respectés dont la parfaite bonne foi n’est pas douteuse, comme M. Léon Denis et M. Gabriel Delanne.

Le spiritisme est une doctrine, une sorte de religion ou de croyance dont les nombreux adeptes pensent et enseignent que les âmes désincarnées des morts peuvent, par des moyens variés, revenir visiter les vivants et même converser avec eux. Cette doctrine est infiniment respectable, comme tout ce qui touche au domaine de la foi, d’autant qu’elle apporte souvent des consolations touchantes à ses adeptes. Je connais pour ma part un grand nombre de fidèles du spiritisme qui ont perdu un être cher à la guerre et qui croient qu’il revient chaque soir causer avec eux. Ils tirent de là des consolations certaines que je me garderai bien de vouloir ébranler. La question de savoir si ces conversations spirites avec les morts ne sont pas, dans un grand nombre de cas, de nature à ébranler la raison de ceux qui les tiennent mériterait d’être examinée, mais elle n’est pas de mon ressort. Un fait certain est que des hommes considérables, et par ailleurs parfaitement équilibrés et doués du sens pratique le plus aiguisé, — comme W. Stead, le célèbre rédacteur en chef du Times, qui n’en fait pas mystère, — se livrent à ces pratiques spirites.

La sagesse et la tolérante indulgence qu’on doit aux actes de foi et de sentiment quels qu’ils soient, commandent donc de ne pas rechercher si la doctrine spirite repose ou non sur une illusion. L’illusion en matière de sentiment est une chose précieuse et respectable.

Ce qui est un peu embarrassant, c’est que la doctrine spirite prétend se fonder sur des faits quotidiens, observables, renouvelables et comme tels justiciables de la critique et de l’expérimentation scientifiques, et notamment sur ce phénomène qu’on appelle l’ectoplasme. Le professeur Richet va, heureusement, nous tirer de cet embarras. Dans son Traité de métapsychique il a exposé et montré avec beaucoup de force et d’une manière difficilement réfutable que les faits métapsychiques, si anormaux qu’ils puissent paraître à ceux qui croient à leur réalité, admettent d’autres interprétations que l’interprétation spirite, et qu’ils pourraient être annexés à la science expérimentale, et particulièrement à la physiologie, sans invoquer nécessairement aucune doctrine qui fasse appel au surnaturel.

Et alors, nous avons le pouvoir d’apaiser les scrupules des spirites et de leur dire. Vos opinions et vos croyances spirites peuvent rester à l’abri de toute discussion, comme tout ce qui touche au domaine sacré de la conscience. Mais les phénomènes métapsychiques (la lévitation, l’ectoplasme et les autres manifestations médiumniques) peuvent et doivent être examinés indépendamment de toute interprétation spirite ou non spirite qu’on peut en faire. Cela est d’autant plus évident que beaucoup d’hommes éminents, à la suite du professeur Richet, admettent les phénomènes métapsychiques et les considèrent comme des phénomènes naturels et sans aucun rapport avec l’hypothèse spirite.

Ainsi dans l’antiquité le tonnerre et la foudre étaient considérés comme des signes de l’humeur particulière de Jupiter. La physique les a ramenés à n’être plus que des décharges électriques où la volonté de l’Olympe n’intervient plus comme facteur direct. Si cela eût été expliqué ainsi par les physiciens il y a vingt siècles, il est évident que la croyance religieuse des Romains en Jupiter, — sinon en Jupiter tonnant, — aurait pu n’en être nullement ébranlée.

A propos de l’interprétation positive et physiologique des phénomènes métapsychiques qu’a esquissée le professeur Richet. il convient d’ailleurs d’observer que d’autres grands savants se rallient décidément à l’interprétation opposée, à l’interprétation spirite. Parmi eux il faut ranger en première ligne l’illustre physicien anglais Sir Oliver Lodge, dont les travaux, en électricité notamment, sont célèbres, et qui, dans la voie ouverte par notre Branly, a été un des premiers et des plus utiles réalisateurs de la télégraphie sans fil, par la construction de ses « cohéreurs. »

Une discussion très intéressante et d’ailleurs fort courtoise vient de se produire entre les professeurs Lodge et Richet [2]. A celui-ci qui écrivait que la théorie spirite est « prématurée ; probablement elle est erronée..., fragile, inconsistante, incohérente, » Sir Oliver Lodge a répondu avec une sorte de lyrisme mystique, en se cantonnant dans sa première manière de voir.

Voici quelle était alors sa conclusion : « Nous en appelons aux faits qui établissent la vérité de ce que nous avançons. Nous regardons, comme disait Myers, non en arrière vers une tradition qui s’évanouit, mais en avant vers l’expérience qui se lève. Nous espérons que l’intercommunication, maintenant enfin sciemment commencée, — quoique par la bouche des enfants et en discours confus et bégayants, — entre les âmes incarnées et désincarnées pourra, par un long effort, se muer en une communion claire et directe, grâce à laquelle ces dernières seront en état de nous enseigner tout ce que nous voudrons. »

J’ai cité ce texte parce qu’il nous fait toucher du doigt une des difficultés qui se présentent dès qu’on veut aborder la discussion de ce domaine phénoménal singulier qui nous occupe aujourd’hui. J’ai lu maintes fois des mémoires scientifiques de Sir Oliver Lodge, touchant à des questions d’électricité, de relativité, de radioactivité, d’astronomie. Le style en est toujours parfaitement objectif et calme, et jamais on n’y voit le ton s’exalter comme dans le passage que nous venons de citer. C’est que, dans le cas présent, un sentiment profond, une foi vient se mêler à l’examen objectif des faits et a interposé devant l’œil de l’observateur son prisme générateur d’irisation. Et c’est parce qu’un sentiment, parce qu’une croyance métaphysique est en jeu dans l’explication spirite des phénomènes métapsychiques, qu’on a scrupule à discuter ces phénomènes dans la crainte de blesser des âmes ; et c’est pourquoi l’observateur le plus impartial, celui qui essaye le plus honnêtement et le plus consciencieusement de se rendre compte des faits, risque souvent, — nous l’avons éprouvé, — d’être soupçonné des plus noirs desseins et traité plus violemment que le pire criminel.

Certes, dans les discussions purement scientifiques et prétendument objectives, la passion se mêle toujours quelque peu. Nous l’avons vu lorsque Pasteur souleva autour de ses découvertes microbiologiques tant de haines et de discussions amères ou perfides. Nous l’avons vu plus récemment à propos des contributions essentielles apportées dans la science par le modeste et génial Einstein. C’est que forcément-toute grande découverte scientifique gêne des intérêts, blesse des vanités, remet à leur rang des réputations de seconde zone, et c’est pourquoi nous voyons si souvent les considérations subjectives, les accusations personnelles, mêler leur fiel aux discussions qui devraient rester purement techniques. Mais cet inconvénient n’est nulle part aussi grand et aussi gênant que lorsqu’on aborde la métapsychique. C’est qu’ici on touche à un domaine que le spiritisme a annexé à celui de la conscience. C’est un grand malheur pour la recherche de la vérité, et c’est pourquoi on ne saura jamais assez de gré au professeur Richet d’avoir ramené, si j’ose dire, la métapsychique du ciel sur la terre.

Le danger que je viens de signaler ne ressort pas seulement du passage que je viens de citer de Sir Oliver Lodge. Il ressort avec plus d’évidence encore de la phrase suivante de sa première réponse au professeur Richet : « Le professeur Richet... étudie les faits. Il ne se diminue pas à crier à la coïncidence, à la fraude, à la déception [3], au non-sens, quand il se trouve en face d’une évidence frappante... »

Et plus loin Sir Oliver Lodge par le de « l’hypothèse, facile et paresseuse, de la fraude et de la chicanerie, de la déception (tromperie) et du mensonge » et il ajoute (retenez ceci) : « Fraudes et mensonges existent et sont indéniablement possibles [4] ; mais ils sont insuffisants et ne comptent réellement pas, en face des phénomènes sérieusement mis en avant par des observateurs compétents. »

Ceux qui n’ont lu de Sir Oliver Lodge que ses admirables mémoires de physique ne liront certes pas sans un profond étonnement les textes qui viennent d’être cités et ils comprendront immédiatement comment peut se transformer la manière de voir et de sentir d’un savant célèbre pour ses travaux expérimentaux, dès que du domaine physique on passe au domaine métapsychique.

Qu’il s’agisse du radium, de la relativité, de la nature de l’inertie mécanique, Sir Oliver Lodge a souvent examiné et discuté des hypothèses différentes des siennes propres et qui tendent à rendre compte des faits. Mais je défie bien qu’on trouve que, dans aucun de ses mémoires de physicien, il ait jamais songé à dire que ceux qui émettaient des hypothèses différentes des siennes « se diminuaient ; » je défie qu’on trouve qu’il ait jamais qualifié l’une de ces hypothèses de « facile et paresseuse. » Ce langage, cette passion eussent trop répugné à son caractère de physicien britannique.

Et ceci montre avec évidence qu’il est des physiciens, même parmi les plus grands, qui cessent d’avoir la mentalité nécessaire à tout homme de science, dès qu’ils abordent la métapsychique. De cela nous verrons un autre exemple curieux lorsque nous arriverons aux expériences médiumniques de Crookes, de cet autre célèbre physicien anglais, à qui la science est redevable des tubes à vide élevé qui ont révolutionné la physique moderne.

Le professeur Richet a naturellement répliqué à la réponse de Sir Oliver Lodge dont nous venons de citer quelques passages. Voici le passage le plus topique et la conclusion de cette réplique.

« Lodge dit : La mémoire survit à la mort ; mais quelle autre preuve en donne-t-il que l’affirmation des médiums, qu’ils soient X... ou Y... ou Z... et qu’ils nous apportent quelques souvenirs très imparfaits, très incomplets d’X... , d’Y... et de Z... La théorie spirite est d’une apparente fragilité ! Elle a contre elle l’étroit parallélisme du cerveau et de la mémoire, de même que l’évidente animalité de l’intelligence humaine. Elle n’a pour elle que deux vraisemblances bien chétives : c’est d’abord l’affirmation des médiums qu’ils sont telle ou telle personnalité, et ensuite la présence chez le médium de quelques rares indications, informes, spéciales à la personnalité disparue. Nous n’avons nullement le droit de dire que ce sont des souvenirs.

« Donc, jusqu’à ce qu’un commencement de preuve m’ait été apporté, je regarderai la théorie spirite comme une hypothèse de travail, médiocrement vraisemblable, commode et peut-être utile pour l’étude des phénomènes. Mais voilà tout.

« Lodge croit que la théorie spirite est vraie ; je crois qu’elle n’est ni démontrée ni même probable. Mais cela ne nous empêchera, ni l’un ni l’autre, de faire les mêmes expériences, car ni Lodge, ni moi nous ne faisons des expériences pour condamner ou justifier une théorie. Nous observons et nous expérimentons pour connaître, pour savoir. »

Dans une dernière réplique au professeur Richet, Sir Oliver Lodge vient d’affirmer qu’il reste entièrement sur ses positions. On pouvait le prévoir. Il conclut d’ailleurs en ces termes, auxquels chacun ne peut que souscrire : « Cultivons, en attendant, notre jardin et cherchons la vérité sans crainte ni parti pris. »

Cela est parfait, mais à condition de ne pas accuser d’avance de « se diminuer » les chercheurs de vérité, sans crainte, ni parti pris qui d’aventure pourraient arriver à une conclusion théorique différente de celle de Sir Oliver Lodge, voire de celle du professeur Richet. De toute cette intéressante controverse entre deux hommes éminents qui, chacun dans sa sphère, ont contribué puissamment au progrès de la science, ce que nous voulons retenir c’est une leçon de tolérance mutuelle, c’est la nécessité de communier dans la recherche désintéressée de la vérité, c’est le respect de tous les sentiments, de toutes les illusions mêmes, de tout ce qui n’est pas erreur volontaire, fraude et dol.

Il convient de remarquer d’ailleurs, en passant, que la controverse entre Sir Oliver Lodge et le professeur Richet n’est qu’une reprise, sur un plan nouveau, — sur le plan métapsychique, — de la vieille querelle éternelle entre spiritualistes et déterministes, entre animistes et matérialistes.

Ce qui nous importe surtout dans tout cela, ce qui importe à la liberté de notre exposé, c’est que les phénomènes métapsychiques peuvent être examinés indépendamment de l’hypothèse spirite.

Il est heureux qu’il en soit ainsi. Cela contribuera à dissiper des confusions, trop répandues. Un journaliste, M. Paul Heuzé, a récemment publié les résultats d’une intéressante enquête qu’il a faite auprès d’un certain nombre de personnalités qui de près ou de loin ont abordé les questions métapsychiques. Il a publié cette enquête qui a fait quelque bruit sous le titre Les morts vivent-ils ? Je me permets de penser que ce titre n’est pas très heureux. De même que la métapsychique peut être étudiée indépendamment de l’hypothèse spirite, de même le renversement complet de l’hypothèse spirite, et même la démonstration de l’inexistence totale des phénomènes dits métapsychiques ne prouveraient rien contre l’immortalité de l’âme. Cela prouverait tout au plus que cette survivance, cette immortalité ne se produisent pas sous la forme particulière affirmée par les spirites. Mais il y a pour l’heureuse consolation des âmes douloureuses d’autres solutions que la solution spirite au problème de la survivance.

Survivance et métapsychique sont, comme disent les mathématiciens, des variables indépendantes.


Et maintenant, nous pouvons nous lancer hardiment, nouveaux argonautes, sur l’océan mystérieux et agité de l’ectoplasme.

Le professeur Richet le définit et le décrit ainsi : « Grâce à Ochorowicz, Schrenck-Notzing, Mme Bisson, Crawford, qui ont continué l’œuvre de Crookes, il semble maintenant à peu près prouvé que les matérialisations sont des ectoplasmes, c’est-à-dire des expansions sarcodiques sortant du corps humain (des médiums), absolument comme l’expansion pseudopodique sort de la cellule amibienne. Tous les zoologistes savent que l’amibe a un sarcode qui peut se projeter au dehors pour saisir des parcelles alimentaires et s’incorporer les objets voisins. De même, dans la transe médiumnique, du corps du médium peuvent sortir des filaments fluidiques, des expansions en forme de nuages ou de voiles, ou de tiges, qui vont s’organiser et prendre l’apparence de membres humains, parfois même de corps humains tout entiers.

« Ces ectoplasmes à une première phase de leur action sont invisibles, et cependant ils sont déjà capables de mouvoir des objets, de donner des raps dans une table. Plus tard, ils deviennent visibles, quoique nuageux et ne constituent que des ébauches. Plus tard encore, ils ont des formes humaines, car ils ont la propriété extraordinaire de changer de forme, de consistance et d’évoluer sous nos yeux. En quelques secondes, cet embryon nébuleux qui sort du corps du médium devient un être véritable, alors que l’œuf embryonnaire, pour évoluer et devenir un être adulte, a besoin de trente années. Quelquefois même le fantôme apparaît tout d’un coup, brusquement, sans avoir passé par la phase de nébulosité lumineuse. Mais c’est probablement un phénomène du même ordre. »

Et cherchant à expliquer ces phénomènes tels qu’ils ont été décrits par maint observateur, le professeur Richet est amené à penser que « l’hypothèse la plus vraisemblable, c’est qu’il y a dans notre corps des forces capables de s’extérioriser. »

« Mais, ajoute-t-il aussitôt, cette hypothèse, quoique étant la plus simple, n’est pas simple du tout : c’est une physiologie, une physique, une chimie nouvelles. Des êtres à forme humaine qui naissent et meurent dans des voiles blancs, qui se forment et s’évanouissent comme des nuages ne sont pas des êtres humains. »

Ces textes sont intéressants d’abord parce qu’ils décrivent bien ce que les observateurs assurent avoir constaté, ensuite parce qu’ils aiguillent immédiatement l’esprit vers des explications naturelles, — et différentes de l’explication spirite, — des phénomènes.

Voici maintenant comment Sir Oliver Lodge décrit la chose dans un récent article de Light :

« Dans mes premières séances avec Eusapia, je voyais quelquefois une protubérance saillir hors du côté du médium, sans que le vêtement y mît obstacle. Cette protubérance paraissait être, sous la faible lumière [5], un corps blanchâtre, amorphe, d’apparence solide, et, si le bout de cette formation atteignait l’un des assistants, il se disait touché ou saisi par une main... On sentait ces protubérances plutôt qu’on ne les voyait, même avec une lumière suffisante. On les voyait parfois sans être touché, sans doute parce qu’elles ne s’allongeaient pas suffisamment pour effectuer le contact.

« Un jour, assis à l’écart du groupe, j’ai observé en silence une de ces protubérances, pendant environ une minute ; elle s’allongeait et se retirait pour s’allonger encore et arriver à toucher M. Myers dans le dos. Il s’écria aussitôt qu’il était touché, bien qu’il ne fût averti ni des tentatives faites, ni de mes observations muettes. Je me rappelle aussi très bien que M. Myers, tout de blanc vêtu à cause de la chaleur, reçut une fois une forte tape dans le dos. J’étais assis derrière lui et je le voyais bien, mais je ne pus distinguer l’agent qui opérait.

« Les touches d’un piano furent aussi abaissées sans contact visible.

« Ces curieuses protubérances, plus souvent senties qu’aperçues, intriguèrent beaucoup le professeur Richet, en tant que physiologiste, et c’est lui qui leur donna provisoirement le nom d’ectoplasme. »

« ... On me demande ce que je pense du « plasme » [6]. « La sagesse conseillerait d’attendre de nouvelles recherches avant de se prononcer. »

Finalement, Sir Oliver Lodge pense qu’il n’y a pas grand chose à espérer de l’analyse chimique de cette substance, mais que la biologie pourra nous renseigner sur les questions de savoir d’où elle vient et comment elle se résorbe dans le corps du médium. En tant que physicien, il ne serait pas étonné, puisqu’il s’agit en somme d’une action à distance, que celle-ci se fit par l’intermédiaire de l’éther, et que les apparences constatées servent de support « à une projection éthérée de l’organisme. »

Voici maintenant la description de l’ectoplasme que fait le docleur Geley. Le docteur Geley n’est pas comme le professeur Richet ou Sir Oliver Lodge un savant qui s’est fait connaître par des travaux et des découvertes dans les branches usuelles de la science.

Mais en revanche, en matière d’ectoplasme, il est considéré comme une autorité. Ses publications récentes dans ce domaine (qu’il nous reste à examiner) si elles viennent à être vérifiées et confirmées, — that is the mere question, — nous apportent des choses étonnantes qui, si elles sont exactes, constitueraient une des plus étonnantes découvertes de Tous les siècles. Je dois tout de suite, — pour épargner à mes lecteurs un enthousiasme peut-être prématuré, — leur dire que lesdites découvertes sont fortement contestées de divers côtés. Nous examinerons cette contestation et en tirerons impartialement les conclusions.

Pour aujourd’hui, nous ne saurions mieux achever cette étude préliminaire qu’en résumant la description précise de l’ectoplasme telle que nous la donne le docteur Geley.

« Qu’est-ce que l’Ectoplasmie ? » se demande l’habile directeur de l’Institut métapsychique international, et il répond ainsi à la question :

« Avant tout, c’est un dédoublement physique du médium. Pendant la transe une portion de son organisme s’extériorise. Cette portion est parfois minime, parfois considérable (la moitié du poids du corps dans certaines expériences de Crawford.) L’ectoplasme se présente tout d’abord, à l’observation, sous l’apparence d’une substance amorphe, soit solide, soit vaporeuse. Puis, très rapidement en général, l’ectoplasme amorphe s’organise et à ses dépens on voit apparaître des formes nouvelles pouvant avoir, lorsque le phénomène est complet, toutes les capacités anatomiques et physiologiques d’organes biologiquement vivants.

« L’ectoplasme est devenu un être ou une fraction d’Être, mais dépendant toujours étroitement du corps du médium dont il est une sorte de prolongement et dans lequel il se résorbe à la fin de l’expérience... La substance se présente sous deux aspects principaux : l’aspect solide, l’aspect gazeux. La substance solide est constituée par une masse protoplasmique amorphe généralement blanche, exceptionnellement grise, noire ou même rouge chair (dernière communication de Mme Bisson au Congrès de Copenhague). Elle sort du médium par toute la surface du corps ; mais spécialement par les orifices naturels ou par le flanc.

« Que la substance se dégage à l’état solide ou à l’état gazeux, son organisation est très rapide. Elle donne alors soit des matérialisations ébauchées, soit des matérialisations complètes et parfaites. Les unes et les autres sont très photogéniques. »

Et, développant ce qu’il appelle « les conséquences philosophiques de l’ectoplasme, » le docteur Geley conclut : « L’ectoplasmie entraîne la ruine de la conception organo-centrique de l’individu et des théories biologiques basées sur les facteurs physico-chimiques... Elle proclame avant tout que l’Individu est un dynamo-psychisme... Le corps est un produit idéoplastique du dynamo-psychisme essentiel de l’Être. »

Il faut convenir que voilà une terminologie scientifique impressionnante. Pourtant, avant que d’en adopter la conclusion, on nous permettra d’éclairer un peu notre lanterne.


CHARLES NORDMANN.


P. S. — Dans mon article récent la Terre tourne-t-elle ? (Revue du 1er septembre 1922) au début de la page 157 il faut lire : « le postulatum d’Euclide... est en fait démenti par la réalité, » et non pas : «... est un fait démenti par la réalité, » comme il a été imprimé par erreur,

  1. Dante déjà avait dit, il y a plusieurs siècles, avec un scepticisme désabusé :

    Sempre a quel ver ch’ha faccia di menzogna
    Dee l’uom chiuder le labbra quanto ei puole
    Pero che senza colpa fa vergogna.

    « L’homme est obligé de dissimuler autant qu’il peut les vérités qui ont l’apparence du mensonge, parce qu’elles lui font du tort sans qu’il soit en faute. »

  2. Revue métapsychique, 1921, n° 8 ; 1922, n° 2, 3, 4.
  3. Je cite la Revue métapsychique, mais il est évident qu’elle a mal traduit ici le texte de Sir Oliver Lodge et que le mot anglais deception doit être traduit : tromperie.
  4. C’est moi qui souligne. (Ch. N.)
  5. Il convient de remarquer que jamais les observateurs de l’ectoplasme n’ont constaté la présence de celui-ci autrement que dans des séances médiumniques où la lumière et la visibilité des objets étaient très faibles. (Ch. N.)
  6. C’est ainsi que Sir Oliver Lodge dénomme la substance formant les protubérances ectoplasmiques.