Revue scientifique - Tremblements de terre

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Revue scientifique - Tremblements de terre
Revue des Deux Mondes7e période, tome 12 (p. 931-942).
REVUE SCIENTIFIQUE

TREMBLEMENTS DE TERRE

Le violent tremblement de terre qui, dans la nuit du 10 au 11 novembre, a ébranlé la côte chilienne de l’Océan Pacifique et qui a pris les proportions d’une vraie catastrophe attire de nouveau l’attention sur la stabilité médiocre de cette mobile écorce terrestre qu’on appelle si fallacieusement la terre ferme.

Presque aussitôt après la catastrophe, les divers observatoires sismologiques d’Europe étaient en état de préciser qu’elle s’était produite à environ 10 000 kilomètres de la France.

Effectivement, dès que les communications télégraphiques furent rétablies (car la plupart des câbles avaient été rompus dans la région centrale du cataclysme), on apprit que le séisme s’était produit non loin du lac Titicaca entre la Bolivie et le Pérou. Les calculs plus précis auxquels on s’est livré depuis n’ont fait que confirmer ces premières données, et le Bureau central sismologique de Strasbourg a communiqué récemment le résultat de tous les renseignements qu’il a centralisés et d’où il ressort que l’épicentre de ce cataclysme se trouvait en un point situé très exactement entre Iquique et le lac Titicaca.

Je passe sur les nombreuses vies humaines (plus de 2 000), détruites dans cette affaire, tant par le séisme lui-même que par le ras de marée qui l’a suivi, dévastant ce qui avait survécu dans cette région de la côte chilienne. Quel que soit leur douloureux intérêt, ces considérations anthropocentriques échappent à la compétence de celui qui doit envisager les phénomènes uniquement sous l’angle de la physique, de la chimie et de la mécanique.

La description très succincte que je viens de faire de ce mouvement récent de la croûte terrestre pose d’ailleurs à ce point de vue exclusivement scientifique une foule de questions. Tout d’abord, quelle est la cause des séismes ? Ensuite, comment peut-on les situer avec cette précision et alors qu’on en est éloigné ? Et ensuite comment recueille-t-on les ondes qui, jusqu’aux antipodes, font sentir dans les observatoires sismologiques les effets de ces catastrophes lointaines ? Quelle est la nature de ces ondes ? Ne nous peuvent-elles pas apprendre quelque chose sur l’intérieur de la terre qu’elles traversent avant de nous parvenir ?

C’est l’état où les travaux les plus récents ont porté actuellement ces passionnants problèmes que je voudrais aujourd’hui examiner très succinctement, trop succinctement hélas ! mais il y faudrait des volumes.

Auparavant, une petite question n’aura pas manqué de se poser à mes lecteurs. J’ai parlé des séismes, des phénomènes sismologiques. J’aurais aussi bien pu parler des sismes et des phénomènes séismologiques, car les uns et les autres se disent parmi les sismologues et les séismologues. A côté de M. Montessus de Ballore qui par le parfois de séismologie, M. Bigourdan, par exemple, préfère la sismologie. L’étymologie donne raison au premier, l’euphonie au second... à moins que ce ne soit le contraire.

Voilà un petit conflit que l’Académie pourra utilement arbitrer dans un sens ou dans l’autre lorsque le long déroulement de l’évolution planétaire l’aura amenée, dans son travail de révision, jusqu’aux confins inexplorés de la lettre S.

Autre chose. J’ai parlé tout à l’heure des renseignements réunis par le Bureau central sismologique de Strasbourg. Ce Bureau était avant la guerre un organe international, — dirigé en conséquence par les Allemands, — et qui avait la charge de centraliser et de dépouiller tous les renseignements fournis par les observations sismologiques des divers pays. A la suite d’un congrès international tenu à Rome il y a peu de mois, il a été décidé que ce Bureau reprendrait son activité et son rôle et que son siège serait de nouveau à Strasbourg. C’est donc un bénéfice nouveau que le retour de l’Alsace-Lorraine a rapporté à la France dans l’ordre international. Ce Bureau central sismologique est rattaché à l’Institut de Physique du Globe de Strasbourg que dirige un physicien de haute valeur, M. Rothé. C’est à lui que sont maintenant rattachées les nombreuses sections sismologiques répandues un peu partout et notamment, en France, la station sismologique du Parc Saint-Maur près Paris, qui est elle-même une dépendance de l’Institut de Physique du Globe de l’Université de Paris que dirige avec tant d’autorité le professeur Charles Maurain. Et maintenant, entrons un peu dans le vif de notre sujet.


Quelle est la cause des séismes ? Depuis Aristote et son étrange théorie du vent de la Terre, depuis nos ancêtres antiques et médiévaux qui pensaient y trouver des signes de la colère céleste, nos idées ont bien évolué.

On sait aujourd’hui que les tremblements de terre ne viennent pas d’en haut, mais d’en bas. Ou plutôt, — car j’ai tort d’être aussi catégorique, — il n’y a plus guère d’hommes de science qui cherchent ailleurs que sous nos pieds l’origine exclusive des séismes. Il en est cependant, et de fort avertis, comme M. Mesnard ou comme le professeur Alphonse Berget, qui n’hésitent pas à penser que l’attraction luni-solaire pourrait avoir une action décisive sur le déclenchement des tremblements de terre. A l’appui de cette manière de voir, celui-ci rappelle, non sans force, que l’écorce terrestre toute entière subit chaque jour des sortes de marées non négligeables, encore qu’imperceptibles à nos sens, qui éloignent et rapprochent alternativement de plusieurs décimètres la croûte terrestre du centre de la terre. Il invoque des statistiques d’où il résulterait que les séismes sont particulièrement nombreux à l’époque des équinoxes (c’est-à-dire des grandes marées) [1]. Il rappelle que l’éruption de la Montagne Pelée, à la Martinique, en 1902, et le séisme, et le ras de marée qui l’accompagnèrent, se produisirent un jour où le soleil et la lune, placés en ligne droite avec la terre, ajoutaient leurs attractions sur les éléments de celle-ci. Ne peut-on pas admettre que les marées correspondantes du magma interne du globe ne puissent dans ces conditions, favoriser en ses points faibles, la dislocation de la croûte superficielle ? Cela n’a rien d’invraisemblable. C’est aussi l’opinion du célèbre géophysicien hongrois von Kôveslighety, selon qui les facteurs externes (parmi lesquels il faut ranger la pression barométrique variable de l’atmosphère sur le sol), seraient les causes déterminantes déclenchant les mouvements brusques de l’écorce, grâce aux variations de son élasticité.

En face, nous voyons une école de géologues émincnts, parmi lesquels se trouve une des principales autorités sismologiques, M. Montessus de Ballore, qui considèrent les séismes comme étant des phénomènes purement géologiques. Ces auteurs tendent à les débarrasser de ce qu’ils appellent « leurs entraves météorologiques et cosmiques, disons le mot, astrologiques [2]. »

Ainsi, dès le seuil du mystère sismologique, nous voyons les opinions diverger. Tâchons du moins de situer, parmi l’incertitude mouvante des choses controversées, quelques points bien repérés et dont tous s’accordent à reconnaître la solidité.

Étudions d’abord la répartition géographique des tremblements de terre, ce que M. Montessus de Ballore, directeur du service sismologique du Chili, à qui on doit des résultats fondamentaux dans cet domaine, appelle la géographie séismologique.

Si on porte sur la carte les foyers des multiples tremblements de terre (au nombre de plusieurs centaines de mille) dont l’histoire et les chroniques font mention, on constate immédiatement que ces foyers se répartissent presque tous en un certain nombre de régions privilégiées, si j’ose dire, à l’exclusion des autres, et cela, quelle que soit l’époque historique considérée. Ainsi se justifie l’ancienne affirmation de Pline : « Il tremblera là où il a tremblé. »

Si on considère la répartition actuelle et annuelle des tremblements de terre, le résultat est le même, soit que l’on considère leur intensité ou leur fréquence, lesquelles marchent d’ailleurs de pair.

Pour cette comparaison annuelle, on possède des éléments largement suffisants, puisque, selon les évaluations de M. Montessus de Ballore, les observatoires sismologiques enregistrent, bon an mal an, avec leurs délicats appareils, une trentaine de mille secousses sismiques (près de 90 par jour en moyenne), dont le millième seulement produit des effets destructeurs.

Or, que montre la géographie séismologique ainsi étudiée ? Elle établit nettement que les régions sismiques, les lieux d’élection privilégiés des foyers de tremblement de terre, jalonnent les arêtes de ce tétraèdre sphéroïdal que constitue le globe terrestre, c’est-à-dire suivent d’une part la ligne qui borde le continent américain, tout le long de son versant pacifique, d’autre part la ligne transversale à celle-ci, qui à travers le Nord du bassin méditerranéen, et la région transcaspienne, va rejoindre les îles de la Sonde. Bref, les régions sismiques jalonnent les grandes arêtes montagneuses du globe, ou, plus exactement, les points, où ces arêtes, dans une dénivellation rapide, vont se raccorder aux grands fonds océaniques.

Et alors on comprend... ou du moins on commence à entrevoir un peu ce qui se passe. L’écorce terrestre, ce plancher du mauvais théâtre, où se joue le mélodrame luminaire est, la géologie nous l’enseigne, formé de compartiments rocheux, assemblés à peu près comme les pièces d’une grande marqueterie, ou les cellules d’une mosaïque. Cette mince carapace écailleuse flotte sur la masse ignée de l’intérieur du globe, comme la pellicule de crème qui se forme à la surface d’un bol de lait. Les cellules de la marqueterie terrestre ont des centaines, des milliers de kilomètres de largeur. Elles sont plus ou moins bien…, plutôt mal que bien…, de niveau les unes avec les autres, comme les carreaux d’une vieille cuisine dont le plancher, peu à peu, s’affaisse. Il est donc clair que les points où les cellules du parquet terrestre sont le plus disjointes, sont précisément ceux où l’on constate les plus grandes dénivellations, c’est-à-dire ceux que jalonnent, comme nous venons de le voir, les régions sismiques. Et alors, lorsque, pour une des causes que nous allons dire, l’une des cellules se trouve soulevée ou affaissée par rapport à sa voisine, cela produit à leur point de jonction un petit choc, qui est un tremblement de terre. C’est pourquoi les effets destructeurs des séismes peuvent être délimités, généralement avec une très grande netteté, sur le terrain. Ils seront évidemment désastreux aux points où le bloc déplacé se trouve détaché violemment des cellules voisines, c’est-à-dire sur ces fentes le plus souvent rectilignes, qui séparent les pièces de la marqueterie terrestre, et que les géologues appellent des failles.

San-Francisco qui, on s’en souvient, fut détruit par le séisme du 18 avril 1906, était précisément construit sur une faille.

Quelles sont maintenant les causes qui provoquent ou du moins peuvent provoquer l’affaissement de l’une ou l’autre des cellules du parquet terrestre ? En première ligne, on peut invoquer le refroidissement progressif du globe. Celui-ci, on le sait, contient à l’intérieur une masse ignée, dont la température doit être très élevée, si l’on en juge par ce que nous laissent entrevoir les laves volcaniques, et les sources thermales. Cette masse interne, perdant peu à peu sa chaleur par rayonnement à travers l’espace interstellaire, se refroidit lentement, et par là même se contracte. Il se produit donc des vides entre le noyau et l’écorce, et celle-ci, se trouvant par places en équilibre instable, la marqueterie terrestre sera défoncée aux endroits où les pièces sont le moins solidement assemblées.

Une partie de la Provence mise à part, le sol français jouit d’ailleurs à cet égard d’une solidité privilégiée.

La même cause peut, en certains cas, produire au contraire un effet très différent. Les physiciens ont en effet découvert naguère que sous de hautes pressions comme celles qui règnent dans l’intérieur de la terre, certains silicates rocheux augmentent brusquement de volume lorsqu’en se refroidissant, ils passent de l’état de fusion à l’état solide. Ils se comportent à cet égard à l’encontre de la plupart des substances usuelles et comme l’eau qui se dilate en se solidifiant. La preuve en est que la glace flotte. En ce cas, qui doit être d’ailleurs exceptionnel, l’effet du refroidissement terrestre est non un affaissement, mais un soulèvement local du sol. C’est peut-être ce qui s’est produit l’autre jour sur la côte chilienne, si le capitaine du vapeur anglais Lobos n’a pas été le jouet d’une illusion, lorsqu’il rapporte, — à ce que disent les journaux, — que, se trouvant au large de la côte entre Caldera et Cotiato, son navire a été violemment secoué pendant plusieurs minutes, et qu’ayant ensuite effectué des sondages, il trouva une profondeur de 86 brasses au lieu de 2800 brasses indiqués sur la carte. Ce sondage demande confirmation.

Il ne faut pas oublier d’ailleurs que toute diminution du volume interne du globe peut se traduire en certains points par une surélévation de la surface, de même que l’effondrement et la chute d’une partie d’un glacier, — on le constate souvent à Chamonix, — quoique entraînant un affaissement général de la région effondrée, provoque, par la réaction et l’entrechoquement des séracs, la surélévation de certains d’entre eux.

A cette première cause des mouvements différentiels qui s’accomplissent entre les divers compartiments de la marqueterie terrestre, il faut joindre les phénomènes de stratoclase, sur lesquels, dans son étude récente, M. Montessus de Ballore a attiré l’attention. On a remarqué depuis longtemps que, dans certaines carrières, lorsqu’on extrait certains blocs rocheux, ceux-ci ne pourraient plus ensuite être replacés dans la cavité qu’ils occupaient et qui semble devenue trop étroite pour les contenir. Il leur arrive même d’éclater après leur extraction, comme c’est le cas des grès américains de Monson. Pareillement, dans les galeries de mines, on observe souvent des détonations, des ruptures, des fléchissements soudains, comme si une masse rocheuse trop fortement comprimée se détendait soudain. Ces phénomènes nous permettent d’imaginer que, même dans les couches terrestres les plus stables en apparence, et dont l’équilibre parait le mieux établi, existent des forces latentes de tension, de pression dont l’exacerbation par des causes longtemps accumulées peut se manifester soudain par un choc, par une explosion qui doit nécessairement entraîner des vibrations sismiques.

Les phénomènes de stratoclase, si on peut les invoquer pour expliquer les tremblements de terre, ne sont nullement de nature à exclure les autres causes invoquées, mais plutôt à élucider leurs effets. Il est évident, par exemple, que le refroidissement de la masse interne, en dérobant sous un des compartiments de la surface terrestre le support igné où il s’appuyait, accumulera dans les couches de ce compartiment les effets de tension latente et de fléchissement dont le résultat pourra être finalement, par l’intermédiaire d’un phénomène stratoclasique, un tremblement de terre. Le refroidissement interne ou toutes autres causes de l’affaissement superficiel et hétérogène seront le pourquoi du séisme ; la stratoclase en sera le comment.

Parmi les autres causes d’affaissement de l’écorce qu’on peut invoquer à côté du refroidissement interne, il y a les effondrements des grottes et espaces vides souterrains que provoque le travail des eaux profondes. Il y a les éboulements même superficiels, si fréquents dans certaines régions côtières ou montagneuses.

Il y a enfin les volcans. On a longtemps cru et professé que les volcans et les séismes sont en étroite connexion et interdépendance. Un examen superficiel pouvait le faire supposer, car la répartition géographique des uns et des autres est assez analogue. Une étude plus approfondie montre que cette connexion est inexistante. Cela ressort surtout des observations faites au Japon, où les séismes et les tremblements de terre sont pareillement fréquents et où on a constaté qu’il n’y a aucun rapport réel entre la fréquence et la localisation des uns et des autres.

Assurément les explosions volcaniques sont parfois, — comme dans le cas du Mont Pelée, — accompagnés de séismes, mais ceux-ci ont un caractère particulier et exceptionnel et leurs ondes ne sont perçues que dans une zone très localisée.

Bref, il semble bien que si la nature emploie pour ses fins les voies les plus disparates, et, s’il existe assurément des séismes dus aux différentes causes que nous venons d’examiner, la plupart, la très grande majorité de ceux qu’on observe sont dus manifestement aux dislocations de l’écorce terrestre que nous avons invoquées d’abord. A peu près tous les géologues sont d’accord sur ce point.

C’est donc finalement la contraction progressive du noyau interne de la terre qui semble bien être le primum movens de la généralité des tremblements de terre.

Qu’on ne se hâte pas d’en conclure que cette contraction est sensible et mesurable à la petite échelle que comportent une vie humaine, ou même l’histoire toute entière de l’humanité. On aurait tort. Albert de Lapparent a indiqué à cet égard le calcul suivant :

La terre ayant 510 millions de kilomètres carrés de surface, un affaissement général de un millimètre, quoique totalement insensible par lui-même, suffirait à contrebalancer la sortie de 510 kilomètres cubes de lave, quantité comparable à tout ce qui a pu être rejeté par les volcans depuis les temps historiques.

On est en droit de conclure que les affaissements de la surface terrestre, dont les séismes sont les manifestations, sont des phénomènes purement locaux et ne produisant pas, pour l’ensemble de la planète, des effets appréciables.

Que si maintenant j’ajoute que les causes essentielles des phénomènes sismologiques que je viens d’invoquer sont rangées par les spécialistes sous les noms de causes orogéniques, ou tectoniques, ou glyptogéniques, aurai-je appris à mes lecteurs quelque chose de plus que des mots... , des mots, comme disait Hamlet ?


Tout ce que nous venons de voir concerne en quelque sorte l’aspect géologique des séismes. Ceux-ci ne sont pas moins intéressants, ils le sont plus peut-être, lorsqu’on les analyse du point de vue de la physique et de la mécanique, car ici nous allons voir s’introduire, à côté des considérations passionnantes, mais toujours assez imprécises des sciences naturelles, les chiffres, les mesures et les calculs qui arment les sciences physiques. Le chiffre, la mesure et le calcul nous permettront de pénétrer plus avant l’âme même du phénomène qui nous intéresse. Ἀεὶ ὁ Θεὸς γεωμετρεῖ.

Sur les lieux d’un tremblement de terre, le phénomène se traduit par des trépidations, des oscillations des mouvements alternatifs du sol dont l’amplitude et la durée sont variables et influent séparément sur l’intensité des effets mécaniques et destructeurs produits.

Il est évident que, toutes choses égales d’ailleurs, un mouvement qui soulèvera le sol de dix centimètres démolira plus de maisons qu’un mouvement qui le soulèvera de cinq centimètres.

Il est évident aussi que, toutes choses égales d’ailleurs, un mouvement qui soulèvera le sol de dix centimètres en dix secondes démolira moins de maisons que s’il le soulève de la même quantité en cinq secondes seulement. Ce qui agit ici, c’est l’accélération du mouvement, c’est-à-dire la rapidité de ses changements de vitesse. Les effets les plus violents sont, cæteris paribus, ceux qui correspondent aux vibrations les plus rapides. Un exemple ou plutôt une expérience simple le démontrera aisément : Si je soulève une table, d’abord lentement, puis brusquement, et chaque fois de la même quantité, les objets posés sur elle seront la seconde fois projetés beaucoup plus violemment que la première.

Si sur une carte du pays qui vient d’être ébranlé par un tremblement de terre on indique, à côté, de chaque localité, l’intensité plus ou moins grande du phénomène d’après les effets produits, et si on joint par un trait continu les points d’égale intensité, on obtient une série de courbes dites isoséistes et intérieures les unes aux autres. L’intensité observée croît à mesure qu’on approche d’une région à laquelle toutes ces courbes sont circonscrites et à peu près concentriques. Cette région du sol où l’intensité observée a été maxima est appelée l’épicentre du tremblement de terre. L’épicentre n’est pas l’origine même du tremblement de terre ; il est la projection à peu près verticale sur le sol de cette origine qui est à une certaine profondeur. On suppose, pour simplifier, cette région d’origine réduite à un point qu’on appelle l’hypocentre ou foyer du séisme. La détermination de la profondeur du foyer est un des problèmes les plus importants et aussi les plus complexes de la sismologie. On l’a attaqué de diverses manières et, malgré quelques incertitudes, il est à peu près démontré que la profondeur des grands foyers sismiques au-dessous du sol est en général d’environ 15 à 20 kilomètres. Les chocs, les vibrations, les trépidations du séisme, qui durent parfois des heures et des journées entières, se transmettent au loin par suite de cette solidarité qui fait que les diverses parties du globe ne forment en quelque sorte qu’un seul bloc. De même quand on frappe sur une table, les vibrations produites se transmettent à son autre extrémité. De même et par un mécanisme analogue, les trépidations des lourds véhicules qui parcourent nos rues se transmettent à travers sol et murailles jusqu’aux habitations distantes.

Naturellement l’intensité des secousses transmises au loin diminue en général à mesure qu’on s’éloigne de l’épicentre. En ce qui concerne le récent tremblement de terre du Chili, et pour fixer les idées, les enregistrements obtenus à l’observatoire du Parc Saint-Maur (près Paris) ont montré que le sol parisien (situé à environ 10 000 kilomètres du foyer), avait été déplacé de part et d’autre de sa position moyenne de 7 dixièmes de millimètre, ce qui correspond à une amplitude totale de près d’un millimètre et demie. C’est énorme, si on y réfléchit… bien que les passants n’aient pas soupçonné le phénomène et que le moindre autobus retentisse bien davantage dans leurs moelles.

Mais, en fait, depuis dix ans que l’Observatoire du Parc Saint-Maur enregistre les séismes, on n’en avait guère observé que 3 ou 4 aussi intenses que celui du 10 novembre dernier, et notamment le tremblement de terre de Chine du 16 décembre 1920, qui tua plus de 40 000 personnes dans le Kan-Sou et se traduisit à Paris même par un déplacement du sol d’environ 2 millimètres d’amplitude.

Ces vibrations très lointaines et affaiblies que nos sens ne décèlent pas dans le sol, les merveilleux et sensibles instruments que sont les sismographes, les mettent en évidence avec une parfaite netteté.

Ce qu’on utilise dans la construction des sismographes, c’est cette propriété essentielle de la matière qu’on appelle la force d’inertie et qui est peut-être, — et non pas seulement dans certaines administrations publiques, — la plus répandue et la plus irrésistible qui soit au monde.

Imaginons une lourde masse formant pendule et suspendue au plafond d’une auto par un fil léger. Donnons brusquement à l’auto un choc qui la déplace : arrêtée par son inertie, la boule suspendue va rester un instant immobile et, pour l’observateur placé dans l’auto, si celle-ci a été poussée vers l’avant, la boule semblera projetée vers l’arrière d’une quantité égale. Il est vrai qu’aussitôt après, entraînée par le fil qui la porte, la boule va se mettre à osciller, mais cet inconvénient sera d’autant plus faible qu’elle oscillera plus lentement.

Bref, par le moyen d’un pendule inerte et de durée d’oscillation suffisante, on peut observer les déplacements horizontaux du sol. Pour observer ses déplacements verticaux, il suffira au contraire de suspendre une masse inerte à un support horizontal, et il est facile de voir que pareillement ces déplacements seront constatés. Pour enregistrer les uns et les autres, il suffit de fixer sur la masse pendulaire un stylet traçant un trait sur un cylindre tournant enduit de noir de fumée. On obtient ainsi un enregistrement continu et permanent de tous les déplacements du sol petits ou grands. Bien entendu, dans la pratique, les sismographes comportent des perfectionnements délicats et nombreux, — et d’ailleurs variables d’un système à l’autre, — destinés à porter à un haut degré leur sensibilité et leur précision. Mais c’est leur principe seulement qu’il importait d’indiquer ici.

Et maintenant, sur les courbes obtenues, sur les sismogrammes, qu’est-ce qu’on observe ? On remarque que presque tous les-séismes lointains se manifestent par l’enregistrement de trois sortes d’ondes distinctes, qui parcourent la terre avec des vitesses de l’ordre dé quelques kilomètres par seconde, vitesses qui sont naturellement plus grandes pour les ondes reçues les premières. Ajoutons que les trois sortes d’ondes qu’on enregistre correspondent en moyenne à des périodes qui sont d’à peu près 6 secondes pour les premières reçues, de 12 secondes pour les deuxièmes, et de 18 secondes pour les dernières. On remarque en général trois phases distinctes : tout d’abord et pendant un certain nombre de secondes, le sismographe manifeste de petites oscillations rapides qui ont commencé assez brusquement ; puis commencent des oscillations beaucoup plus amples et aussi beaucoup plus lentes, qui durent un temps variable avec des paroxysmes ; et enfin le phénomène se termine par l’enregistrement d’une troisième sorte d’ondes, moins intenses, chevauchant plus ou moins sur les précédents et qui achèvent de donner au sismogramme son caractère.

Ces trois périodes à peu près toujours reconnaissables correspondent à ce qu’on est convenu d’appeler la phase préliminaire, la phase principale et la phase terminale de la courbe. Or, on a depuis longtemps remarqué que la durée de la phase préliminaire, ou, — ce qui revient au même, — les temps séparant le début de la première phase et celui de la seconde, sont d’autant plus grands que le foyer du séisme se trouve en un point plus éloigné. Cette remarque généralisée, vérifiée et trouvée toujours en accord avec l’observation, a permis de construire empiriquement des courbes et des tables numériques qui, connaissant la durée de la phase préliminaire d’un séisme qui vient d’être enregistré dans un observatoire, permet d’en déduire immédiatement, et avec une assez grande précision, la distance à laquelle s’est produit le séisme.

Supposons qu’un autre observatoire ait fait de même, et que tous deux, après s’être communiqué leurs résultats, tracent, sur la sphère terrestre deux cercles correspondants aux distances trouvées ; le foyer sera nécessairement à l’une des deux intersections de ces deux cercles. Les données fournies par un troisième observatoire permettront de savoir laquelle des deux doit être choisie.

Mais un observatoire bien outillé peut à lui seul déterminer non seulement la distance, mais la direction (c’est-à-dire la position exacte sur la carte) d’un séisme enregistré par lui. Le rapport des déplacements observés vers le Nord et vers l’Est, fournit en effet la direction du plan d’où proviennent les ondes initiales, c’est-à-dire, les plus rapides, et ce plan passe par la station, le centre de la terre et l’épicentre cherché et détermine donc sans ambiguïté (en faisant intervenir supplémentairement la composante verticale enregistrée) la direction du foyer.

Cette méthode empirique admirable fournit des résultats remarquablement exacts pour les séismes lointains, parce que les ondes y sont moins superposées.

La théorie naturellement a voulu s’emparer de ces résultats, les codifier, et même les prévoir... après coup. Elle en a tiré de merveilleuses déductions relatives à l’élasticité de la masse interne du globe, à la répartition des densités dans son épaisseur et à beaucoup d’autres belles questions. Tout ceci est une autre affaire dont je parlerai quelque jour.

Ce que j’ai voulu montrer seulement, c’est que la séismologie s’est réellement élevée aujourd’hui à la dignité de science, puisque savoir c’est pouvoir et que les sismologues, après un tremblement de terre savent réellement prévoir le lieu où il s’est produit avant même que le télégraphe ne leur en apporte la position...


CHARLES NORDMANN.


P. S. — M. Charles Richet et M. Arnaud de Grammont, président et vice-président de l’Institut métapsychique, m’ont écrit qu’ils se solidarisent entièrement avec le docteur G. Geley. Dont acte.

  1. La vie et la mort du Globe, par Alphonse Berget. Ernest Flammarion, éditeur.
  2. La Nature, 11 novembre 1922.