Rienzi/Livre 05

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Rienzi, le dernier des tribuns de Rome (1835)
Traduction par Paul Lorain.
Librairie Hachette et Cie (tome IIp. 1-65).

LIVRE V

LA CRISE


Questo ha acceso ’l fuoco e la fiamma la quale non potra spegnere.
(Vita di Cola di Rienzi. lib. I, c. xxix.)

CHAPITRE I.

L’arrêt du Tribun

Les courtes paroles du tribun à Étienne Colonna, tout en aigrissant le courroux du fier vieillard, avaient pourtant un caractère tellement impératif, qu’après réflexion il ne crut point prudent de désobéir. En conséquence, à l’heure convenue, il se trouvait dans une salle du Capitole, avec une brillante réunion de ses pairs. Rienzi, dans cette réception, se montra encore plus gracieux qu’à l’ordinaire.

Ils s’assirent au splendide festin avec un malaise caché et de secrètes alarmes, en voyant qu’à l’exception d’Étienne Colonna personne autre que les conspirateurs n’avait été invité au banquet. Rienzi, sans prendre garde à leur silence et à leur air préoccupé, était plus gai qu’à l’ordinaire : le vieux Colonna, au contraire, n’avait jamais été si maussade.

« Nous craignons de nous y être mal pris pour vous plaire, monseigneur Colonna, avec notre invitation. Il nous semble qu’autrefois nous n’avions pas tant de mal à vous faire sourire.

— Les positions sont changées, tribun, depuis le temps où vous étiez mon convive.

— Mais, pas trop. Je me suis élevé, c’est vrai, mais vous n’êtes point déchu. Vous marchez dans les rues, nuit et jour, en toute paix et sécurité ; vos vies sont à l’abri des brigands ; vos palais n’ont plus besoin de barrière ni de créneaux pour vous protéger contre vos concitoyens. Je me suis élevé, mais nous nous sommes élevés tous, d’un désordre barbare à une vie civilisée ! Seigneur Gianni Colonna, vous que nous avons fait capitaine de la campagne de Rome, vous ne refuserez pas de vider une coupe en l’honneur du Bon État, et vous ne croirez pas que ce soit manquer de confiance en votre valeur, si nous nous félicitons que Rome n’ait pas d’ennemis pour mettre à l’épreuve votre talent de général.

— Je crois, dit brusquement le vieux Colonna, que de Bohème et de Bavière il nous viendra bien assez d’ennemis avant que les blés soient poussés.

— Et, dans ce cas, répliqua d’un ton calme le tribun, une guerre étrangère vaut mieux qu’une guerre civile.

— Oui, si nous avons de l’argent au trésor, ce qui n’est guère probable, pour peu que nous ayons encore beaucoup de fêtes pareilles.

— Vous n’êtes pas gracieux, monseigneur, dit le tribun, et vous faites en cela moins d’honneur encore à Rome qu’à nous-même. Quel citoyen ne sacrifierait pas son or à la gloire et à la liberté ?

— J’en connais bien peu à Rome qui soient disposés à le faire, répliqua le baron. Mais dites-moi, tribun, vous qui êtes un casuiste distingué, qu’est-ce qui vaut mieux pour un État, que l’homme qui le gouverne soit excessivement économe ou excessivement prodigue ?

— J’en réfère à mon ami Luca di Savelli, répond Rienzi. C’est un grand philosophe qui pourrait bien, j’en suis sûr, trouver le nœud d’une énigme beaucoup plus difficile encore, que nous allons soumettre présentement à sa pénétration. »

Les barons, que le langage hardi du vieux Colonna avait jetés dans un grand embarras, tournèrent leurs yeux tous à la fois sur Savelli, qui répondit avec plus de sang-froid qu’on ne s’y attendait :

« La question admet une double réponse. Celui qui gouverne par droit de naissance et qui entretient une armée étrangère, fondant son empire sur la crainte, sera plutôt parcimonieux. Celui qui gouverne de fait, qui courtise le peuple, qui voudrait régner par l’amour, est obligé de gagner l’affection du populaire par la générosité et d’éblouir son imagination par la magnificence[1]. Tel est, je crois, le principe reconnu en Italie, et l’Italie a assez d’expérience pour être une bonne école des maximes d’États.

Les barons applaudirent à l’unanimité la réponse discrète de Savelli, sauf le vieux Colonna.

« Cependant, mille pardons, tribun, dit Étienne, si, malgré la décision courtisanesque de notre ami, je soutiens, avec tout le respect que je vous dois, que même la bure grossière d’un moine, cette parade d’humilité, te siérait mieux que cette pompe fastueuse, la parade de l’orgueil. » Et à ces mots il toucha la manche large et flottante, toute frangée d’or, de la robe de pourpre du tribun.

« Taisez-vous, père ! dit Gianni le fils de Colonna, rougissant de la rudesse agressive et de la dangereuse candeur du vieux guerrier.

— Non, peu importe, » dit le tribun avec une indifférence affectée, bien que sa lèvre tremblât et que son œil lançât des éclairs ; puis, après une pause, il reprit avec un sourire terrible : « Si Colonna aime tant la bure du moine, il pourra en rassasier ses yeux avant de nous séparer. Et maintenant, monseigneur Savelli, voici ma question, que je vous prie d’écouter : ce n’est pas trop de tout votre esprit pour la résoudre. »

« Lequel vaut mieux, pour le gouverneur d’un État, de pousser à l’excès ou la clémence ou la rigueur de la justice ? Reprenez haleine pour répondre, vous avez l’air de tomber en faiblesse, vous pâlissez, vous tremblez, vous vous cachez la figure : traître et assassin, votre conscience vous trahit ! « Messeigneurs, venez en aide à votre complice, et chargez-vous de la réponse !

— Eh bien ! si nous sommes découverts, dit Orsini en se levant d’un air de désespoir, nous ne tomberons point sans vengeance ! Meurs, tyran ! »

Il se précipita sur Rienzi qui s’était également levé, et lui porta un coup de poignard à la poitrine ; l’acier perça la robe de pourpre et glissa comme un éclair, sans faire de mal : le tribun regarda avec un sourire dédaigneux le meurtrier désappointé.

« Avant la nuit dernière jamais je n’avais songé, que j’eusse besoin d’une cuirasse secrète sous ma robe de cérémonie. Messeigneurs, vous m’avez donné une leçon terrible, je vous en remercie. »

En disant ces mots, il frappa des mains, et tout à coup, à l’extrémité de la salle, les portes s’ouvrirent à deux battants, et firent voir la salle du Conseil, tendue de soie d’un rouge de sang que relevaient des raies blanches ; emblème du crime et de la mort. À une longue table siégeaient les conseillers en robes ; à la barre se tenait une figure de bandit que les convives reconnurent trop bien.

« Faites approcher Rodolphe de Saxe ! dit le tribun. »

Et, sous la conduite de deux gardes, le brigand entra dans la salle.

« Misérable, c’est donc toi qui nous as trahis ! dit un des Frangipani.

— Rodolphe de Saxe va toujours au plus haut enchérisseur, repartit le mécréant avec un affreux sourire sarcastique. Vous m’avez donné de l’or, et j’ai voulu tuer votre ennemi ; mais votre ennemi m’a vaincu ; il me fait grâce de la vie, et la vie est un plus grand cadeau qu’une bourse d’or !

— Vous avouez votre crime, messeigneurs ! Silencieux ! Muets ! Où est votre esprit, Savelli ? Où est votre fierté, Rinaldo di Orsini ? Gianni Colonna, c’est là qu’en est venu votre honneur de chevalerie ?

— Oh ! continua Rienzi avec une amertume profonde et passionnée. Oh ! messeigneurs, rien ne vous réconciliera donc, je ne dis pas avec moi, mais avec Rome ? Quels sont mes torts envers vous ou les vôtres ? J’ai dispersé des bandits (tels que votre accusateur) : J’ai démantelé les forteresses, établi des lois équitables ; quel homme, dans toutes les turbulentes révolutions d’Italie, sorti des rangs du peuple, a jamais fait moins de concessions à la licence de la populace ? Pas un écu de vos coffres qui soit touché par un pouvoir arbitraire ; pas un cheveu de vos têtes qui soit menacé par une vengeance privée ! Vous, Gianni Colonna, chargé d’honneurs, revêtu d’un commandement de confiance ; vous, Alphonso di Frangipani, doté de nouvelles principautés ; le tribun s’est-il rappelé une seule insulte qu’il ait reçue de vous comme plébéien ? Vous m’accusez d’orgueil ; était-ce ma faute si vous aduliez mon pouvoir, la flatterie sur les lèvres, le poison dans le cœur ? Non, je ne vous ai point offensés ; que le monde sache bien qu’en ma personne vous visiez au cœur la liberté, la justice, la loi, l’ordre, la grandeur rétablie, les droits renouvelés de Rome ! C’était à leur essence abstraite et immortelle et non à ce faible corps que vous portiez vos coups ; c’est par leur divine puissance que vous êtes vaincus ; c’est pour cet outrage à leur majesté, criminels et victimes, qu’il vous faut mourir ! »

Après avoir prononcé ces mots d’un ton et d’un air qui n’auraient pas déparé le plus grand caractère de Rome antique, Rienzi, avec une démarche majestueuse, passa de la salle du souper dans la salle du conseil.

Toute la nuit les conspirateurs demeurèrent dans cette chambre, les portes verrouillées et gardées, avec une table richement servie, dont la brillante apparence faisait un étrange contraste avec l’humeur des convives.

L’abattement et le désespoir profond de ces lâches complices, si différents des nobles chevaliers d’Angleterre et de France, ont été dépeints par l’historien sous des couleurs odieuses et flétrissantes. Seul le vieux Colonna garda son caractère impétueux et impérieux. Il parcourait la chambre à grands pas comme un lion dans sa cage, proférant de bruyantes menaces, des paroles de ressentiment et de défi, frappant la porte avec ses poings fermés, demandant à sortir et proclamant que le pape le vengerait.

L’aube descendit, lente et grisâtre, sur cette réunion lugubre ; juste au moment où la dernière étoile disparut du mélancolique horizon, et quand, sous un ciel blafard et peu consolant, ils se regardèrent les uns les autres, pâles, comme des spectres, d’anxiété et de terreur, la grande cloche du Capitole sonna les chants funèbres dans lesquels ils reconnurent trop bien le carillon de la mort ! Alors la porte s’ouvrit, et une triste et sombre procession de cordeliers (un pour chaque baron) entra dans l’appartement ! À cette vue, dit-on, la terreur des conspirateurs fut si grande qu’elle leur ôta la parole[2]. À la fin, la plupart, jugeant qu’il n’y avait plus d’espoir, s’abandonnèrent à leurs funèbres confesseurs. Mais quand le moine désigné pour Étienne s’approcha de l’irascible vieillard, celui-ci secoua la main avec impatience en disant :

« Ne m’ennuie pas ! Ne m’ennuie pas !

— Ne parlez pas ainsi, mon fils, mais préparez-vous à l’heure redoutable.

Mon fils, vraiment ! s’écria le baron. Je serais assez vieux pour être ton grand-père ; et d’ailleurs, dis à celui qui t’a envoyé que je ne suis point préparé à la mort et que je ne m’y préparerai point ! Je me suis fourré dans la tête de vivre vingt ans encore, et mieux que ça, si je n’attrape pas une fluxion de poitrine au froid de cette maudite nuit. »

Juste à ce moment un cri se fit entendre qui sembla déchirer en deux le Capitole, la multitude hurlant tout d’une voix, en bas : « Mort aux conspirateurs ! Mort ! Mort ! »

Tandis que cette scène se passait dans la salle, le tribun sortait de sa chambre où il s’était enfermé avec sa femme et sa sœur. La généreuse ardeur de l’une, les larmes et la douleur de l’autre (qui voyait tomber d’un coup mortel la maison de son fiancé) n’avaient pas été sans effet sur un caractère sévère et juste à la vérité, mais qui avait une horreur naturelle pour le sang, et sur un cœur capable d’aspirer de plus sublimes vengeances.

Il entra dans le conseil encore en séance, avec un front calme et même des yeux assez gais.

« Pandulfo di Guido, dit-il en se tournant vers ce citoyen, vous avez raison, vous avez parlé comme un sage et un patriote quand vous avez dit que trancher d’un seul coup, bien que ce soit mérité, les plus nobles têtes de Rome, ce serait mettre l’État en danger, souiller notre pourpre d’une tache ineffaçable et unir contre nous toute la noblesse d’Italie.

— Tel était mon avis, tribun, bien que le conseil en ait décidé autrement.

— Écoutez les cris de la populace, vous n’en pouvez réprimer l’honnête ardeur, dit le démagogue Baroncelli. »

Beaucoup de conseillers firent un murmure d’approbation.

« Amis, dit le tribun, d’un air sérieux et solennel, que la postérité ne dise point que la liberté aime le sang ; pour une fois suivons l’exemple, imitons la miséricorde de notre grand Rédempteur ! Nous avons triomphé, soyons patients, nous sommes sauvés, pardonnons ! »

Le langage du tribun fut soutenu par Pandulfo et d’autres politiques plus doux et plus modérés ; après une courte et vive discussion, l’influence de Rienzi prévalut et la sentence de mort fut révoquée, mais à une faible majorité.

« Et maintenant, dit Rienzi, soyons plus que justes : Soyons généreux. Parlez, et hardiment. Un seul de vous pense-t-il que j’aie été trop sévère, trop arrogant avec ces esprits obstinés ? Je lis votre réponse sur vos fronts ! Oui, je l’ai été. Quelqu’un de vous pense-t-il que ce soit cette erreur de ma part qui a pu les exciter à une si noire vengeance ? Quelqu’un de vous croit-il qu’ils participent comme nous à l’élan des nobles instincts de la nature humaine, qu’ils sont sensibles à la bonté, qu’ils cèdent à la générosité, qu’ils peuvent être domptés et désarmés par une vengeance telle que la loi chrétienne l’inspire aux ennemis généreux ?

— Je crois, dit Pandulfo après une pause, qu’il faudrait en effet qu’ils n’appartinssent pas à la nature humaine, si leur pardon après le crime dont ils sont convaincus ne les empêchait pas d’attenter encore à votre vie.

— À mon avis, observa Rienzi, nous devons faire plus encore que de pardonner. César, le grand César, lorsqu’il n’écrasait pas un ennemi, tâchait de s’en faire un ami.

— Et c’est par là qu’il a péri, dit brusquement Baroncelli. »

Rienzi tressaillit et changea de couleur.

« Si vous voulez sauver ces misérables prisonniers, mieux vaut ne pas attendre que la fureur des masses ne connaisse plus de frein, murmura Pandulfo. »

Le tribun s’éveilla de sa rêverie.

« Pandulfo, dit-il du même ton, mon cœur m’abuse peut-être. Les petits des serpents sont entre mes mains, je ne les étouffe pas ; ils peuvent me faire une piqûre mortelle en reconnaissance de ma miséricorde, c’est dans leur instinct ! N’importe ; il ne sera pas dit que le tribun de Rome achètera sa sûreté personnelle au prix de tant de vies, et l’on n’inscrira point sur ma pierre sépulcrale : Ci-gît le lâche qui n’osa point pardonner ! Holà ! Officiers, ouvrez les portes ! Mes maîtres, faisons connaître aux prisonniers leur sentence. »

Là-dessus, Rienzi s’assit au fauteuil de cérémonie, au haut bout de la table, et le soleil, maintenant levé, jetait ses rayons sur les murailles d’un rouge sanglant, où les barons, introduits en ordre dans la chambre, crurent lire leur destin.

« Messeigneurs, dit le tribun, vous avez offensé les lois de Dieu et des hommes ! Mais Dieu enseigne aux hommes la miséricorde. Apprenez enfin que je possède une vie protégée par un charme. Celui que, pour de hauts desseins, le ciel a élevé de la chaumière au trône populaire n’est pas sans une aide invisible, sans un bouclier spirituel. Si les souverains héréditaires sont regardés comme sacrés, combien plus sacré celui dont la puissance porte pour ainsi dire le cachet, le témoignage de la main divine ! Oui, sur l’homme qui ne vit que pour son pays, sur l’homme dont la grandeur est un don de sa patrie, sur l’homme dont la vie même est la liberté de sa patrie, veillent les âmes des justes et les yeux du séraphin porteur du glaive, qui ne connaissent point le sommeil ! Instruits par votre récente mésaventure et votre danger présent, étouffez votre colère contre moi ; respectez les lois, vénérez la liberté de votre cité, et pensez-y bien, aucun État ne présente un plus beau spectacle que celui d’hommes de votre naissance, formant un ordre patricien distingué, employant votre puissance à protéger votre ville, vos richesses à nourrir ses arts, votre valeur chevaleresque à défendre ses lois ! Reprenez vos épées, et le premier homme qui voudra frapper les libertés de Rome, que ce soit là votre victime, quand même cette victime serait le tribun. Votre cause a été examinée, votre sentence est prononcée. Renouvelez votre serment de vous abstenir de toute hostilité privée ou publique, contre le gouvernement et les magistrats de Rome, et je vous pardonne, vous êtes libres ! »

Étonnés, abasourdis, les barons ployèrent le genou machinalement ; les moines qui avaient reçu leurs confessions leur firent prêter le serment selon la formule ; et pendant que leurs lèvres pâles murmuraient ces paroles solennelles, ils entendaient en bas la multitude rugissante qui avait soif de leur sang.

La cérémonie achevée, le tribun passa dans la salle du banquet, qui conduisait à un balcon d’où il avait coutume de haranguer le peuple ; et jamais, peut-être, son merveilleux empire sur les passions d’un auditoire (Pétrarque disait bien : « Pour persuader, le dictateur a une éloquence puissante, pleine de douceur et de charme ») ne lui fut plus nécessaire : jamais aussi elle ne se déploya d’une manière plus remarquable que ce jour-là ; car la fureur du peuple était portée au plus haut degré, et il fallut du temps à Rienzi pour parvenir à la ramener. Avant qu’il eût fini, cependant, toutes les vagues de cette mer orageuse étaient apaisées. — L’orateur devait un jour sur cette même place plaider pour une plus noble vie que celles qu’il sauvait aujourd’hui, et plaider vainement !

Aussitôt que le tribun vit le moment favorable arrivé, les barons furent introduits au balcon ; en présence de milliers d’hommes haletants d’anxiété, ils s’engagèrent solennellement à soutenir le Bon État. C’est ainsi que le matin du jour qui semblait se lever sur leur exécution fut témoin de leur réconciliation avec le peuple.

La multitude se dispersa ; la plupart calmés et satisfaits, les plus clairvoyants contrariés et mécontents.

« Il n’a fait qu’irriter la fumée et attiser la flamme qu’il n’a pas eu le courage d’éteindre, » dit en grondant Cecco del Vecchio ; et la parole du forgeron, devint un proverbe et une prophétie.

Cependant, le tribun, au moins sûr en lui-même d’avoir pris le parti le plus généreux, renvoyait le conseil et se retirait dans la chambre où l’attendaient Nina et sa sœur. Ces belles jeunes femmes avaient conçu l’une pour l’autre la plus tendre affection, et la différence qui existait entre leurs caractères et leurs figures semblait, par l’effet du contraste, rehausser les charmes de toutes les deux ; de même que, dans une parure de bijoux habilement composée, la perle et le diamant se prêtent un mutuel éclat.

Comme Irène détournait alors son pâle visage et ses yeux ruisselants de larmes du sein auquel elle s’était attachée pour se soutenir, sœur timide, inquiète, agitée, en face de la fière épouse, confiante et assurée, comme si jamais elle n’eût douté des intentions ni du pouvoir de son Rienzi, ce contraste eût fourni à un peintre une digne incarnation de l’amour qui espère et de l’amour qui craint toutes choses.

« Consolez-vous, réjouissez-vous, ma douce sœur, dit le tribun, frappé d’abord du regard suppliant d’Irène ; on n’a pas touché un cheveu de la tête de ceux qui portent le nom de celui que tu aimes si tendrement. Remercie le ciel, ajouta-t-il, quand sa sœur, avec un cri étouffé, se précipita dans ses bras, de ce que ce n’est que contre ma vie qu’ils ont conspiré. Si c’eût été contre celle d’un autre Romain, la clémence pouvait être un crime. Ô ma chérie, puisse Adrien t’aimer moitié autant que je t’aime ! et pourtant, ma sœur et mon enfant, personne ne peut connaître ton âme pure et douce comme celui qui a veillé sur elle depuis que sa première fleur s’est ouverte au soleil. Mon pauvre frère ! s’il eût vécu, ton avis eût été le sien ; et il me semble souvent entendre son doux génie murmurer à mon oreille des paroles de paix pour adoucir la rigidité qui autrement endurcirait mon caractère. Nina, ma reine, et mon bon ange, ma conseillère fidèle, fais qu’il en soit toujours ainsi, que ton cœur, viril dans ma détresse, soit le cœur d’une femme dans ma prospérité ; sois pour moi, avec Irène, sur la terre, ce que mon frère est dans le ciel ! »

Le tribun, épuisé par les épreuves de cette nuit, se retira pour prendre quelques heures de repos ; et pendant que Nina, l’entourant de ses bras, veillait sur cette noble figure où le souci était calmé, l’ambition assoupie, la sérénité des traits de Rienzi avait quelque chose de sublime. Ces larmes, qu’une fierté délicieuse fait répandre à la femme pour le héros de ses rêves, remplissaient les yeux de l’épouse, mais elle savourait mieux encore le bonheur de partager seule les heures de solitude de Rienzi ; elle le sentait mieux dans le profond silence de son cœur que dans tout l’éclat auquel l’avait élevée sa destinée et que son heureuse nature l’avait rendue digne d’embellir et de goûter. Dans cette heure calme et solitaire, elle charmait son cœur au moyen de ces songes éveillés, songes plus vains encore que ceux du sommeil ; elle se représentait la longue carrière de gloire, et, sur le retour, la vieillesse révérée et pacifique réservées à son mari.

Et pendant qu’elle veillait ainsi, qu’elle rêvait ainsi, le nuage, qui jusque là n’était pas plus grand que la main, envahissait, sombre et menaçant, l’horizon d’une destinée dont le soleil était à son déclin.


CHAPITRE II.

La Fuite.

Rongeant son cœur superbe comme un coursier ronge son frein, le vieux Colonna regagna son palais, étranger au dessein criminel de son parent et de ses pairs. Toute la scène de la nuit et du matin ne lui laissait qu’un souvenir, celui de l’outrage et de l’humiliation. À peine rentré dans son palais, il ordonna à des courriers, dans lesquels il savait qu’il pouvait avoir confiance, de se préparer à porter ses messages. « Voici pour Avignon, se dit-il en terminant une épître au saint-père ; nous verrons si l’amitié de la grande maison des Colonna l’emportera dans la balance sur l’appui frénétique de cette marionnette de la populace !

« Voici pour Palestrina : c’est un roc inaccessible ! — Voilà pour Jean de Vico : on peut compter sur lui, tout traître qu’il est. — Voilà pour Naples : les Colonna renieront l’ambassadeur du tribun, s’il ne jette pas là son mandat pour accourir ici, s’il ne sacrifie pas le rôle de l’amant au devoir du soldat ! — Puisse ce billet trouver Walter de Montréal ! Ah ! il nous a envoyé un beau messager, mais je pardonnerai tout, tout pour un millier de lances. » Et pendant que ses mains tremblantes nouaient la soie autour de ses lettres, il ordonna à ses pages d’aller inviter à sa table, pour le lendemain, tous les seigneurs qui avaient été engagés avec lui dans les péripéties de la nuit précédente.

Les barons vinrent, bien plus irrités contre Rienzi pour son pardon humiliant que reconnaissants de cet acte de clémence. Leurs craintes s’unissaient à leur orgueil blessé, et les clameurs de la multitude, les lamentations des cordeliers retentissaient encore à leurs oreilles : aussi regardèrent-ils une résistance unanime comme le seul moyen qui leur restât pour protéger leur vie et venger leur injure.

À leurs yeux, le pardon public du tribun n’était qu’une manière de déguiser la vengeance privée qu’il méditait. Rienzi, disaient-ils, n’osait les détruire à la face du jour, mais sa clémence n’était qu’un moyen d’endormir leur vigilance en abaissant leur fierté, et toute espérance de sécurité leur était interdite maintenant que leur ennemi avait découvert leur crime. La main de l’assassin qu’ils avaient payé pouvait être armée contre eux, ou ils pouvaient être abattus isolément un par un, d’après la pratique ordinaire aux tyrans de cette époque. Chose assez singulière, ce fut Luca di Savelli qui poussa le plus ardemment à une rébellion immédiate. La crainte de la mort faisait du lâche un brave improvisé.

Incapables même de concevoir la romanesque générosité du tribun, les barons furent encore bien plus alarmés quand, le lendemain, Rienzi, les invitant un par un à une audience privée, leur présenta des cadeaux en les priant d’oublier le passé, et s’accusant lui-même plus que ses meurtriers, ajouta encore à leurs dignités et à leurs honneurs.

Dans le donquichottisme d’un cœur vraiment royal par sa nature, il crut qu’il n’y avait point de moyen terme pour lui, et que cette inimitié qu’il ne réduirait pas au silence par la mort, il l’étoufferait sous les marques de confiance et les faveurs dont il voulait les combler. Une semblable conduite, de la part d’un roi né sur le trône envers ses inférieurs héréditaires, aurait pu réussir ; mais la générosité d’un homme qui s’est élevé brusquement au-dessus de ses seigneurs n’est qu’une ostentation insultante. Rienzi, dans cet élan de générosité et peut-être dans son pardon même, commit une funeste faute de politique, que la sombre sagacité d’un Visconti ou, plus tard, d’un Borgia n’aurait jamais risquée. Mais c’était l’erreur d’un grand et noble esprit.

Nina était assise dans le salon d’apparat : c’était son jour de réception pour les dames romaines.

La compagnie était moins nombreuse qu’à l’ordinaire, à tel point que Nina en tressaillit ; elle crut voir dans les manières de ses visiteuses une froideur et une contrainte qui piquaient jusqu’à un certain point sa vanité.

« J’espère bien que nous n’avons pas offensé la signora Colonna, dit-elle à la dame de Gianni, fils d’Étienne. Elle avait coutume d’honorer nos salons, et nous regrettons l’absence d’une personne si auguste.

— Madame, la mère de mon seigneur et maître est indisposée.

— Vraiment ? Nous enverrons chez elle pour avoir de meilleures nouvelles. Il me semble que nous sommes bien abandonnées aujourd’hui.

Tout en parlant, elle laissa tomber nonchalamment son mouchoir ; la hautaine baronne des Colonna ne s’inclina point ; pas une main ne bougea, et la tribunessa eut l’air d’être un moment surprise et déconcertée. Ses yeux, en se portant sur cette assemblée, rencontrèrent quelques dames qu’elle reconnut pour les épouses des ennemis de Rienzi, chuchotant entre elles avec des coups d’œil significatifs, et sa mortification éveilla plus d’un sourire malicieux. Elle reprit immédiatement son sang-froid et dit en souriant à la signora Frangipani :

« Voudriez-vous bien nous faire part de votre hilarité ? Il me semble qu’il vous est venu quelque joyeuse pensée, que ce serait grand dommage de ne pas nous communiquer franchement. »

La dame à qui elle parlait rougit légèrement et répliqua :

« Nous nous disions, madame, que si le tribun avait été présent, c’était le cas d’accomplir son vœu de chevalerie.

— Et comment, Signora ?

— C’eût été son devoir et son plaisir, madame, de secourir les personnes en détresse. » Et la signora de lancer un regard significatif sur le mouchoir toujours gisant sur le parquet.

« Ainsi c’était un affront à mon adresse, signora, dit Nina se levant avec une grande majesté. J’ignore si vos honorables époux seront aussi hardis avec le tribun ; mais ce que je sais, c’est que la femme du tribun peut à l’avenir vous pardonner votre absence. Il y a quatre siècles, un Frangipani aurait bien pu courber la tête devant un Raselli ; aujourd’hui, la dame d’un baron romain peut bien reconnaître une supérieure dans l’épouse du premier magistrat de Rome. Je ne vous commande pas de courtoisie, je ne la recherche même pas.

— Nous sommes allées trop loin, murmurait une dame à sa voisine. Peut-être l’entreprise ne réussira-t-elle pas, et alors… »

L’entrée soudaine du tribun coupa court à toutes réflexions. Il entra en grande hâte, et sur son front était ce sombre froncement de sourcils que jamais personne ne voyait sans trembler.

« Comment, belles dames ! dit-il en promenant autour de la salle un coup d’ail rapide, vous ne nous avez pas encore désertés ? Par la croix du Sauveur, vos honorables époux nous font honneur en nous laissant d’aussi aimables otages ; s’ils ne sentaient pas ce sacrifice, vrai Dieu ! ce seraient des maris ingrats. Ainsi, madame, et il se retourna brusquement pour regarder en face la femme de Gianni Colonna : Votre mari s’est enfui à Palestrina ; le vôtre, signora Orsini, à Marino ; le vôtre aussi, belle compagne de Frangipani. Vous êtes venue ici pour… Mais vous êtes sacrée pour moi, ne craignez pas même de ma part une parole déplaisante. »

Le tribun s’arrêta un instant : il s’efforçait évidemment d’étouffer son émotion. En remarquant la terreur qu’il avait excitée, son regard tomba sur Nina qui, oubliant son injure récente, le regardait elle-même avec un étonnement plein d’anxiété.

« Oui, lui dit-il, vous êtes peut-être la seule de cette belle réunion qui l’ignoriez : les nobles que j’ai récemment tirés de la griffe du bourreau se sont parjurés encore une fois. Ils ont quitté leurs maisons au milieu de la nuit, et déjà les hérauts les proclament traîtres et rebelles. Rienzi ne pardonne plus !

— Tribun, s’écria la signora Frangipani qui avait plus de sang hardi dans les veines que toute sa famille, si j’étais de ton sexe, ces noms de traître et de rebelle donnés à mon seigneur et maître, je te les ferais rentrer dans la gorge ! Mais, orgueilleux que tu es, c’est le pape qui s’acquittera bientôt de cet office.

— Votre seigneur et maître a là une vraie colombe, belle dame, dit le tribun d’un ton dédaigneux. Mesdames, ne craignez rien : tant que Rienzi vivra, la femme de son pire ennemi sera en sûreté et respectée. La foule va venir ici tantôt ; nos gardes vous reconduiront en toute sûreté chez vous, ou ce palais vous servira d’asile, car je vous avertis que vos époux se sont jetés dans un grand danger, et, avant peu de jours, les rues de Rome pourront être autant de rivières de sang.

— Nous acceptons votre offre, tribun, dit la signora Frangipani, touchée, et, en dépit d’elle-même, pénétrée de respect en voyant les manières du tribun. Puis, tout en parlant, elle fléchit un genou, ramassa le mouchoir et le présenta respectueusement à Nina en disant : madame, pardonnez-moi. Seule entre toutes les personnes présentes, je vous aime plus dans vos jours de péril que dans l’éclat de votre orgueil.

— Et moi, repartit Nina, en s’appuyant avec une gracieuse confiance sur le bras de Rienzi, je réponds à cela que s’il y a péril, l’orgueil n’en est que plus nécessaire. »

Tout ce jour et toute cette nuit, tinta la grande cloche du Capitole. Mais, le lendemain, l’aurore ne vit que des attroupements faibles et clair-semés ; la fuite des barons jetait une grande crainte dans le cœur des gens du peuple, et on accablait hautement Rienzi de reproches amers pour leur avoir donné par sa clémence téméraire cette occasion de mal faire. Ce jour-là, les rumeurs continuèrent ; ceux qui murmuraient restèrent chez eux pour la plupart, ou s’assemblèrent en groupes languissants et mécontents. Le lendemain matin, même léthargie. Le tribun convoqua son conseil (une véritable assemblée représentative).

« Voulez-vous que nous marchions en avant tels que nous sommes, dit-il, avec les quelques hommes qui voudront suivre le drapeau romain ?

— Non, répondit Pandulfo, naturellement timide, mais qui, connaissant bien le caractère du peuple, était par cela même un conseiller prudent, tenons-nous tranquilles ; attendons que les rebelles se compromettent par quelque outrage odieux, et alors le dépit ramènera les indécis au sentiment d’une vengeance commune. »

Ce conseil prévalut ; l’événement en a prouvé la sagesse. Pour colorer ce délai d’une apparence de dignité, des messagers furent envoyés à Marino, où la plupart des barons s’étaient enfuis, et qui était une place forte, pour demander leur retour immédiat.

Le jour où l’insolent refus des insurgés fut apporté à Rienzi, des fugitifs accoururent de toutes les parties de la Campagne. Les maisons brûlées, les couvents et les vignobles dévastés, les bestiaux et les chevaux confisqués, firent bien voir comment les barons entendaient mener la guerre, et réveillèrent les courages languissants en montrant aux Romains un échantillon de la miséricorde qu’ils devaient attendre pour eux-mêmes. Le soir de ce jour-là, de leur propre mouvement, tous les citoyens se précipitèrent vers la place du Capitole. Rinaldo Orsini s’était emparé d’un château fort, dans le voisinage immédiat de Rome, et avait mis le feu à une tour ; on pouvait, de la ville, voir cet incendie. La personne qui occupait cette tour, une noble dame, veuve et âgée, fut brûlée vive. Alors s’élevèrent des clameurs sauvages, des cris de rage et d’impétueuse fureur. Le moment d’agir était arrivé[3].


CHAPITRE III.

La Bataille.

« J’ai fait un rêve ! s’écria Rienzi en s’élançant de son lit. Notre Boniface au cœur de lion, ennemi et victime des Colonna, m’a apparu et m’a promis victoire[4]. Nina, prépare la guirlande de laurier : c’est aujourd’hui que la victoire est à nous !

— Oh ! Rienzi ! aujourd’hui ?

— Oui ! écoute la cloche ! écoute la trompette. Déjà j’entends résonner les sabots impatients de mon blanc coursier des batailles ! Un baiser, Nina, avant de m’armer pour la victoire ; reste, console ma pauvre Irène ; ne me la laisse pas voir ; elle pleure, parce que mes ennemis sont parents de son fiancé ; je ne puis supporter ses larmes ; je l’ai gardée au berceau. Aujourd’hui, je ne dois pas avoir de faiblesse dans l’âme !… Les lâches : deux fois parjures ! Loups qu’on ne peut apprivoiser !… Vous rencontrerai-je enfin épée contre épée ? Allez trouver Irène, douce Nina, vite ! Adrien est à Naples ; et fût-il à Rome, son amant est sacré, quand ce serait cinquante fois un Colonna. »

Sur ce, le tribun passa dans son cabinet de toilette, où ses pages et ses gentilshommes apprêtèrent son armure.

« J’apprends, dit-il, par nos espions, qu’ils seront à nos portes avant midi, quatre mille fantassins, sept cents chevaux. Nous leur donnerons cordialement la bienvenue, mes maîtres. Comment ! Angelo Villani, mon gentil page, que faites-vous là, hors du service de votre dame ?

— Je voudrais bien voir un guerrier s’armant pour Rome ! répondit le jeune garçon avec toute l’énergique pétulance de son âge.

— Dieu te bénisse, mon enfant ! C’est un des vrais fils de Rome qui vient de parler.

— Et la signora m’a promis de me laisser aller avec sa garde aux portes pour apprendre les nouvelles…

— Et revenir annoncer la victoire ? soit. Mais il faudra qu’on ne te laisse point venir à portée d’arbalète. Que vois-je ! mon cher Pandulfo, toi-même en cotte de mailles !

— Rome appelle chacun de nous, dit le citoyen, dont les nerfs délicats étaient surexcités par la contagion de l’enthousiasme général.

— C’est vrai, et encore une fois je suis fier d’être romain ; allons, mes doux sires, la Dalmatique[5] ; je veux que tous les ennemis puissent reconnaître Rienzi, et par le Seigneur des armées, en combattant à la tête du peuple impérial, j’ai droit à la robe impériale. Les frères sont-ils prêts ? Notre marche, jusqu’aux portes, sera précédée d’un hymne solennel. Ainsi combattaient nos ancêtres.

— Tribun, Jean de Vico est arrivé avec cent chevaux pour soutenir la cause du Bon État.

— Vraiment ! Alors le Seigneur nous a débarrassés d’un ennemi et a donné un traître à nos cachots. Passez-moi cette cassette, Angelo. Bien, écoute ! Pandulfo, lis cette lettre. »

Le citoyen lut avec surprise et consternation la réponse du rusé préfet à l’épître du Colonna.

« Il promet au baron de déserter et de passer à lui pendant la bataille, avec la bannière de préfet, dit Pandulfo. Que faut-il faire ?

— Eh bien ! prends mon sceau ; imprime-le ici : fais loger sur-le-champ ce traître dans la prison du Capitole. Donne à ses gens l’ordre de quitter Rome, et avertis-les que si on les trouve sous les drapeaux des barons, leur seigneur et maître est mis à mort. Allons, cours arranger cela sans retard. Nous, pendant ce temps-là, allons à la chapelle entendre la messe. »

Dans l’espace d’une heure, l’armée romaine, vaste mélange de vieillards, d’adolescents et d’hommes dans la force de l’âge, fut prête à se mettre en marche vers la Porte de San Lorenzo ; dans le nombre des fantassins, qui s’élevait à vingt mille, il n’y en avait pas un sixième qu’on pût compter comme hommes d’armes ; mais la cavalerie était bien équipée et composée des barons inférieurs et des plus riches citoyens. À la tête de ceux-ci chevauchait le tribun armé de pied en cap, et portant sur son casque une couronne de feuilles de chêne et d’olivier faites d’argent. Devant lui ondoyait le grand gonfalon de Rome, tandis qu’en tête de ce vaste cortège une procession de moines de l’ordre de Saint-François (le corps ecclésiastique de Rome marchait surtout dans le sens de l’esprit populaire et de son guide enthousiaste) s’avançait en chantant lentement un hymne dont voici le sens, et qui faisait un effet inexprimable, saisissant, majestueux, au bout de chaque stance, grâce au fracas des armes, au son des trompettes, et au roulement sourd et grave des tambours, qui accompagnaient, pour ainsi dire, ce chant d’un chœur guerrier :

CHANT DE GUERRE ROMAIN.
1.

Marchez, marchez pour vos foyers et vos autels ! Maudit à tout jamais soit le lâche qui tremble ; que jamais sur la terre ses péchés ne soient pardonnés, que la mort frappe son âme, que les portes du ciel lui soient fermées ! Malédiction sur son cœur, malédiction sur son cerveau ! Celui qui ne frappera point pour Rome, sera pour Rome un Caïn !

Brise, enfle nos bannières ; soleil, dore nos lances,

Spirito Santo, cavaliere[6] !
REFRAIN.

Soufflez, trompettes, soufflez ! nous marchons gaiement à la gloire, comme un roi dans toute sa splendeur, aux éclatants accords de la trompette et au roulement du puissant tambour !

Brise, enfle nos bannières ; soleil, dore nos lances !

Spirito Santo, cavaliere !
2.

Marchez, marchez, pour votre liberté et vos lois ! La terre vous regarde. — Votre cause est celle de la terre entière ! Du haut de leur gloire vont vous protéger les séraphins et les saints ; l’Ange qui abattit l’Assyrien vous conduira ; aux yeux du Christ crucifié, l’homme ne se sanctifie jamais plus qu’en bravant l’orgueilleux pour la défense du faible !

Brise, enfle nos bannières ; soleil, dore nos lances !

Spirito Santo, cavaliere !

Soufflez, trompettes, soufflez, etc.

3.

Marchez, marchez ! Vous êtes fils du Romain dont les pas retentissaient aux oreilles de son ennemi comme l’annonce de son dernier jour, dont l’empire n’avait pour bornes que l’air et les flots, lorsqu’il se promenait à travers le monde, comme un seigneur dans sa salle d’armes. Quoique votre gloire soit tombée au fond de l’abîme de la tombe, elle sortira du champ de victoire comme le soleil sort des ondes.

Brise, enfle nos bannières ; soleil, dore nos lances !

Spirito Santo, cavaliere !

Soufflez, trompettes, soufflez ! Nous marchons gaiement à la gloire, comme un roi dans toute sa splendeur, aux éclatants accords de la trompette et au roulement du puissant tambour !

Brise, enfle nos bannières ; soleil, dore nos lances !

Spirito Santo, cavaliere !

C’est dans cet ordre qu’ils arrivèrent au vaste espace désert et désolé que la ruine et la dévastation laissaient au-dedans des portes ; là, disposés en longues rangées de part et d’autre, plongeant à perte de vue dans les rues droites et interminables, et laissant au centre un vide très-étendu, ils attendirent l’ordre de leur chef.

« Ouvrez les portes à deux battants et laissez entrer l’ennemi ! » cria d’une voix sonore Rienzi, lorsque les trompettes des barons annoncèrent leur approche.

Cependant les patriciens rebelles qui, le matin même, s’étaient mis en marche à un endroit appelé le Monument, à quatre milles de là, s’avançaient bravement et hardiment.

Avec le vieil Étienne dont la haute taille, le corps maigre et l’air dominateur avaient une belle apparence sous sa splendide cotte de mailles, chevauchaient ses fils, puis les Frangipani et les Savelli, et Giordano Orsini, frère de Rinaldo.

« C’est aujourd’hui qu’il faut que le tyran périsse, dit le vieux baron d’un ton fier et absolu, et que l’étendard des Colonna doit flotter sur le Capitole !

— La bannière de l’Ours ! s’écria Giordano Orsini avec colère. La victoire n’appartiendra pas qu’à vous, monseigneur !

— Notre maison a toujours eu la préséance sur les autres à Rome, répliqua avec hauteur le Colonna.

— Jamais, tant qu’il restera pierre sur pierre des palais des Orsini.

— Arrêtez ! dit Luca di Savelli, n’allez-vous pas vous partager la peau du lion tandis qu’il est encore vivant ? Nous aurons une rude besogne aujourd’hui.

— Mais non, dit le vieux Colonna, Jean de Vico va passer de notre côté avec ses Romains, à la première charge, et quelques-uns des mécontents à l’intérieur ont promis d’ouvrir les portes. Eh bien, coquin (un éclaireur accourait hors d’haleine vers le baron), quelles nouvelles ?

— Les portes sont ouvertes, pas une lance ne brille au haut des murailles.

— Ne vous l’avais-je pas dit, seigneurs ? dit le Colonna en se retournant d’un air triomphant. Je crois que nous allons gagner Rome sans coup férir. Petit-fils, où sont maintenant tes sots présages ? » Ceci s’adressait à Pietro, un de ses petits-fils, l’aîné des fils de Gianni, jeune homme d’une belle tournure, marié depuis moins de deux semaines ; il ne répondit rien. « Mon petit Pietro que voici, continua le baron, parlant à ses camarades, est un mari encore si neuf que, la nuit dernière, il a rêvé de sa jeune femme, et le pauvre garçon y voit un présage.

— Elle était en grand deuil et glissait hors de mes bras en prononçant : « Malheur, malheur aux Colonna ! » dit solennellement le jeune homme.

— J’ai vécu près de quatre-vingt-dix-neuf ans, repartit le vieillard, et je puis avoir fait, par conséquent, quelque chose comme quarante mille rêves ; de ces rêves il y en a deux qui se sont réalisés, et le reste n’a été que mensonge. Jugez d’après cela combien de chances il y a en faveur de la science des songes ! »

En causant ainsi, ils approchaient à portée d’arc des portes, qui étaient toujours ouvertes. Tout gardait un silence de mort. L’armée, qui se composait surtout de mercenaires étrangers, faisait halte pour se consulter, lorsque, voyez !… une torche fut tout à coup lancée dans les airs, par-dessus les murailles ; elle étincela un instant, puis retomba en sifflant dans la mare fangeuse.

« C’est le signal convenu avec nos amis du dedans ! s’écria le vieux Colonna, Pietro, avance avec ta compagnie ! » Le jeune gentilhomme baissa sa visière, se mit à la tête de la bande placée sous son commandement, et, la lance en arrêt, s’avança au petit galop jusqu’aux portes. Le matin, le ciel avait été nuageux et couvert, le soleil, n’apparaissant que par intervalles, jeta en ce moment un vif torrent de lumière, dont il inonda les plumes ondoyantes et la brillante cotte de mailles du jeune cavalier, qui disparaissait sous la sombre voûte, à quelques pas en avant de sa compagnie. Celle-ci le suivit tout d’un trait, puis accourut la cavalerie conduite par Gianni Colonna, le père de Pietro. Il y eut alors un silence d’une minute, interrompu seulement par le fracas des armes et le piétinement des chevaux, quand de l’intérieur des murailles s’éleva brusquement ce cri :

« Rome, le tribun et le peuple ! Spirito Santo, cavaliere ! » Le principal corps d’armée s’arrêta pâle et tremblant. Tout à coup on vit Gianni Colonna revenir sur ses pas, s’éloignant au grand galop de la porte.

« Mon fils ! mon fils ! criait-il, ils l’ont assassiné ! puis, il s’arrêta brusquement, irrésolu, et enfin ajouta : Mais je veux le venger ! » Puis il se retourna pour piquer des deux et revenir se lancer à travers l’arcade : alors une énorme machine de fer, sous forme de herse, descendit subitement sur le malheureux père, et écrasa d’un seul coup sur le sol et l’homme et le cheval, ne faisant plus du coursier et du cavalier qu’une masse confuse, mutilée, sanglante !

Le vieux Colonna, à ce spectacle, ne pouvait en croire ses yeux ; avant que sa troupe fût revenue de sa stupeur, la machine se releva, et l’armée plébéienne se précipita en passant sur le cadavre. Milliers par milliers, les Romains s’élançaient, semblables à un torrent déchaîné, bruyant, mugissant. Ils se jetèrent de tous côtés sur leurs ennemis, qui, rangés selon les lois d’une solide discipline et complètement équipés et cuirassés, soutinrent leur choc et brisèrent leur charge.

« Vengeance et les Colonna ! À l’Ours et aux Orsini ! Charité et les Frangipani[7] ! Frappez pour le serpent et les Savelli[8] ! « Ces clameurs retentirent alors dans les airs, mêlées au cri enroué des Allemands : « Vivent les bourses pleines et les trois rois de Cologne ! » Les Romains, plus féroces que disciplinés, tombaient égorgés en masse autour des rangs des mercenaires, mais à celui qui succombait en succédait un autre, et c’était toujours avec une même ardeur qu’ils répondaient par le cri de : « Rome, le tribun et le peuple ! Spirito Santo, cavaliere ! » Exposé à tous les traits et à tous les glaives par son diadème emblématique et son vêtement impérial, l’ardent Rienzi menait toutes les attaques, maniant une énorme hache d’armes, dont les Italiens se servaient avec une adresse renommée et qu’ils regardaient comme une arme nationale. Inspiré par tout ce que la nature lui avait donné d’instincts sombres et impitoyables, le sang échauffé, les passions excitées, combattant comme un citoyen pour sa liberté et comme un monarque pour sa couronne, son audace paraissait, à ses adversaires étonnés, une espèce de délire frénétique ; invulnérable comme un homme protégé par le ciel, tantôt ici, tantôt là, n’importe où faiblissaient les siens, où les ennemis lâchaient pied, on voyait voltiger sa robe blanche et se lever sa sanglante hache d’armes ; mais sa fureur semblait se diriger plutôt sur les chefs que sur le commun des troupes, et partout où tournait son cheval, on l’entendait s’écrier : « Où y a-t-il un Colonna ? Où vous cachez-vous, Orsini ? Spirito Santo, cavaliere ! » Trois fois une sortie traversa les portes, trois fois les Romains furent repoussés, et à la troisième charge le gonfalon, porté devant le tribun, fut tranché et abattu. Alors, pour la première fois, il parut étonné et alarmé, et, levant les yeux au ciel, il s’écria : « Ô Seigneur, vous m’avez donc abandonné ? » Là-dessus, prenant courage, il secoua de nouveau son arme et fil avancer ses masses désordonnées.

À la nuit tombante la bataille cessa. Elle avait brisé l’orgueil et la fanfaronnade des barons sur lesquels le tribun avait de préférence dirigé ses attaques. De la famille princière des Colonna, trois membres avaient péri. Giordano Orsini était blessé mortellement ; le farouche Rinaldo n’avait point pris part à la lutte. Des Frangipani, les seigneurs les plus superbes n’existaient plus, et Luca, le chef des Savelli, le lâche Luca avait depuis longtemps cherché son salut dans la fuite. De l’autre côté les citoyens avaient été décimés par un carnage affreux ; le sol était inondé de sang et sur des monceaux de cadavres (chevaux et cavaliers) l’étoile du crépuscule vit Rienzi et les Romains revenir vainqueurs de la poursuite. De joyeuses acclamations suivirent le coursier haletant du tribun à son passage sous la voûte ; et aussitôt qu’il entra dans l’intérieur de la ville, une foule de ceux auxquels leurs infirmités, leur sexe ou leur âge n’avaient pas permis de prendre part au combat, femmes, enfants, vieillards sans vigueur, mêlés aux moines et aux religieux à pieds nus et robes sombres, vinrent en foule, au bruit de sa victoire, saluer son triomphe.

Rienzi passa à cheval près du cadavre du jeune Colonna, à demi plongé dans une mare d’eau, et à côté de lui, enlevé de la voûte sous laquelle il était tombé, gisait le corps de Gianni Colonna (ce Gianni Colonna dont la lance avait envoyé au ciel la douce âme du frère de Rienzi). Il jeta un coup d’œil sur ces morts, pendant que la mélancolique étoile du soir se jouait sur la mare sanglante et sur leurs cuirasses souillées par le trépas ; combien d’émotions soulevaient alors sa poitrine ! En se retournant, il aperçut le jeune Angelo, qui, en compagnie de quelques gardes de Nina, était venu à cet endroit et qui s’approchait en ce moment du tribun.

« Enfant, lui dit Rienzi en lui montrant les morts : Tu es bienheureux, toi, de n’avoir pas le sang d’un parent à venger ! Pour celui qui a ce compte à demander, l’heure fatale vient tôt ou tard et c’est une heure terrible ! »

Ces paroles pénétrèrent au fond du cœur d’Angelo, car dans la suite elles devinrent comme l’arrêt du destin pour celui qui les avait dites et pour celui qui les avait entendues.

Avant que Rienzi se fût entièrement remis de son émotion, et tandis qu’autour de lui retentissaient les lamentations déchirantes des veuves et des mères des victimes, les plaintes des mourants, les exhortations des moines, mêlées aux chants de joie et de victoire, un cri fut poussé par les femmes et les traînards au dehors sur le champ de bataille :

« L’ennemi ! l’ennemi !

— Aux armes ! s’écria le tribun. Revenez prendre vos rangs ! mais non, il est impossible qu’ils aient une pareille audace. »

Le piétinement des chevaux, le son d’une trompette se firent entendre ; et bientôt, près de trente cavaliers lancés au galop traversèrent la porte.

« À vos arcs ! cria le tribun en s’avançant. Cependant attendez, le chef est sans armes ; c’est notre propre bannière. Par Notre-Dame ! c’est notre ambassadeur à Naples, le seigneur Adrien de Castello ! »

Palpitant, hors d’haleine, couvert de poussière, Adrien s’arrêta à cette mare que rougissait le sang de ses parents, et d’où leurs figures couvertes de la pâleur de la mort semblaient lui lancer des regards enflammés.

« Trop tard ! hélas ! hélas ! affreuse destinée ! malheureuse Rome !

— Ils sont tombés dans l’abîme qu’eux-mêmes ils avaient creusé ; dit le tribun d’une voix ferme mais sourde. Noble Adrien, plût à Dieu que tes conseils eussent prévenu ce malheur !

— Retire-toi, homme superbe, retire-toi ! s’écria Adrien en agitant la main en signe d’impatience. Tu devais protéger la vie des Romains, et… Ô Gianni !… Pietro !… ni votre naissance, ni votre renommée, ni votre jeunesse si tendre, pauvre garçon, rien n’a donc pu vous sauver !

— Pardonnez-lui, mes amis, dit le tribun à la foule des assistants ; sa douleur est naturelle, et il ne connaît pas toute l’étendue de leur crime. Éloignez-vous, je vous prie, laissez-moi le calmer. »

La chose aurait pu mal tourner pour Adrien sans les instances du tribun. Pendant que le jeune seigneur, mettant pied à terre se penchait maintenant sur les corps de ses cousins, le tribun, remettant aussi son cheval à ses écuyers, s’approcha, et, malgré la répugnance et l’aversion d’Adrien, l’entraîna à part :

« Mon jeune ami, lui dit-il tristement, mon cœur saigne pour toi ; mais réfléchis, le courroux de la multitude n’est pas encore apaisé contre eux ; sois prudent.

— Prudent !

— Chut ! Sur mon honneur, ces hommes n’étaient pas dignes de votre nom. Deux fois parjures, une fois assassins, deux fois rebelles ; écoute-moi !

— Tribun, je n’ai pas besoin d’autre explication pour ce que je vois. Ils peuvent avoir été frappés de mort en toute justice ou lâchement égorgés, mais il n’y a plus de paix entre le bourreau de ma race et moi.

— Ne vas-tu pas aussi te parjurer comme eux ! et ton serment ! Viens, viens, je ne veux point de cela. Sois calme, retire-toi, et si d’ici à trois jours tu me reproches autre chose qu’une folle indulgence, je te délie de ton serment, tu seras libre d’être mon ennemi. La foule ébahie nous regarde ; une minute de plus, et il ne sera plus en mon pouvoir de te sauver. »

Les émotions du jeune patricien ne peuvent se décrire. Il n’avait jamais eu grandes relations avec ceux de sa famille, jamais il n’avait reçu de leur part que des politesses ordinaires. Mais la famille est toujours la famille ! Et là, grâce aux funestes hasards de la guerre, gisaient l’arbre et le rejeton, la fleur et l’espoir de sa race. Il sentait qu’il n’y avait rien à répondre au tribun ; la place même où ils avaient succombé prouvait que c’était dans une attaque contre leurs compatriotes. Ce n’était point leur cause qui provoquait sa sympathie, c’était leur sort. Et la colère, la vengeance lui étant également interdites, son cœur n’en était que plus sensible au choc d’une douleur stérile. Il ne parlait donc pas ; il continuait seulement de contempler ces morts, pendant que de grosses larmes descendaient sur ses joues ; et son attitude, pleine d’abattement et de douleur, était si émouvante que la foule, d’abord indignée, partageait maintenant son affliction. Enfin il eut l’air d’avoir pris sa résolution. Il se retourna vers Rienzi et lui dit d’une voix tremblante :

« Tribun, je ne vous blâme et ne vous accuse pas. Si vous avez montré quelque précipitation dans cette affaire, Dieu prendra sang pour sang. Je ne vous déclare pas la guerre ; vous dites vrai, mon serment me le défend, et si vous gouvernez bien, je puis encore me rappeler que je suis Romain. Mais… mais… regardez cette boue sanglante. Plus d’union entre nous ! Votre sœur, Dieu soit avec elle ! entre elle et moi coule un sombre torrent ! Le jeune noble fit une pause d’un instant, étouffé par ses émotions, puis il reprit : Ces papiers terminent ma mission. Enseigne, descendez la bannière de la République. Tribun, ne parlez pas… Je veux rester calme… calme. Ainsi donc, adieu à Rome ! » Jetant vers les cadavres un regard précipité, il sauta à cheval, et, accompagné de sa suite, disparut sous la voûte.

Le tribun n’avait point essayé de le retenir ; il ne l’avait pas même interrompu. Il sentait que le jeune noble avait pensé, agi comme il devait. Il le suivit des yeux.

« Et c’est ainsi, dit-il tristement, que le destin m’arrache mon plus noble ami et mon plus juste conseiller ; jamais Rome n’a perdu un meilleur citoyen ! »

Tel est l’éternel arrêt qui pèse sur les états déchirés par les guerres civiles. Le médiateur entre les classes soulevées, le noble charitable, le patriote impartial, celui qui se met en avant, et se voit saluer par l’enthousiasme, disparaît bientôt tristement de la scène. Il ne reste plus sur le champ de la lutte que des esprits plus farouches et moins délicats, et tout lien d’harmonie, tout intermédiaire est rompu entre haine et haine, jusqu’à ce que l’épuisement, rassasié d’horreurs, succède à l’ivresse, et que le despotisme soit salué comme un gage de repos !


CHAPITRE IV.

La base de l’édifice n’est pas solide.

Le cours rapide et animé des événements politiques nous a menés bien loin de la sœur du tribun, de la fiancée d’Adrien. D’ailleurs les douces pensées et les jolis rêves de cette belle et amoureuse jeune fille, tout entière à sa passion, quoique pleins pour elle d’un intérêt bien au-dessus de tous les orages et des périls de l’ambition, ne se prêtent pas si commodément à une narration : il n’y a guère d’expressions qui puissent dépeindre leur douce monotonie. Pensées et rêves ne connaissaient qu’une image, ne tendaient que vers un seul but. Fuyant l’éclat de la cour de son frère, et, quand elle se contraignait jusqu’à y paraître, éclipsée par la beauté plus ample, plus éblouissante, et par la prestance souveraine de Nina, à ses yeux, la pompe et la foule mondaines n’étaient qu’une parade mensongère, dont elle se retirait pour se donner tout entière à la vie véritable, c’est-à-dire aux espérances et aux méditations de son propre cœur. Pauvre fille ! avec tout le naturel doux et tendre de son frère défunt, sans rien avoir du rigide génie et de l’ambition prodigue, de l’ostentation fatigante et de l’ardeur du survivant, elle n’était guère faite pour la région orageuse mais splendide où elle se trouvait ainsi soudainement transportée.

Malgré toute son affection pour Rienzi, elle ne pouvait surmonter à son égard une certaine crainte qui, jointe à la différence de sexe et d’âge, ne lui permettait pas de s’épancher avec lui sur le sujet le plus cher à son cœur.

Lorsque l’absence d’Adrien à la cour de Naples dépassa l’époque présumée (car il n’était pas de cour alors, où, devant un trône vivement disputé, le tribun eût besoin d’un représentant plus noble ou plus intelligent ; et des intrigues multipliées retardaient son départ de semaine en semaine) elle devint inquiète, elle s’alarma. Comme bien d’autres qui, sans être vus, et surtout sans y prendre part, ne sont que simples spectateurs de la pièce qui se joue devant eux, elle voyait involontairement plus loin dans l’avenir que le génie plus profond du tribun ou de Nina ; elle devinait le dangereux déplaisir des nobles à leurs regards et à leurs chuchotements qui échappaient à des oreilles et à des yeux plus pénétrants ou plus redoutés. Agitée par une anxiété continuelle, si elle soupirait après le retour d’Adrien, ce n’était pas seulement pour des motifs personnels, elle n’avait que trop de raisons de craindre pour son frère. Adrien de Castello, à la fois noble et patriote, pouvait offrir à chaque parti un médiateur, et chaque jour sa présence devenait plus nécessaire, jusqu’à ce que la conspiration des barons finit par éclater. À partir de ce moment elle n’osa plus espérer ; elle n’était point aveuglée par le génie dont l’essor emportait le tribun dans des régions brillantes qui lui dissimulaient la triste réalité ; elle voyait d’un sens plus calme que le Rubicon était passé, et au travers de tous les événements qui se succédaient elle n’avait que deux images toujours présentes, son frère en danger, son fiancé séparé d’elle.

Avec Nina seule, son cœur pouvait librement s’épancher, car Nina, malgré toutes les différences de caractère, était aussi une femme qui aimait. Elles se ressemblaient par là. Dans les premiers temps de l’élévation de Rienzi, elles avaient passé beaucoup de leurs plus heureux instants ensemble, loin des pompes de la foule, seules et sans contrainte, dans les nuits d’été, sur les balcons éclairés par la lune, dans cet échange de pensées, de sympathies, de soulagements, qui pour deux femmes passionnées et innocentes devient l’occupation la plus intéressante et la plus puissante consolation. Mais dans les derniers temps leur commerce avait été bien troublé. Du matin où les barons avaient reçu leur pardon, jusqu’à celui où ils avaient marché sur Rome, ce n’avait été qu’une suite d’émotions violentes. Toutes les figures que voyait Irène étaient chagrines et abattues ; toute gaieté était suspendue, des conseillers affairés et inquiets ou des soldats en armes avaient été, pendant des journées entières, les seuls visiteurs du palais. Rienzi n’avait apparu que pour de courts instants, le front surchargé de soucis. Nina avait été plus tendre, plus caressante que jamais ; mais dans ses caresses il y avait comme une compassion triste et de mauvais augure. Les consolations d’autrefois, les paroles d’encouragement et d’espérance, étaient remplacées par un sourire douloureux et des demi-confidences ; Irène était d’ailleurs préparée par les pressentiments de son propre cœur au coup qui vint la frapper ; la victoire restait à son frère, ses ennemis étaient écrasés ; Rome était libre ; mais la superbe maison de Colonna avait perdu ses plus magnifiques appuis, et Adrien était perdu pour elle ! Elle ne le blâmait point ; elle ne pouvait blâmer son frère ; chacun des deux avait agi comme il convenait à sa position personnelle. Elle ne pouvait accuser de ses maux que les événements et le sort, victime sacrifiée, comme Iphigénie, aux vents qui allaient pousser la barque de Rome au port, ou peut-être la plonger dans l’abîme. Elle fut accablée du coup ; elle ne s’épancha même pas en larmes ni en plaintes ; elle se courba sous l’orage déchaîné sur sa tête et le laissa passer. Pendant deux jours elle ne prit aucune nourriture, aucun repos ; elle s’enferma, elle ne demanda pour toute faveur que d’être seule ; mais le matin du troisième jour elle fut rétablie comme par miracle, car ce jour-là la lettre suivante fut laissée au palais :

« Irène,

« Vous n’aviez pas besoin de ce message pour connaître ma douleur profonde ; vous sentez bien que, pour un Colonna, Rome ne peut plus être une patrie, ni le tribun de Rome un frère. Tandis que j’écris ces lignes, l’honneur me reste, mais c’est un faible secours. Toutes les espérances que j’avais formées, tout le bonheur que je me plaisais à contempler dans l’avenir, tout l’amour que je t’ai porté et que je te porte encore se refoulent sur mon cœur, et je ne sens qu’une chose : c’est que je suis malheureux. Irène, Irène, ta douce figure s’élève devant moi, et dans ces yeux chéris je lis que tu me pardonnes, parce que tu m’as compris ; quelle que soit la tendresse avec laquelle tu m’aimes, tu aimerais mieux encore me voir perdu pour toi, dans la tombe, avec mes parents, que de me savoir vivant, mais devenu l’opprobre de mon ordre et traître au nom de mes ancêtres. Hélas ! pourquoi suis-je un Colonna ? Pourquoi la fortune m’a-t-elle placé dans la noblesse, quand la nature et les circonstances m’attachent au parti du peuple ! L’amour et la vengeance me sont également interdits, car toute ma vengeance retomberait sur toi comme sur moi. Ô mon adorée ! Nous sommes peut-être séparés pour toujours ; mais, par tout le bonheur que j’ai connu à tes côtés, par toutes les délices que j’ai rêvées, par cette heure ineffable qui la première te livra à mon regard avide, quand j’espérais dans tes yeux et sur tes lèvres le retour de ton âme angélique, par le premier aveu d’amour que tu fis en rougissant, par notre premier baiser, par notre dernier adieu, je jure de t’être fidèle jusqu’à la fin. Jamais une autre ne chassera ton image de mon cœur ; maintenant que l’espoir semble perdu, la foi devient doublement sacrée. Et toi, ma belle amie, ne te souviendras-tu pas de moi ? Ne te diras-tu pas que nous sommes les fiancés du ciel ? Dans les légendes du Nord, on nous raconte qu’un chevalier, en revenant de la terre sainte, trouva que sa maîtresse, l’ayant cru mort, s’était faite la fiancée du ciel : il construisit, dit-on, un ermitage près du couvent où elle demeurait, et quoiqu’ils ne se revissent plus de leur vie, leurs âmes restèrent fidèles l’une à l’autre jusqu’à la mort. Nous aussi, Irène, soyons ainsi l’un à l’autre, morts à tout le reste, fiancés en souvenir pour être unis là-haut ! Et pourtant, pourtant, avant de terminer, une lueur d’espérance brille encore pour nous. La carrière éclatante de ton frère peut bien n’être qu’une étoile filante ; si elle devait s’abîmer dans les ténèbres, si son pouvoir cessait, si son trône était brisé et que Rome reniât son tribun ; si tu devais un jour ne plus avoir pour frère le juge et le destructeur de ma maison, si un coup subit te faisait tomber du haut de cette grandeur, si tu étais sans amis, sans parents, seule enfin, alors, sans aucune tache à mon honneur, sans commettre un acte bas et honteux en recevant la puissance et le bonheur des mains rouges encore du sang de ma famille, je pourrais te réclamer comme mon bien. L’honneur n’élèvera plus sa voix du jour où tu retomberais dans l’abaissement. Je n’ose caresser trop tendrement ce rêve, car c’est peut-être un péché pour tous deux. Mais il m’est permis de te le murmurer tout bas, afin que tu connaisses ton Adrien tout entier, sa faiblesse comme sa force. Ma bien-aimée, ma bien-aimée pour toujours, plus tendrement aimée aujourd’hui que je suis au désespoir, adieu ! Puissent les anges calmer ta douleur et me garder du péché afin que plus tard nous puissions au moins nous revoir ! »

« Il m’aime, il m’aime encore ! dit la jeune fille pleurant enfin. Me voilà redevenue heureuse ! »

Cette lettre pressée sur son cœur soulagea en apparence sa profonde affliction ; elle accueillit son frère par un sourire, Nina par des embrassements ; et si elle nourrit toujours sa douleur et sa peine, ce fut une douleur, une peine secrètes, le ver qui ronge le bouton de la fleur. Cependant, après les premiers transports de la victoire, Rome vit les pleurs succéder à la joie ; le carnage avait été si grand que le triomphe public fut noyé dans la douleur privée. Combien d’affligés reprochèrent à leur défenseur même les coups mortels portés par l’épée des assaillants ! Comme dit l’histoire, Roma fu terribilmente vedovata. Les nombreuses funérailles émurent profondément le tribun, et sa sympathie pour son peuple ne fit que rendre son indignation plus ardente contre les barons. Comme tous ceux qui ont une religion vive, passionnée, jalouse, le tribun ne pouvait pardonner des crimes qui blessaient sa religion au cœur. Le parjure, à ses yeux, était le crime le plus bas, le plus inexpiable, et les barons tués dans la bataille avaient été deux fois parjures ; dans l’amertume de son courroux, il interdit pendant quelques jours à leurs familles de pleurer sur leurs restes, et ce ne fut qu’en particulier et en secret qu’il permit de les ensevelir dans les caveaux de leurs ancêtres ; vengeance cruelle qui souillait ses lauriers, mais qui ne s’accordait que trop avec l’inflexible patriotisme de son caractère ! Impatient de finir son œuvre commencée, brûlant de marcher tout d’un coup à Marino, où les insurgés rassemblaient leurs forces dispersées, il convoqua son conseil, et lui fit voir la certitude de la victoire et ses résultats assurés dans le rétablissement d’une paix complète. Mais les soldats attendaient encore leur paye ; ils commençaient à murmurer ; le trésor était vide, il fallait, pour le remplir, lever un nouvel impôt.

Parmi les conseillers, il y en avait dont les familles avaient rudement souffert de la bataille ; ils accueillirent avec peu d’ardeur la proposition de continuer la lutte. D’autres, et Pandulfo était du nombre, timides mais bien intentionnés, s’apercevant que la douleur et l’effroi inspirés à la nation par son triomphe même, avaient produit une réaction dans le peuple, déclarèrent qu’ils ne se risqueraient point à conseiller un nouvel impôt. Un troisième parti, qui avait Baroncelli pour chef, présentait une opposition plus déterminée. L’ambition de ce démagogue était sans principes ; mais en caressant les plus mauvaises passions de la populace, en gagnant ses sympathies par la grossièreté d’une nature brutale, en étalant cette affectation de zèle progressif que nous appelons aujourd’hui « le mouvement, » et qui souvent donne au fou le plus enragé un avantage sur l’homme d’État le plus prudent, il s’était tout doucement acquis une grande influence sur les classes inférieures. Ses partisans osaient même blâmer le fier tribun de l’extravagante splendeur qu’eux-mêmes ils avaient été les premiers à recommander, et ne craignaient pas d’insinuer sourdement que c’était pour des motifs sinistres et perfides qu’il avait sauvé les barons de l’accusation de Rodolphe. La liberté fut abandonnée au sein de ce même parlement que le tribun avait ressuscité et reconstitué pour le maintien de la liberté. Un sombre silence accueillit son éloquence ardente, et à la fin, les votes se prononcèrent contre la nouvelle taxe et la marche sur Marino qu’il avait proposées. Rienzi leva la séance avec précipitation et tout ému. Comme il quittait la salle, une lettre fut mise entre ses mains ; il la lut et demeura quelques instants comme foudroyé. Puis il appela le capitaine de ses gardes et ordonna de tenir prêt à sa disposition un détachement de cinquante chevaux ; il gagna l’appartement de Nina, la trouva seule et resta quelques instants à la contempler avec une telle attention, qu’elle en fut frappée de terreur et ne put dire un mot.

« Il faut nous séparer, lui dit-il brusquement.

— Nous séparer !

— Oui, Nina, votre escorte est prête. Vous avez des parents, vous avez des amis à Florence ; c’est Florence qui va devenir votre patrie.

— Rienzi !

— Ne me regardez pas ainsi. Dans mes jours de puissance, de splendeur, de sécurité, vous étiez ma gloire et mon conseil. Aujourd’hui vous ne faites que m’embarrasser. Et…

— Ô Rienzi, ne parle point ainsi ! Qu’est-il arrivé ? Ne sois pas si froid ! Ne fronce pas le sourcil, ne te détourne pas ! Ne te suis-je pas quelque chose de plus que la compagne de tes heures de gaieté, le mignon de tes amours ? Ne suis-je point ta femme ? Ne suis-je point ton amante ?

— Tu ne m’es que trop chère, — trop chère, murmura le tribun ; tant que je te sentirai à mes côtés, je ne serai qu’un demi-Romain. Nina, les vils esclaves que moi-même j’ai faits libres m’abandonnent. Maintenant, au moment même où j’allais peut-être faire disparaître à jamais tous les obstacles qui s’opposaient à la régénération de Rome, maintenant qu’une victoire ouvre la voie à un succès complet, maintenant que nous touchons au port, ma fortune me délaisse soudain au milieu des flots. Ce n’est plus la colère des barons qui est maintenant mon plus grand péril : les barons ont pris la fuite ; c’est le peuple qui devient traître à Rome et à moi !

— Et tu voudrais que je fisse comme le traître ? Non, Rienzi, à la mort même, Nina sera à tes côtés. La vie et l’honneur ne lui viennent que de toi ; et le coup qui abattra le corps anéantira l’ombre débile. Je ne me séparerai point de toi.

— Nina, dit le tribun, agité par de violentes et convulsives émotions, vous avez dit… la mort : c’est peut-être de la mort qu’il s’agit en effet. Allez, quittez un homme qui ne peut plus protéger ni Rome, ni vous-même.

— Jamais, jamais je ne le quitterai.

— Vous êtes résolue ?

— Je le suis.

— Qu’il en soit ainsi, dit le tribun avec un ton de profonde tristesse. Prépare-toi donc aux plus mauvais jours.

— Il n’y a point de mauvais jours avec toi.

— Viens dans mes bras, vaillante femme, tes paroles font honte à ma faiblesse. Mais ma sœur ! — si je succombe, vous, Nina, vous ne voudrez pas survivre ; vous ne voudrez pas laisser votre beauté en proie au cœur le plus luxurieux et au bras le plus robuste. Nous aurons le même tombeau sur les débris de la liberté romaine. Mais Irène n’est pas trempée d’acier comme vous. La pauvre enfant, je lui ai déjà enlevé son amant, et aujourd’hui…

— Vous avez raison ; faites partir Irène. Nous pouvons même lui déguiser le motif réel de son départ. Un voyage est ce qu’il y a de mieux pour son chagrin, et ne peut que passer pour un acte de bienséance, destiné à tromper la curiosité. Je vais la voir et l’y préparer.

— Faites-le, ma chère amie. Je serai bien aise de rester un moment seul avec mes pensées. Mais, rappelez-vous qu’il faut qu’elle parte aujourd’hui : le temps presse. »

Pendant que la porte se fermait sur Nina, le tribun reprit sa lettre pour la relire de sang-froid. « Ainsi le légat du pape a quitté Sienne ; il a prié cette république de retirer de Rome ses troupes auxiliaires, il m’a proclamé rebelle et hérétique, et de là, il est passé à Marino, où il tient maintenant conseil avec les barons. Pourquoi faut-il que mes rêves m’aient menti ? Ils n’étaient donc pas plus vrais que les illusions trompeuses du jour ? Mais, est-il possible que dans un si pressant danger le peuple m’abandonne et s’abandonne lui-même ? Armée de saints et de martyrs, ombres de héros et de patriotes, avez-vous délaissé à jamais votre antique demeure ? Non, non, je n’ai pas monté si haut pour périr ainsi ; je veux les vaincre encore et léguer à Rome mon nom comme une menace à l’oppresseur, un exemple à l’homme libre ! »


CHAPITRE V.

L’édifice croule.

Grâce à son adresse bienveillante, Nina fit croire à Irène que, si on lui proposait d’aller voir Florence, c’était seulement une attention délicate de son frère pour lui faire quitter un séjour odieux, où le bruit de son amour bien connu pour Adrien l’exposait à toutes les humiliations les plus pénibles. Rienzi n’avait pas d’autre raison pour l’envoyer à Florence. La précipitation de ce départ tenait à l’occasion d’une mission inattendue (pour un emprunt d’armes et d’argent), qui lui procurait ainsi une escorte sûre, une garde d’honneur. Elle se soumit passivement à une mesure qu’elle même regardait comme un soulagement dans ses peines ; et il fut convenu qu’elle recevrait quelque temps l’hospitalité d’une parente de Nina, abbesse d’un des plus riches couvents de Florence ; l’idée d’une réclusion monastique flattait d’ailleurs son cœur brisé et son esprit accablé par la douleur. Mais, quoique elle ne sût rien du péril immédiat de Rienzi, ce fut avec une profonde tristesse et de sombres pressentiments qu’elle lui rendit ses baisers et ses bénédictions du départ ; et lorsqu’elle finit par se trouver seule dans sa litière et hors des portes de Rome, elle se repentit d’un voyage auquel les dangers vraisemblables que courait son frère donnaient l’apparence d’une désertion.

Laissons les ténèbres du jour à son déclin envelopper sa litière et son escorte ; des acteurs plus turbulents de ce drame réclament notre attention. Les commerçants et les artisans de Rome, à cette époque, mais surtout durant le gouvernement démocratique de Rienzi, tenaient des réunions hebdomadaires dans chacun des treize quartiers de la ville, et la plus libérale de ces réunions avait pour oracle et pour chef Cecco del Vecchio. Ce fut dans cette assemblée, présidée par le forgeron, que se firent entendre les murmures avant-coureurs du tremblement de terre.

« Ainsi, criait un membre de la société, le gros boucher Luigi, on dit qu’il a voulu nous charger d’un nouvel impôt, et c’est pour cela qu’il a levé la séance du conseil aujourd’hui, en voyant que ces braves gens étaient fermes et qu’ils avaient des entrailles pour le peuple. C’est une honte et un péché que le trésor soit déjà vide.

— Je lui ai dit, répondit le forgeron, de ne pas s’aviser d’aller encore imposer le peuple. Les pauvres gens ne veulent pas d’impôt. Mais, puisqu’il ne suit pas mon conseil, qu’il en subisse les conséquences. Le cheval s’échappe, et le licou vous reste dans la main.

— Des conseils, Cecco ! m’est avis que vous pouvez les garder pour vous. Je vous garantis bien qu’il porte la tête trop haut à présent pour s’abaisser à les entendre. Ne voyez-vous pas qu’il est devenu fier comme un pape ?

— Après tout, c’est un grand homme, dit un membre de la réunion. Il nous a donné des lois, il a débarrassé la campagne des bandits, rempli les rues de marchands et les boutiques de marchandises, mis en déroute les plus hardis seigneurs et la plus farouche soldatesque d’Italie.

— Et maintenant il veut taxer le peuple ! — Voilà ce que nous avons gagné à l’aider, s’écria Cecco, toujours grommelant. Que serait-il sans nous ? Nous pouvons bien défaire ce que nous avons fait.

— Mais, continua le défenseur de Rienzi, voyant qu’il avait des partisans dans l’assemblée, mais enfin s’il nous taxe, c’est pour assurer notre liberté.

— Qui est-ce qui menace maintenant ? demande le boucher.

— Eh mais !… les barons préparent, exercent journellement de nouvelles forces à Marino.

— Marino n’est point Rome, répliqua Luigi le boucher. Attendons qu’ils reviennent à nos portes. Nous savons comment les recevoir ; quoique pour ce qui est de ça, je pense que nous avons eu assez de batailles… Mes deux pauvres frères y ont gagné chacun un coup de poignard dont ils se seraient bien passés. Pourquoi le tribun ne veut-il pas, puisque c’est un grand homme, nous donner la paix ? Tout ce qu’il nous faut aujourd’hui, c’est de la tranquillité.

— Ah ! dit un sellier, qu’il s’arrange avec les barons. Ce n’étaient déjà pas de si mauvaises pratiques, après tout.

— Pour ma part, dit un gaillard de bonne mine, qui avait été dans son temps fossoyeur, et qui maintenant avait ouvert un étalage de marchandises pour les vivants, je lui passerais volontiers le reste, mais je ne peux lui pardonner son bain dans le vase sacré de Porphyre.

— Il est vrai que c’était une bien mauvaise plaisanterie, dirent plusieurs personnes en secouant la tête.

— Et lorsqu’il s’est fait armer chevalier, quelle parade ! Heureusement qu’il a encore eu le bon sens de faire couler du vin par les naseaux du cheval de bronze : il n’y avait que cela de raisonnable.

— Mes maîtres, dit Cecco, la vraie folie qu’il a faite, c’est de ne pas décapiter les barons, quand il les tenait tous dans ses filets, comme dit Messire Baroncelli. (Ah ! Baroncelli est un honnête homme, et qui ne va pas par quatre chemins !) C’était en quelque sorte trahir le peuple que de ne pas le faire. Car enfin, sans cela, nous n’aurions jamais perdu tant de bons garçons à la porte de San-Lorenzo.

— C’est vrai, c’est vrai, c’est honteux : on dit que les barons l’ont payé pour ça.

— Et puis, fit observer un autre, ces pauvres seigneurs Colonna, le père et le fils, c’étaient les meilleurs de la famille, après Castello. J’avoue que je les plains.

— Mais revenons à la question, dit un autre des assistants, le plus riche de la bande ; revenons à l’impôt, c’est de cela qu’il s’agit. Quelle ingratitude de nous taxer ! Qu’il le fasse, et il verra !

— Oh ! il n’osera pas ; car j’ai ouï dire que le pape finit par se fâcher tout rouge : et par conséquent il n’a plus que nous sur qui compter. »

Ici la porte s’ouvre brusquement. Un homme se précipite dans la salle en criant à tue-tête :

« Maîtres ! maîtres ! le légat du pape est arrivé à Rome, et a envoyé chercher le tribun, qui vient de le quitter à l’instant. »

Avant que les auditeurs fussent revenus de leur surprise, le son des trompettes les fit décamper ; ils virent Rienzi passer près d’eux avec sa cavalcade ordinaire et son fringant appareil. La soirée avançait, et des porteurs de torches précédaient sa marche. Un calme profond était répandu sur son visage, mais ce n’était pas le calme de la satisfaction. Il passa, et la rue redevint solitaire. Dans l’intervalle, Rienzi gagnait en silence le Capitole et montait aux appartements du palais, où Nina, pâle et hors d’haleine, attendait son retour.

« Bon, bon, tu souris ! Mais non, c’est ce terrible sourire, pire que les rides de ton front. Parle, mon bien-aimé, parle ! Qu’a dit le cardinal ?

— Pas grand’chose qui puisse te plaire. Il m’a parlé d’abord d’un ton hautain et solennel du crime qu’il y avait à déclarer les Romains libres ; puis de la trahison qui consiste à prétendre que l’élection du roi de Rome est un droit des Romains.

— Eh bien ! qu’as-tu répondu ?

— Ce que devait répondre le tribun de Rome ; j’ai maintenu ses droits, et je les ai prouvés. Le cardinal a passé à d’autres accusations.

— Qu’était-ce ?

— Le sang des barons tués à San-Lorenzo… Ce sang versé seulement pour notre défense contre des agresseurs parjures ; j’ai bien vu que c’était là mon vrai crime à leurs yeux. Les Colonna ont l’oreille du pape. Mais ce n’est pas tout, et le sacrilége donc ! Oui, le sacrilége (tu vas rire, Nina) que j’ai commis en me baignant dans un vase de Porphyre, et dont se servait Constantin, quand il était encore païen.

— Est-il possible ? Qu’as-tu dit ?

— Je me suis mis à rire. Cardinal, ai-je dit, ce qui n’était pas trop bon pour un païen, n’est pas trop bon pour un chrétien catholique !… Et, vraiment, le Français fit une mine rechignée comme s’il se sentait frappé au défaut de la cuirasse. Quand il a eu fini, je lui ai demandé, à mon tour : — M’accuse-t-on d’avoir fait tort à qui que ce soit, dans mon siége de justice ? — Profond silence. — Est-il dit que j’aie commis quelque infraction à une seule loi de l’État ? — Même silence encore. — Y a-t-il le moindre murmure qui conteste la prospérité du commerce ? Un doute sur la sécurité des citoyens dans leurs personnes ? Qui oserait prétendre qu’au dehors ou à l’intérieur le nom romain n’est point honoré, et plus que jamais ? — Même silence. — Alors, ai-je dit, seigneur cardinal, je demande vos remercîments, et non votre censure. Le Français me regardait, me regardait, et tremblait et reculait ; enfin il prononça ces mots : — Je n’ai qu’une mission à remplir de la part du saint-père : résignez sur-le-champ votre charge de tribun, ou l’Église lance sur votre tête sa solennelle malédiction.

— Comment, comment, dit Nina, pâle comme un spectre : Qu’est-ce qui t’attend ?

— L’excommunication ! »

Cette terrible sentence, dont le bras spirituel avait si souvent foudroyé ses plus redoutables ennemis, retentit aux oreilles de Nina comme un glas de mort. Elle se couvrit la figure de ses mains. Rienzi parcourait la chambre à pas rapides. « La malédiction, murmurait-il, la malédiction de l’Église sur moi, sur moi !

— Ô Rienzi ! n’as-tu pas cherché à apaiser ce sévère… ?

— Apaiser ! Mort et déshonneur ! Apaiser ! Cardinal, ai-je dit, et je sentais son âme se dérober d’effroi sous mon regard : mon pouvoir, je l’ai reçu du peuple ; c’est au peuple seul que je le rendrai. Pour mon âme, il n’est pas de parole humaine qui puisse lui nuire ; c’est toi, prêtre superbe, c’est toi qui es le maudit, si, acceptant le rôle de marionnette, instrument de cabales méprisables et de tyrans exilés, tu oses prononcer un mot au nom du Dieu de justice, pour la cause de l’oppresseur et contre les droits de l’opprimé. Là-dessus, je l’ai quitté, et maintenant…

— Eh bien ! maintenant, maintenant, que va-t-il arriver ? L’excommunication ! Et dans la métropole de l’Église encore !… La superstition du peuple ! Oh ! Rienzi !

— Si ma conscience, murmura-t-il, me condamnait pour un seul crime, si j’avais souillé mes mains du sang d’un honnête homme, si j’avais enfreint une loi imposée par moi-même, si je m’étais laissé corrompre, si j’avais fait tort au pauvre, ou dédaigné l’orphelin, ou fermé mon cœur à la veuve, alors… alors… Mais non !… Seigneur, tu ne voudras point m’abandonner !

— Oui, mais les hommes peuvent le faire, » pensa tristement Nina, en voyant Rienzi envahi par un de ses sombres accès de rêverie, dont il ne permettait à aucun œil vivant, même à celui de Nina, de rester le témoin, quand ils arrivaient à leur crise. Aussi, après un court monologue à voix basse, pendant lequel sa face était si défigurée, que les veines de ses tempes s’enflaient comme des cordes, il quitta brusquement la chambre et gagna l’oratoire particulier, dépendant de son cabinet.

Tirons un voile sur les émotions qui l’absorbaient alors. Qui décrira ces moments redoutables et mystérieux, où l’homme, avec toutes ses passions ardentes, ses turbulentes pensées, ses espérances désordonnées, et ses craintes désespérées, demande une audience solitaire à son Créateur ?

Longtemps après cette conférence avec Nina, longtemps après que la cloche de minuit avait sonné, Rienzi se tenait seul sur un des balcons du palais, pour rafraîchir sous un ciel parsemé d’étoiles, la fièvre qui s’acharnait encore après son corps épuisé. La nuit était pure et calme, l’air clair, mais froid, car on était en décembre. Rienzi contemplait attentivement ces orbes célestes auxquels notre crédulité déréglée a rattaché la prévision de notre destin.

« Vaine science, pensa le tribun, ténébreuse chimère ! La destinée de l’homme ordonnée d’avance, irrévocable, invariable dès le moment de sa naissance ! Pourtant, si ce n’était un rêve sans fondement, je voudrais bien reconnaître, parmi ces astres imposants, l’étoile de ma naissance, celle qui est l’image, le miroir de ma carrière terrestre et du souvenir que je laisserai après ma mort. » Comme cette pensée traversait son esprit, son regard, toujours fixé sur le firmament, rencontra, comme si elle fût devenue tout à coup plus distincte que les étoiles environnantes, cette rapide et ardente comète qui, dans l’hiver de 1347, terrifia les gens superstitieux, portés à reconnaître dans cet hôte étrange du ciel un présage de désastres et de douleurs. Il recula quand cette comète frappa ses yeux, et se dit tout bas : « Ne serait-ce pas là mon image ? Ou si la science des légendes dit vrai, si ces feux étranges annoncent des nations ruinées et des gouvernements renversés, n’est-ce pas celle-là qui vient me prédire mon sort ? Je ne veux plus y penser[9]. » Mais, en baissant les yeux, son regard s’arrêta sur le colossal lion de basalte, dont la lumière des étoiles revêtait les formes grises et imposantes d’une blancheur de spectre ; ce fut alors qu’il aperçut deux figures d’hommes en robes noires arrêtés au piédestal qui supportait la statue, et paraissant occupés à quelque besogne dont il ne put deviner la nature. Un frisson de crainte parcourut ses veines, car il n’avait jamais pu se défaire de cette vague idée qu’il y avait un rapport solennel et déterminé entre sa destinée et ce vieux lion de basalte. Un peu remis de cette crainte, il entendit sa sentinelle adresser le qui-vive à ces intrus ; et lorsqu’ils vinrent s’exposer à la lumière, il s’aperçut qu’ils portaient l’habit de moine.

« Ne nous dérangez pas, mon fils, dit l’un d’eux à la sentinelle, c’est par l’ordre du légat de notre saint-père que nous affichons sur ce monument public de justice et de courroux la bulle d’excommunication contre un hérétique et un rebelle. Malheur à celui que l’Église a maudit ! »


CHAPITRE VI.

La chute du temple.

Ce fut un coup de foudre dans un jour serein que ce revers du tribun au faîte de son pouvoir, dans son triomphe sur ses ennemis, lorsqu’avec une simple poignée de braves Romains déterminés à être libres il aurait pu écraser pour toujours le puissant adversaire des libertés romaines, assurer les droits de son pays, et combler la mesure de sa propre renommée. Un tel revers fut comme une moquerie du sort, qui ne l’avait soutenu dans des temps de désastre que pour l’abandonner au plein midi de sa plus brillante prospérité.

Le lendemain matin, pas une âme dans les rues ; les boutiques étaient fermées, les églises étaient closes : la ville était comme frappée d’un interdit. La redoutable malédiction lancée par l’excommunication pontificale sur le premier magistrat de la cité des papes, semblait y glacer le sang dans toutes les artères de la vie. Le légat lui-même, affectant des craintes pour sa sûreté, avait fui à Monte-Fiascone, où les barons vinrent se joindre à lui immédiatement après la publication de l’édit. La malédiction n’en était que plus terrible, par l’absence de celui qui l’avait lancée.

Vers le soir on eût pu voir quelques personnes traverser la large place du Capitole, se signer lorsque la bulle placardée sur le lion de basalte frappait leurs regards, et disparaître dans l’intérieur du grand palais. Bientôt quelques groupes s’attroupèrent avec anxiété dans les rues, mais ne tardèrent pas à se disperser. Tout rapport, toute communication était comme paralysée. Cette autorité spirituelle et sans armes, qui, comme la main invisible de Dieu, désolait la place du marché et humiliait la tête couronnée, aucune force matérielle ne pouvait se rallier contre elle ni lui faire résistance. Pourtant, à travers cette terreur universelle, la multitude ne pouvait s’empêcher de se dire avec émotion que c’était pour elle que le tribun était ainsi frappé au milieu de sa gloire ! Les termes mêmes de la flétrissure affichée contre lui sur les murailles et les colonnes proclamaient à la fois ses crimes et ses titres d’honneur : Il était rebelle pour avoir revendiqué les libertés de Rome ; hérétique pour avoir réformé des abus ecclésiastiques ; et, comme pour couvrir le reste d’un prétexte misérable, il était sacrilége pour s’être baigné dans le vase de porphyre de Constantin ! Les Romains, en lisant cette accusation, soupirèrent, frissonnèrent, et, dans son vaste palais, sauf quelques cœurs attachés, dévoués, le tribun était seul !

Les plus solides de ses soldats toscans étaient partis avec Irène. Le reste de ses forces, excepté quelques gardes qui lui demeuraient, consistait en cette milice romaine à sa solde, composée de citoyens, qui, depuis longtemps mécontentés par le retard de leur paye, saisissaient maintenant le prétexte de l’excommunication pour rester chez eux en grondant, mais sans rien faire.

Au troisième jour, un nouvel incident interrompit le sommeil de mort où était plongée la cité : cent cinquante mercenaires, sous le commandement de Pépin de Minorbino, napolitain moitié noble, moitié bandit (une des créatures de Montréal), entrèrent dans la ville, s’emparèrent de la forteresse des Colonna, et envoyèrent un héraut dans la cité, proclamer au nom du cardinal-légat, la mise à prix, au taux de dix mille florins, de la tête de Cola de Rienzi.

Alors la grande cloche du Capitole lança dans les airs ses sons aigus, vain appel ! l’inspiration n’était plus : le peuple, nonchalant, découragé, terrifié par le caractère redoutable, au point de vue spirituel, de l’autorité papale, crainte plus grande encore depuis l’éloignement du siége pontifical, le peuple vint sans armes au Capitole, et là, sur la place du Lion, parut aussi le tribun. Ses écuyers, au bas de l’escalier, tenaient son cheval de bataille, son casque, et cette même hache de guerre qui avait étincelé à l’avant-garde d’une armée victorieuse.

À ses côtés étaient quelques-uns de ses gardes, les gens de sa suite et deux ou trois des principaux citoyens.

Il se tenait droit, la tête nue, contemplant la foule confuse, interdite, sans armes, avec un regard de dédain amer, mêlé d’une profonde pitié ; et lorsque la cloche eut cessé ses tintements et que la foule demeura silencieuse et attentive, il lui adressa ces paroles :

« Ainsi donc vous voilà revenus ! revenus en esclaves ou en hommes libres ? Une poignée d’hommes armés sont dans vos murs. Vous qui avez chassé de vos portes les chevaliers les plus fiers, les guerriers les plus expérimentés de Rome, allez-vous succomber maintenant à cent cinquante mercenaires étrangers ? Voulez-vous prendre les armes pour votre tribun ? Vous gardez le silence ? Qu’il en soit ainsi. Voulez-vous prendre au moins les armes pour vos propres libertés, pour votre Rome enfin ? Toujours même silence ! Au nom des saints qui règnent sur les trônes abattus des dieux païens, êtes-vous à ce point déchus de votre droit de naissance ? N’avez-vous point d’armes même pour votre défense personnelle ? Romains, écoutez-moi ! Avez-vous à vous plaindre de moi ? S’il en est ainsi, que je meure au moins par vos mains ; puis après, avec votre fer encore dégouttant de mon sang, marchez contre le bandit qui n’est que le héraut de votre esclavage, et je meurs alors honoré, reconnaissant et vengé. Vous pleurez, grand Dieu ! vous pleurez ! Ah ! je devrais pleurer aussi, moi qui ai pu vivre assez pour parler en vain de liberté à des Romains. Pleurer ! Est-ce le moment de verser des larmes ? Pleurez à présent, et vos larmes feront germer des moissons de crimes, de licence et de despotisme à venir ! Romains, aux armes ! Suivez-moi sur le champ à la place des Colonna ; expulsez ce brigand, expulsez votre ennemi ; vous ferez de moi ce que vous voudrez après… Ici il s’arrêta en voyant que ses paroles n’allumaient aucune ardeur : ou, continua-t-il, je vous abandonne à votre destinée. »

Alors commença un murmure long, grave, général, qui finit par prendre une voix, un grand nombre de voix ; elles criaient toutes ensemble :

« La bulle du pape ! Tu es un homme maudit !

— Comment ! s’écria le tribun, et c’est vous qui m’abandonnez, quand c’est à cause de vous seuls que l’homme ose lancer contre moi les foudres de son Dieu ? N’est-ce point à cause de vous que je suis déclaré hérétique et rebelle ? Quels sont les crimes qu’on m’impute ? C’est d’avoir reconquis la liberté de Rome et revendiqué celle de l’Italie ; c’est d’avoir subjugué les nobles orgueilleux qui étaient les fléaux et du pape et du peuple. Et vous, vous me reprochez ce que j’ai osé dire et faire pour vous ! Quoi ! et c’est à votre tête que j’étais fier de combattre, c’est pour vous que j’aurais voulu périr. Vous vous abandonnez vous-mêmes en m’abandonnant, et puisque je ne commande plus à de braves citoyens, je résigne mon pouvoir au tyran que vous préférez. Voilà sept mois que je vous gouverne ; le commerce est florissant, la justice sans tache, la victoire nous a été fidèle sur le champ de bataille : je vous ai montré ce que Rome pouvait être : à présent que j’abdique le gouvernement que vous m’avez donné, quand je n’y serai plus, n’oubliez pas du moins votre liberté ! Peu importe quel est le chef d’un brave et grand peuple. Prouvez au monde que Rome a plus d’un Rienzi ; puisse l’autre être plus heureux que moi !

— Je suis bien fâché qu’il nous ait imposé ces maudites taxes, dit Cecco del Vecchio, la vraie personnification du sentiment populaire, et qu’il n’ait pas décapité les barons !

— Oui ! cria l’ex-forgeron, mais ce saint vase de porphyre !

— Et puis d’ailleurs, pourquoi irions-nous nous faire couper la gorge, dit Luigi le boucher, comme mes deux frères, que Dieu garde ! »

En général, sur les visages de la multitude il y avait une expression commune d’irrésolution et de honte ; beaucoup pleuraient et gémissaient : personne, excepté le petit nombre de mécontents, n’accusait, personne ne blâmait Rienzi, mais personne ne semblait disposé à prendre les armes. C’était une de ces lâches paniques, un de ces étranges accès d’indifférence et de léthargie qui souvent saisissent tout un peuple quand il fait de la liberté une affaire d’élan et de caprice, une réclame, mais sans avoir longtemps goûté ses douceurs incomparables, ses bienfaits solides et profonds ; quand il se laisse effrayer par le premier orage qui vient assombrir son aurore. Un peuple comme il y en a tant au midi, et comme le nord lui-même en a connu, et comme l’Angleterre elle-même en aurait pu voir, si Cromwell eût vécu un an de plus ; et en effet cette réaction de l’enthousiasme populaire remplacé par l’indifférence populaire, l’Angleterre ne l’a-t-elle pas connue elle-même, quand ses enfants ont follement abandonné les fruits d’une guerre sanglante, sans réserve, sans prévoyance, au licencieux pensionnaire de Louis XIV et au royal meurtrier de Sidney ? Oui le plus noble peuple sera lui-même assujetti à ces défaillances de l’âme, à cet aveuglement de l’esprit, toutes les fois que chez lui la liberté, au lieu de croître d’âge en âge, étendant ses racines à travers les replis de mille coutumes séculaires, ne fera que paraître une heure comme une plante exotique, comme l’arbre Dryade des fables antiques, pour fleurir un moment et se faner après avec l’esprit vivifiant qui l’animait seul.

« Ô ciel, si j’étais un homme ! s’écria Angelo, derrière Rienzi.

— Écoutez-le, écoutez l’adolescent ! cria le tribun ; c’est par la bouche des enfants que parle la sagesse ! Il voudrait bien être un homme comme vous l’êtes, afin de pouvoir faire comme vous devriez faire. Remarquez bien : je m’en vais avec ces quelques fidèles traverser à cheval le quartier des Colonna, passer devant la forteresse où se tient votre ennemi. Trois fois mes trompettes sonneront devant cette forteresse ; si à la troisième fanfare vous n’arrivez point, armés comme il faut, je ne dis pas vous tous, mais seulement trois, seulement deux, seulement une centaine de vous, alors je romprai mon bâton de commandement, et le monde dira que cent cinquante bandits ont étouffé l’âme de Rome et écrasé son magistrat et ses lois ! »

Après avoir prononcé ces mots, il descendit l’escalier et monta sur son coursier ; la populace lui fit place en silence et laissa son tribun, avec sa misérable escorte, passer lentement et peu à peu disparaître aux regards de la foule croissante.

Les Romains restèrent sur la place, et peu de temps après, le démagogue Baroncelli, voyant là une chance de succès s’offrir à son ambition, se mit à les haranguer. Quoique ce ne fût pas un homme éloquent, ni un orateur habile, il avait l’art de faire valoir les lieux communs les plus populaires. Il savait surtout que le côté faible de son auditoire était la vanité, l’indolence et une arrogante fierté.

« Regardez bien, mes maîtres, dit-il en s’élançant sur les degrés de la place du Lion ; le tribun parle bravement comme toujours, mais c’est toujours aussi l’histoire du singe qui emploie le chat à tirer ses marrons ; il voudrait bien vous faire fourrer vos griffes dans le feu, mais vous ne serez pas assez sots pour l’écouter, Dieu merci ! Le tribun, ce brave homme, se pavane dans un palais ; il y donne des festins et se baigne dans un vase de porphyre (honte à lui !), dans un vase où saint Sylvestre a baptisé l’empereur Constantin ; tout cela vaut bien la peine que l’on combatte pour l’avoir ; mais vous, mes maîtres, qu’y gagnez-vous si ce n’est de rudes coups et le plaisir de regarder un spectacle, un jour de fête ? Que dis-je ? Si vous battez ces bandits, vous aurez un autre impôt sur le vin ; ce sera là toute votre récompense !

— Écoutez ! s’écria Cecco ; voilà la trompette qui sonne : quel dommage qu’il ait voulu nous taxer !

— C’est vrai, cria Baroncelli ; voici la trompette qui sonne, une trompette d’argent, par le seigneur ! La semaine prochaine, si vous l’aidez à se tirer de là, il en aura une d’or. Mais allez donc. Pourquoi restez-vous là, mes amis ? Ce n’est que cent cinquante mercenaires. À dire vrai, ce sont des diables à quatre, dans le combat, revêtus d’armure de fer des pieds à la tête ; mais qu’est-ce que cela fait ? S’ils coupent la gorge à quatre ou cinq cents pauvres diables, vous n’en finirez pas moins par les battre, et le tribun n’en sera que plus gai à son souper.

— Voici le second appel qui résonne, dit le boucher. Si ma vieille mère n’avait pas déjà perdu deux d’entre nous, Dieu me damne si je ne frapperais pas volontiers quelques bons coups pour notre brave tribun.

— En ce cas vous ferez bien de vous mettre un peu plus de vif-argent dans les veines, continua Baroncelli, ou vous vous trouverez en retard. Et ce serait grand dommage. Si vous en croyez le tribun, il est le seul homme qui puisse sauver Rome. Comment, vous, le plus beau peuple du monde, vous ne pouvez pas vous sauver vous-mêmes ? Vous dépendez d’un seul homme ! Vous êtes incapables de faire la loi aux Colonna et aux Orsini ! Mais qui donc a battu les barons à San Lorenzo ? N’était-ce pas vous ? Ah ! vous avez gagné les coups et le tribun la moneta ! Fi ! mes amis, laissez-le partir ; je vous garantis qu’il y en a bon nombre qui le valent bien et qu’on aura à meilleur marché. Et tenez ! Voilà la troisième fanfare ; il est trop tard maintenant ! »

Pendant que la trompette envoyait dans le lointain son appel long et mélancolique, c’était comme le dernier avertissement donné par le génie de Rome, avant de prendre son vol. Et quand le silence eut absorbé le son, un morne découragement envahit l’assemblée. On commença à regretter, à se repentir, à présent que le repentir et les regrets ne servaient plus à rien. Les bouffonneries de Baroncelli ne les firent plus rire et l’orateur eut la mortification de voir ses auditeurs se disperser dans toutes les directions, juste au moment où il allait leur apprendre les grandes choses qu’il pouvait lui-même faire en leur faveur.

Pendant ce temps, le tribun, traversant sain et sauf le dangereux quartier occupé par l’ennemi, qui, effrayé à son approche, se cacha dans sa forteresse, se rendit au château de San Angelo, où Nina l’avait déjà précédé, prête à l’accueillir par un sourire d’amour en le voyant sauvé, mais sans verser une larme sur ses revers.


CHAPITRE VII.

Les successeurs d’une révolution qui n’a pas réussi. À qui la faute ?
Est-ce à l’homme abandonné, ou à ceux qui l’abandonnent ?

Le soleil de l’hiver rayonnait gaiement dans les rues de Rome, pendant que l’armée des barons y défilait. En tête marchait le cardinal légat ; à sa droite était le vieux Colonna (Il n’avait plus le ton fier et le port majestueux, mais la tête courbée et le cœur brisé depuis la perte de ses enfants) ; tout près d’eux, on voyait par derrière le sourire poli de Luca Savelli et les sourcils noirs et menaçants de Rinaldo di Orsini. C’était un cortége nombreux mais barbare, composé principalement de mercenaires étrangers ; une procession qui ne ressemblait guère au retour de citoyens exilés ; c’était plutôt une marche d’ennemis envahisseurs.

« Monseigneur Colonna, disait le cardinal légat, un petit homme de mauvaise mine, Français de naissance, et animé des préjugés les plus cruels contre les Romains, qui dans une mission précédente l’avaient très-mal reçu, comme c’était leur habitude à l’égard des ecclésiastiques étrangers ; ce Pépin, que Montréal a envoyé d’après vos ordres, nous a rendu vraiment un grand service. »

Le vieux seigneur salua, mais ne fit aucune réponse : sa forte intelligence était brisée désormais et son œil vitreux annonçait une âme hébétée. Le cardinal murmura : « Il ne m’entend point, la douleur l’a fait tomber en enfance ! » alors regardant derrière lui, il fit signe à Luca Savelli d’approcher.

« Luca, dit le légat, il est heureux que la bannière noire du Hongrois ait retenu le Provençal à Aversa. S’il était entré à Rome, nous aurions pu trouver le successeur de Rienzi pire que le tribun lui-même. Montréal, ajouta-t-il avec une légère emphase et des lèvres pincées, est gentilhomme et Français. Mais ce Pépin, qui n’est que son lieutenant, nous en ferons ce que nous voudrons avec de l’argent ou des menaces.

— Assurément, répondit Savelli, ce n’est pas difficile ; car Montréal comptait sur une lutte plus obstinée, qu’il se promettait de terminer lui-même à son aise.

— À titre de podestat ou de prince de Rome ! rien que ça ! Nous autres Français nous avons un juste sentiment de notre mérite personnel ! Mais cette victoire soudaine le surprend aussi bien que nous, Luca, et nous arracherons la proie des mains de Pépin avant que Montréal puisse venir à son aide ! avant tout il faut que Rienzi meure. Il est encore, dit-on, barricadé à San Angelo. Les Orsini vont aller le prendre d’assaut avant la nuit. Aujourd’hui nous voilà maîtres du Capitole : nous annulons toutes les lois du rebelle, nous prononçons la dissolution de son ridicule parlement, et nous mettons tout le gouvernement entre les mains de trois sénateurs, Rinaldo Orsini, Colonna, et moi ; vous, monseigneur, vous ne serez pas oublié non plus.

— Oh ! je ne demande pas d’autre récompense que de rentrer dans mon palais, et une descente au quartier des joailliers aura bientôt relevé mes fortifications. Luca Savelli n’est point un homme ambitieux. Il ne demande qu’à vivre en paix. »

Le cardinal sourit amèrement, et se tourna dans la direction du Capitole.

On voyait rangés sur le devant les curieux ordinaires.

« Place ! Place, coquins ! crièrent les gardes, foulant aux pieds de part et d’autre la foule, qui, accoutumée à la discipline calme et courtoise des gardes de Rienzi, ne recula pas assez vite pour que bon nombre de badauds ne tombassent pas sous les coups meurtriers des piques des soldats et des sabots des chevaux. Notre ami Luigi le boucher fut des premiers, et l’ardeur mutine du sang romain qui bouillait déjà dans ses veines n’empêcha pas notre homme de recevoir dans sa vaste poitrine le bout émoussé de la pique d’un Allemand.

— Allons, Romains, dit le rude mercenaire dans son italien barbare, faites place à vos maîtres ; en bonne conscience voilà assez d’attroupements et de parades comme ça.

— Nos maîtres ! hurla le pauvre boucher ; un Romain n’a pas de maîtres, et si je n’avais pas perdu deux frères à San Lorenzo, j’aurais…

— Voilà un mâtin bien hargneux, dit un des suivants d’Orsini en succédant à l’Allemand qui venait de passer, ne parle-t-il pas de San Lorenzo !

— Oh ! dit un autre orsiniste, avançant le poitrail de son cheval, c’est une de mes vieilles connaissances : il était de la bande de Rienzi.

— Vraiment ! reprit le premier avec colère : alors nous ne saurions commencer trop tôt à faire quelque exemple salutaire ; et, piqué de l’air fanfaron et insolent qu’il voyait encore dans la mine du boucher, le cavalier orsiniste lui perça froidement le cœur d’un coup de pique et lui fit passer son cheval sur le corps.

— Honte ! Honte ! Au meurtre ! Au meurtre ! » s’écrièrent les gens du peuple, et ils commençaient à se presser, dans l’ardeur du moment, autour des gardes féroces.

Le légat entendit ces clameurs et vit ce mouvement impétueux ; il pâlit et dit en balbutiant de crainte : « Voilà ces gueux-là qui se révoltent encore.

— Non, gracieuse Éminence, non, dit Luca, mais c’est égal, il est toujours bon de leur inspirer une bienfaisante terreur ; ils sont tous sans armes ; attendez je vais donner l’ordre aux gardes de les disperser. Je n’ai qu’un mot à dire. »

Le cardinal y consentit ; le mot fut dit ; et en une minute la soldatesque, encore émue par le souvenir vindicatif de la défaite qu’avait infligée à sa valeur une multitude indisciplinée, dispersa la foule en la culbutant dans les rues sans scrupule ni pitié, foulant les uns aux pieds des chevaux, perçant les autres à coup de pique, remplissant les airs de cris et de hurlements, et couvrant le sol de presque autant d’hommes qu’il en aurait suffi, quelques jours auparavant, pour garder Rome et maintenir la constitution ! Ce fut au travers de cette scène de désolation et de tumulte et sur les corps des victimes, que le légat et sa suite poussèrent leurs chevaux, pour se rendre à la salle du Capitole et y recevoir le serment de fidélité des citoyens en même temps que pour proclamer le retour des oppresseurs.

Pendant qu’on mettait pied à terre au bas du grand escalier, un placard, écrit en grosses lettres, frappa les yeux du légat. Il était placé sur le piédestal du lion de basalte, à la place même occupée précédemment par la bulle d’excommunication.

Il n’y avait que ces mots :

TREMBLEZ ! RIENZI REVIENDRA !

« Comment ? Que signifie cette mauvaise plaisanterie ? criait le légat, déjà tremblant et regardant les nobles autour de lui.

— Si Votre Éminence me permet cette observation, dit un des conseillers qui du Capitole étaient venus au-devant du légat, nous l’avons vu là dès le point du jour : l’encre était encore toute fraîche, comme nous entrions dans la salle. Nous avons jugé que le meilleur parti à prendre était de laisser Votre Éminence décider de ce qu’il fallait faire.

— Ah ! Vous avez jugé !… Qui êtes-vous donc alors ?

— Un des membres du conseil, Éminence, et un rude adversaire du tribun, tout le monde le sait, quand il a voulu ce nouvel impôt.

— Le conseil… Qu’est-ce que c’est que ça ? Est-ce qu’il y a encore des conseils ? Comme si l’ordre n’était pas enfin rétabli. Les Orsini et les Colonna veilleront sur vous à l’avenir. Vous vous opposiez à la levée d’un impôt, dites-vous ? Eh bien, vous aviez raison quand c’était un tyran qui le proposait ; mais je vous avertis, l’ami, de prendre garde à l’opposition que vous seriez tenté de faire à la taxe que nous vous imposerons. Heureux si votre cité peut à tout prix racheter sa paix avec l’Église ! car Sa Sainteté est à court de florins. »

Le conseiller déconfit se retira.

« Arrachez cet insolent placard. Non, arrêtez ! Affichez par dessus la mise à prix de la tête de l’hérétique pour dix mille florins ! — dix mille ! Il me semble que c’est beau coup maintenant : nous changerons le chiffre. En attendant, Rinaldo Orsini, seigneur sénateur, faites marcher vos soldats sur San Angelo ; voyons si l’hérétique peut soutenir un siége.

— C’est inutile, n’en déplaise à Votre Éminence, dit le conseiller, se hâtant de revenir étaler son zèle officieux ; San Angelo s’est rendu. Le tribun, sa femme et un page se sont échappés, dit-on, la nuit dernière, sous un déguisement.

— Ah ! dit le vieux Colonna, dont la raison appesantie avait fini par deviner que quelque chose d’extraordinaire arrêtait la marche de ses amis : qu’y a-t-il ? Quel est ce placard ? Personne ne voudra-t-il m’en dire le sens ? La vieillesse m’a affaibli la vue. »

Comme il prononçait ces mots d’une voix aiguë et perçante que l’âge rendait chevrotante, il y en eut une autre qui lui répliqua d’un ton sonore et grave (personne ne reconnut d’où elle venait ; la foule s’était réduite à quelques traînards, surtout des moines en capuchon et en robes de serge, dont rien ne pouvait intimider la curiosité et que leur costume garantissait de toute injure, et aux soldats qui formaient l’arrière-garde) ; une voix, dis-je, qui fit pâlir bien des fronts superbes, répondit au Colonna en disant :

« Tremblez ! Rienzi reviendra ! »


  1. Textuel et passé en proverbe.
  2. La culpabilité des barons dans leur tentative d’assassinat de Rienzi, bien que Gibbon et les autres écrivains modernes glissent rapidement sur ce point, est clairement constatée par Muratori, par la chronique de Bologne, etc. — Ils ont même avoué le crime. (Note de l’auteur.)
  3. … Il brûla des maisons et des hommes, Il osa brûler une noble dame, une vieille veuve, dans une tour. Une telle cruauté irrita plus les Romains, etc… (Vie de Cola de Rienzi, liv. I, c. xx.)
  4. Cette nuit, m’est apparu saint Boniface, le pape… (Vie de Cola de Rienzi, liv. I, chap. xxxii.)
  5. Robe ou pelisse blanche portée par Rienzi ; dans un temps elle appartenait aux officiers sacerdotaux, mais dans la suite ce fut un emblème de l’empire.
  6. Mot d’ordre de Rienzi dans les batailles : Spirito Santo, cavaliere !
  7. Ils avaient emprunté leur devise à un ancêtre fabuleux qui, en temps de famine, avait partagé son pain avec un mendiant.
  8. Le lion était cependant l’animal que s’arrogeait ordinairement dans le blason la vanité des Savelli.
  9. Hélas ! si les Romains associaient cette comète à l’idée de la chute de Rienzi, le reste de l’Europe la rattachait à une calamité plus affreuse, à la grande peste qui survint peu de temps après. (Note de l’auteur.)