Rig Véda ou Livre des hymnes/Section 8/Lecture 6

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Traduction par Alexandre Langlois.
Bibliothèque Internationale Universelle (p. 582-590).

LECTURE SIXIÈME.
HYMNE I.
Aux Aswins, par Bhoutansa, fils de Casyapa.
(Mètre : Trichtoubh.)

1. Vous commencez votre travail ; vous étendez votre œuvre, comme le tisserand (étend) sa toile. Aussi (le poëte) vous chante, et vous invite à venir. Tels que deux (convives) amenés par le beau temps, vous embellissez notre festin.

2. Vous arrivez, tels que deux coursiers, pour vous charger de nos holocaustes, et vous vous attelez au char rapide de notre chantre. Vous êtes, au milieu des nations, semblables à deux messagers glorieux. Pareils à deux buffles (sauvages), ne vous éloignez pas de nos libations.

3. Unis ensemble comme les deux ailes de l’oiseau, comme un beau couple de bœufs, vous arrivez au sacrifice. Vous apparaissez tels que deux flambeaux allumés par le pieux Agni, tels que deux (soleils) qui parcourent (le monde).

4. Vous êtes pour nous toute une famille, deux pères (généreux), deux fils pleins de courage, deux rois brillants et victorieux. Tels que deux nuages[1] qui embellissent (le monde), tels que deux rayons qui le vivifient, tels que deux (coursiers) rapides, accourez à notre invocation.

5. Tels que deux superbes taureaux ; tels que deux amis bons et fortunés, généreux et magnifiques ; tels que deux coursiers redressant leur noble corps, ou tels que deux béliers[2] brillants des feux (du sacrifice), vous êtes dignes de nos offrandes et de nos holocaustes.

6. Pareils à ces conducteurs qui, avec leurs crocs, domptent la fierté (des éléphants), ou à ces guerriers qui frappent (leur ennemi) et partagent ses dépouilles, pareils à deux victorieux enfants des Nuages[3], enivrez-vous (de notre soma), et donnez l’immortalité à mon corps mortel.

7. (Héros) terribles et vigoureux, vous donnez la vie à nos membres faibles et mortels, qui traversent (les maux terrestres) comme l’eau (traverse les corps) ; tels que deux Ribhous habiles à détourner les fléaux, ou tels que le Vent rapide qui déchire (le nuage) et règne sur la richesse.

8. Semblables à deux foyers éclatants, ils recèlent en leur sein un miel (délicieux) ; ils portent avec eux la fortune. Ils ont des traits qui donnent le bonheur. Parfaits de corps et d’âme, ils s’avancent tels que des oiseaux à la taille majestueuse, ou tels que des (prêtres) vénérables.

9. Pareils à deux géants qui s’élèvent au-dessus de la surface des eaux, vous êtes comme les pieds qui nous servent à traverser le gué. Vous êtes aussi comme les oreilles, et conservez (la voix) de votre chantre ; vous êtes comme les membres, et jouissez de toutes nos œuvres.

10. Tels que l’abeille, vous formez un doux miel ; tels que des maîtres prévoyants, vous engraissez la vache à la mamelle traînante. Ainsi qu’à des ouvriers couverts de sueur, une (heureuse) nourriture vous est offerte ; ainsi qu’à des vaches fatiguées, une herbe abondante vous est préparée.

11. Nous voulons vous combler de louanges et d’offrandes. Venez sur le même char accueillir notre prière : (venez prendre) au milieu des Vaches (du sacrifice) l’holocauste et la libation qui sont votre nourriture. Que Bhoûtânsa remplisse le désir des Aswins.


HYMNE II.
Éloge de la libéralité[4], par Divya, fils d’Angiras..
(Mètres : Trichtoubh, et Djagatî.)

1. Le grand corps d’Indra vient d’apparaître. La vie sort des ténèbres. L’auguste Lumière, donnée par les Pères (du sacrifice), est arrivée. Une large voie est ouverte à la Libéralité.

2. Ils s’élèvent dans le ciel avec le soleil, les (hommes) généreux qui donnent des chevaux, de l’or, des étoffes. Ils sont admis au partage de ton ambroisie, ô Soma, et prolongent leur carrière.

3. La Libéralité, divine et secourable, est une partie du sacrifice. Elle n’est point connue des impies, qui sont avares. Mais les sacrificateurs généreux, dans la crainte du blâme, ont de nombreux présents à offrir.

4. Tandis que le feu de l’holocauste brille en l’honneur de Vâyou qui fait couler mille torrents, d’Agni qui donne la lumière, des (autres dieux) qui veillent sur les hommes, de nobles seigneurs, au milieu de la fête, distribuent le lait de la Libéralité, qui compte sept mères[5].

5. Le (mortel) pieusement libéral est le premier que l’on cite ; il marche à la tête des autres mortels. Je regarde comme roi parmi les hommes, celui que distingue la Libéralité.

6. Il est sage et prêtre ; il est chef du sacrifice, chantre et poëte ; il connaît les trois corps du brillant (Agni), celui que distingue la Libéralité.

7. La Libéralité est prodigue de chevaux, de vaches, de parures d’or, d’aliments. Le sage qui pratique la Libéralité se prépare à lui-même une armure.

8. (L’homme) libéral ne meurt point ; il ne connaît ni la pauvreté, ni la persécution, ni la maladie. La Libéralité lui donne et tout ce monde et le ciel.

9. (L’homme) libéral, certain de la victoire, obtient de féconds pâturages ; il obtient une épouse richement vêtue, d’abondantes provisions de boissons agréables, les dépouilles des (ennemis) qui viennent l’attaquer.

10. (L’homme) libéral devient le possesseur d’un coursier rapide, l’époux d’une vierge brillante ; sa demeure est belle comme un (lac) orné de lotus, magnifique comme un palais divin.

11. (L’homme) libéral est traîné par d’excellents chevaux. Il est porté sur le char rapide de la Libéralité. Ô Dieux, sauvez (l’homme) libéral. Qu’il soit dans les batailles vainqueur de ses ennemis.


HYMNE III.
Dialogue de Sarama et des Panis[6], Sarama et les Panis.
(Mètre : Trichtoubh.)

1. (Les Panis parlent.) Que vient faire Saramâ en ces lieux ? La route est pour elle longue et difficile ; sa tête est penchée. Que nous veux-tu ? Quel est le motif de ton voyage ? Pourquoi as-tu traversé les eaux de la Rasâ[7] ?

2. (Saramâ parle.) Je viens, ô Panis, envoyée par le grand Indra. Je désire vos trésors : par la seule crainte de sa présence rendez-nous les ondes. Voilà pourquoi j’ai traversé les eaux de la Rasâ.

3. (Les Panis parlent.) Ô Sarâma, quel est cet Indra ? Quelle est la messagère qu’il nous envoie ici de la région lointaine ? Qu’il vienne lui-même. Nous voulons être ses amis. Qu’il soit le pasteur de nos vaches.

4. (Saramâ parle.) Indra, je le sais, est invincible. Il triomphera (de tout), celui qui m’envoie ici de la région lointaine. Des torrents profonds ne sauraient l’arrêter. Ô Panis, Indra peut vous frapper et vous terrasser.

5. (Les Panis parlent.) Ô belle Saramâ, voici ces vaches que tu viens chercher aux extrémités du ciel. Qui pourrait te les céder sans combattre ? Nos armes sont déguisées.

6. (Saramâ parle.) Ô Panis, vos paroles ne sont pas des armées. Les corps de pécheurs, tels que vous, ne sont pas dignes de ses traits. Laissez le chemin libre. Vrihaspati ne peut approuver vos paroles ni vos actions[8].

7. (Les Panis parlent.) Ô Saramâ, ce trésor, qui est renfermé dans le nuage, contient des vaches, des chevaux, des richesses. Les Panis en sont les gardiens fidèles. (Vois) dans quel lieu opulent et fortuné tu es arrivée.

8. (Saramâ parle.) Viennent aussi en ces lieux les Richis excités par le soma, les invincibles Angiras, (surnommés) Navagwas[9]. Ils sauront forcer la caverne qui renferme les vaches, et les Panis désavoueront leur langage.

9. (Les Panis parlent.) Ô Saramâ, tu es venue contrainte par une force divine. Sois notre sœur. Reste parmi nous. Ô belle (Saramâ), nous partagerons nos vaches avec toi.

10. (Saramâ parle.) Je ne vous connais pas pour frères. Je suis la sœur d’Indra et des terribles Angiras. Ils m’aiment, et désirent vos vaches. Ô Panis, partez à travers les airs.

11. Éloignez-vous, ô Panis. Que les Vaches sortent dans les airs ; qu’avec Rita elles brisent (les portes de leur prison). Nous devons leur délivrance à Vrihaspati, à Soma, aux Mortiers, aux sages Richis.


HYMNE IV.
Union de Brahman et de Djouhou[10], par Djouhou.
(Mètre : Trichtoubh.)

1. Brahman languissait. Les (dieux) vigoureux, tels que ceux (qu’on appelle) Coûpâra[11] et Salila[12], Mâtariswan, (Agni) terrible par sa chaleur, le merveilleux (Soma), les Ondes divines, premiers nés de Rita, se récrièrent promptement.

2. Le royal et clément Soma aussitôt amena une épouse à Brahman. Varouna et Mitra l’accompagnaient ; Agni le sacrificateur la conduisait par la main.

3. Il la conduisait donc par la main, et tous ils dirent : « Voilà l’épouse de Brahman. » Elle ne fut point remise à un ambassadeur : elle se présenta elle-même. C’est ainsi que sans intermédiaire un roi s’empare de son trône.

4. En la voyant, les dieux et les sept antiques Richis qui siégent près du foyer embrasé, s’écrièrent ! « Voilà l’épouse de notre prêtre, terrible (pour les méchants !) Il possède sur son trône celle qu’il est difficile d’acquérir. »

5. Brahman, qui est Vrihaspati, s’agite et s’étend pour honorer les Dieux : il devient leur bouche. Il reçoit Djouhou que lui amène Soma, et que lui présentent les Dévas.

6. Oui, les Dévas la présentent, ainsi que les enfants de Manou, ainsi que les rois qui rendent hommage à l’épouse de Brahman.

7. En donnant une épouse à Brahman, les Dévas raniment sa faiblesse. Ils entretiennent les aliments du foyer, et révèrent (le dieu) dont la gloire n’a point de bornes.


HYMNE V.
Aux dieux Apris[13], par Djamadagni.
(Mètre : Trichtoubh.)

1. Ô Dieu possesseur de tous les biens, sous le nom de Samiddha, tu honores aujourd’hui les Dieux dans la maison de Manou. Amène ton char brillant d’un doux éclat ; tu es un sage messager, tu es un prophète prudent.

2. Ô toi (qu’on appelle) Tanoûnapât[14], de ta langue caressante touche le miel de l’offrande, et rends plus onctueuse la voie de Rita. Sois l’ornement de nos œuvres pieuses, et, au milieu des Dévas, embellis nos cérémonies.

3. Grand et vénérable Agni, ô toi que nous invoquons et qui es le maître de la richesse, toi que l’on surnomme Idya[15], tu es le sacrificateur des Dieux. Digne toi-même de notre hommage nous t’envoyons pour les honorer.

4. Au point du jour on arrache le Gazon qui, tourné vers l’orient, doit couvrir le sol de l’enceinte (sacrée). En l’honneur des dieux et d’Aditi, il est heureusement étendu en long et en large.

5. Telles que des épouses parées pour leurs époux, que les Portes divines s’ouvrent pour les Dieux dans toute leur largeur. Ô (Portes) grandes et magnifiques, laissez entrer (ces nobles hôtes).

6. Que la Nuit et l’Aurore, déesses adorables et célestes, grandes et brillantes, viennent heureusement s’asseoir à notre foyer, et se succèdent pour nous apporter leurs précieux trésors.

7. Que les deux sacrificateurs[16] divins, à la parole sainte, soient les premiers à diriger Manou dans ses pieuses pratiques ; qu’ils ordonnent le cours des cérémonies, et indiquent le point où doit se lever la lumière à l’Orient.

8. Que Bhâratî accoure à notre sacrifice avec Saraswatî, et Ilâ qui comme Manou préside (à nos prières). Que ces trois déesses, aux œuvres fortunées, se placent sur cet heureux gazon.

9. Ô sacrificateur éclairé et digne de nos hommages, nous allumons tes feux aujourd’hui : honore le divin Twachtri qui a formé tous les mondes, et le Ciel et la Terre, nos premiers parents.

10. Répands la libation ; dans le moment favorable jette l’holocauste sur la route des Dieux. Que Vanaspati le victimaire, que le divin Agni donnent à cet holocauste la douceur du savoureux ghrita.

11. Agni, qui vient de naître, est le maître du sacrifice et le guide des Dieux. Qu’à l’appel de ce sacrificateur, qu’à la voix de Rita, les Dieux consomment l’holocauste accompagné de la Swâhâ.


HYMNE VI.
À Indra, par Achtadanchtra, fils de Viroupa.
(Mètre : Trichtoubh.)

1. Ô sages, apportez la prière et les vœux des mortels. Nous voulons dans nos hymnes célébrer Indra. C’est un héros puissant qui aime la (voix) des chantres.

2. Gardien du séjour des ondes[17], il a brillé. Taureau puissant, il s’approche des Vaches (célestes). Il apparaît avec un grand bruit, et découvre l’immensité des airs.

3. Indra est sensible à la voix de son (chantre). Le (Dieu) vainqueur ouvre une route au soleil. De Ménâ[18], la Vache (céleste), il fait son épouse ; maître du ciel, éternel, inébranlable, il se montre invincible.

4. Le grand Indra, chanté par les Angiras, a percé le vaste lit de la mer (aérienne). Il a étendu les nuages, et, pour leur permettre de se développer, il a brisé leur prison.

5. Indra a formé le ciel et la terre ; il a créé tous les sacrifices ; il a donné la mort à Souchna. Avec le soleil il a déployé l’immensité du ciel, qu’il a consolidé d’une manière merveilleuse.

6. Vainqueur de Vritra, il a, d’un coup de son tonnerre, détruit la magie de l’impie qui s’élevait avec force. Ô terrible Maghavan, tu l’as tué de ton arme puissante. Tu as montré la vigueur de ton bras.

7. Au moment où l’Aurore apparaît avec le Soleil, les rayons d’Indra ont partout mis à découvert de splendides richesses. Les étoiles ont disparu du ciel, sans laisser aucune trace de leur passage.

8. Dans cette création d’Indra, les Ondes tiennent le premier rang. Elles ont au loin étendu leurs flots. Ô Ondes, où est votre commencement ? votre milieu ? votre profondeur ? votre fin ?

9. Envoie-nous ces Ondes qu’avait dévorées Ahi. Elles s’échappent avec rapidité. Une fois délivrées de leurs chaînes, elles ne s’arrêtent plus dans leur course.

10. Telles que des femmes qui vont (vers leur bien-aimé), elles courent vers la mer. Leur amant immortel, en brisant les villes (célestes), s’est rendu leur maître. Ô Indra, que tes trésors terrestres viennent dans notre maison pour prix de nos prières et de nos libations.


HYMNE VII.
À Indra, par Prabheda, fils de Varoupa.
(Mètre : Trichtoubh.)

1. Ô Indra, bois à ton gré de nos breuvages. C’est à toi qu’est due notre première libation. (Noble) héros, réjouis-toi et triomphe de tes ennemis. Nous voulons par nos hymnes célébrer tes prouesses.

2. Ô Indra, sur ton char plus rapide que la pensée accours pour boire notre soma. Que les coursiers féconds, qui font ton bonheur, t’amènent avec promptitude.

3. Embellis ton corps des formes les plus heureuses et de la splendeur du soleil. Ô Indra, nous sommes tes amis, et nous t’invoquons. Viens t’asseoir (à notre foyer) et faire notre joie.

4. Ta grandeur, dans les transports de ton ivresse, ne se trouve bornée ni par le ciel ni par la terre. Ô Indra, attelle tes coursiers et arrive dans cette demeure où t’attendent nos offrandes.

5. Ô Puissant Indra, ce soma, que tu désires toujours, et pour lequel tu déchires tes ennemis avec une (arme) terrible et retentissante, se présente à toi pour soutenir ta sagesse et ta force ; il est versé pour satisfaire à ta soif.

6. Ô Indra, ô Satacratou, cette coupe a été remplie pour toi : bois ce soma. Ce vase est plein d’un doux miel qui fait le bonheur de tous les dieux.

7. Ô vigoureux Indra, en tous lieux les nations t’invoquent en te présentant leurs offrandes. Que nos sacrifices te soient particulièrement doux et agréables.

8. Ô Indra, je veux avant tout chanter tes antiques prouesses. Irrité de voir les Ondes prisonnières, tu as frappé le nuage, et tu as disposé heureusement la Vache (céleste) en faveur du sacrificateur.

9. Ô Maître des chantres sacrés, place-toi au milieu d’eux, toi qu’ils appellent le plus sage des prophètes. Au loin, (ni de près), rien ne se fait sans toi. Ô Maghavan, aime nos grandes et belles louanges.

10. Ô Maghavan, maître de l’opulence, écoute la voix de tes amis qui te prient en te louant. Ô juste et vaillant guerrier, combats (pour nous), et fais part de tes riches dépouilles à notre pauvreté.


HYMNE VIII.
À Indra, par Sataprabhédana, fils de Viroupa.
(Mètres : Trichtoubh et Djagatî.)

1. Le Ciel et la Terre, qui marchent d’accord, sont soumis avec tous les Dieux à la domination d’Indra. Il boit le soma, et sa grandeur s’accroît, sa puissance se fortifie.

2. Vichnou[19] célèbre sa grandeur, et produit pour lui la plante du soma. Le magnifique Indra vient avec tous les dieux attaquer Vritra, et se distingue par sa valeur.

3. Quand, mesurant ses armes avec Vritra et avec Ahi, il soutient le combat, nos louanges lui sont acquises. Ô terrible Indra, tous les Marouts, rassemblés autour de toi, ont augmenté ta force.

4. À peine né, ce héros a frappé ses ennemis ; ses yeux se sont ouverts pour le combat et la gloire. Il fend la montagne (céleste), délivre les ondes, et affermit le ciel, heureux de ses exploits.

5. Indra se montre bientôt le maître souverain ; il terrasse au loin ses ennemis au ciel et sur la terre. Terrible en sa colère, il lance sa foudre de fer, pour protéger Mitra, Varouna et son dévot serviteur.

6. En voyant la colère de cet Indra renommé pour sa force, et redoutable par ses menaces, les Ondes se sont précipitées avec violence ; et le (Dieu) puissant a percé Vritra, qui les retenait au sein de ses ténèbres.

7. Les deux combattants se rencontrèrent, déployant toute la vigueur naturelle à deux nobles héros. (Vritra) est frappé, et les ténèbres tombent avec lui. Au premier appel, Indra prouve qu’il est le maître suprême.

8. Avec l’invocation et le soma, tous les Dévas ranimaient tes forces. Vritra et Ahi succombent sous les coups d’Indra, et disparaissent comme l’holocauste sous les dents dévorantes d’Agni.

9. Par vos prières et vos œuvres pieuses, par vos hymnes reconnaissants, célébrez l’amitié d’Indra, qui terrasse Dhouni et Tchoumouri, et exauce les vœux de Dabhîti[20].

10. Apporte-nous des présents nombreux ; (donne-nous) de superbes chevaux. Que pour tes bienfaits je puisse chanter tes louanges. Que par des routes faciles nous traversions tous les maux (de la vie). Montre-nous aujourd’hui le gué par où nous puissions passer.


HYMNE IX.
À divers dieux, par Sadhris, fils de Viroupa, ou Gharma, fils de Tapas.
(Mètres : Trichtoubh et Djagatî.)

1. Le couple de ces (Dieux) brillants[21] qui éclairent l’horizon s’est étendu dans les trois (mondes). Mâtariswan est venu les flatter tous les deux. Soutiens (des hommes), les Dévas ont recherché le lait céleste, et ont fait entendre la voix harmonieuse de l’hymne[22].

2. Sur le foyer de terre siégent trois (feux) qui président à l’holocauste. Les sages éclairés par la science les distinguent, et connaissent le trésor qu’ils y déposent dans la solennité de leurs œuvres mystérieuses.

3. Toujours beau et jeune, (l’Autel)[23] présente ses quatre côtés ; il se couvre d’holocaustes et s’humecte de ghrita. Sur cet Autel, où les Dieux reçoivent la part qui leur est due, se dressent deux (divinités)[24] au (cœur) généreux, à l’aile rapide.

4. L’un de (ces dieux)[25] à l’aile rapide s’élève dans l’océan (de l’air), et de là regarde le monde entier. Occupé de l’holocauste et de la prière, je l’ai vu de près. (Vache du sacrifice), lèche ton enfant. (Veau d’une telle vache), lèche ta mère.

5. L’autre (dieu) également ailé[26] est formé par la voix des sages poëtes, et apparaît sous des (noms) différents. Ceux qui dans les sacrifices préparent les mètres (sacrés), remplissent (en son honneur) douze coupes de soma[27].

6. Outre ces douze coupes, les auteurs des mètres (sacrés) en remplissent encore six, et trente, et quatre. Ainsi avec la prière les poëtes forment le Sacrifice, et donnent pour roues à son char l’hymne et le chant[28].

7. En l’honneur de ce grand (dieu) quatorze[29] autres (coupes sont encore remplies). Sept sages le dirigent avec leurs voix. Qui dira par quelle route on amène les (Dieux) à ce tîrtha (appelé) Apnan[30], où se boit le soma ?

8. On compte les hymnes par cinquante mille. Le nombre en est si grand que le ciel et la terre sont étendus. (Que dis-je ?) en l’honneur du grand (Dieu) ils existent par milliers de mille. La (sainte) prière se multiplie de même que le sacrifice.

9. Quel sage connaît toute la suite des mètres ? qui a parcouru tout le champ de la prière ? Parmi nos prêtres est-il un huitième Richi ? Qui possède les deux coursiers d’Indra[31] ?

10. Cependant (les chevaux du soleil) sont arrivés aux confins de la terre, et le char auquel ils sont attelés s’est arrêté. (Les Dévas) leur ouvrent la demeure du repos, pendant qu’Yama règne dans le palais (céleste).


HYMNE X.
À Agni, par Oupastouta, fils de Vrichtihavya.
(Mètres : Trichtoubh, Djagatî et Sakwarî.)

1. La tâche du jeune nourrisson est admirable ; mais ses deux mères ne sauraient le soutenir[32]. Celle qui l’a enfanté n’a point de mamelle ; et cependant (il grandit), il est bientôt assez fort pour remplir sa grande mission de messager.

2. Le généreux Agni, empressé d’agir, est animé par le sacrifice. De sa dent brillante il brise le bois (du bûcher). Entouré des Rites pieux, (il est nourri) par le jus de la cuiller (sacrée), et (repose) en maître (sur le foyer), comme un taureau superbe sur le gazon.

3. (Célébrez) ce dieu placé (sur son bûcher) comme l’oiseau sur (les branches) d’un arbre, nageant avec bruit au milieu d’une mer de libations ; dans sa bouche il semble porter l’holocauste. Renommé pour la grandeur de ses œuvres, il éclaire toutes les voies de son superbe éclat.

4. (Dieu) immortel et rapide, quand tu veux brûler, les Vents invincibles sont autour de toi. Tels que des combattants aux clameurs bruyantes, ils assistent le puissant Trita pour le sacrifice.

5. Agni est l’ami et le chef des Canwas[33] ; il est le vainqueur de tout ennemi, qu’il reste éloigné ou qu’il ose s’approcher. Qu’Agni protége ces chantres et ces pères de famille ; qu’Agni nous accorde son secours.

6. Ô toi qu’honorent les Pères (du sacrifice), je m’adresse à un (dieu) qui est fort et triomphant, qui possède tous les biens. (Tel qu’un homme perdu) dans le désert, (je présente) mon holocauste à un maître magnifique et bon, qui peut me sauver.

7. C’est ainsi qu’Agni, généreux enfant de la Force, est célébré par les mortels, prêtres ou pères de famille. Devenus pour lui comme des amis, tels que des soleils brillants, ces dévots serviteurs possèdent une puissance victorieuse.

8. Ô fils de l’Offrande, tu es fort. La voix d’Oupastouta te salue, et féconde la libation. Nous te louons. Puissions-nous par toi conserver notre vigueur, et prolonger notre vie !

9. Ô Agni, les Oupastoutes, enfants de Vrichtihavya ont invoqué ton nom. Conserve ces chantres et ces pères de famille. En criant Vachat ! ils se sont levés ; oui, ils se sont levés pour t’adorer.


HYMNE XI.
À Indra, par Agniyouta, fils de Sthoula.
(Mètre : Trichtoubh.)

1. Ô puissant Indra, bois ce soma pour augmenter ta force. Bois pour résister à Vritra. Invoqué par nous, bois pour conquérir la richesse et la puissance. Bois, et verse (dans ta poitrine) cet agréable breuvage.

2. Ô Indra, bois de cet heureux soma que nous te présentons, et que nous versons pour toi. Viens à notre prière ; réjouis-toi, et donne-nous le bonheur et la richesse.

3. Ô Indra, que ce céleste soma t’enivre ; qu’il t’enivre, versé dans (des coupes) de terre[34]. Qu’elle t’enivre, (cette liqueur) qui t’a fait déchirer (le nuage) chargé de biens. Qu’elle t’enivre, (cette liqueur) qui te fait terrasser tes ennemis.

4. Que le généreux Indra, qui appartient à deux (mondes)[35], vienne près de nous ; que ses deux coursiers l’amènent à nos offrandes. Ô vainqueur de terribles ennemis, bois de ce doux (breuvage) que nous t’apportons, et qui a été purifié sur la (peau de) vache.

5. Déploie tes armes acérées. Brise la force des mauvais génies. Je veux doubler ta redoutable énergie. Attaque tes ennemis, et frappe-les au milieu de leurs clameurs dissonantes.

6. Ô Indra, partage-nous les dépouilles fécondes de l’ennemi. Telle qu’un arc solide, que ta puissance (terrasse) tes adversaires. Viens, grandis, donne à ton corps une vigueur indomptable.

7. Ô brillant Maghavan, c’est à toi que cet holocauste est présenté : reçois-le avec bonté. Pour toi, ô magnifique Indra, ces mets et ces libations. Mange et bois de nos offrandes.

8. Mange, ô Indra, ces holocaustes que nous t’apportons. Prends ces aliments, ces mets, ce soma. (Les mains) chargées d’offrandes, nous voulons te plaire. Que les vœux du sacrificateur soient exaucés.

9. Comme on lance un vaisseau à la mer, je lance ma prière et mon hymne au sein d’Indra et d’Agni. Tels que des prêtres empressés à plaire (aux Dieux), que les Dieux nous comblent de biens, et répandent sur nous leurs largesses !


HYMNE XII.
Éloge de la bienfaisance, par Bhikchou, fils d’Angiras.
(Mètres : Djagatî et Trichtoubh.)

1. Les Dieux ne nous ont point condamnés à la faim, ni à la mort ; car les humains ont une ressource dans (la maison) du riche. L’opulence de l’homme bienfaisant ne périra point. Le méchant ne trouve point d’ami.

2. Quand le riche se fait une âme dure pour le pauvre qui demande à manger, pour l’indigent qui l’aborde, quand il garde tout pour lui, il ne trouve point d’ami.

3. L’homme bienfaisant, bon pour le malheureux qui a faim et qui vient dans sa maison, trouve de l’honneur dans le sacrifice et des amis parmi les autres.

4. Ce n’est point un ami que celui qui refuse à manger à un ami, son commensal. Qu’on s’éloigne de cette maison étrangère ; qu’on cherche un autre maître plus obligeant.

5. Que le riche soulage celui qui a besoin, et qui trouve la route trop longue. La fortune tourne comme les roues d’un char, et visite tantôt l’un et tantôt l’autre.

6. Je le dis en vérité : le mauvais (riche) possède une abondance stérile : cette abondance est sa mort. Il ne sait honorer ni Aryaman ni Mitra. C’est un pécheur invétéré, qui mange tout (son bien).

7. Mais le soc de la charrue, ouvrant sa voie féconde à travers les guérets, augmente l’aisance du (bon) riche. Le prêtre instruit est plus respectable que le (prêtre) ignorant. Le bienfaiteur généreux doit l’emporter sur (l’avare) égoïste.

8. Celui qui n’a qu’un pied va plus lentement que celui qui en a deux. Celui qui a deux pieds court moins vite que celui qui en a trois. Celui qui a quatre pieds dépasse promptement les autres en marchant sur leurs traces.

9. Les deux mains se ressemblent, et ne font pas la même œuvre. Deux vaches, qui ont été mères en même temps, ne donnent pas le même lait. Deux frères jumeaux ne possèdent pas la même force. Deux hommes, quoique du même sang, ne sont pas également généreux.


HYMNE XIII.
À Indra, par Agniyouta, fils de Sthoula.
(Mètre : Trichtoubh.)

1. Ô Agni, (Dieu) aux œuvres pures, tu brilles parmi les mortels sur ton foyer, et tu donnes la mort au méchant.

2. Invoqué par nous, tu te lèves devant le jus de la cuiller (sacrée), qui fait ta force et ta joie.

3. Agni brille, appelé par nous, et chanté par nos hymnes. Sa tête est arrosée par la cuiller (sainte).

4. La face d’Agni est couverte du miel de la libation. À notre voix, il fait éclater ses trésors.

5. Ô toi qui portes l’holocauste, tu es chanté et allumé par les Dévas. C’est toi que les mortels invoquent.

6. Ô mortels, honorez avec le beurre (sacré) l’immortel Agni, le maître indomptable de la maison.

7. Ô Agni, brûle le Rakchasa de ton invincible rayon. Brille, gardien du Sacrifice.

8. Ô Agni, que ta bouche dévore les malfaisantes Rakchasîs. Resplendis au milieu des Ouroukchayas.

9. Les enfants d’Ouroukchaya t’ont chanté, ô (Dieu) digne de tous nos hommages. Ils ont, au milieu des enfants de Manou, allumé les feux de celui qui porte l’holocauste.


HYMNE XIV.
À Indra. — Richi : Indra.
(Mètre : Gâyatrî.)

1. (Indra parle.) Oui, telle est ma pensée : je veux donner les vaches et les chevaux. Je suis enivré de soma.

2. De même que les vents remuent (les arbres), ainsi ces breuvages m’agitent. Je suis enivré de soma.

3. Ces breuvages m’agitent, de même que des chevaux rapides (emportent) un char. Je suis enivré de soma.

4. La Prière est venue à moi, comme la vache vers son nourrisson. Je suis enivré de soma.

5. De même que le charron façonne son char, de même je réalise le vœu de la Prière. Je suis enivré de soma.

6. Les cinq espèces d’êtres ne m’ont-ils pas donné de (nouveaux) yeux, de (nouveaux) pieds ? Je suis enivré de soma.

7. Le Ciel et la Terre ne m’ont-ils pas ajouté une aile de plus ? Je suis enivré de soma.

8. Je suis plus grand que le ciel, que cette terre (que l’on dit) grande. Je suis enivré de soma.

9. Allons ! je veux serrer la Prithivî[36] (céleste) des deux côtés. Je suis enivré de soma.

10. Oui, je veux brûler Prithivî, je veux la frapper des deux côtés. Je suis enivré de soma.

11. Une de mes ailes touche au ciel ; l’autre traîne en bas. Je suis enivré de soma.

12. Je suis entouré de splendeur ; je m’élève au-dessus de l’air. Je suis enivré de soma.

13. Orné (par le sacrifice), je viens prendre l’holocauste que je porte aux Dieux. Je suis enivré de soma.

  1. J’ai rendu par nuages le mot iryâ, que le commentateur traduit par annavantô.
  2. Voy. la traduction du Sâma-Véda, par Stevenson. Préface, pages 4 et 5.
  3. Oudanyadja : j’ai pensé que l’auteur désignait ainsi les Vents.
  4. Dakchîna : c’est proprement les présents faits aux prêtres dans les solennités religieuses.
  5. Les sept mères de la pieuse Libéralité doivent être sept espèces de sacrifices, à l’occasion desquels cette libéralité s’exerce.
  6. On se rappelle que Saramâ est la Prière, représentée sous la forme d’une chienne. Voy. page 44, col. 1, note 7. Les Panis sont les Asouras chargés de la garde des vaches célestes.
  7. Je pense que c’est ici la rivière de la libation.
  8. Oubhayâ : le commentaire entend ce mot en le rapportant aux deux dernières paroles des Panis.
  9. Voy. page 80, col. 1, note 6.
  10. Agni, en sa qualité de Brahman ou prêtre, épouse Djouhou, qui est la coupe du Sacrifice.
  11. Nom du Soleil.
  12. Nom de Varouna, dieu des eaux (ap dévatâ).
  13. Il est plusieurs hymnes adressés à cette espèce de dieux. Voy. page 47 et 134.
  14. Voy. page 135, col. 1, note 1.
  15. Synonyme du mot îlita, employé page 48, col. 1 et page 135. col. 1.
  16. Comme nous l’avons déjà dit, ces deux sacrificateurs, dont le caractère était pour nous incertain (page 135, col. 1, note 9) sont Agni et Aditya.
  17. Le texte porte le mot rita, auquel le commentaire donne le sens de eau.
  18. Voy. page 119, col. 2, note 1.
  19. Le commentaire suppose que Vichnou signifie ici le Sacrifice.
  20. Voir page 111, col. 1 ; page 173, col. 1 et alibi.
  21. Il est question d’Agni et d’Aditya.
  22. Arca : le commentaire regarde ce mot comme synonyme de Soûrya (soleil), et les Dévas sont pour lui les rayons enflammés de l’astre.
  23. Le mot Vedi est sous-entendu dans le texte.
  24. Le commentateur croit que ces deux personnages, que je suppose être Agni et Aditya, sont l’époux et l’épouse qui offrent le sacrifice, ou bien le prêtre et le père de famille.
  25. Quelles que soient les explications embarrassées du commentaire, ce dieu me semble être Agni, dont la flamme s’élève du foyer et illumine l’air. Dans ses mouvements ondoyants, cette flamme lèche la terre du foyer, qui est sa mère, et qui paraît à son tour lui rendre cette caresse.
  26. Cet autre dieu est Aditya ou le Soleil, qui est formé par le sacrifice ; on compte ordinairement douze Adityas, représentant les douze mois.
  27. Les sages composent des invocations poétiques qui sont prononcées, en même temps que l’on fait la libation, en l’honneur des diverses divinités, dont même elles portent le nom. Le commentaire entre à ce sujet dans quelques explications qui m’ont paru un peu confuses. Le soleil amène des divisions de l’année en douze mois, en trente jours, en quatre saisons : par son lever et son coucher il trace une ligne droite ; par son midi il indique la place d’une autre ligne, qui doit couper la première à angles droits, et les extrémités de ces deux lignes forment les quatre disas. À l’occasion de ces diverses divisions du temps et du ciel il y a des sacrifices, et nécessairement des prières et des libations.
  28. Le Rig et le Sâman.
  29. Ces quatorze coupes me semblent représenter un pakcha composé de deux semaines. L’attribution du nombre sept aux Richis du sacrifice paraîtrait devoir être une conséquence de l’existence de la semaine dans ces temps antiques. La semaine est la moitié d’un pakcha.
  30. Le commentaire traduit ce mot par vyâpanasîla. J’ignore s’il faut considérer ce mot comme un nom propre. L’œuvre du sacrifice s’appelle apnan ; il est une famille de prêtres appelés Apnavânas.
  31. Le commentateur insinue que les deux coursiers d’Indra sont le Rig et le Sâman (la poésie et le chant).
  32. Les deux mères d’Agni sont ici les deux pièces de l’Aranî.
  33. C’est à-dire des chantres en général.
  34. Le commentaire entend : Versé parmi les hommes.
  35. Dwibarhas. Le commentaire comprend qu’Indra doit sa grandeur à deux choses, à l’hymne et À la libation.
  36. J’ai pensé que Prithivî devait ici s’entendre du nuage.