Rimes de joie/18

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Rimes de joieGay et Doucé, éditeurs (p. 103-106).

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Cyprien Tibaille


… Il souhaitait de faire du navrement un repoussoir aux joies. Il aurait voulu étreindre une femme accoutrée en saltimbanque riche, l’hiver, par un ciel gris et jaune, un ciel qui va laisser tomber sa neige, dans une chambre tendue d’étoffes du Japon, pendant qu’un famélique quelconque viderait un orgue de barbarie des valses attristantes dont son ventre est plein.
Les Sœurs Vatard. — J. K. Huysmans.




D ans l’accoutrement d’une gouge,
Orgueil des spectacles forains,
Tu faisais ondoyer tes reins
Et ta gorge ronde qui bouge.


Un trait de bistre allait tachant
Tes yeux d’une sombreur étrange,
Et sur ton front la poudre orange
Étalait un soleil couchant.


Ô nonpareille saltimbanque,
Ayant de l’or aux brodequins
Et, sur le chignon, des sequins,
À faire sauter une banque.


Dans la ravine de tes seins,
Pour mettre mes sens en défaite,
Du Kananga toujours en fête
Tapageaient les souffles malsains.


— C’est ainsi que mes spleens d’artiste
Et ma bizarre passion
Souhaitent ta possession,
Par un ciel d’hiver, doux et triste,


Un ciel d’ocre, barré de gris,
D’où va choir la neige têtue
La chambrette serait vêtue,
Depuis la cymaise au lambris,


D’étoffes de Chine élégantes
Et de panneaux où le Japon
Broche la trame du crépon
De floraisons extravagantes.


Au long de fleuves inconnus,
Des chimères, des hippogriffes
Nous fixeraient, levant leurs griffes
Sur des horizons biscornus.


Mais, dans la discrète pénombre,
Une lune qu’Yeddo polit
S’arrondirait au ciel de lit,
Témoin de nos baisers sans nombre.


.............


Cependant, plus haut que nos râles,
Que nos soupirs et que les cris
De nos deux cœurs endoloris,
Un air aux notes sépulcrales


Sous les fenêtres a gémi.
C’est une musique navrante
Tantôt vive, tantôt mourante :
Orgue atroce — et pourtant ami !


Tu grondes, tu pleures, tu railles
Ton chant, lamentable joujou,
Fait frémir le maigre acajou
Où tintamarrent tes entrailles.


À moi le rire et le hoquet
Et les sanglots et les voix âcres
De ces grands airs que tu massacres,
Automatique perroquet !


Viens éteindre aux clameurs ravies
De ton gosier toujours dispos
Les cris de mes nerfs sans repos
Et de mes faims inassouvies !


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