Rocambole (théâtre)/3
ACTE TROISIÈME
Scène PREMIÈRE
J’ai fait ce que vous m’avez demandé : on vous a annoncé à mademoiselle Carmen : mais, je vous le répète, il y a réunion ce soir à l’hôtel Sallendrera, et mademoiselle Carmen ne vous recevra pas.
Je vous rerépète que mademoiselle aura le plus grand plaisir à me voir et surtout à m’entendre.
Vous ?
Moi !… Je n’ai pas de chance d’ordinaire, à preuve que mon mariage a manqué ; pourtant un des garçons frotteurs de l’hôtel est tombé malade heureusement, pas pour lui, mais pour moi qu’il a envoyé à sa place… En frottant l’atelier de peinture de mademoiselle, j’ai retrouvé une figure de ma connaissance intime.
Ici ! une connaissance intime à vous ?
Très-intime, vu que cette figure était la mienne.
La vôtre
Au naturel. J’avais, dans le temps, posé pour la tête d’un Indou. M. Armand m’avait trouvé quelque chose d’Inde et m’avait pris pour modèle… Pendant que je me regardais, mademoiselle est entrée ; elle a été frappée de la ressemblance, elle a eu la politesse de me le dire, et je lui ai raconté comme quoi je me trouvais là en marabout. Quand elle a su que je connaissais M. Armand, qui avait été son professeur, elle s’est intéressée à moi tout de suite, et je suis sûr qu’elle me recevra très-bien. Tenez, voilà quelqu’un qui arrive… Gageons que c’est elle…
C’est, ma foi, vrai !
Scène II
Je suis bien aise de vous voir, mon ami.
Qu’est ce que je vous disais ?
Laissez-nous, Tonio.
Oui, laissez-nous, mon garçon.
Qu’est-ce que mademoiselle peut donc avoir à dire à un frotteur ?
Allez, mon garçon !… si on a besoin de vous, on vous appellera… Allez ! (Le valet sort.)
M’apportez-vous des nouvelles ?
Oui, mademoiselle.
Enfin !…
Depuis bientôt deux mois que M. Armand avait, un soir, quitté la petite maison de Belleville, on n’avait plus entendu parler de lui… Ça nous inquiétait tous, même que mademoiselle Tulipe, la propriétaire, commençait à craindre pour son terme. Hier, un monsieur inconnu s’est présenté de la part de M. Armand, a enlevé ses tableaux, après avoir payé le loyer bien entendu, et la seule chose qu’il nous a dit, c’est que M. Armand avait quitté Paris et qu’il n’y reviendrait plus.
Parti sans me revoir, sans me dire un mot d’adieu !
J’ai pensé que ça pouvait intéresser mademoiselle, puisqu’elle aussi s’inquiétait de M. Armand.
Je vous remercie… Je veux récompenser votre zèle.
Oh ! mademoiselle, ce n’est pas pour de l’argent que j’ai fait cette petite course-là. De Belleville au faubourg Saint-Germain, il n’y a qu’une enjambée… un peu large, et votre remerciement me paye bien de ma peine… Pourtant, mademoiselle est si bonne, que je vais me risquer à lui demander quelque chose, par pour moi, mais pour deux autres personnes… J’ai dit à mademoiselle que j’avais dû épouser mademoiselle Cerise, la nièce de madame Fippart, et qui logeait, avec sa tante, dans la maison de M. Armand. Deux bonnes créatures allez, mademoiselle ! figurez-vous qu’à force de piquer des points, elles avaient économisé une petite somme qu’a servi à payer les dettes d’un fils à madame Fippart, un mauvais sujet parti pour l’Amérique, Dieu merci ! La digne femme a tout payé, ce qui fait qu’il ne lui est plus rien resté. Là-dessus, mademoiselle Cerise est tombée malade et la mère Fippart a passé les jours et les nuits à la soigner… Alors, plus de travail, et, chez le pauvre monde, plus de travail, plus d’argent.
Je viendrai en aide à ces infortunées. Tenez, prenez tout de suite pour elles ces quelques pièces d’or.
Faites excuse, mademoiselle ; ça n’est pas l’aumône que je demande pour elles ; d’abord elles ne l’accepteraient pas… C’est du travail qu’il leur faut à présent : elles sont lingères et adroites comme des fées… J’ai su par monsieur votre concierge, qui m’a reçu très-poliment dans son salon, qu’il y aurait peut-être ici de l’ouvrage a leur donner, et c’est de l’ouvrage que je vous demande pour elles…
Oh ! certes, elles en trouveront, aujourd’hui, tout à l’heure, il ne faut pas faire attendre celles qui souffrent… Vous m’amenerez cette bonne dame ce soir même… Elle acceptera bien une avance ?
Sur son travail ? Oh ! oui, ça, c’est différent.
Vous m’avez dit que votre protégée se nommait ?…
Madame Fippart….
Une personne qui dira s’appeler madame Fippart se présentera ce soir à l’hôtel et demandera à me parler ; vous l’introduirez immédiatement et vous viendrez me prévenir de son arrivée.
Oui, mademoiselle… M. le duc fait demander à mademoiselle si elle peut le recevoir ?
Mon père ? Mais sans doute…
Ah ! mademoiselle, être riche et charitable, il me semble que c’est être un peu le bon Dieu sur la terre. J’amènerai ce soir madame Fippart. Adieu ! merci ! (Il salue et sort.)
Scène III
M’étais je donc trompée ? Armand ne m’aimait-il pas ?
Bonsoir, mon enfant !… Je ne te dérange pas ?
Oh ! mon père !
Carmen, je viens causer avec toi et causer sérieusement, de M. le comte de Chamery, notre cousin ; je t’ai dit déjà quel intérêt je prenais à ce jeune homme. Je lui ai ouvert ma maison, je l’ai admis dans notre intimité, et je désire qu’il soit encore plus de notre famille.
Je ne vous comprends pas, mon père.
Le comte de Chamery est celui que je voulais retrouver avant de mourir ; pour réparer une erreur fatale, pour réaliser une promesse solennelle faite à un mourant… Je ne puis ni ne dois, Carmen, t’en dire davantage ; sache seulement que ton père a compté sur toi pour accomplir un devoir sacré, et qu’il est certain de ton obéissance.
Que faut-il donc faire, mon père ?
Il faut, chère enfant, consentir à être comtesse de Chamery.
Épouser le comte ? Mais je ne l’aime point, mon père !
Écoute-moi bien, mon enfant. S’il s’agissait de me sauver la vie en contractant cette union, hésiterais-tu ?
Oh ! vous savez bien que, pour vous, je donnerais tout mon sang.
Eh bien, ma chère fille, c’est plus que ma vie que tu vas racheter, c’est mon honneur de gentilhomme : j’ai donné ma parole, et celui qui l’a reçue ne peut plus m’en dégager. Entre nous, à présent, il y a le marbre d’une tombe.
Oh ! mon père, mon père, vous me demandez mon malheur !
Ton malheur ! pourquoi ? Ton cœur est libre. Le comte est jeune, riche, noble ! il t’aime et tu l’aimeras aussi, quand tu le connaîtras davantage.
L’aimer, moi !
Scène IV
M. le comte de Chamery sollicite l’honneur d’être reçu par M. le duc.
Lui, déjà !…
Il vient chercher la réponse. (Au valet.) Faites entrer. (À Carmen.) Rappelle-toi, Carmen, que c’est ton fiancé qui va venir…
Je me le rappellerai, mon père.
Bien, mon enfant !
Ah ! Armand ! Armand !
Monsieur le duc, mademoiselle, pardonnez-moi, de n’avoir pas su résister à mon impatience…
Mon cousin, la réponse que vous attendiez de moi est celle que mon père vous à sans doute fait déjà pressentir…
Mon cher comte, nous signerons ce soir votre contrat…
Oh ! mademoiselle, comment vous exprimer… ?
Mon père seul a droit à vos remercîments, monsieur… il ordonne et j’obéis…
Monsieur le duc, Monsieur Chalmin.
Mon notaire… vous l’avez fait entrer dans mon cabinet ? C’est bien… Mon cher comte, permet lez-moi d’arrêter sans vous les principales clauses de ce contrat.
Vous attendez du monde, mon père, je dois songer à ma toilette…
C’est juste, et je vais te conduire jusqu’à ton appartement… À tout à l’heure… mon ami… mon fils !
Señora, ne me permettrez-vous pas.. ?
À tout à l’heure, monsieur…
Scène V
Elle est froide, la petite ! Bah ! J’animerai cette jolie statue-là : si elle reste de marbre, elle aura du moins un piédestal d’or… d’or massif ; je sais maintenant ce que c’est que la fortune des Sallendrera… Avec mes cinq millions, je ne suis qu’un mendiant à côté de ce nabab espagnol. Ah ! si ce pauvre Andréa était encore de ce monde, il verrait que l’affaire est encore plus belle qu’il ne la supposait, et, après l’expédition de Bougival, tout a été comme sur des roulettes. Je me suis présenté à Marseille à l’hôtel des Ambassadeurs, j’ai trouvé là le major Gordon, chargé par le feu comte de Chamery de chercher son légitime héritier… J’ai remis le fameux portrait ; aussitôt, le major m’a délivré une attestation qui, jointe aux autres pièces prises par moi chez sir William, ne devait plus laisser aucun doute sur mon identité… Je suis entré en possession de mon héritage, et le duc de Sallendrera me donne ce soir sa fille !.. Sa fille ! à moi ! Joseph Fippart, dit Rocambole, et je n’ai à compter ni à partager avec personne. Tous mes complices ont disparu… Fanny seule m’inquiétait d’abord ; mais elle avait eu l’excellente idée de regagner Chatou, comme je le lui avais ordonné… La rive était déserte, et Fanny, qui n’a rien vu, ne pourrait rien dire… Allons, je ne savais pas qu’il fût si aisé d’être comte et millionnaire. (Un valet entre.) Qu’est-ce ?
Monsieur le comte, il y a là un étranger qui, ne vous ayant pas rencontré à votre hôtel, vous prie de le recevoir.
Cet étranger vous a dit son nom ?
Il l’a écrit au crayon sur une carte de jeu qu’il a prise sur la table du petit salon, où il attend.
Donnez… « Le docteur Gordon. » (À part.) Encore un Gordon ! diable ! si celui-là avait connu là-bas le véritable Chamery !
Ce monsieur m’a chargé de vous faire remarquer la carte sur laquelle il a écrit son nom.
Un valet de cœur !
Dois-je faire entrer ?
Oui… oui. (Le valet sort). Un valet de cœur… Oh ! le hasard seul a fait cela… car William et Venture sont morts, bien morts !
Le docteur Gordon !
Je ne connais pas cet homme.
Je savais bien que M. le comte me recevrait.
Vous allez me dire, monsieur…
Pourquoi j’ai pris la liberté de vous suivre jusqu’ici ? Certainement. (Bas.) Mais quand nous serons seuls…
Cette voix… (Au valet.) Laissez-nous, et que personne n’entre plus.
Scène VI
Je suis fou ! cette voix ne peut pas être la sienne, car ce n’est pas là son visage. (Le docteur est allé s’asseoir, il pose son chapeau sur la table, se croise les jambes, et regarde en riant Rocambole.)
Bonjour, Rocambole.
Vous ! c’est vous !
Tu ne croyais pas aux revenants, n’est-ce pas ? Tu y croiras à présent. Oui, c’est bien moi, cher ami ; je ne suis pas changé à mon avantage, j’en conviens ; une charge de pistolet en plein visage dérange un peu l’harmonie des traits ; mais, comme à toute chose, il y a un bon côté : grâce à toi je suis devenu un autre homme, et, si César Andréa, le chef des valets de cœur, sir William baronnet, avaient quelques peccadilles à se reprocher, quelques dangers à redouter, le docteur Gordon, innocent comme l’enfant qui vient de naître, peut montrer impunément à tous sa rouge et large figure. Sans cette carte qui tremble dans la main, toi-même, tu ne m’aurais pas reconnu. Ah çà ! mais te voilà tout pâle et tout défait. Tu le dis : « César Andréa ne pardonne pas ! » Tu te trompes, j’ai un faible pour toi ; il faut bien passer quelque chose à la jeunesse !
Tuez-moi, mais ne me raillez pas.
Mets-toi là près de moi, et causons comme de bons amis que nous étions.
Oh ! tenez, ne jouez pas avec moi comme le tigre avec sa proie.
Décidément, quand tu as peur, tu n’es qu’un sot. Rassure-toi ! quel créateur a jamais voulu détruire son œuvre ? Et tu es mon œuvre, à moi ; tu es même mon chef-d’œuvre… Mets-toi là, le dis-je ! vrai, ça me fait plaisir de le voir… Ingrat ! tu ne m’as pas encore demandé comment je m’étais tiré du petit embarras dans lequel tu m’avais laissé.
Vous êtes donc invulnérable ?
Et insubmersible, oui, mon cher !… Après avoir tourné dans le gouffre où tu avais fait couler la barque, la force même du tourbillon m’a ramené à la surface de l’eau. J’ai été repêché par de joyeux canotiers qui, fort embarrassés de ma personne, m’ont conduit à l’hospice… Je ne tardai pas à revenir à moi… Dans la même salle, dans le lit voisin du mien, un pauvre diable délirait ; vois comme on se retrouve ! c’était précisément une connaissance à nous… Je te parlerai de cette étrange et heureuse rencontre tout à l’heure. Laisse-moi te dire d’abord, mon cher ami, que, lorsqu’on fouille un secrétaire, il faut savoir y trouver tout ce qu’on y a serré ; tu as pris chez moi les pièces qui prouvaient l’existence du comte de Chamery ; mais tu as négligé d’y chercher certains papiers qui prouvent jusqu’à la dernière évidence que tu n’est, toi, que Joseph Fippart… oh ! voilà un oubli qui sent fort l’écolier, tu as encore besoin d’une leçon et je te la donnerai.
Ah ! nous y voilà, le tigre va montrer ses griffes.
Non ! ton vieil ami te tend la main. Si la vengeance est le plaisir des dieux, l’intérêt est le premier mobile des hommes. Je pourrais te perdre pour me venger, j’aime mieux te sauver pour m’enrichir…
Ah ! oui, oui ! je commence à comprendre : livrer Rocambole à la justice serait risquer de vous compromettre ; servir le comte de Chamery est, en effet, ce que vous avez de mieux à faire, et vous venez m’apprendre de quoi prix je devrai payer vos services.
Précisément… (Lui tendant un papier.) Signe cela de ton nom… du vrai, et je te liens quitte du passé.
Peste ! pour vous seul les millions de Chamery ?…
Je le laisse toute la fortune de Sallendrera ; je suis d’une générosité qui m’étonne moi-même.
Vous aviez raison tout à l’heure : quand j’ai peur, je ne suis qu’un sot. Il ne fallait pas me laisser le temps de réfléchir et de me rassurer. À mon tour, je vous dis : causons. Je vous dois quelque chose, je le reconnais…
C’est bien de ta part !…
Mais signer cela, jamais !
Tu signeras tout à l’heure !
Je n’ai plus besoin de vous maintenant, et on ne paye pas si cher des services passés.
Oh ! je sais que tu as une manière à toi de l’acquitter, mon petit Rocambole ! nous n’avons pas encore changé de rôle. Je suis toujours ton maître et je te le prouverai ; tu es à ma merci comme lorsque je le lundis haletant sous mon genou. Je l’ai dit que j’avais fait une rencontre à l’hospice ; sais-tu qui le hasard, ou plutôt ta bonne étoile, avait placé là sous mon regard, sous ma main ?… Armand, comte de Chamery.
Armand !
Armand, tiré de l’eau comme moi et dans un état désespéré, avait été, comme moi, transporté à l’hospice…
Armand n’est pas mort ?
Du tout ! tu as la main heureuse ; les gens que tu assassines se portent assez bien… Il n’y a que ce pauvre Venture qui est resté là-bas (il est mort, celui-là, n’en parlons plus)… Armand, en proie à un affreux délire, ne pouvait donner aucune indication. Je compris de quelle importance était pour moi un semblable otage. Je déclarai me nommer le docteur Gordon ; aussitôt que cela fut possible, je fis transporter Armand dans un vieil hôtel, rue Saint-Louis, siège autrefois du Club des valets de cœur. Armand, à peu près rétabli, est plein de reconnaissance pour les soins que je lui ai prodigués. Il me croit le frère du major Gordon, qui m’a confié la mission d’aider Armand à retrouver sa famille. Penses-tu que si, par mes soins, il redevient comte de Chamery, il marchandera sa reconnaissance ?… Et que pourrait, contre Armand et moi, Rocambole tout seul ?
Je suis pris ! (Haut.) Je signerai.
Oh ! avant de l’engager, écoute encore : les pièces qui attestent que tu es bien le fruit légitime des amours de madame Fippart sont déposées sous enveloppe entre les mains d’un homme à moi. Si je manque un seul jour de rentrer île Saint-Louis, écoute bien ça ! cet homme a l’ordre de porter ces pièces au procureur impérial. Tu vois que, si tu signes, il faudra payer, cette fois.
Je paierai. (À part.) Décidément, cet homme-là est très-fort ! (Haut) Mais vous me livrerez Armand ?
Je ferai plus, car ce pauvre garçon, qui ne se connaît pas lui-même, n’est pas pour toi l’ennemi le plus à craindre.
Qui donc puis-je avoir à redouter, à présent ?
Une femme qui était à l’île de Croissy et qui a tout vu.
Fanny ?…
Fanny a quitté Paris, Fanny ne sait rien ; ce n’était pas Fanny que tu as transportée toi-même dans l’île…
Mais qui donc ?
C’était Baccarat, que tu n’as pas su trouver. Si tu n’as pas pu la voir, elle t’a vu, elle !
Comment savez-vous cela ?
J’ai remis en quête mes anciens limiers. Je sais encore que la belle Baccarat, certaine de la mort de son amant, croyant connaître son assassin, le cherche partout et ne lui fera ni grâce ni merci. C’est un ennemi redoutable, je t’en préviens.
Cette fille qui oubliait si vite les vivants, oubliera bientôt un mort.
Oh ! tu ne la connais pas ! Sais-tu ce qu’elle a fait ? Cause involontaire de la perte de ce pauvre Armand, Baccarat n’a plus que deux buts dans sa vie, l’expiation et la vengeance. Elle a rompu avec ses amis et ses habitudes ; elle a vendu ses chevaux, ses voitures, son hôtel ; elle a réalisé une somme importante dont elle a fait deux parts : une pour secourir les pauvres, c’est l’expiation ; l’autre pour retrouver l’assassin, c’est la vengeance. Baccarat habite maintenant une petite maison isolée, rue Saint-Maur-Popincourt, un quartier perdu ; elle a repris le nom de sa mère, et s’appelle madame Charmet.
Madame Charmet !
Enfin, le démon s’est fait ange… Mais le démon se réveillerait bien vite, si quelqu’un pouvait lui dire, en te montrant : « Voilà celui que vous cherchez ! »
Que peut une femme contre deux hommes comme nous ?
Eh ! eh ! je ne sais pas trop si la partie est égale, surtout quand la femme est Baccarat…
Elle ne m’a vu qu’une fois… la nuit.
C’est assez pour ne jamais t’oublier…
Le comte de Chamery ressemble-t-il donc à Rocambole ?
Je ne serai tranquille que lorsque Baccarat ne pourra plus se trouver sur notre chemin, que lorsque j’aurai éteint ces yeux qui te reconnaîtraient, que lorsque j’aurai étouffé cette voix qui nous dénoncerait… J’ai déjà combiné quelque chose ; nous causerons de cela ce soir.
Ce soir, je signe mon contrat de mariage.
Précisément ! tu ne peux pas avoir d’autre témoin que ton vieil ami le docteur Gordon.
M. le duc fait prier M. de Chamery de vouloir bien passer dans son cabinet.
Très-bien… Tu vas présenter à M. de Sallendrera le docteur Gordon, célèbre médecin aliéniste, récemment arrivé des Indes, où tu l’as beaucoup connu.
Soit ! venez donc. (À part.) Me voilà remis à la chaîne ; mais j’ai de bonnes dents, je la rongerai.
Tu as gagné la première manche, mon drôle ; mais je jure bien que je gagnerai la seconde. (Haut.) Allons, nous allons redevenir les deux inséparables ! (Ils sortent.)
Scène VII
Je viens de faire annoncer à mademoiselle un nom tout à fait inconnu ici. Encore une figure nouvelle, mais au moins, celle-là est agréable.
Tonio, on vient de me prévenir qu’une dame désirait me parler ; c’est sans doute la protégée de ce pauvre Jean ; une vieille femme, n’est-ce pas ?…
Non, mademoiselle… C’est une belle personne, très-belle.
Faites entrer, Tonio ! C’est probablement une des dames de notre comité de bienfaisance.
Madame Charmet ! (Baccarat a pris un costume de deuil et d’une coupe sévère ; sur un signe de Carmen, le valet s’est éloigné.)
Scène VIII
Veuillez bien, madame, prendre la peine de vous asseoir.
Mademoiselle, je vous suis inconnue, et cependant je viens solliciter de vous une faveur, une grâce.
Parlez, madame ; croyez à tout mon désir de vous être agréable…
Vous êtes bonne et charitable, mademoiselle. Quoique étrangère, vous êtes, je le sais, le bon ange des pauvres ; par vos soins, une loterie a été organisée et une exposition des lots est faite dans une des galeries de votre hôtel… Le hasard m’a conduite à cette exposition.
Et vous venez m’offrir quelque objet d’art qui la complétera.
Je viens, au contraire, vous prier, mademoiselle, de me céder, et cela au prix qu’il vous plaira de fixer, un des lots exposés.
Les malheureux gagneront à ce marché.
Vous consentez, mademoiselle ?
Il s’agit sans doute d’un tableau ?
D’une esquisse seulement, qui, signée d’un nom presque inconnu, n’a peut-être de valeur que pour moi.
Il n’y a qu’une esquisse à notre exposition, et elle a été donnée par M. Armand.
C’est bien cela, mademoiselle ; j’offre mille francs de ce dessin.
Je ne vous aurais pas demandé la moitié de cette somme… Au nom de nos pauvres, je vous remercie, madame.
Cette esquisse est pour moi un trésor, mademoiselle. C’est le souvenir d’un passé perdu. Pauvre Armand ! je le vois encore faisant chez moi ce dessin, son dernier ouvrage, peut-être !
Son dernier ouvrage ! M. Armand a-t-il donc renoncé à la peinture ? Est-ce pour cela que, depuis deux mois, il a cessé de venir me donner des leçons ?
Vous ne le verrez plus, mademoiselle.
Il est parti ?
Il est mort !
Mort ?… Armand ?… Oh !… non… non… on vous a trompée, madame : aujourd’hui, tout à l’heure, j’ai eu des nouvelles d’Armand.
C’est impossible !
Un inconnu est venu payer, de sa part, je ne sais quelle dette, en annonçant qu’Armand avait quitté Paris pour n’y plus revenir !
Qui vous a dit cela ?
Un honnête garçon nommé Jean, qui habile la même maison que M. Armand…
Cet inconnu doit être un des complices du meurtre.
Du meurtre ?
Oui, mademoiselle ; Armand a été assassiné sous mes yeux, il y a deux mois, dans l’île de Croissy ; Armand est mort.
Mort ! et moi qui l’accusais. Oh ! je savais bien qu’il ne pouvait pas m’avoir oubliée… Pauvre Armand ! et mon cœur n’a rien deviné, et rien ne m a dit : « Pleure et prie malheureuse ! il est mort. » (Sanglotant.) Mort ! oh !… mon Dieu… mon Dieu…
Ces larmes ! ce désespoir ! Ah ! c’est vous qu’il aimait, mademoiselle !
Oh ! je l’aimais bien aussi, madame ; pourquoi le cacherais-je, a présent ? Mon amour n’offense plus personne.
C’est pour elle qu’il m’abandonnait… c’est pour elle qu’a été sa dernière pensée.
Vous pleurez aussi, madame ?
Ce n’est pas seulement des larmes que nous devons l’une et l’autre à celui qui n’est plus. Si vous l’aimiez véritablement, mademoiselle, vous m’aiderez à le venger, vous m’aiderez à retrouver et à faire punir l’assassin.
Oui ! oui ! Moi, je ne peux rien ; mais mon père et M. de Chamery peuvent beaucoup. (Elle sonne ; un valet entre.) Priez M. de Chamery de venir me trouver ici…
Qu’est-ce que M. de Chamery ?
C’est mon fiancé, madame.
Votre… ? Vous aimiez Armand, et vous allez être à un autre ?
Si j’avais été maîtresse de ma main, ne pouvant être à Armand, je n’aurais été qu’à Dieu ; mais mon père avait contracté une dette qu’il me faut payer au prix de mon bonheur…
Permettez-moi d’écrire quelques lignes, mademoiselle.
À qui donc ?
À ce garçon qui habitait la même maison qu’Armand : il a vu cet inconnu, il pourra donner son signalement, mettre sur sa trace. Je vais écrire à Jean de venir chez moi… ce soir…
Très-bien.
Scène IX
Chère cousine, vous m’avez fait appeler et j’accours…
J’ai un service à vous demander, monsieur le comte.
Parlez, señora, et tout ce que je pourrai, je le ferai. De quoi s’agit-il ?
Un jeune homme auquel mon père et moi nous nous intéressions, a tout à coup disparu, et je viens d’apprendre qu’il a été assassiné, il y a deux mois, dans l’île de Croissy.
Hein !…
Le meurtrier a, jusqu’à présent, échappé à toutes les recherches ; mais il ne peut pas rester impuni, et vous nous aiderez à le découvrir.
Elle s’adresse bien. (Haut.) Mais qui vous a dit… ?
Un amie de M. Armand, une personne qui a tout vu.
Diable ! (Haut.) Et cette personne ?
C’est moi, monsieur.
Madame Charmet.
Baccarat !
Monsieur le comte, vous nous prêterez l’appui de votre nom, de votre crédit ; dites donc à madame qu’elle peut compter sur vous…
Le danger est là, allons au danger. (Allant à madame Charmet, à qui il se présente bien en face.) Madame, je suis, je vous le jure, tout à vous.
Monsieur, je… (Relevant la tête et regardant Rocambole.) Mon Dieu !
Qu’avez-vous donc ?
Elle me reconnaît ; de l’audace ! ou je suis… (Haut.) Vous avez été, dites-vous, témoin du meurtre de ce pauvre jeune homme ; avez-vous donc vu l’assassin d’assez près pour le pouvoir reconnaître ?
Oui, oui. (À part.) Les mêmes traits, le même regard !…
Vous êtes bien émue, madame Charmet ; il me faut cependant reporter votre pensée sur ce funeste événement ; pour vous être utile, j’ai besoin de savoir tout ce que vous savez.
M. le comte a raison.
C’est une hallucination ! (Bas, à Carmen.) Vous m’avez dit que ce jeune homme était… ?
Monsieur le comte de Chamery… mon cousin.
Elle doute à présent !…
Ce ne peut pas être lui… Non… ce n’est pas lui… Et pourtant le regard de ce jeune homme me glace le cœur. Il me semble que, s’il ôtait ses gants, je verrais, comme là-bas, du sang sur ses mains !
Remettez-vous, madame, et asseyez-vous, je vous prie. En toute chose, je vous le répète, je vous suis dévoué ; dites-moi… quels indices vous avez, sur quelles traces je puis me mettre ; et, d’abord, quelle figure avait l’assassin ? Était-il jeune ou vieux ?
Jeune…
Brun ou blond ?
Brun…
Mais comment n’avez-vous pas appelé, madame ? Peut-être serait-on venu à votre aide. Je comprends… vous avez craint qu’on ne vous fit partager le sort de M. Armand…
Je n’aurais pas hésité à donner ma vie pour sauver la sienne… Mais, quand j’ai vu la lame d’un couteau disparaître dans sa poitrine… je jetai un cri… puis je tombai, comme si le même coup m’avait frappée…
Alors, vous n’avez pu qu’entrevoir les traits de l’assassin… et peut-être à une grande distance…
Je l’ai vu comme je vous vois, monsieur.
Vraiment ?… C’est fort heureux, cela.
J’étais tombée évanouie derrière des buissons, au milieu des hautes herbes.. Le froid de la nuit me ranima, et, en rouvrant les yeux, je vis briller au-dessus de moi la lame d’un couteau ensanglanté… que tenait l’assassin ; ayant entendu mon cri, cet homme me cherchait pour me tuer. « Si je meurs ici, pensais-je alors, qui vengera Armand ? » Je restai immobile et muette : le meurtrier passa si près de moi, que son pied foula ma robe, mais il passa sans me voir.
Maladroit !…
Quand il se fut perdu dans le taillis, quand le bruit de ses pas s’éteignit tout à fait… je me relevai, et, des plis de ma robe, s’échappa un objet que le meurtrier y avait laissé tomber.
Hein !
Et qu’était-ce donc ?
Une médaille d’argent que cet homme portait attachée à une chaîne de cheveux ; cette chaîne s’était prise à quelque branche, sans doute, et s’était brisée.
C’est cela !… la médaille du père !… Gardez donc des bijoux de famille !
Si Dieu m’a sauvée miraculeusement de la mort, s’il a mis en mes mains cet indice, cette preuve, c’est pour que je puisse remplir la mission que je me suis donnée, de retrouver, de punir l’assassin ; en quelque lieu qu’il soit, je l’atteindrai ; qu’il soit fort, puissant ou riche, je le perdrai !…
C’est ce que nous verrons. (Haut.) M. de Sallendrera et moi, nous vous apporterons le plus ardent concours ; à votre jour, à votre heure, je serai prêt, madame, toujours prêt à servir une cause qui, de ce moment, devient la mienne.
Merci, monsieur le comte…
Ah ! je me trompais… je me trompais.
Que voulez-vous, Tonio ?
Pardon, mademoiselle, il y a là une vieille femme qui demande à voir mademoiselle ; elle vient, dit-elle, de la part de Jean.
Bien ! fais entrer cette femme. (Tonio sort. — À madame Charmet.) Vous partez, madame ?
Je suis attendue chez moi.
Je vais vous conduire jusqu’à la galerie ; nous parlerons encore de celui que nous pleurons.
Madame, quand pourrai-je avoir l’honneur de me présenter chez vous ?
Demain, si vous le voulez bien.
Pardon… vous ne m’avez pas dit…
Où je demeure ?… Rue Saint-Maur-Popincourt, 42. (elles sortent.)
Scène X
J’ai détourné l’orage, mais pour un jour, pour une heure peut-être. Entre le docteur Gordon et madame Charmet, j’étais pris comme dans un étau, j’ai acheté l’un… je saurai bien me défaire de l’autre. Elle peut me perdre, avec cette preuve qu’elle a dans les mains. Rocambole, mon ami, tu te croyais au port, tu n’as rien fait, tout est à recommencer… Allons retrouver le docteur Gordon ! (Tonio introduit madame Fippart.)
Ma bonne dame, attendez ici, mademoiselle. (Il sort.)
C’est heureux que je ne l’aie pas tué tout à fait, celui-là.
Ah ! Joseph !
Ma mère !… En voilà une rencontre…
Joseph !… mon fils !…
Pas moyen de tromper celle-là…
Mais réponds-moi donc… C’est bien toi, n’est-ce pas ?
Eh bien, oui… c’est moi… Bonjour, maman.
Joseph ! mon enfant ! En te revoyant, j’oublie ma misère, ton abandon… je suis heureuse, oh ! oui bien heureuse !
Voyons, voyons, maman, du calme, pas de larmes, pas de bruit surtout… vous êtes contente de me revoir, c’est convenu…
Depuis quand donc es-tu de retour ? comment n’as-tu pas trouvé le temps de venir embrasser ta mère ?…
Tenez ! j’y pensais ce matin… Je vous conterai mes petites affaires plus tard, chez vous. Vous ne pouvez pas rester ici… Il ne faut pas qu’on nous voie ensemble.
Pourquoi donc ?
Je vous le dirai.. demain… à Belleville.
Dis-moi au moins comment je te retrouve dans un hôtel et dans ces habits.
Vous saurez tout demain… Embrassez-moi, une fois, deux fois, et laissez-moi vous reconduire jusqu’à un fiacre qui vous ramènera chez vous. Eh bien, vous ne venez pas ?…
Joseph, le premier moment de joie est passé, et voilà que j’ai peur à présent.
Peur ?
Oui, tous ces mystères, ta présence ici.. sous des habits qui ne sont pas les tiens d’ordinaire… Joseph, tu médites quelque mauvaise action.
Mais du tout !… Vous me trouvez trop bien mis… mais je m’habille comme ça tous les jours… Il n’y a pas de mystère, j’étais parti pour faire fortune ; une fois riche, je suis revenu, voilà tout…
Riche, en si peu de temps ?
J’ai eu de la chance… Vous aurez des rentes, petite mère, de bonnes grosses rentes..
Mais comment es-tu devenu riche ?
Sapristi ! que vous êtes curieuse !… J’ai spéculé sur les cannes à sucre… Êtes-vous contente ?… Je vous dirai demain pourquoi et comment il ne faut pas qu’on sache que je m’appelle Joseph Fippart et que je suis votre fils… Ça pourrait nuire à ma spéculation… et vous ne voudriez pas faire du tort à votre petit Joseph… qui vous aimera bien… à présent… Laissez moi vous reconduire.
Tu renies le nom de ton père ? tu as peur qu’on ne sache que je suis ta mère, et tu me renvoies ? Joseph, tu m’as trompée, tu m’as menti ; mais tu me diras la vérité, tu me la diras tout de suite, et, jusqu’à ce que tu me l’aies dite, je resterai !…
Rester, vous ? Non pas !…
Je resterai, le dis-je ! nous verrons si tu oseras faire chasser ta mère.
Chut !… voilà quelqu’un.
Mademoiselle, obligée de recevoir, vous prie de l’excuser et de revenir demain. (À Rocambole.) M. le duc attend M. le comte de Chamery au salon… Il y a déjà beaucoup de monde…
C’est bien… Va-t’en. (Tonio va sortir.)
Vous avez dit : Monsieur le comte de Chamery.
Oui ; monsieur est le comte de Chamery, le cousin de M. le duc de Sallendrera et le fiancé de mademoiselle.
Mais va-t’en donc ! (Tonio sort.)
Le comte de Chamery !… À qui as-tu volé ce nom-là ?… Réponds !…
Je vous ai dit que demain vous sauriez tout, mais demain seulement !…
Et je veux le savoir aujourd’hui, moi !… Je suis pauvre, misérable ; mais je ne veux pas que mon fils commette une infamie !…
Ah ! parlez donc plus bas, on peut nous entendre !
Eh bien, où serait le mal si l’on nous entendait ? où serait le mal, si l’on désabusait ceux que tu veux tromper ?
Je vais vous le dire, puisque vous le voulez !… Le mal serait d’envoyer tout simplement votre fils aux galères !… Voilà…
Ah !…
Vous allez vous taire à présent, n’est-ce pas ?… et m’obéir.
Oh ! misérable ! misérable ! Mais il est peut-être encore temps de le sauver, de tout réparer. Joseph, Joseph ! rends ce titre ! rends ce nom ! Oh ! tu le feras, tu épargneras la honte, le désespoir à ma vieillesse !… Joseph !… mon enfant… tiens, je t’en prie à genoux !
Vous n’êtes pas raisonnable… Je ne rendrai rien !
Ah ! nous sommes maudits ! Eh bien, puisque mes prières, mes larmes sont inutiles ; puisque tu n’as plus rien dans le cœur… ce que ton père aurait fait, je le ferai.
Qu’est-ce que vous dites ?
Je dis que je vais te dénoncer !…
Allons donc ! une mère ne dénonce pas son fils…
Me taire, à présent, ça serait me faire ta complice… Non… non.. je parlerai.. et je dirai… à ceux qui sont là… et qui vont m’entendre : « Vous voyez bien, cet homme !… ah ! vous pouvez me croire, car c’est moi, sa mère, qui vous le dis : eh bien, c’est un faussaire et un voleur ! »
Prenez garde !…
Oh ! il ne te manque plus que de porter la main sur la mère !…
Moi ?… Mais tu sais bien que je t’aime trop pour te faire du mal.
Oh ! frappe-moi, tue-moi ; mieux vaut la mort que le déshonneur !
Vos cris attirent tout le monde de ce côté, vous allez me perdre.
C’est toi qui l’auras voulu.
On vient !… livrez-moi donc !
Scène XI
Qu’y a-t-il ?
Dites un mot à présent et vous m’envoyez au bagne.
Ah !…
Quelle est cette femme ?…
Je ne la connais pas…
Il ne me connaît pas !…
La chère dame a été prise là, sans motif, de je ne sais quel mouvement nerveux… Je cherchais à la calmer quand vous êtes arrivés.
Madame, connaissez vous M. de Chamery.
M. de Chamery… lui… (Allant parler.) Monsieur… (s’arrêtant sous le regard de Rocambole.) Non ! je ne connais pas cet homme ; je ne voulais pas quitter cette maison, il me semblait que Dieu lui-même m’y avait conduite, pour sauver celui qui allait se perdre… À présent, oh ! à présent, je veux sortir, sortir tout de suite… car, si je reste… je parlerai ; oui… je parlerai… et je ne peux pas… mon Dieu, je ne peux pas ! (Elle tombe évanouie.)
Oh ! du secours, mon père… Un médecin, vite, un médecin.
Appelez le docteur Gordon !
Pauvre femme ! les privations, la misère…
La connais-tu donc ?
Oui : elle s’appelle madame Fippart.
Madame Fippart !…
Oui, ma mère !
Ici !… Elle a parlé ?
Non ! mais elle parlera…
Secourez-la, monsieur.
Rassurez-vous, mademoiselle, il ne s’agit que d’une crise nerveuse, et j’ai justement sur moi ce qu’il faut pour la calmer. Tenez, ma bonne dame… respirez cela, je le veux… il le faut… (Il lui présente un flacon.) Là !… encore… C’est bien.
Comme elle est pâle !
Mon Dieu ! la voilà comme morte à présent…
Morte ! (Bas, en saisissant le bras du docteur.) Vous ne l’avez pas tuée, au moins ?
Non ! mais elle ne parlera maintenant que lorsque je le voudrai. (Haut.) Encore une fois, rassurez-vous, mademoiselle. Puisque vous vous intéressez à cette femme, je veux la ramener moi-même, ma voiture est en bas.
Où la conduisez-vous ? (Le duc sonne.)
Chez moi ! je te réponds d’elle.
Et moi, je me charge de Baccarat ! (Tonio et deux valets entrent.)