Romans à lire et romans à proscrire/8

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VI

Romans Enfantins

ou

Histoires amusantes pour les petits jeunes gens, les petites filles et les enfants





Non nisi optimus quisque legendus est.
(Quintilien)


Victor Hugo, dans ses « Choses vues », raconte sur le prince de Joinville enfant, une anecdote qui nous montre la famille du roi Louis-Philippe sous un jour de simplicité et de bonhomie : « Il avait, dit-il, imaginé une « scie » qui exaspérait la reine. C’était un vieil orgue de Barbarie qu’il s’était procuré. Il arrivait chez la reine jouant de cet orgue et chantant des chansons enrouées. La reine commençait par rire. Puis cela durait un quart d’heure, une demi-heure : « Joinville, finis ! » La chose continuait : « Joinville, va t’en ! » Le prince, chassé par une porte, rentrait par l’autre avec son orgue, ses chansons et son enrouement. La reine finissait par s’enfuir chez le roi.

Ainsi l’enfant devenait maître de la maison royale. Il l’est partout aujourd’hui, même au sein des familles ouvrières et des familles bourgeoises ; et s’il ne triomphe pas toujours avec autant de tumulte et d’insolence que Joinville, ses amusements sont loin d’assurer, contrairement au proverbe, la tranquillité des parents.

L’orgue de Barbarie, du reste, finit par lasser les enfants eux-mêmes, après avoir lassé les mères ; et il n’est point rare de voir les mioches de 8, 10 ou 12 ans, assis tranquillement la tête dans les mains, pendant que gisent lamentablement sur le sol des jouets en débris et des poupées mutilées.

Ils font trêve au tapage, ils se recueillent et peut-être demandent-ils à lire.

Depuis longtemps, ils savent, selon l’expression d’Ernest Legouvé, lire au plus beau de tous les livres, au front de Celui d’où émanent toute lumière, toute justice et toute bonté ; en d’autres termes, ils savent prier.

Ils savent lire aussi dans les yeux et dans le cœur de leur mère ; et ce n’est point là, quand ils sont restés purs, la moins douce de leurs récréations…

Ils veulent cependant et ils réclament — bien légitimement d’ailleurs — d’autres lectures.

À cet égard, comme à beaucoup d’autres, les enfants ont été traités en rois. Des « Évangiles », des « Histoires saintes », des « Vie des saints » ont été édités pour eux avec de magnifiques illustrations ; des albums en couleur, soit neutres, soit religieux, sont venus s’ajouter aux vieilles images d’Épinal ; des revues même (par exemple « L’étoile noëliste, L’Écho du Noël, La semaine de Suzette, L’ami des enfants, Ma Récréation ») ont été créées à leur intention ; des romans où parlent et agissent des polichinelles, des petits oiseaux et des bébés ont été publiés, qui gravent dans ces esprits impressionnables des sentiments salutaires.

Parmi ces livres, nous en citons seulement quelques-uns. Si, selon la pensée de Montaigne, les enfants sont « capables de philosophie à partir de leur nourrice, mieux que d’apprendre à lire et à écrire », ils trouveront dans cette courte nomenclature — et çà et là, dans les catégories précédentes — de quoi satisfaire utilement leurs désirs et leurs goûts.


Lucie des Ages (Loudun, 1845), petite-nièce de la Vénérable Élisabeth Bichier des Ages, se recommande d’elle-même pour tous les ouvrages qu’elle a produits. Nous citons, pour les jeunes filles : Édith ; La prophétie de Maurice ; La destinée ; Élisabeth ; La Camille de Kerdral ; Petite fleur ; La maison du chat qui pêche ; Grimonette ; Le bonheur de Marthe ; La tour du Cardinal ; Le général Dur à Cuire ; La terrasse aux roses ; Le cottage fleuri ; La villa aux cerises ; Le collier de perles roses ; Le galon d’or.

Pour les enfants : Les neveux de tante Germaine ; Le nid paternel ; Miss Ouragan et les autres livres publiés chez Mame.


Samuel-Henri Berthoud, dit Sam, né à Cambrai en 1804, mort à Paris en 1891, fondateur du musée qui porte son nom. S’occupa de littérature et de vulgarisation des sciences. Ses ouvrages scientifiques renferment bien des erreurs : L’homme depuis 5000 ans, etc. ; ses romans et récits ne sont pas irréprochables au point de vue moral.

Tout le monde peut lire cependant les Soirées du docteur Sam ; L’esprit des oiseaux (captivant).


Marie de Bosguérard, de son vrai nom Mme Fodéré, née en 1844. Aventures du capitaine Brindille ; Bohèmes ; Braves Cœurs ; Braves gens ; Journal d’une grande sœur ; Ma poupée ; La petite institutrice ; Les roses de Dorothée ; Voyages d’une jeune bohémienne ; Princesse ; Thérèse ; Marfa, sont les principales œuvres de cette authoress si chère aux enfants.


Jean-Nicolas Bouilly (1763-1842), fonctionnaire, fit des pièces de théâtre et des berquinades qui ont eu leur heure de succès. Causeries ; Conseils à ma fille ; Contes à ma fille ; Contes à mes petites amies ; Contes aux enfants de France ; Contes populaires ; Encouragements de la jeunesse (anecdotes littéraires) ; Les mères de famille ; ne réalisent pas l’idéal du genre et sont un peu mondains ; on les met cependant dans beaucoup de bibliothèques.


Marie de Bray. Œuvres : Mémoires d’un bébé ; L’Étoile de la mer ; Les trois filles du ciel ; Un intérieur de famille ; et surtout Le bonheur dans la vertu ; Ce que peut la charité (couronné par l’Académie).


Charles Buet. Le puissant écrivain, déjà cité, a su dans Guy main rouge ; Légendes du Mont Pilate ; L’homme au capuchon rouge, etc. ; adapter à la simplicité des petits les ressources de son talent.


Mme Jeanne Cazin est partout citée avec honneur, même à l’Académie française. Lire : Nobles cœurs ; Aventures de Jean le Savoyard (tous deux couronnés par l’Académie) ; Drame dans la montagne ; Les orphelins Bernois ; Le petit Chevrier… Toutes ses historiettes ne sont pas aussi élevées que les Alpes où elles se passent ; mais elles sont saines et bienfaisantes comme l’air de la montagne.


Mme Desbordes-Valmore, né à Douai en 1786, morte en 1859, femme de lettres que ses œuvres délicates et lyriques ont fait surnommer la Sapho chrétienne et appeler par Brizeux « une belle âme au timbre d’or ». Elle a sa statue à Valenciennes et à Douai.

Les deux volumes Contes et scènes de la vie de famille sont de vrais manuels d’éducation familiale, très simples et très pieux.


Louis Desnoyers (1802-1868), journaliste et romancier, fondateur de la Société des gens de lettres. Les mésaventures de Jean-Paul Choppart ; Les aventures de Robert-Robert ont eu tous les deux, dans Le Journal des enfants et Le Siècle, un immense succès. Ils sont encore beaucoup lus.


A. Desves, de son vrai nom Mme Descaves. Œuvres : L’ange de la famille ; Correspondance d’une élève du Sacré-Cœur ; Les deux jumelles ; Louise Murroy ; Marie de Kervon ; Reine Marguerite ; Une nuit en chemin de fer (six nouvelles).


Zénaïde Fleuriot. Tous les enfants lisent : Bigarette (histoire d’une poule !) ; Bonasse ; Cadette (journal d’une petite fille) ; Cadock (très intéressant) ; L’héritier de Kerguignon (suite du précédent) ; En congé (bluette) ; Un enfant gâté (très bien) ; Le petit chef de famille (suite de Plus tard) ; Tranquille et Tourbillon (deux caractères opposés) ; Bouche en cœur (réflexions d’une poupée) : etc…


Mme Fresneau, née de Ségur. Œuvres : Comme les grands ; Deux abandonnés ; Les protégés d’Isabelle ; Une année du petit Joseph ; Thérèse à St-Domingue.

Le verre de cette aimable authoress est plus petit peut-être que celui dont se servent les autres Ségur ; mais il est finement taillé !


Jacques et Guillaume Grimm[1], célèbres philologues allemands dont le premier a vécu de 1785 à 1863 et le second de 1786 à 1859. Leurs Contes populaires, amusants et moraux, eurent, dès leur apparition, un succès immense et furent traduits dans toutes les langues. Ils furent suivis d’un ouvrage où les auteurs étudièrent les origines historiques des contes : cette partie de la science archéologique s’appelle le folklore.


Mlle Marie Guerrier de Haupt. Lire : Comment mon oncle Antoine devint marin ; Cousine Madelon ; La famille Hartman ; Miss Prétention ; Quatre nouvelles historiques ; Les revenants ; Les sabots de Marguerite ; Les défauts de Gabrielle ; Le royaume du bonheur ; etc…


Mme Guizot, femme de l’illustre homme d’État (1773-1827). Œuvres : L’écolier ; Une famille ; La petite aux grand’mères ; Les enfants ; Le louis d’or d’Ernestine ; L’éducation de Nanette ; Nouvelles et contes.


Comte René de Maricourt (1829-1893). En vitrine (recueil de nouvelles occultistes, assertions risquées) ; Une femme à bord (fait le malheur de son mari et tourne la tête à tout le monde par ses minauderies) ; La broche perdue ; L’ancêtre volé ; Begga ; Le combat des treize ; Le couteau du bandit ; La servante romanesque ; Vivia.


Mlle de Martignat. Œuvres : L’oncle Boni ; La petite fille du vieux Thémi ; La pupille du général ; Genette ; Un vaillant enfant ; etc…


La baronne Martineau des Chesnez (Paris, 1829). La grande Aulnaie ; La marquise de satin vert ; Roses et rubans ; Les trouvailles de M. Montvert ; Voyage d’une femme aux Montagnes Rocheuses ; Les allumettes de l’oncle Grandésir.


Karl May, écrivain allemand, convaincu de brigandage au cours des procès retentissants de 1909, mort à Vienne en 1912. Nous ne recommandons pas les éditions allemandes de ses romans ; les adaptations qu’en a faites Mme de Rochay sont excellentes.

La vengeance du Farmer ; Le roi des Requins ; Les pirates de la mer rouge ; Une visite au pays du diable ; L’empire du dragon ; Le fils du chasseur, plairont certainement à tous.


Hégésippe Moreau, né à Paris en 1809, vécut à Provins et à Paris dans une profonde misère, et mourut à l’hôpital en 1838. Ses poésies sont généralement médiocres, irréligieuses et licencieuses ; mais ses Contes à ma sœur sont exquis et peuvent être lus par tous.


Chanoine Schmid (1768-1854), du chapitre d’Augsbourg. Ses Contes, universellement connus, sont divisés en quatre séries (chez Mame) et en deux volumes (chez Garnier). La première comprend les petits récits d’une page ; les autres renferment des contes un peu plus développés. Le tout aimable, candide, moral et éminemment intéressant.


Comtesse de Ségur, née Sophie Rostopchine (1800-1874), femme de lettres française, fille du gouverneur de Moscou et mère de l’éminent prélat.

« Elle était née Rostopchine et grand’maman… Pour amuser ses petits-enfants dispersés aux quatre coins de l’Europe, elle écrivit comme elle causait, à quoi elle vit tout de suite, et tout le monde, qu’elle était née écrivain, comme elle était née grand’maman… Elle causait ses petits romans… Elle a su si bien conter qu’elle est morte grand’mère de tous les enfants du monde. » (Émile Faguet).

Ces livres charmants, encore très populaires, ont illustré pour la plupart la Bibliothèque rose ; L’auberge de l’ange gardien ; Le général Dourakine (suite du précédent) ; La fortune de Gaspard (avantages du travail) ; François le Bossu (très bien) ; Les malheurs de Sophie ; Les mémoires d’un âne ; Petites filles modèles (fort naïf) ; Quel amour d’enfant (histoire d’un enfant gâté) ; Les vacances (à la fin, histoires de revenants d’un goût douteux) ; Pauvre Blaise (son chef-d’œuvre) ; Jean qui grogne et Jean qui rit ; Un bon petit diable ; Les deux nigauds ; etc., etc…


Stahl, nom de plume de Pierre-Jules Hetzel, l’éditeur parisien (1814-1886), a publié, outre des ouvrages libres d’allure, nombre de livres pleins d’humour et de naïveté, destinés à la jeunesse : La famille Schester ; Les histoires de mon parrain (spirituel, mais peu religieux) ; Histoire d’un âne et de deux petites filles ; Maroussia ; Patins d’argent (description de la Hollande) ; Les quatre filles du docteur Marsh (étude de la famille américaine) ; Jacques et Jeanne ; Les quatre peurs de notre général (très moral) ; etc…


Mme de Stolz, de son vrai nom Mlle de Begon, morte en 1892. Ses œuvres sont universellement estimées et méritent d’être spécialement recommandées. Celles qu’elle a publiées chez Hachette sont cependant moins chrétiennes que celles de chez Haton.

Citons : Les petits cancans ; Diamant, bronze et or (trois jeunes filles, deux riches, une pauvre) ; Le sauvage de Sombreval (sa conversion par une petite fille) ; Les deux docteurs ; La montre de tante Marie (l’éducation selon la sagesse) ; L’héritage de mon oncle (aux innocents, les mains pleines) ; Le gros lot (gagné par un petit meunier, dont la tête tourne aussitôt comme les ailes de son moulin) ; Le vieil ami (le vieux professeur qui montre dans les merveilles de la nature la solution unique des pourquoi d’Yvonne) ; En famille (série de nouvelles) ; Ita la glaneuse ; Les deux André (inconvénients de la légèreté) ; La famille Coquelicot ; Julie (description du Nouveau-Monde, un peu romanesque) ; Magali (très gracieux) ; La maison blanche (moins intéressant) ; Mes tiroirs (9 récits) ; Quatorze jours de bonheur (attendrissant) ; Les vacances d’un grand-père (histoire d’un étourdi) ; Le vieux de la forêt (dramatique, combat certains préjugés populaires), etc…



  1. Note Wikisource : ici, les prénoms ont été francisés, au lieu de Jacob et Wilhelm.