Rome dans la culture moderne

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Rome dans la culture moderne
Revue des Deux Mondes5e période, tome 57 (p. 60-83).
ROME DANS LA CULTURE MODERNE[1]

En gravissant aujourd’hui, à la courtoise invitation du premier magistrat de la Ville, cette colline sacrée, pour y parler de Rome dans la culture moderne, j’éprouve l’émotion de celui qui, revenant après maintes années d’un hasardeux voyage, est joyeusement accueilli par une foule amie, au lieu même d’où, longtemps auparavant, il est parti seul ou presque seul. Que de souvenirs, à cette heure, remontent vers moi d’un vol léger, souvenirs du temps déjà lointain où je pris définitivement la résolution de risquer toute la fortune de ma vie dans l’entreprise d’écrire une nouvelle histoire de Rome ! Mais peut-être aucun de ces souvenirs ne m’est-il plus doux que celui des anxiétés, des incertitudes, des doutes qui, à l’instant du départ, se pressaient sur la route pour me retenir. « A quoi bon, me disais-je, écrire une nouvelle histoire de Rome ? Est-il à présumer que notre époque moderne, qui se rue vers l’avenir avec un si furieux élan, trouve, au milieu de cette course effrénée, le loisir nécessaire pour retourner la tête, ne fût-ce qu’une minute, et pour considérer un passé si reculé ? Le moment est-il réellement venu de l’écrire, cette nouvelle histoire de Rome ? Est-ce que l’histoire n’est pas entrée dans sa phase scientifique, et n’est-elle pas, en conséquence, tenue de préparer les nouvelles synthèses par une longue et minutieuse analyse ? »

Je vous avoue qu’à l’instant du départ je n’étais point en état de répondre à ces doutes avec précision et avec assurance ; et cela serait grave, si l’histoire était véritablement, comme quelques-uns le prétendent, une science pure, dont les méthodes seraient rigoureusement contrôlables et strictement obligatoires. Mais, par bonheur, l’histoire est, ou peut être quelque chose de plus qu’une science : elle peut être un art capable d’agir en diverses manières sur les esprits des hommes, sur leurs dispositions et sur leurs tendances. Donc, elle peut être une forme de l’action ; et l’action, quand elle a en soi une raison d’être, finit toujours par en prendre conscience à mesure qu’elle s’effectue. Il arrive souvent à l’homme de ne voir en plein la raison de son œuvre qu’au moment même où il opère, et c’est ce qui m’est arrivé à moi-même. La réponse à ces angoissantes questions, je l’ai trouvée sur les routes du monde ; après le long voyage que j’ai entrepris en vue de célébrer la gloire de Rome, la meilleure façon, du moins pour moi, de fêter cette sorte de symbolique retour, c’est de vous apporter, du monde parcouru en tous sens, cette réponse qui implique l’un des problèmes les plus controversés de la culture moderne. Eh bien ! non. L’histoire romaine est inépuisable, et jamais elle ne sera trop récrite, surtout par les peuples qui sont enfans de Rome, surtout par l’Italie, qui est sa fille aînée : car c’est une histoire privilégiée, dont nous sommes tous intéressés à ne pas laisser prescrire le privilège ; et, si cette histoire est privilégiée, c’est parce qu’elle est complète et synthétique, c’est parce que, quand on embrasse d’un regard la suite des siècles qui vont depuis le début des guerres puniques jusqu’à la scission définitive de l’Orient et de l’Occident, on peut observer, tendue sur cet immense panorama de deux grandioses dissolutions sociales et d’une grandiose recomposition qui se place entre les deux dissolutions, ce que j’appellerais volontiers la trame de l’histoire universelle.

De quelle manière, en effet, commence l’admirable histoire de Rome ? Non par le chaos, comme la biblique histoire de l’Univers, mais par l’ordre, c’est-à-dire par la paix intérieure, par la discipline politique, par l’équilibre bien assis des fortunes, quoique tout le monde vive alors dans la pauvreté campagnarde ; et, tant dans l’ensemble de l’Italie, entre les populations rurales, les classes moyennes, les restes des noblesses locales, que dans chacune des villes qui n’ont pas oublié encore leurs origines propres, cet équilibre est maintenu au moyen des lois, de la religion, de la munificence, du prestige à demi divin des victoires et d’une haute réputation de sagesse, par la petite aristocratie de Rome qui désormais règne sur la péninsule : aristocratie héréditaire, mais non exclusive ; puritaine et dévote ; avare et rude ; préoccupée seulement d’avoir entre les mains les instrumens les plus efficaces de la domination, propriété foncière, droit, diplomatie, religion, gouvernement et milice ; indifférente ou défiante à l’égard de tout le reste, de la philosophie comme de l’art, de la culture grecque comme des cultes asiatiques, du luxe comme de la jouissance ; résolue à s’enfermer avec toutes les races italiques, qui la vénèrent comme un Olympe de demi-dieux, dans la religion ancienne et dans les traditions ancestrales, à se confiner dans les limites de cette Italie qu’elle a conquise par un si âpre labeur, et, dans ces limites, à lutter désespérément contre le destin qui, malgré elle et en dépit de sa résistance, la pousse à l’empire du monde.

Vains efforts ; car, à partir de la seconde guerre punique, le juste équilibre de l’ancienne société s’altère sous l’action des deux plus formidables puissances révolutionnaires qui, en tous les temps, modifient la face du monde : les nouveaux besoins et les nouvelles idées. Après que l’Empire s’est élargi au delà des mers, que les richesses se sont accrues, que les contacts se sont multipliés avec la civilisation raffinée de l’Orient hellénisé, dans tous les ordres sociaux grandissent des générations avides de lucres faciles, aspirant à une existence plus large et plus agréable, désirant une culture plus grande, et qui sont plus indociles. Beaucoup d’anciennes fortunes sombrent dans le courant de la prodigalité nouvelle, beaucoup de fortunes neuves en émergent. L’aristocratie s’appauvrit, ou se déprave, ou, dégoûtée, s’isole dans le regret du bon temps d’autrefois, ou encore se jette dans l’exotisme. Et ainsi se brisent la concorde, l’unité, la vigueur du corps social ; ainsi se lézardent les fondemens mêmes de l’Etat.

Partout, dans la religion, dans la famille, dans la république, l’ancienne discipline fléchit. L’ordre des chevaliers, fortifié par de récens succès, les classes moyennes, agitées par de nouvelles ambitions et aigries par la pauvreté, se révoltent contre la noblesse respectée depuis tant de siècles ; les intérêts, que ne contient plus la puissance d’une classe sûre de sa domination, engagent entre eux une lutte féroce au sein de l’État qui en souffre de nouveaux dommages ; peu à peu l’or corrompt tout ; et ce que l’or n’a pas le pouvoir de corrompre, il y a, pour le gâter, la suspicion ; plus funeste que l’or, le sombre pessimisme qui empoisonne les âmes ; de sorte qu’il n’est rien qui ne soit ou qui ne paraisse incurablement pourri. A l’ancienne concorde sociale succède le déchirement forcené des factions et des coteries qu’animent des haines atroces, et dont chacune reproche aux autres ses propres vices. La culture grecque pénètre et se propage facilement dans cette société déjà si ébranlée par les discordes, par la méfiance, par l’indiscipline ; mais, en même temps qu’elle affine ou fortifie les intelligences, elle en accroît le désordre. Des bouffées de fureur révolutionnaire passent à chaque instant sur Rome et sur l’Italie ; tant qu’enfin, le mal ayant pris de la force avec le temps et par sa propre virulence, il semble que, durant les vingt premières années du siècle qui précède l’ère chrétienne, la pieuse république de Camille et de Fabricius va se dissoudre dans l’impuissance, dans l’anarchie, dans les défaites, dans la rage insensée des discordes, et, finalement, dans la guerre civile. Que de fois, en ces fatales vingt années, les esprits même les plus intrépides durent-ils craindre que, sur cette colline sacrée, dans ce vallon du Forum où nous recherchons aujourd’hui avec une piété filiale les reliques de ces âges, ne passât bientôt, comme sur les lieux où avait été Carthage, la charrue du colon, effaçant à jamais de la surface de la terre les derniers vestiges de la ville scélérate et ensanglantée ! Un homme terrible, Sylla, sauve l’Empire en lui refaisant une armée à force d’argent et de saccages légitimes, et, par cette armée, en restaurant, à force de terreur, une grossière discipline sociale. Mais, lui disparu, et à mesure que les trésors de Mithridate, conquis par Lucullus, sont transportés en Italie, peu à peu s’y rallument, plus intenses, la fièvre des gains subits, la folie du luxe, l’ambition des grandes conquêtes ; et cela semble infuser une nouvelle vigueur à l’Etat décrépit.

Pompée suit l’exemple de Lucullus en conquérant la Syrie ; toute l’oligarchie maîtresse de Rome veut s’enrichir dans les provinces et auprès des potentats étrangers ; ceux qui ne sont pas de taille à conquérir un Empire, rançonnent les Etats et les petites principautés qui tremblent devant l’ombre de Rome ; les cours des roitelets de l’Orient, comme la grande cour des Ptolémées, à Alexandrie, sont envahies par des chevaliers et par des sénateurs faméliques qui, après avoir extorqué de l’argent par cajoleries et par menaces, reviennent le dépenser en Italie, où le luxe fait de rapides progrès, et avec le luxe les dettes, et avec les dettes la culture hellénique et orientale ; tandis que, parmi la trouble et incessante agitation de cet âge, grandit et poursuit son chemin l’homme fatal, César, lequel franchit enfin les Alpes et se jette sur la Gaule hérissée de périls et d’armes, pour y chercher gloire et trésors. L’État tombe au pouvoir de partis déprédateurs, audacieux, énergiques, sans scrupules, mais mobiles comme les intérêts qu’ils servent et dont ils se servent ; et ces partis, par leurs continuelles virevoltes et par leurs menées inquiètes, corrodent dans l’État vieilli ce peu de discipline que Sylla y avait rétabli à grand’peine.

Après trente et quelques années d’une paix intérieure telle quelle, à peu près tolérable et laborieusement maintenue, recommence une guerre civile, ou, pour mieux dire, une effroyable tourmente qui balaie d’abord les débris de la constitution de Sylla, puis la dictature de César, puis le Sénat et ce qui survit de l’aristocratie romaine, puis le triumvirat révolutionnaire, comme aussi divers États, grands et petits, aux confins de l’Empire et la royauté des Ptolémées. Que reste-t-il encore debout ? De toutes parts les ruines s’accumulent ; les hommes se demandent si Rome est la plus auguste ou la plus misérable des nations. L’un des esprits les plus lucides que Rome ait eus, mûri au milieu de ces vicissitudes, croit discerner partout une décadence qui précipite toutes choses de mal en pis :


Ætas parentum, pejor avis, tulit
Nos nequiores, mox laturos
Prolem vitiosiorem.


Et c’est au contraire le premier pas vers l’apogée. Après cette suprême épreuve, la culture gréco-orientale, qui avait désagrégé l’ancienne société italique, se convertit en une force de recomposition sociale ; étant donné la situation nouvelle qu’a créée dans le bassin méditerranéen la conquête romaine, elle y rétablit peu à peu un nouvel équilibre d’intérêts, d’aspirations, d’idées, de sentimens. Grâce à la paix, l’Occident barbare apprend de Rome à cultiver les terres, à exploiter les bois, à creuser les mines, à naviguer sur les fleuves, à parler et à écrire tant bien que mal le latin ; il se civilise, il achète les produits manufacturés dans les vieilles villes de l’Orient. À mesure que les nouveaux marchés de l’Occident lui offrent des débouchés, l’Orient rouvre les innombrables ateliers de ses industrieux artisans et les boutiques affairées de ses mercantis ; il remet en circulation sur les routes du monde amplifié par l’épée de Rome ses anciens négoces. Ainsi rajeunissent les antiques civilisations orientales, l’Egypte, la Syrie, l’Asie Mineure, à l’exemple et au contact des jeunes barbaries occidentales. Entre les unes et les autres est placée l’Italie, en excellente situation pour dominer cet Empire circumméditerranéen, où l’Occident neuf fait équilibre à l’Orient lourd d’histoire, où la Gaule neuve, admirablement développée dès le siècle qui suit la conquête, fait contrepoids à la vieille Egypte reflorissante. Pour la première, et malheureusement pour la seule fois qu’on a vu cela dans l’histoire, la Méditerranée s’ouvre comme une tranquille place de commerce où, sous la forte surveillance de Rome, se donnent rendez-vous, s’abouchent et trafiquent, désormais sans turbulences, l’Europe, l’Afrique et l’Asie. De cette paix facile naissent dans toutes les régions de l’Empire, en Gaule comme en Asie Mineure, en Espagne comme en Afrique septentrionale, de nouvelles et prospères classes moyennes, de nouvelles aristocraties provinciales, familles enrichies de frais, qui, comme c’est le lot de l’époque, n’ont pas ombre d’esprit militaire et politique, mais sont surtout avides de jouir des raffinemens de la civilisation urbaine ; tandis qu’à Rome les derniers débris de l’aristocratie romaine, de cette aristocratie qui, par tradition, était politiquante et belliqueuse, finissent de s’éteindre. Avec la classe qui, seule, possédait encore cette qualité, l’esprit politique et militaire s’éteint dans tout l’Empire ; et alors une famille, qui s’en défend en vain et qui semble avoir peur de sa propre fortune, est obligée, malgré elle, d’assumer tous les privilèges et toutes les responsabilités du pouvoir suprême, responsabilités patagées pendant tant de siècles entre tant de familles. Jamais on ne comprendra rien à l’histoire de Rome si on ne comprend pas que la famille Julia Claudia fut obligée d’assumer et d’exercer malgré elle un pouvoir qui, insensiblement, devint monarchique, de la même manière que la noblesse romaine avait été obligée de fonder malgré elle l’Empire dont elle avait peur. Bien plus, c’est en cette contradiction que se résume ce que l’on pourrait appeler l’essence philosophique de l’histoire romaine, puisque Rome périt par sa victoire même, puisqu’elle s’anéantit dans l’Empire qu’elle a fondé.

A mesure que refleurit l’Orient et que l’Occident se développe, à mesure que grandissent partout la prospérité, le nombre, le pouvoir des classes moyennes et des aristocraties provinciales, l’immense Empire prend la forme, non plus d’un robuste organe de domination politique et militaire, tel que l’était la vieille République romaine, mais d’un de ces Etats, organes d’une civilisation urbaine très raffinée, que l’Hellénisme avait produits en Orient. Gréé par une dure et puritaine aristocratie, par une aristocratie strictement nationale de diplomates et de guerriers, cet Empire tombe au pouvoir d’une aristocratie et d’une bureaucratie cosmopolites, pacifistes, lettrées, philosophantes, dont l’amalgame est formé dans tout l’Empire, non plus par une réelle ou imaginaire communauté d’origine, de traditions et d’histoire, mais par une brillante, quoique superficielle culture littéraire et philosophique, et par la religion politique de l’Empire et de l’Empereur. La force de cohésion qui relie intérieurement la masse énorme de l’Empire, ce n’est plus seulement les armes et les lois, c’est surtout la civilisation urbaine, laquelle dérive de l’Orient hellénisé. De même que l’Empereur à Rome, les familles riches, dans toutes les provinces, dépensent, à l’instar de l’Empereur, une partie de leurs biens pour embellir les cités, pour augmenter les gains, le confort et les plaisirs du menu peuple ; elles bâtissent des palais, des villas, des théâtres, des temples, des thermes, des aqueducs ; elles font des largesses de blé, d’huile, de divertissemens, d’argent ; elles dotent des services publics ou réalisent des fondations charitables. L’Empire se couvre de villes grandes et petites, qui rivalisent entre elles de splendeur et de beauté ; et dans ces villes viennent s’installer les populations pauvres des campagnes, les artisans, les paysans enrichis ; et dans plusieurs d’entre elles s’ouvrent des écoles où les jeunes gens de la classe moyenne, en apprenant l’éloquence, la littérature, la philosophie et le droit, se préparent aux fonctions bureaucratiques qui, de génération en génération, croissent et se ramifient. C’est cette bureaucratie lettrée et philosophante qui introduit dans le droit romain, originairement empirique, l’esprit philosophique et systématique, qui introduit dans l’administration, originairement autoritaire, l’esprit juridique. Et c’est ainsi que, durant le second siècle, l’Empire étale au soleil de la paix romaine, qui illumine le monde, ses innombrables cités toutes resplendissantes de marbres.

Mais, hélas ! pour peu de temps : car une nouvelle dissolution commence. La civilisation urbaine et cosmopolite, qui avait rattaché les unes aux autres les diverses parties de cet Empire si disparate, recommence d’agir, au cours du troisième siècle, comme une force dissolvante qui rejette dans le chaos ce monde brillant qu’elle en avait tiré. Peu à peu, avec l’accroissement spontané des villes et de leur luxe, ce que consomme la civilisation urbaine dépasse la fécondité des campagnes ; et, dès lors, celles-ci se dépeuplent et se stérilisent, épuisées par les villes qui en absorbent la population et la richesse. Quelle force humaine chassera jamais des villes les populations rurales qui sont venues s’y établir, après que ces populations ont goûté aux commodités, aux plaisirs et aux vices d’une civilisation raffinée ?

Désormais, l’Empire est dévoré tout vivant par ces villes qui pullulent sur son corps énorme. Pour nourrir les populations qui s’y entassent, pour les amuser et pour les vêtir, les campagnes sont désolées par un terrible régime fiscal, l’agriculture est ruinée, les arts essentiels se meurent, les finances s’effondrent, l’administration se détraque ; et bientôt le jour viendra où, dans l’Empire, par une monstrueuse interversion des rapports naturels des choses, se multiplieront à l’infini les artisans du plaisir et du luxe, tandis qu’il n’y aura plus de paysans pour labourer les champs, plus de fourniers pour cuire le pain, plus de marins pour sillonner les mers, plus de soldats pour défendre les frontières. C’est le commencement d’une effroyable dissolution sociale, dont l’histoire n’est pas encore écrite, et au milieu de laquelle sévit une des plus redoutables perturbations morales que l’esprit humain ait jamais eu à subir : car le mysticisme, le cosmopolitisme, l’antimilitarisme, le conflit qui met aux prises, d’une part, les vieilles classes instruites et l’ancienne culture gréco-romaine, d’autre part, les nouvelles doctrines religieuses en voie de formation et spécialement le christianisme, détruisent la substance vitale de la civilisation antique. L’Empire se défend avec la fureur du désespoir, mais sans succès. L’Orient et l’Occident se séparent, et l’Occident, abandonné à lui-même, s’abîme ; la plus grande d’entre les œuvres de Rome, cet Empire qu’elle a fondé en Europe, couvre maintenant de ses ruines l’immense territoire qui confine au Rhin et au Danube : ruines énormes de monumens abattus, de peuples redevenus barbares, d’arts abolis, de langues oubliées, de lois déchirées ou mutilées, de routes, de villages, de villes effacées du monde et réabsorbées par la forêt primitive qui, lente et tenace, repousse dans ce cimetière d’une civilisation, sur les gigantesques ossemens de Rome.

Tel est l’arbre qui sortit du petit germe semé sur cette terre, — ainsi le veut la tradition, en ce jour dont nous célébrons l’anniversaire, il y a deux mille six cent soixante-trois ans. Depuis des siècles cet arbre est renversé. Pourquoi donc les hommes viennent-ils encore, de toutes les parties du monde civilisé, fouiller avec une curiosité si ardente le lieu où furent ses racines ? C’est parce que, en aucun des Etats qui, tour à tour, prédominèrent sur leur époque, jamais les forces de dissolution et de recomposition, qui font et qui défont continuellement les civilisations, ne purent agir pendant une si longue suite de siècles avec autant de liberté qu’à Rome, sans être ni retardées ni accélérées par les périls et par les chocs extérieurs, qui, d’ordinaire, agissent si puissamment sur la destinée des peuples. En cela et par cela, Rome est vraiment un phénomène unique dans l’histoire du monde. Depuis la destruction de Carthage jusque fort avant dans la période la plus calamiteuse de l’ultime décadence, Rome eut sans doute quelques fortes, mais passagères alarmes ; jamais toutefois elle ne connut ni l’oppression, ni la stimulation de dangers extérieurs graves et durables. Aussi lui fut-il loisible de s’abandonner entièrement à l’action des forces internes qui, de siècle en siècle, intervenaient pour la modifier ; et voilà pourquoi son histoire est, comme je l’ai dit, une histoire complète, où se retrouvent tous les fils dont est tissée et retissée incessamment cette vaste toile de Pénélope qu’est l’histoire ; fils qui, s’ils s’entrelacent d’une infinité de manières, ne sont pas pourtant innombrables, et qui demeurent toujours les mêmes dans tous les temps.

On y voit, par exemple, dans cette histoire, comment un empire se constitue et se désagrège ; comment une aristocratie historique se disloque et comment une démocratie peut périr d’épuisement ; par quels processus internes une république se convertit en monarchie, un Etat militaire et national se transforme en un Etat de baute culture, par affaiblissement, par relâchement, si bien que, petit à petit, il s’effrite tout à fait dans l’individualisme, dans l’intellectualisme, dans l’humanitarisme, dans le cosmopolitisme. On y voit comment un régime autoritaire s’embarrasse peu à peu lui-même dans un système juridique très compliqué ; on y remarque plusieurs grandes révolutions et plusieurs grandes réactions, d’innombrables répercussions de la politique intérieure sur l’extérieure et réciproquement ; on y peut étudier à merveille ce qui, sans doute, est le plus mystérieux et le plus inquiétant de tous les phénomènes historiques, la violente répulsion morale que, surtout à leurs débuts, suscitent les civilisations qui, plus tard, mûries ou mortes, sont admirées comme les chefs-d’œuvre des grands peuples ; on y observe enfin une religion politique qui est détruite par une haute culture littéraire et philosophique, et une nouvelle religion mystique qui se forme des détritus de cette même culture. Je n’aurais pas terminé de sitôt, si je devais énumérer tous les élémens de l’histoire universelle que cette histoire de Rome nous présente rassemblés comme dans une synthèse et, pour plus de commodité, groupés autour d’un centre qui est Rome même, centre qui manque à l’histoire très éparpillée de la Grèce, et d’où il est si facile d’embrasser dans son ensemble l’immense panorama. C’est par là que l’histoire de Rome est complète et synthétique ; c’est pour cela qu’en elle toutes les époques peuvent retrouver quelque chose d’elles-mêmes et se regarder comme dans un miroir.

Il est notoire, en effet, que, surtout pendant les trois derniers siècles, après que de nouveaux et puissans Etats eurent commencé à se reconstruire sur l’émiettement politique du moyen âge, Rome, son histoire, sa littérature, sa législation furent comme un modèle, un schéma, ou, si l’on veut, un mirage historique projeté par le passé devant les générations qui cherchaient la voie de l’avenir ; et c’est en tâchant de se rapprocher de ce modèle que ces générations réussirent à trouver cette voie qu’elles avaient en vain cherchée si longtemps. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, Rome est l’exemple qu’ont sous les yeux toutes les grandes monarchies qui se fondent en Europe ; au XVIIIe et au XIXe siècle, Rome, par l’histoire de la République, par le culte fervent de Brutus, par le roman scandaleux des Julii Claudii, roman que nous ont transmis Suétone et Tacite, fomente l’opposition contre la monarchie absolue ; après la Révolution française, Rome encore fournit à la monarchie, comme argument et comme moyen de persuasion, les apologies césariennes de Drumann, de Duruy, de Mommsen, et les éloges prodigués à l’administration impériale. On peut même dire que plusieurs, parmi les plus célèbres histoires de Rome composées au XIXe siècle, n’ont été écrites qu’en vue du conflit engagé entre la république et la monarchie. Et c’est précisément pour cela que, la lutte entre ces deux principes politiques étant venue à s’affaiblir pendant le dernier quart du XIXe siècle, non seulement les histoires de Rome ainsi conçues vieillirent, mais encore maintes personnes se persuadèrent que l’intérêt porté jusqu’alors aux études romaines n’avait plus de raison d’être. « Nous sommes, dit-on, dans le siècle de l’électricité et de la vapeur. La tâche de notre époque, c’est de contenter la classe moyenne et la classe populaire, qui veulent, non des guerres et des révolutions, mais une existence plus sûre et plus commode ; c’est de travailler infatigablement à créer les prodigieuses richesses qui, seules, peuvent satisfaire les nouveaux désirs de multitudes si nombreuses. Une histoire ancienne, toute remplie d’expéditions militaires et d’entreprises politiques, est inévitablement devenue étrangère à un siècle qui a besoin de machines plus que de lois, de chimistes et de physiciens plus que de guerriers et de lettrés. » A quoi on ajoute encore que le latin qui, jusqu’au siècle dernier, restait une langue à demi vivante, s’est définitivement éteint au XIXe siècle, étouffé par le luxuriant développement des langues et des cultures nationales, enseveli sous les ruines de la puissance politique de l’Eglise, laquelle, pour l’idiome comme pour tant d’autres choses, avait continué l’Empire romain. N’est-il pas évident que la mort de la langue latine marque pour Rome le début d’une nouvelle, suprême et irréparable décadence ?

Et, de fait, lorsqu’il fut pratiquement démontré que, même au siècle de l’électricité et de la vapeur, c’était chose facile de réveiller l’intérêt qui s’attachait autrefois aux études romaines, la plupart de nos contemporains, pour s’expliquer à eux-mêmes ce singulier phénomène, l’attribuèrent à la remodernisation un peu violente, — louable, selon les uns, très blâmable, selon les autres, — que j’en avais faite. Mais il y a là une curieuse illusion, qui n’a pu trouver crédit, même auprès des historiens, qu’eu raison du petit nombre de gens qui, de nos jours, lisent avec attention les auteurs anciens. Tous ceux qui ont une connaissance approfondie de la littérature latine, savent que je n’ai remodernisé en rien l’histoire romaine ; tout au contraire, en revenant au point de vue d’où Tite-Live était parti, point de vue qui, d’ailleurs, ne lui appartient pas en propre, puisqu’il lui est commun avec nombre d’autres écrivains de la même époque ; en revenant, dis-je, à ce point de vue, en le débarrassant des préoccupations morales et politiques des temps modernes et en m’efforçant de le corroborer par l’expérience plus mûre d’une civilisation plus vieille de vingt siècles, j’ai retrouvé le véritable esprit de l’antiquité. Cette mienne histoire de Rome, que quelques-uns ont jugée révolutionnaire, est déjà tout entière en germe dans la courte préface que Tite-Live a mise en tête de son grand ouvrage, pour regretter la simplicité et la pureté des vieilles mœurs, gâtées par la corruption qui, peu à peu, envahit Rome.

Or, quiconque étudie à fond cette doctrine de la « corruption, » qui préoccupa et qui inquiéta si longtemps la pensée romaine, discerne aisément dans les trois vices capitaux, avaritia, ambitio, luxuria, la cause qui, progressivement, de génération en génération, fait grandir les besoins et les appétits, et qui, au début du XXe siècle, nous oblige tous à nous exténuer de travail. L’avaritia est la fureur du gain continu, péché aujourd’hui commun à tous les hommes, dans toutes les classes de la société. L’ambitio est ce que nous appelons l’‘« arrivisme, » cette irréfrénable poussée par laquelle tous les hommes s’efforcent de se hausser à une situation supérieure à celle où ils sont nés. La luxuria est la passion d’accroître toujours ce confort, ce luxe, ces jouissances dont l’Europe et l’Amérique ont positivement la frénésie. Mais, si l’on entend ainsi la doctrine de la « corruption, » toute l’histoire de Rome, même en ses périodes les plus remplies de révolutions, de guerres et de conquêtes, cette immense histoire qui, depuis tant de siècles, se dresse devant notre civilisation ainsi qu’un prodige, est ramenée facilement, comme à un de ses plus profonds et de ses plus puissans moteurs, à un phénomène que chacun de nous peut comprendre sans peine, puisqu’en ce moment même ce phénomène environne de toutes parts notre propre existence. Voilà pourquoi le siècle de l’électricité et de la vapeur, en mettant l’œil à l’oculaire disposé, il y a vingt siècles, par Salluste et par Tite-Live pour des observations moins modernes, pouvait, non seulement plonger son regard au milieu de cette histoire confuse et terrible, non seulement en apercevoir le fond, mais aussi se mirer en elle et s’y retrouver.

Dans cette histoire, notre siècle a retrouvé çà et là, dispersés fortuitement, maints petits fragmens de lui-même : par exemple, quelques-unes des luttes que les partis se livrent aujourd’hui en France ; par exemple, certains horoscopes que l’on tire aujourd’hui en Angleterre sur les destinées de l’Empire et sur le sort de l’aristocratie débilitée ; par exemple, le conflit, si ardent en Amérique, entre la tradition puritaine et la trouble civilisation de l’argent. Mais il y a retrouvé aussi et surtout, dans cette histoire ancienne, la loi suprême du destin qui pend sur sa propre tête, à savoir cette implacable et mystérieuse ironie de la vie, qui annihile dans leur triomphe même tous les grands essors de l’humanité, la tragique désillusion de toutes les générations qui ont le bonheur ou le malheur de vivre en un temps où une ère historique approche de son sommet, quand l’heure arrive où elles pressentent que, mieux leur effort réussit, plus il devient inutile. De même que Rome s’est anéantie dans la conquête, en y perdant ses vertus militaires et politiques et pour ainsi dire sa propre essence, de même notre civilisation » devenue puissante à produire de prodigieuses richesses grâce à une séculaire et méthodique culture, détruit maintenant peu à peu cette culture en ensevelissant ce qu’il y a en elle de plus noble, art, littérature, philosophie, religion et politique, sous l’alluvion des nouvelles richesses hâtivement produites ; en sacrifiant ou en compromettant sourdement, dans toutes les choses, au profit de la quantité appréciable par la grossière raison du nombre, la qualité dont l’excellence n’a pas de mesure définissable, sur laquelle on peut discuter à perte de vue, et qui, par cela même, est une perpétuelle cause de discorde en même temps qu’elle est l’unique source de la vraie grandeur. Il y a trouvé enfin, dans cette histoire ancienne, la subtile angoisse que cette contradiction fondamentale met dans tous les essors historiques qui s’élèvent bien vite vers leur point culminant. De même que Rome souffrit de se dénaturer dans sa victoire et se crut perdue à la veille de son apogée, de même, nous aussi, nous éprouvons un malaise à mesure que les richesses croissent autour de nous. A force de vouloir nous faire la vie commode, douce et aisée, nous la grevons intolérablement de complications, de responsabilités et de devoirs ; à force de vouloir épargner le temps et le travail, nous nous réduisons, parmi les innombrables affaires qui nous encombrent l’esprit, à n’avoir plus le loisir de nous souvenir de nous-mêmes et d’être des hommes. Cette subtile angoisse, c’est par elle, peut-être, que l’homme expie le péché d’orgueil commun à toutes les civilisations, le péché de croire qu’à chaque génération, ou peu s’en faut, il est capable de se créer par lui-même une destinée nouvelle, une destinée unique, la plus grande et la plus belle ; et l’homme moderne, contraint à subir dans le présent cette angoisse, la retrouve idéalisée par le recul des temps dans l’histoire de Rome.


Il est facile maintenant de comprendre en quoi consiste ce privilège de l’histoire romaine auquel j’ai fait allusion tout à l’heure, en ajoutant que l’intérêt commun de tous les enfans de Rome était de ne pas le laisser prescrire. Des études classiques, et par conséquent aussi des études romaines on a fait peu à peu l’opposé de cet esprit pratique et positif qui serait une des plus hautes vertus de notre bienheureuse époque. Mais sur quel fondement ? Pour le montrer, il suffit de se poser cette seule question : — Est-il possible d’imaginer que les progrès des arts mécaniques et des sciences chimiques aient un jour pour effet de rendre inutiles dans le monde les hommes d’Etat, les administrateurs, les diplomates, les juristes, les généraux, les éducateurs, les lettrés, les philosophes, les ministres de la religion ? — La réponse est impliquée dans la question même : car il est bien clair que, dans n’importe quelle civilisation, il ne suffit pas aux hommes de dominer la nature, il leur faut aussi savoir agir sur les esprits de leurs semblables.

Or, par la réponse faite à cette question, le problème si controversé des études classiques est déjà résolu, au moins en principe. Ce ne sont pas les sciences physiques, c’est seulement la littérature, l’histoire et la philosophie qui peuvent servir d’enseignement, de préparation et de discipline à cette partie de tout organisme social dont la fonction est, non d’opérer sur la matière du monde physique, mais d’agir sur les esprits de nos semblables, non d’exploiter les forces de la nature, mais de régler les rapports des hommes entre eux. Donc, il n’est pas même possible de concevoir notre civilisation dépouillée de sa culture littéraire, historique et philosophique, pas plus qu’il n’est possible de concevoir un être vivant dont un organe vital aurait été amputé. Car enfin il est hors de doute, ce me semble, que, quand on y aura bien réfléchi, on ne trouvera pas d’autre différence essentielle entre ces deux façons de vivre en société qui se nomment la civilisation et la barbarie, entre l’empire de Trajan et la royauté des Lombards, entre un État quelconque de l’Europe et ces infimes tyrannies qui dominaient encore une si grande étendue de l’Afrique avant la conquête européenne, sinon la suivante : dans une société civilisée, ceux qui gouvernent, qui administrent, qui jugent, c’est-à-dire qui règlent les rapports des hommes entre eux, sont pourvus d’une haute culture philosophique et littéraire, tandis que, dans les pays et aux époques barbares, ils accomplissent leur fonction en se conformant à de vieilles traditions non discutées, en se référant aux simples préceptes de religions encore grossières, et, pour le reste, en suppléant à ce qui leur manque, soit par leur rude génie naturel, soit par l’emportement des passions.

Mais, si l’on admet cela, et je ne vois pas comment on pourrait se refuser à l’admettre, force est bien de reconnaître aussi que, dans l’avenir comme dans le passé, Rome sera partie intégrante de cette haute culture, à condition toutefois que nous, qui précisément sommes ses enfans, nous ne nous obstinions point, par un esprit mal entendu de fausse modernité ou, pis encore, par un accès quinteux de malsain exotisme, à vouloir raser jusqu’aux fondemens les derniers restes de sa grande histoire. Complète et synthétique, facilement remodernisable à toutes les époques, commode à étudier, vaste, mais pas à tel point qu’elle excède les forces compréhensives de l’esprit humain, cette histoire, est en quelque sorte une miniature très nette ou une esquisse très lucide de l’histoire universelle ; et c’est pour cela que, dans la culture des peuples modernes, elle peut et doit servir de couronnement commun à l’éducation qui, en chaque pays, commence naturellement par la littérature et par l’histoire nationales. Ne nous laissons pas décourager par la décadence passagère de cette tradition intellectuelle ; c’est au contraire un surcroît de forces que nous devons tirer, afin de la rénover, de ces phénomènes mêmes qui, selon une opinion très répandue, devraient nous ôter toute confiance pour l’avenir. Si notre siècle est profondément matérialiste, si, en dépit de la civilisation générale, il va se divisant et se subdivisant en un grand nombre de peuples, de langues et de cultures différentes, il aura besoin plus encore que les autres d’une culture commune en laquelle, chez chaque nation civilisée, les élémens supérieurs de la société puissent prendre contact, s’unir, se pénétrer plus profondément et plus intimement que dans la promiscuité momentanée des grands hôtels somptueux, dans les brèves rencontres des congrès ou dans la furieuse manie de voler sur toutes les routes du monde en automobile. Le principe national est trop enraciné dans notre civilisation pour que le monde moderne puisse, du moins dans un avenir prochain, se métamorphoser en une Cosmopolis ; mais il ne peut et ne doit pas non plus devenir une Tour de Babel où toutes les langues se confondent. Aussi lui faut-il, si j’ose dire, une langue idéale commune et des élémens universels de culture qui soient comme autant de ligamens et de jointures entre les différens peuples de l’Europe et de l’Amérique. où les trouver, ces élémens universels ? Rome ancienne peut encore nous en offrir quelques-uns, comme le prouve ce fait indéniable : l’histoire de Rome est, avec celle de la France au XVIIIe siècle et avec celle de la Révolution française, la seule qui soit vraiment universelle et qu’on lise partout.

Dès lors, est-il nécessaire d’employer beaucoup de paroles pour démontrer que les enfans de Rome ont intérêt à ne pas laisser prescrire ce privilège ? Tant que l’histoire, la littérature, le droit de Rome resteront partie intégrante de la haute culture en Europe et en Amérique, nous, peuples latins, nous jouirons, dans le monde, d’une sorte de majorât intellectuel ; nous réussirons à faire que tous les peuples des deux continens demeurent, à certains égards, tributaires de notre culture ; nous prolongerons encore pendant des siècles, dans le domaine des idées, cet Empire romain qui gît par terre. Je n’ignore pas que notre siècle a coutume de convoiter des empires plus solides que ces domaines de l’invisible, qui ne peuvent ni se mesurer, ni se partager, ni s’amplifier, ni s’échanger. Mais si, dans la civilisation moderne, la haute culture n’est pas destinée à devenir l’humble servante de la finance et de l’industrie, jamais cet invisible et impalpable empire ne pourra, lui non plus, être abandonné sans dommage et sans honte par les peuples qui l’ont reçu de leurs pères en héritage ; d’autant plus que, — et c’est là une considération à laquelle l’esprit pratique des temps modernes devrait ne pas être insensible, — il n’est pas besoin, pour le conserver, de recourir à la puissance des armes et de l’argent, ni de combiner les efforts des peuples, des institutions et des partis, ni de se risquer en de périlleuses entreprises. Il suffit que persiste, tant dans l’État que dans les classes intellectuelles, un sentiment profond, sincère et désintéressé de la grande tradition latine.

Si l’histoire de Rome peut remplir cette fonction unique dans la culture européo-américaine, elle le doit à ce qu’elle est une unité complète. Mais, si l’on divise cette unité en chacune des parties et des particules qui la composent, par quoi ces parties et ces particules différeront-elles et comment pourront-elles se distinguer des données analogues qui composent les nombreuses histoires de tant d’autres peuples, histoires plus fragmentaires et plus unilatérales ? En soi et par soi, une inscription latine vaut tout juste autant qu’une inscription grecque ou qu’une inscription phénicienne, un débris de monument romain vaut tout juste autant qu’un pan de mur resté debout à Mycènes ; et peut-être même les reliques de Rome valent-elles moins, puisqu’elles sont plus abondantes et qu’il est relativement facile de les retrouver. Mais ce qu’il y a d’unique dans l’histoire de Rome, c’est le plan sur lequel ces matériaux peuvent se recomposer. Il y a donc un critérium sûr pour apprécier les travaux faits sur l’antiquité romaine, ainsi que leurs tendances, et ce critérium, le voici. En toute histoire, lorsque l’analyse n’est pas une immédiate préparation de la synthèse, elle est une méthode indûment transportée des sciences naturelles à des phénomènes qui ne la comportent pas ; et en outre, dans l’histoire romaine, en particulier, elle est un vandalisme et un sacrilège, elle est la destruction de Rome continuée sur les derniers restes intellectuels de son vaste empire.

En effet, si l’on recherche la raison morale et interne, — abstraction faite, par conséquent, des causes externes et sociales qui d’ailleurs sont nombreuses et importantes, — de la ruine dont sont affligées aujourd’hui les études classiques, ruine qui, vers le milieu du XIXe siècle, a tant nui à la grandeur de Rome dans le monde, on trouvera que cette raison est l’abus de l’analyse devenue à elle-même sa propre fin, aussi bien dans les études littéraires que dans les études historiques. Pour des motifs qu’il serait trop long de déduire, les nouvelles études relatives à l’antiquité, qui, au cours du XVIIIe et du XIXe siècle, naquirent de la dissolution du vieil humanisme, se sont de plus en plus éloignées de la philosophie, dans la familiarité de laquelle pourtant l’histoire avait toujours vécu durant toute la suite des siècles les plus brillans de notre civilisation, et, à la fin, elles se sont jetées entièrement entre les bras de la science, ou, pour mieux dire, elles ont cru s’y jeter : car, en fait, elles n’ont étreint qu’une ombre. Les résultats de cette erreur sont manifestes aujourd’hui.

Dans les écoles, l’analyse à outrance a porté le coup de grâce au latin, qui végétait encore, il y a un siècle, en substituant au vieil enseignement humaniste une analyse philologique dont la sécheresse a eu pour conséquence de faire rejeter avec dégoût par les nouvelles générations les plus beaux livres de Rome. Pour ce qui concerne l’histoire, cette analyse excessive, en décomposant arbitrairement les phénomènes, a étrangement confondu, tant les règles d’après lesquelles on doit poser les problèmes, que les méthodes qui servent à les résoudre ; elle a créé des problèmes chimériques, et elle n’a pas vu les véritables ; par son obstination à trop savoir et avec trop de détails, elle a souvent obscurci et rendu incompréhensible même ce qui, malgré des lacunes, était clair ; enfin elle a obligé l’histoire à répudier l’art et elle l’a ainsi séparée de la vie et du commerce des hautes classes, cette histoire qui, à toutes les grandes périodes de notre civilisation, par Thucydide, par Polybe, par Tite-Live, jusqu’à Francesco Guicciardini, avait été l’un des plus énergiques stimulans intellectuels de toutes les aristocraties vraiment dignes de gouverner.

Telle est la raison pour laquelle, commémorant, il y a trois mois, à Turin, Cesare Lombroso, je disais que je le reconnaissais comme le premier de mes maîtres : car lui seul, entre tous nos contemporains, m’avait enseigné par l’exemple à reconstituer une unité vivante avec des fragmens morts et dispersés. Telle est la raison pour laquelle j’estime aussi que tout homme de haute culture, ayant à cœur le prestige intellectuel des nations latines, devrait s’efforcer de tirer hors des cloîtres silencieux de l’érudition les études romaines, pour les ramener au milieu de la vie, des passions, des intérêts et des luttes du monde. Non, Rome ancienne ne doit pas vivre seulement dans les petits comités des érudits et des archéologues ; elle doit vivre dans l’âme des générations nouvelles, projeter son immortelle lumière sur les nouvelles sociétés qui s’élèvent des profondeurs des temps modernes. Car, le jour où l’histoire romaine et ses monumens ne seraient plus que des matériaux morts bons pour la seule érudition, qui les classerait et les cataloguerait dans les musées, à côté des briques du palais de Khorsabad, des statues des rois assyriens et des reliques de Mycènes, l’Empire de Rome, qui, présentement, n’a pas rendu encore le dernier soupir, irait rejoindre aux Champs Elysées de l’histoire les ombres des empires abolis, errerait là-bas sous les cyprès en compagnie de l’Empire babylonien, de l’Empire égyptien, de l’Empire carolingien ; et la civilisation latine aurait à subir dans le monde un nouveau désastre.

Ne nous montrons pas indignes de la singulière fortune historique que nous avons héritée de nos ancêtres ; comprenons pleinement ce qu’il y a de rare et même d’unique dans cette survivance idéale d’un empire tombé depuis tant de siècles et qui, éliminé du jeu des intérêts mondiaux, subsiste encore dans le système des forces morales qui animent la société moderne, n’écoutons pas ceux qui affirment que désormais les restes sacrés de la Rome antique ne peuvent plus servir que de supports aux aéroplanes volant majestueusement dans le silence de la campagne latine ; tâchons surtout, nous qui, depuis quarante ans, avons apporté dans la vieille enceinte des murs auréliens l’outillage, les idées et les intérêts d’une civilisation toute récente, tâchons de ne pas mériter que l’Eglise nous adresse le reproche d’avoir détruit, nouveaux barbares, ce qui survivait de cet Empire de Rome qu’elle a recommencé et continué avec des fortunes diverses, depuis l’effroyable catastrophe de l’Empire d’Occident. La tradition romaine pourra fleurir encore, vivace rameau, sur le tronc de notre civilisation, pourvu que nous ne nous opiniâtrions pas nous-mêmes à le couper, pourvu que nous nous appliquions à conserver aux études romaines cette valeur universelle qui seule peut en faire un élément essentiel de la culture moderne. Peu importe* si les autres histoires vieillissent ; ce qu’il faut, au contraire, à l’histoire romaine, précisément parce qu’elle sert à éduquer les générations nouvelles, c’est qu’on la rajeunisse sans cesse, non seulement en lui incorporant les faits nouveaux découverts par l’érudition et par l’archéologie, non seulement en lui infusant un plus large esprit philosophique et en lui appliquant l’expérience mûrie de l’humanité, mais surtout en travaillant à lui conserver et à lui accroître cette qualité, qui est la plus haute dont puisse se prévaloir une histoire destinée à être lue et étudiée par tous, à savoir, la clarté humaine.

Et, si telle est l’obligation qui s’impose à tous les enfans dévoués que Rome compte encore dans le monde, il me semble que, pour conclure ce discours prononcé à la date anniversaire de la fondation de Rome, je ne saurais mieux faire que d’accomplir un acte qui sera en quelque sorte une symbolique expiation adressée aux mânes, si cruellement offensés par le XIXe siècle, d’un homme à qui la Ville doit bien quelque gratitude, puisqu’elle lui doit l’existence : je veux dire, de ressusciter Romulus.

Nul n’ignore dans quelle mystique pénombre est enveloppé le Natale Urbis. Quel commencement eut la fabuleuse grandeur de cette cité fortunée ? En tous les siècles les hommes auraient bien voulu déchirer ce voile mystérieux et connaître la réalité des choses. Mais, pendant des siècles et des siècles, on s’était contenté de répéter une poétique, encore qu’un peu confuse légende, où miracles et prodiges entouraient le berceau de la cité. Des générations et des générations avaient maudit le scélérat Amulius, plaint le malheureux Numitor et la pauvre Rhea Sylvia, chéri le bon Faustulus, médité sur l’ombre du Figuier Ruminal, caressé en imagination la Louve maternelle et salué l’aimable Pic qui descendait pour nourrir et pour abriter de ses ailes les jumeaux prédestinés. Que ce récit lut un épais tissu de fables, les Anciens l’avaient déjà compris ; mais ils en avaient respecté la trame, d’abord par dévotion civique, ensuite par une espèce de respect religieux porté aux vieilles traditions, et enfin parce qu’ils étaient incapables de lui substituer un autre récit plus précis et plus clair. L’homme doit si souvent se résigner à ignorer ! Mais voici venir le terrible XIXe siècle qui, lui, prétend tout savoir, se croit capable de tout découvrir ; et il saisit entre ses dures mains de machiniste ce tissu de fables, le lacère, l’effiloche, persuadé qu’il retrouvera la vérité entre les fils disjoints, le réduit si bien en charpie que, finalement, ce qui lui reste entre les mains n’est plus qu’un inextricable fouillis de matière morte. L’antique fable s’est évanouie avec tous ses personnages ; le pic s’est renvoie dans le ciel ; la louve s’est renfoncée dans la forêt ; Romulus lui-même, le fondateur révéré et divinisé de la ville, n’est plus qu’un nom ; et tout ce qui reste à la place de la légende, c’est un vide ténébreux, sondé en vain par d’ingénieux historiens avec les longues perches de l’hypothèse, sans qu’ils réussissent à y retrouver un lambeau de vérité.

Et pourtant, puisque Rome a existé, il faut bien qu’elle ait eu un commencement humainement intelligible. Or est-il exact qu’il n’y ait dans l’antique fable aucune lueur de vérité humainement intelligible ? Après qu’on a retranché de la légende qui se raconte sur la fondation de Rome la poésie qui l’enveloppe et qui l’imprègne, il me semble qu’il subsiste un renseignement assez sûr et assez solide, encore que très sommaire, à savoir que, conformément au témoignage de Denys, Rome fut une colonie d’Albe, colonie où essaima de la montagne vers la plaine une partie de la population de cette vieille cité. La ville de Rome ne naquit donc pas d’un petit village qui aurait grandi peu à peu, à la faveur des circonstances ; ce fut une ville fondée d’un jet, par un acte de volonté personnelle, selon un dessein étudié, dans un lieu choisi intentionnellement ; une ville qui, par conséquent, fut, dès le principe, dotée d’institutions religieuses, militaires et politiques déjà mûres, puisque, d’une part, elles avaient subi dans une autre ville plus ancienne l’épreuve d’une longue expérience, et que, d’autre part, elles avaient sans doute été modifiées avec prudence quand il s’agit de les adapter à des besoins nouveaux.

Bref, ce fut une ville qui naquit adulte, comme certaines villes, — permettez-moi cette comparaison trop moderne, — qui se fondent maintenant en Amérique ; ce fut, à ses origines, une ville neuve avec une vieille culture. Ainsi s’expliquent, et sa merveilleuse position dans le Latium, sur un fleuve, entre la mer et la montagne, elle compte précis que les Anciens ont fait de ses années depuis sa fondation, et son entrée subite et hardie dans l’histoire, et la rapidité de son développement. Mais d’ailleurs, cette ville ne put être fondée que par un ou par plusieurs chefs qui en choisirent l’assiette, qui en étudièrent les aménagemens, qui en réglèrent toutes les dispositions avec sagesse. Rien plus : l’heureux choix de l’assiette, comme aussi la sagesse des dispositions prises, nous induisent à croire que ce chef fut réellement un grand homme. Mais, puisqu’un fondateur était nécessaire pour fonder Rome, quelle raison avons-nous de nier que le fondateur fût-ce Rémus ou ce Romulus dont nous parle l’ancienne tradition ? Inculpé déjà de tant de graves méfaits par la critique moderne, je m’avoue encore coupable d’admettre que ce peu de connaissances précises et vraies que nous possédons sur les origines de Rome est contenu tout entier, ou peu s’en faut, dans l’ancienne tradition, et que, vers le milieu du VIIIe siècle avant Jésus-Christ, — à quelques années près, en plus ou en moins, — un prince de la famille qui régnait à Albe, pour. des motifs que laisse malaisément entrevoir la légende, vint dans cette enceinte de collines et fonda sur le Palatin une petite ville qu’il lança dans l’éternité.

Je dis qu’il la lança dans l’éternité : car il est encore possible d’attribuer à Rome la gloire d’être éternelle sans tomber dans les pompeuses hyperboles d’une rhétorique de décadence, si l’on veut dire par là que ce qui a rendu complète l’histoire de Rome, c’est l’effort synthétique, c’est le travail longtemps soutenu pour équilibrer toutes les parties de la civilisation dans une unité harmonieuse et proportionnée, et que, grâce à ces caractères, sa littérature, son droit, son histoire, seront éternellement le modèle sur lequel tiendront les yeux fixés tous les peuples ayant une tendance à faire de leur propre histoire une synthèse harmonieuse, un ensemble qui se recommande par la simplicité, par la clarté, par l’ordre et par les belles proportions. Le plus grand exemple qu’on en puisse citer dans les temps modernes, c’est la nation qui, indubitablement, a créé l’histoire la plus vaste et la plus riche des derniers siècles, c’est la France qui, profondément imbue d’esprit classique, a seule réussi, entre toutes les nations de l’Europe, et encore qu’elle l’ait fait, comme Rome ancienne, au prix de redoutables crises, à créer une histoire et une civilisation complètes, où, de même que dans l’histoire romaine, tout se retrouve, quoiqu’en un laps de temps plus restreint : l’industrie et l’agriculture, l’aristocratie et la démocratie, la monarchie et la république, la haute culture et la guerre, l’art et le droit, la philosophie et la religion, la révolution et la tradition, l’effort intérieur de la liberté et l’effort extérieur de l’expansion, tous les intérêts pratiques et toutes les aspirations idéales ; et non seulement on y retrouve tous les élémens qui composent la civilisation, mais chacun de ces élémens, dans la mesure du possible, y fait équilibre à l’élément opposé, et, tous à la fois, ils agissent les uns sur les autres, de sorte que chacun d’eux se retrouve aussi dans les autres, la littérature dans le mouvement politique et le mouvement politique dans la littérature, l’idéologie dans les intérêts pratiques et les intérêts pratiques dans l’idéologie, le raffinement de la haute culture dans la religion et dans la politique, la politique et la religion dans toutes les manifestations de la haute culture, et ainsi de suite.

Remarquons d’ailleurs que, entendue en ce sens, l’éternité de Rome est une conquête qui, faite sur le temps, doit se recommencer sans cesse. Car, si toute civilisation, dans son plus parfait épanouissement, est une synthèse de forces opposées, ces synthèses-là ne se préparent que par de longues périodes de disproportion et de dissociation intérieures, périodes où se perd le sentiment de l’unité vitale, et où l’on ne comprend, où l’on n’admire plus que les phénomènes particuliers de l’histoire. Or, sans nul doute, nous vivons en des temps où le monde va se déséquilibrant de jour en jour davantage dans sa masse trop accrue. Nous assistons à la démolition finale de la société créée sur les ruines du monde ancien par le christianisme, à cette démolition que l’Humanisme et la Réforme avaient commencée, que la science et la philosophie du XVIIe et du XVIIIe siècle ont continuée, que la Révolution française accéléra de sa poussée formidable, et qu’achèvent en notre siècle avec une activité forcenée les progrès de l’industrie et du commerce, l’universelle fureur de gagner de l’argent et l’extraordinaire développement de l’Amérique. Mais, de cette immense révolution de l’histoire au milieu de laquelle nous vivons, de cette suprême dissolution d’un ordre de choses si ancien et si vénérable, naissent partout à foison de monstrueuses créatures : États à demi barbares et à demi rongés par les vices des civilisations les plus décrépites ; villes énormes et informes ; armées qui grossissent démesurément malgré la décadence de l’esprit militaire la plus rapide que l’on ait jamais vue ; fabuleuses richesses qui s’accumulent sans avoir d’autre objet que leur propre accroissement ; industries gigantesques qui n’ont plus à côté d’elles le naturel soutien de l’agriculture ; agricultures immenses auxquelles manque le complément naturel de l’industrie ; philosophies détachées de la pratique et mourant d’asphyxie dans une atmosphère trop raréfiée de préoccupations purement intellectuelles ; sciences qui se plongent si avant dans la pratique qu’elles en étouffent ; arts et littératures qui prétendent être à eux-mêmes leur propre principe, venir au monde sans pères et sans ancêtres.

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que, dans une époque à ce point déséquilibrée, les nations qui, comme la France, sont parvenues à opérer une synthèse romaine des diverses parties d’elles-mêmes, soient obligées, pour la maintenir, de faire des efforts chaque jour plus laborieux, et que tout le monde latin, y compris l’Italie, perde de plus en plus confiance dans sa grande tradition intellectuelle et incline trop volontiers à prendre le désordre pour la force, l’obscurité confuse pour la profondeur, l’extravagance incohérente pour l’originalité. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, peut-être ; mais il y a lieu, certes, de le regretter profondément. Si donc le monde, en croissant et en se compliquant outre mesure depuis un siècle, semble se soustraire à la puissance synthétique et harmonique du génie latin pour se ruer dans un délire orgiaque de forces énormes et désordonnées, il n’en est que plus urgent pour nous, enfans de Rome, de tendre toutes nos énergies afin de soumettre au génie harmonique de notre race ce chaos de forces aveugles. Si toute civilisation est une synthèse de forces opposées, il faudra bien qu’un jour aussi la confusion de notre société moderne s’équilibre dans une harmonie plus belle et plus douce. Quelle faute ce serait, — faute que la postérité ne pardonnerait ni à notre génération ni à celles qui suivront la nôtre, — si nous laissions périr une séculaire tradition d’ordre social et de discipline intellectuelle, précisément à l’heure où cette tradition, rajeunie selon l’esprit des temps, pourrait être le plus utile au monde par sa vertu équilibrante : la tradition qui se résume dans les deux syllabes du mot « Rome, » si souvent répétées depuis vingt-sept siècles et avec des sentimens si divers, mais au son desquelles, j’ai pu encore, en ce commencement du XXe siècle, — et ce sera le plus précieux souvenir de ma vie, — voir frémir d’admiration et de reconnaissance presque deux continens !


GUGLIELMO FERRERO.

  1. Discours prononcé le 21 avril, sur le Capitole, à la commémoration du Natale Urbis, — Anniversaire de la fondation de Rome, — célébré par décision de la Municipalité.