Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Apres auoir ſué. Epiſtre
Pres auoir ſué ſous le faix du harnois,
Bornant plus loin ta France, & fait boire aux François
Au creux de leurs armets, en lieu de l’eau de Seine
La Meuſe Bourguignonne, & ſaccagé la plaine
Des Flamans mis en route & l’antique ſurnom
Des chateaux de Marie eſchangez en ton nom :
Apres eſtre vainqueur d’vne bataille heureuſe,
Et veu Ceſar courir d’vne fuite peureuſe :
Et fait d’vn prudent ſoin comme le marinier,
Lequel ſe ſouuenant de l’orage dernier,
Ancré dedans le port, d’œil vigilant prend garde
S’il faut rien à ſa Nef : maintenant il regarde
Si le Tillac eſt bon, ſi la Cerene en bas
Eſt point entre-fendue : il contemple le Mas,
Maintenant le Timon : il rabille les coûtes,
Les carreaux & les aiz, & les tables diſſoutes :
Et bien qu’il ſoit au haure, il n’a moindre ſouci
De ſa Nef qu’en tempeſte, & ſe rempare ainſi
Que s’il couroit fortune au milieu de l’orage,
Et ne ſe veut fier au tranquille viſage
Du Ciel ny de la mer pour ſe donner à l’eau
Que premier il n’ait bien calfeutré ſon vaiſſeau.
Ainſi apres auoir (la guerre eſtant finie)
De viures & de gens ta frontiere garnie,
Fait nouueaux baſtions, flanqué Chaſteaux & Forts,
Remparé tes Citez, fortifié tes ports :
Bref, apres auoir fait ce qu’vn Prince doit faire
Et en guerre & en païs vtile & neceſſaire
Pour tenir ton païs en toute ſeureté :
Sire, i’offenſerois contre ta Maieſté,
Si comme vn importun ie venois d’auenture
Entre-rompre tes jeux d’vne longue eſcriture,
Maintenant que tu dois pour quelque peu de temps
Apres mille trauaux prendre tes paſſe-temps
Pour retourner plus frais aux œuuvres de Bellonne.
Toutefois le deſir qui le cœur m’eguillonne
De te monſtrer combien ie ſuis ton ſeruiteur,
Me fait importuner ta Royale grandeur :
Et ſi en ce faiſant ie commets quelque vice,
Il vient du ſeul deſir de te faire ſeruice,
Qui preſſe mon deuoir de mettre vn œuuvre mien
Sous la protection de ton nom treſ-cheſtien,
Le ſacrant à tes pieds : C’eſt, Prince, vn liure d’Odes
Qu’autre-fois ie ſonnay ſuiuant les vieilles modes
D’Horace Calabrois, & Pindare Thebain,
Liure trois fois heureux, ſi tu n’as à deſdain
Que ma petite Lyre oſe entre tes trompettes
Rebruire les Chanſons de ces diuins Poëtes :
Et que mon petit Myrte oſe attoucher le rond
Des Lauriers, que la guerre a mis deſſus ton front.
Mais que dy-ie, à deſdain ! i’ay tant de confiance
En ta graue douceur, que ta magnificence
D’un ſourci deſdaigneux ne refuſera pas
Mon ouurage donné, tant ſoit-il humble & bas :
Imitateur des Dieux, qui la petite offrande
Prennent d’außi bon cœur qu’ils prennent la plus grande,
Et bien qu’ils ſoient Seigneurs, iamais n’ont à meſpris
Des pauuvres les preſeus tant ſoient de petit prix.
Ce fils de Iupiter ce foudre de la guerre,
Hercule, qui tua les Monſtres de la terre,
Allant pour eſtre fait d’Olympe citoyen,
Ne refuſa d’entrer au toict Molorchien :
Et meſme ce grand Dieu, qui la tempeſte iette,
De Bauce & Philemon entré dans la logette,
De deux ou trois fleurs ſon chef enuironna,
Que Bauce de bon cœur en preſent luy donna.
Tous les ans à ſa feſte en Libye honorée
Ne luy tombe vn Taureau à la corne dorée,
Mais ſouuent vn Aigneau : car ſa grande bonté
Ne prend garde aux preſens, mais à la volonté.
Ainſi ſuiuant les Dieux ie te ſuppli’de prendre
A gré ce petit don pour l’vſure d’attendre
Vn preſent plus parfait & plus digne d’vn Roy,
Que ia ma Calliope enfante dedans moy.
Ce-pendant ie priray ta puiſſance diuine,
Ainſi que Iupiter Callimache en ſon Hynne,
» Donne moy (ce dit-il) des vertus & du bien :
» Car la ſeule vertu ſans le bien ne ſert rien,
» Le bien ſans la vertu : ô Iupiter, aſſemble
» Tous ces deux poincts en vn, & ne les done enſemble.
Les vertus & les biens que ie veux receuoir
D’vn ſi puiſſant Monarque eſt vn iour de pouuoir
Amener ton Francus ſuiuy de mainte trope
De guerriers, pour donter les Princes de l’Europe.
Mais il te faut payer les rais de ſon arroy :
Car il ne veut venir qu’en maieſté de Roy,
Bien qu’il ſoit fugitif, & qu’il n’ait en partage
Sinon du pere ſien l’adreſſe & le courage.
Außi tu porterois la honte ſur les yeux,
Si luy qui fut iadis l’ayeul de tes ayeux,
Le fils d’vn ſi grand Roy, venoit ſeulet en France
Donner aux peres tiens la premiere naiſſance.
Puis qu’il trouue en mes vers le vent ſi à propos,
Fay luy enfler la voile, & luy romp le repos
Qui le tient pareſſeux au riuage d’Epire
Fraudé de ſon chemin par la faute de Nauire,
De viures & des gens : ouurier ie ſuis tout preſt
De charpenter ſa Nef & dreſſer ſon appreſt
Pourueu que ta grandeur Royale fauoriſe
A ton ayeul Francus, & à mon entrepriſe.