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Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Charles, tu portes le nom

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Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 173-179).
ODE IIII.


CHarles, tu portes le nom
De renom
Du Prince qui fut mon maiſtre,
De Charles en qui les Dieux
Tout leur mieux
Pour chef-d'œuuvre firent naiſtre.
Naguiere il fut comme toy
Fils de Roy,
Ton grand-pere fut ſon pere,
Et Henry le treſ-chreſtien
Pere tien
L'auoit eu pour ſecond frere.
A peine vn poil blondelet,
Nouuelet,
Autour de ſa bouche tendre
A ſe frizer commençoit,
Qu'il penſoit
De Ceſar eſtre le gendre.
Ia braue, ſe promettoit
Qu'il eſtoit
Duc des Lombardes campagnes,
Et il verroit quelquefois
Ses fils Rois

De l’Itale & des Eſpagnes.
Mais la mort qui le tua,
Luy mua
Son eſpouſe en vne pierre:
Et pour tout l’heur qu’il conceut,
Ne receut
Qu’à peine ſix pieds de terre.
Comme on voit au poinct du iour
Tout autour
Rougir la Roſe eſpanie,
Et puis on la voit au ſoir
Se dechoir
A terre toute fanie :
Ou comme vn Liz trop laué,
Agraué
D’vne pluyeuſe tempeſte,
Ou trop fort au chaud atteint
Perdre teint,
Et languir à baſſe teſte:
Ainſi ton Oncle en naiſſant
Periſſant
Fut veu preſque en meſme eſpace,
Et comme fleur du Printemps,
En vn temps
Perdit la vie & la grace.
Si pour eſtre nay d’ayeux
Demy-Dieux,
Si pour eſtre fort & iuſte,
Les Princes ne mouroient pas,
Le treſpas
Deuoit eſpargner Auguſte.
Si ne veinquit-il l’effort

De la Mort,
Par qui tous veincus nous ſommes:
Car außi bien elle prend
Le plus grand
Que le plus petit des hommes.
Le vieil Nocher importun
Vn chacun
Charge en ſa nacelle courbe,
Et ſans honneur à la fois
Met les Rois
Peſle-meſle auec la tourbe.
Mais or' ie reuiens à toy
Fils de Roy,
Petit neueu de mon maiſtre,
De Charles, en qui les Dieux
Tout leur mieux
Pour chef-d'œuure firent naiſtre.
Comme vn bel Aſtre luiſant
Conduiſant
Au ciel ſa voye cognue,
Se cache ſous l'Ocean
Demy an
Auec Thetis la chenue:
Puis ayant laué ſon chef
Derechef
Remonſtre ſa face claire,
Et plus beau qu'auparauant
S'eſleuant
Sur noſtre Orizon eſclaire:
Ainſi ton oncle en mourant,
Demourant
Sous la terre quelque année,

Derechef eſt retourné
En toy né
Sous meilleure deſtinée.
Il s'eſt voilé de ton corps,
Saillant hors
De la foſſe tenebreuſe,
Pour viure en toy doublement
Longuement,
D'vne vie plus heureuſe.
Car le Deſtin qui tout peut,
Ne te veut
Comme à luy trancher la vie,
Ains que voir par tes vertus
Abatus
Sous toy les Rois de l'Aſie.
Dieu qui voit tout de là-haut
Ce qu'il faut
Aux perſonnes iournalieres,
A party ce Monde eſpars
En trois pars,
Pour toy ſeul & pour tes freres.
Ton premier aiſné François
Sous ſes lois
Regira l'Europe ſienne:
D'Afriq' ſera couronné
Ton puiſné,
Toy de la terre Aſienne.
Car quand l'âge homme parfait
T'aura fait,
(Comme Iaſon fiſt en Grece)
Tu tri'ras les plus vaillans
Bataillans

De la Françoiſe ieuneſſe:
Puis mettant la voile au vent,
Enſuiuant
De Brenne l'antique trace,
Tu iras (couurant les eaux
Des vaiſſeaux)
En l'Aſie prendre place.
Là dés le premier abort
Sur le port
A cent Rois tu feras teſte,
Et captifs deſſous tes bras,
Tu prendras
Leurs terres pour ta conqueſte.
Ceux qui ſont ſous le reſueil
Du Soleil,
Ceux qui ſont ſous le reſueil
Du Soleil,
Ceux qui habitent Niphate,
Ceux qui vont d'vn bœuf ſuant
Remuant
Les gras riuages d'Euphrate:
Ceux qui boiuent dans le ſein
Du Iourdain
De l'eau tant de fois courbée
Et tout ce peuple odorant
Demeurant
Aux ſablons de la Sabée:
Ceux qui ont en bataillant
L'arc vaillant,
Quand ils ſont tournez derriere
Et ceux qui toutes ſaiſons
Leurs maiſons
Roulent ſur vne ciuiere:
Ceux qui d'vn acier mordant

Vont tondant
La terre aux tygres nourrice,
Et ceux dont les cheſnes verts
Sont couuerts
De ſoye ſans artifice:
Ceux qui vont en labourant
Déterrant
Tant d'os és champs de Sigée,
Et ceux qui plantez ſe ſont
Sur le front
D'Helleſponte & de l'Egée:
De ces peuples, bien que forts,
Tes efforts
Rendront la force perie,
Et veincus t'obeyront,
Et ſeront
Vaſſaux de ta Seigneurie.
A ce grand Prince Thebain
(Dont la main
Print les Indes admirables)
Egal Roy tu te feras,
Tu auras
Sans plus les mœurs diſſemblables.
Car ſi toſt qu'il les defit,
Il leur fit
Sentir ſa vineuſe rage,
Et de ſes cris Orgieux,
Furieux,
Leur tempeſta le courage.
De peaux il les entourna,
Il orna
De pampre leur folle teſte,

Et trepignant au milieu,
Ce fol Dieu
Forcenoit apres ſa feſte.
Mais toy Prince mieux inſtruit,
En qui luit
Des vertus l'antique reſte,
Chreſtien, leur feras ſçauoir
Le deuoir
D'vne autre loy plus celeſte.
Briſant les Idoles feins
De tes mains,
De leurs Dieux tu ſeras maiſtre,
Et ruant leurs temples bas,
Tu feras
La Loy de Iesvs renaiſtre.
Puis eſtant de tout coſté
Redouté
Pour ta fortune proſpere,
Iras au bout du Leuant
Eſleuant
Cent Coloſſes à ton pere.