Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/I’ay l’eſprit tout ennuyé

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Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 143-144).
ODE XVIII.



I’ay l’eſprit tout ennuyé
D’avoir trop eſtudié
Les Phenomenes d’Arate :
Il eſt temps que ie m’esbate
Et que i’aille aux champs iouër.
Bons Dieux ! qui voudroit louër
Ceux qui, collez ſus vn livre,
N’ont iamais ſoucy de vivre ?
Que nous ſert l’eſtudier,
Sinon de nous ennuyer ?
Et ſoin deſſus ſoin accreſtre,
A nous, qui ſerons peut-eſtre,
Ou ce matin, ou ce ſoir,
Victime de l’Orque noir ?
De l’Orque qui ne pardonne,
Tant il eſt fier à perſonne ?
Corydon, marche dauant,
Sçache où le bon vin ſe vend :
Fay refraiſchir ma bouteille,
Cerche vne fueilleuſe treille
Et des fleurs pour me coucher :
Ne m’achete point de chair,
Car tant ſoit-elle friande,
L’Eſté ie hay la viande.

Achete des abricôs,
Des pompons, des artichôs,
Des fraiſes, & de la crême :
C’eſt en Eſté ce que i’aime,
Quand ſur le bord d’vn ruiſſeau
Ie la mange au bruit de l’eau,
Eſtendu ſur le rivage
Ou dans vn Antre ſauvage.
Ores que ie ſuis diſpos
Ie veux rire ſans repos,
De peur que la maladie
Vn de ces iours ne me die,
Ie t’ay maintenant veincu :
Meurs galland, c’eſt trop veſcu.