Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Ie te veux baſtir
E te veux baſtir vne Ode,
La maçonnant à la mode
De tes Palais honorez,
Qui pour parade ont l’entrée
Et de porfyre acouſtrée,
Et de hauts piliers dorez :
Afin que le front de l’œuure
Du premier regard deſcœuure
Tous les treſors du dedans.
Ie veux peindre en telle ſorte
Tes vertus deſur la porte,
Merueille des regardans.
Sur deux termes de Memoire
Ie veux grauer la victoire
Dont l’Anglois fut combatu,
Et veux encore y portrere
Les batailles de ton Pere
Souſtenu de ta vertu,
Lors que ton ieune courage
S’oppoſa contre la rage
De l'Empereur deſpité,
Se vantant d'auoir la foudre
Dont il briſeroit en poudre
Paris ta grande cité.
» Le conſeil & la vaillance
» Par vne égale balance
» Touſiours veillent à l'entour
» Des affaires qui ſont pleines
» D'vn labyrinthe de peines,
» S'entre-ſuiuans à leur tour.
Ce que la faueur celeſte
Par toy nous rend manifeſte,
Comme n'ayant deſdaigné
Dez ta premiere ieuneſſe
De conſeil & de proüeſſe
Touſiours eſtre accompagné.
Außi Prince, ta main forte
A fait voir en mainte ſorte
L'impuiſſance d'euiter
Les efforts de ton armée,
Quand ta colere enflammée
Iuſtement veut s'irriter.
Des Sœurs la plus ancienne
Sur la roche Theſpienne,
Dont ie ſuis le citoyen,
Me garde vne voix hardie,
A fin que braue ie die
L'autheur de ton ſang Troyen.
De celle aux peuples eſtranges
Ie ſonneray tes louanges,
Lors que ton bras belliqueur
Aura foudroyé le Monde,
Et que Tethys de ſon onde
Te confeſſera veinqueur.
Les Muſes ont à leur corde
Deux tons diuers: l'vn s'accorde
Aux trompettes des grands Rois,
L'autre plus bas ne s'allie
Qu'au Luth mignard de Thalie
Touché doucement des dois
De ce bas ton ie te chante
Maintenant, & ſi me vantes
De ne ſonner iamais Roy
Qui en bonté te reſemble,
Ne Prince qui ſoit enſemble
Si preux & ſçauant que toy.
Sus donq' France ouure la bouche
Au ſon du Luth que ie touche,
Dy que le Ciel t'a donné
Vn Roy diſpos à combatre,
Et prompt par les loix d'abatre
Le peché deſordonné.
Et toy Vandomoiſe Lyre,
Mieux que deuant faut eſlire
Vn vers pour te marier,
Afin que tu faces croire
Que veritable eſt la gloire
Qu'on t'a voulu dedier.
Tu feſiouis noſtre Prince,
Tu contentes ſa prouince,
Et mille furent eſpris
De contrefaire ta grace,
Et ſuiuans ta meſme trace
Ont voulu gaigner le prix.
Mais ô Phœbus authoriſe
Mon chant & le fauoriſe,
Qui oſe entonner le loz
De ce grand Roy qui t’honore,
Et ſes beaux blaſons decore
De l’arc qui charge ton doz.
Et fay tant que ſa hauteſſe
Daigne voir ma petiteſſe
Qui vient des riues du Loir
Criant ſa force & iuſtice,
Afin que l’âge qui gliſſe,
Ne les mette à nonchaloir :
Et qui doit chanter la gloire
De ſa future victoire
» S’elle auient : car en tout lieu
» De la choſe non tiſſuë
» L’heureuſe fin & l’iſſuë
» Se cache en la main de Dieu.