Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Il faut aller contenter
L faut aller contenter
L’oreille de Marguerite,
Et en ſon palais chanter
Quel honneur elle merite.
Debout Muſes, qu’on m’attelle
Voſtre charette immortelle,
Afin qu’errer ie la face
Par vne nouuelle trace,
La chantant d’autres façons
Qu’vn tas de chantres barbares,
Qui ſes louanges ſi rares
Honniſſoient de leurs chanſons.
I’ay ſous l’eſſelle vn carquois
Gros de fleches nompareilles,
Qui ne font bruire leurs vois
Que pour les doctes oreilles :
Leurs roideur n’eſt apparante
A telle bande ignorante,
Alors que ma fleche annonce
L’honneur que mon arc enfonce.
Entre toutes i’eſliray
La plus ſonnante, & de celle
Par la terre vniuerſelle
Ses vertus ie publi’ray.
Sus ma Muſe, ouuvre la porte
A tes vers plus doux que miel,
Afin qu’vne fureur ſorte
Pour me rauir iuſqu’au ciel :
Du croc détache la Lyre
Qui tant de gloire t’acquit,
Et vien ſur ſes cordes dire
Comme la vierge naſquit.
Par vn miracle nouueau
Pallas du bout de ſa lance
Ouurit le docte cerueau
De François grand Roy de France :
Alors eſtrange nouuelle !
Tu naſquis de ſa ceruelle,
Et les Muſes qui là furent,
En leur giron te receurent :
Mais quand le temps eut parfait
L’accroiſſance de ton âge,
Tu penſas en ton courage
Demettre à fin vn grand fait.
Ta main priſt pour ſon renfort
L’horreur de deux grandes haches :
D’vn plaſtron brillant & fort
Tout l’eſtomac tu te caches :
Vne menaſſante creſte
Flotoit au haut de ta teſte,
Refrappant la gueule horrible
D’vne Meduſe terrible.
Ainſi tu allas trouuer
Le vilain monſtre Ignorance,
Qui ſouloit toute la France
Deſſous ſon ventre couuer.
L’Ire qui la beſte eſlance,
En vain irrita ſon cœur
Pouſſant ſon mufle en defence
Encontre ton bras veinqueur :
Car le fer prompt à l’abbatre
En ſon ventre eſt ia caché,
Et ia trois fois voire quatre
Le cœur luy a recherché.
Le monſtre giſt eſtendu,
L’herbe en ſa playe ſe ſouille :
Aux Muſes tu as pendu
Pour trophée ſa deſpouille :
Puis verſant de ta poitrine
Mainte ſource de doctrine,
Aux François tu fis cognoiſtre
Le miracle de ton eſtre.
Et pource ie chanteray
Ce bel Hynne de victoire,
Et ſur l’autel de Memoire
L’enſeigne i’en planteray.
Or moy qui ſuis le teſmoin
De ton loz qui le monde orne,
Il ne faut ruer ſi loin
Que mon trait paſſe la borne.
Chanton donques Marguerite,
Et celebron ſon merite,
Qui luit comme vne planete
Sous la nuict claire-brunette :
Verſon vn long ſouuenir,
Vne chanſon touſiours neuue
En mon Nectar, dont i’abreuue
Son los pour le raieunir.
Afin que la Nymphe voye
Que mon luth premierement
Aux François monſtra la voye
De ſonner ſi proprement :
Et comme imprimant ma trace
Au champ Attiq’ & Romain,
Callimaq’, Pindare, Horace
Ie déterray de ma main.