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Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/L’inimitié que ie te

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Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 136-139).
ODE XIIII.



L’Inimitié que ie te porte
Paſſe celle tant elle eſt forte
Des Chameaux & des Ours.
Vieille ſorciere desbontée,
Que les bourreaux ont fouëttée
Le long des carrefours.
Tirant apres toy vne preſſe
D’hommes & de femmes eſpeſſe,

Tu monſtrois nud le flanc,
Et monſtrois nud parmi la ruë
L’eſtomac & l’eſpaule nuë
Rougiſſante de ſang.
Mais la peine fut bien petite,
Si lon balance ton merite :
Le Ciel ne deuoit pas
Pardonner à ta laſche teſte,
Ains il deuoit de ſa tempeſte
L’acrauanter là bas.
La Terre mere encor’ pleurante
Des Geans la mort violante
Bruſlez du feu des Cieux,
(Te laſchant de ſon ventre à peine)
T’engendra vieille, pour la haine
Qu’elle portoit aux Dieux.
Tu ſçais que vaut mixtionnée
La drogue qui nous eſt donnée
Des païs chaleureux,
Et en quel mois, en queles heures
Les fleurs des femmes ſont meilleures
Au breuuage amoureux.
Nulle herbe ſoit elle aux montagnes,
Ou ſoit venimeuſe aux campagnes,
Tes yeux ſorciers ne fuit,
Que tu as mille fois coupée
D’vne ſerpe d’airain courbée,
Béant contre la nuit.
Le ſoir quand la Lune fouëtte
Ses cheuaux par la nuict muette,
Pleine de rage alors
Voilant ton execrable teſte

De la peau d’vne eſtrange beſte
Tu t’eſlances dehors.
Au ſeul ſouſpir de ton haleine
Les chiens effroyez par la plaine
Aguiſent leurs abois :
Les fleuues contremont reculent,
Les loups ſuiuant ta trace hurlent
Ton ombre par les bois.
Hoſteſſe des lieux ſolitaires,
Et par l’horreur des cimetaires
Où tu hantes le plus,
Au ſon des vers que tu murmures,
Les corps des morts tu deſ-emmures
De leurs tombeaux reclus.
Veſtant de l’vn l’image vaine
Tu fais trembler & cœur & veine
(Rebarbotant vn ſort)
A la veuſue qui ſe tourmente
Ou à la mere qui lamente
Son ſeul heritier mort.
Tu fais que la Lune enchantée
Marche par l’air toute argentée,
Luy dardant d’icy bas
Telle couleur aux iouës palles,
Que le ſon de mille cymbales
Ne diuertiroit pas.
Tu es la frayeur du village :
Chacun craignant ton ſorcelage
Te ferme ſa maiſon,
Tremblant de peur que tu ne taches
Ses bœufs, ſes moutons, & ſes vaches,
Du Tact de ta poiſon.

I’ay veu ſouuent ton œil ſeneſtre,
Trois fois regardant de loin paiſtre
La guide du troupeau,
L’enſorceler de telle ſorte,
Que toſt apres ie la vy morte
Et les vers ſur la peau.
Comme toy Medee execrable
Fut bien quelquefois profitable :
Ses venins ont ſeruy,
Reuerdiſſant d’Eſon l’eſcorce :
Au contraire tu m’as pas force
Mon beau Printemps rauy.
Dieux ! ſi là haut pitié demeure,
Pour recompenſe qu’elle meure,
Et ſes oz diffamez
Priuez d’honneur de ſepulture,
Soient des corbeaux goulus paſture,
Et des chiens affamez.