Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/La fable elabouree
A fable elabourée
Deſcrite heureuſement
D’vne plume dorée
Nous trompe doucement,
A l’vn donnant la gloire
Qu’il n’a pas merité,
Faiſant par le faux croire
Qu’on voit la verité :
Car tout ce que la Muſe
Lyrique ne refuſe
D’emmieler par nous,
Cela flatte l’oreille
Qui toute s’eſmerueille
De le boire ſi dous.
Il ne faut que i’honore
Ton renom ô Martin,
De fables priſes ore
Du Grec, ny du Latin :
Ta vertu treſluiſante
Comme Aſtres radieux,
Me ſera ſuffiſante
Pour te loger aux Cieux.
Quelle terre eſlongnee,
Quelle riue baignee
De l’vne & l’autre mer,
Quelle iſle deſcouuerte
Ne tient la gorge ouuerte
Ardente à te nommer ?
Vous gouuernez les Rois
Poëtes de la Court,
Et ſi de voſtre vois
La memoire ne court.
Si ta grand’ main deſire
De reſpandre le bien,
C’eſt à ce Martin, Sire,
Qui le merite bien.
» Certes l’experience
» N’eſt vtile, ſinon
» Pour ſonder la ſcience
» Si elle eſt fauſſe ou non.
Le ſiecle qui doit eſtre,
Ne taira ton bon-heur,
Et comme tu fis naiſtre
A la France vn honneur :
Toy de qui la muſette
Sur le bord de Sebette
Diſt d’vn ton adoucy
Tes vers paſteurs, qu’encore
Naples autant honore
Comme on t’honore icy.
Par ta vertu le Monde
A peu ſentir combien
La France en gloire abonde
Faite heureuſe en ton bien :
Par toy reuient l’vſage
Des outils & compas,
Que meſme le vieil âge
Des Romains ne ſceut pas.
Le maçon par ta peine
Son ouurage demeine,
Et ſous toy faict ſçauant,
Iuſques au Ciel egale
Mainte maiſon royale,
Ton liure allant deuant.
L’œuure eſt de l’inuenteur :
Et celuy qui apprend,
Eſt tenu pour menteur,
Si grace ne luy rend.
La plume bien appriſe
Dreſſe ſon vol aux Cieux,
Et ſa belle entrepriſe
Ne peut ceder aux lieux.