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Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Les douces fleurs d’Hymette. Complainte de Glauque à Scylle

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COMPLAINTE DE GLAV-
que à Scylle Nymphe


ODE XVII.


LEs douces fleurs d'Hymette aux Abeilles agréent,
Et les eaux de l'Eſté les alterez recréent:
Mais ma peine obſtinée
Se ſoulage en chantant ſur ce bord foublement
Les maux auſquels Amour a miſerablement
Soumis ma deſtinée.
Hé Scylle Scylle, las ! ceſte dolente riue,
Voire ſon flot piteux qui gromelant arriue
Des ondeuſes campaignes,
Me plaint & me lamente, & ces rochers oyans
Mon dueil continuel de moy ſont larmoyans:
Seule tu me deſdaignes.
Ce iour fut mon malheur, quald les Dieux marins eurent
Enuie ſus mon aile, & lors qu'il me cognurent
De leur grande mer digne.
Las ! heureux ſi iamais ie n'euſſe deſdaigné
L'art premier où i'eſtois par mon pere enſeigné,
Ny mes rets ny ma ligne !
Car la flamme d'Amour, qui m'eſpoiçonne & lime,
Me vint ardre au milieu (qui l'euſt creu !) de l'abîme
De leur mer fluctueuſe:
Et bien en autre forme adonc ie me changeay,

Que ie ne fus mué alors que ie mangeay
L'herbe trop vertueuſe.
Pourtant ſi i'ay la teſte en longs cheueux difforme,
Et le corps monſtrueux d'vne nouuelle forme
Citoyenne des ondes:
Tel honneur de nature en moy n'eſt à blaſmer,
La mere Tethys m'aime, & m'aiment de la mer
Les Nymphes vagabondes.
Circe tant ſeulement ne m'aime : mais encore
Toute ardante me ſuyt, & pourneant m'adore
De folle amour eſpriſe.
Ainſi mon cœur que mille affectent, vne l'a:
Vne ſeule en iouyſt & en lieu de cela
Me hait & me deſpriſe.
Bien que Nymphe tu ſois, ah cruelle ! ſi eſt-ce
Qu'indigne ie ne ſuis de toy demy-Deeſſe:
Vn Dieu te fait requeſte.
Tethys pour effacer cela que i'eu d'humain,
Et d'homme au temps ſuiet, m'a verſé de ſa main
Cent fleuues ſur la teſte.
Mais las! dequoy me ſert ceſte faueur que d'eſtre
Immortel, & d'aller compagnon à la deſtre
Du grand Prince Neptune,
Quand Scylle me deſdaigne eſtant franc du treſpas,
Et cil à qui par mort permis ne luy eſt pas
De changer ſa fortune?