Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Mere des Dieux ancienne

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Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 158-162).
ODE II.



MEre des Dieux ancienne
Berecynthe Phrygienne,
A qui cent Preſtres ridez
Font auecques cent Menades
Au ſon du buis des gambades
Sur les hauts ſommets Idez:
Laiſſe laiſſe ta couronne
Que mante tour enuironne,
Et ton myſtere Orgien,
Et plus à ton char n'attache
Tes fiers lions & te cache,
Dans ton Antre Phrygien.
Vne autre mere nouuelle
Vne autre mere Cybelle
Nous eſt tranſmiſe des Cieux,
Qui plus que toy bien-heureuſe
Se voit mere plantureuſe
D'vn petit peuple de Dieux.
Iunon en pompe ſi grande
Ne fend la celeſte bande
Qui lui courbe les genoux,
Quand elle graue matrone

Se va ſeoir aupres du throne
De ſon frere ſon eſpoux:
Comme toy Iunon de France,
Graue en royale apparance
Fends la tourbe des François,
T'allant ſeoir à la min deſtre
De ton eſpoux noſtre maiſtre,
Le meilleur de tous les Rois:
Duquel apres mainte année
Tu conceus par deſtinée
(Les cieux à tes vœus ouuers)
Des fils heritiers du monde,
Qui d'vne race feconde
Peupleront cet Vniuers.
Or comme Alcide differe
De proüeſſes à ſon frere,
Conceu par trois nuicts de temps,
L'aiſné prendra dauantage
Que ſes puiſnez de courage
Qui mit à naiſtre ſept ans.
Tout außi toſt que Lucine
Euſt fortuné ta geſine,
Et que l'enfant nouueau-né
De ſa douce voix premiere
Euſt ſalué la lumiere
Du iour à chacun donné,
Tu n'as pas comme fiſt Rhée,
A la pierre deuorée
Le corps de ton fils changé,
De peur que ne le perdiſſes,
Et le perdant ne le viſſes
Par vn Saturne mangé.

Et ne l'as porté ſecrete,
Dedans vn Antre de Crete,
Afin qu'il veſquiſt de miel,
Afin außi que ſa léure
Suçaſt le laict de la Chéure
Que depuis il mit au ciel:
Et que les Cretois gendarmes
S'entrechoquant de leurs armes
En danſant fiſſent vn ſon
Parmy l'Antre ſolitaire,
Pour engarder que le pere
N'entr'ouyſt ſon enfançon.
Mais tu l'as, Royne treſſage,
Porté dés ſon premier âge
Non à Nede, non außi
Aux compagnes Dicteennes,
Non aux Nymphes Meliennes
Pour en prendre le ſouci:
Mais à Durfé, qui radreſſe
Les fautes de ſa ieuneſſe
Par vn art induſtrieux,
Et comme en la cire tendre
En cent façons luy fait prendre
Les vertus de ſes ayeux.
Ores vne ombre il exerce
D'vne bataille diuerſe,
Et tenant le fer en main
Les ſiens au combat il ſerre,
Et braue eſmeut d'vne guerre
La figure faite en vain:
Ores les cheuaux il donte,
Et leur bruteſſe ſurmonte

Par vn doux commandement,
Ores dontez il les guide,
Et d'art attache à leur bride
Vn humain entendement:
Ores ſa voix il façonne,
Et de ſes doigts le Luth ſonne,
Doigts qui toſt doiuent darder
Les armes de telle ſorte,
Que l'Eſpagne tant ſoit forte,
Ne les pourra retarder.
Mais cela ne le destourne
Qu'à ſon Durfé ne retourne
Ouyr ſes mots fructueux:
Ainſi l'enfançon Achille
Eſcoutoit la voix vtile
Du Centaure vertueux,
Apres que Thetis la belle
Eut bruſlé ſa peau mortelle,
Et caché dans ſon giron
L'enleuant de l'eau ſalée,
L'eut ſans le ſceu de Pelée
Mis en l'Antre de Chiron.
Mais laiſſons ce Peleïde,
Et ſa mere Nereïde,
Chiron, & l'Antre Pholois,
Et ces histoires estranges,
Et re-diſon les louanges
Du diuin ſang de Valois.
Oy donque, Royne, & t'amuſe
A l'oracle de ma Muſe
Qui va chanter tes honneurs,
Et de tes enfans nos Princes,

Et de combien de prouinces
Le Ciel les fera Seigneurs.