Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Si l’oiſeau qu’on voit
I l’oiſeau qu’on voit amener
En criant le temps qui ennuye,
Peut, mon Daurat, acertener
Du prognoſtique de la pluye,
Demain le Troyen de ſa buye
Eſpandra l’eau, & ſi le iour
Sera long temps ſans qu’il s’eſſuye,
Voilé d’vn tenebreux ſeiour.
Donq pour attendre que le tour
De ceſte tempeſte ennuyeuſe
Se change par le beau retour
D’vne autre ſaiſon plus ioyeuſe,
Euite la tourbe enuieuſe,
Et ſeul en ta chambre à recoy
Eſcri de main laborieuſe
Des vers qui ſoient dignes de toy.
Eſpris d’vne ardeur comme moy
De te vouloir rendre admirable,
Pour n’eſtre ſuiet à la loy
Du grand Faucheur inexorable,
Peſle-meſle deſſus la table
Tibulle Ouide ſoient ouuers
Aupres de ton Luth delectable,
Fidele compagnon des vers.
Deſſus par maints accords diuers
Chaſſe de toy le ſouci graue,
Et le ſoin que ce Dieu peruers
Dans les cœurs amoureux engraue.
Apres l’eſtude, il faut qu’on laue
Le cerueau ſe réjouiſſant[sic]
D’vn vin de reſerue, en la caue
Par trois ans au fuſt languiſſant.
Pourquoy te vas-tu meurdriſſant,
Pourquoy tourmentes-tu ta vie ?
Tandis que tu es fleuriſſant,
Pourquoy ne la rens-tu-ſuiuie
D’eſbat & d’amoureuſe enuie ?
Pauure abuſé, ne ſçais-tu pas
Qu’il ne faut qu’vne maladie
Pour te faire ombre de là bas,
D’où iamais ne reuient le pas ?
» Quelque choſe qu’ici lon die,
» Ce n’eſt qu’horreur que le treſpas.