Rosalie de Constant, sa famille et ses amis/1

La bibliothèque libre.
Genève : Eggimann (Ip. vi-ix).
1758-1782  ►
PRÉFACE


Il faut en convenir, notre génération est insatiable. Il ne lui suffit pas du présent si rempli, de l’avenir gros de promesses ; il lui faut encore le passé.

Pas un de nous, sachant tenir une plume, qui ne s’en aille fouiller dans ses propres souvenirs et dans ceux de ses pères. Tous nous nous demandons si nous n’avons pas une aïeule, un grand-oncle ayant quelque chose à nous dire. Et puis, avec un désintéressement voisin de la vanité, nous nous empressons de faire connaître autour de nous le trésor que nous croyons avoir découvert. C’est ce que nous allons faire ici.

Naguère vivait une vieille tante à nous, qui aurait près de cent cinquante ans à l’heure présente, et qui nous paraît tout aussi digne d’intérêt que bien d’autres morts exhumés dernièrement. Cette tante que nous aimons à travers ses lettres jaunies, pourquoi ne la présenterions-nous pas à nos amis ? Ce sera à eux ensuite de dire si nous avons eu tort.

Qu’on ne s’attende pas à lire ici son éloge. Rien de tel pour déprécier ceux qu’on veut faire aimer. Sachez seulement, amis, qu’elle fut une vieille fille et qu’elle eut les défauts et les qualités de cet état (dont il ne faut pas médire). Elle les eut même avant l’âge où, généralement, on accepte cette appellation sans sourciller ; ce qui ne l’empêcha pas d’être jeune et romanesque jusqu’à la fin de sa vie. Vieillotte à quinze ans, jeune à quarante-cinq. On rencontre encore de nos jours de ces anachronismes-là.


Rosalie-Marguerite Constant de Rebecque, qui naquit à Genève le 31 juillet 1758, est citée par plus d’un biographe et plus d’un littérateur contemporains. Ses lettres sont à la portée de tous dans les armoires de la Bibliothèque publique de Genève ; mais qui les a lues en entier, qui en connaît autre chose que ce qu’elles racontent sur Benjamin Constant, cousin germain de Rosalie, et sur Mme de Staël ? Et pour nous ces pages-là ne sont pas les meilleures.


Et puis d’autres portes se sont ouvertes devant nous. Une petite-nièce de Rosalie nous a accordé une faveur à laquelle nous n’osions presque pas prétendre. Mme Arthur Massé, née Rilliet de Constant, avait tendrement aimé sa grand’tante et avait eu le privilège d’être aimée d’elle.

« Prends ce que je possède d’elle, nous a-t-elle dit, et raconte-leur tout ce qui la fera apprécier. Dis-leur plutôt plus que moins, car ce sont justement les petits détails intimes, les finesses qui vous attachent à l’histoire d’une âme ». Et cette petite-nièce, digne d’une telle tante, a mis à notre disposition journaux, vers et prose.

Depuis lors, la tombe s’est fermée sur elle, mais toujours nous nous rappellerons ces soirées pendant lesquelles elle a bien voulu écouter la lecture des pages qui suivent, les approuver quelquefois, les corriger et les compléter ailleurs.


Un hommage de reconnaissance aussi à une autre petite-nièce de Rosalie, Mme Adrien Picot, née Rigaud de Constant, qui, avec une obligeance inépuisable, ouvre à tous ceux qui sont curieux du passé, les trésors de sa riche mémoire.


Enfin, que M. Hippolyte Aubert, aujourd’hui le distingué conservateur de la Bibliothèque de Genève, nous permette de dire ici toute la complaisance qu’il a mise à nous encourager dans notre travail, à le partager même, et à nous aider de son expérience éclairée.


Pregny-la-Tour, septembre 1901.