Rose et Vert-Pomme/Anecdotes sur M. Léon Gandillot

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ANECDOTES
SUR M. LÉON GANDILLOT


Léon Gandillot, le jeune et déjà célèbre auteur dramatique, serait désolé d’accomplir quoi que ce fût qui ressemblât au quoi que ce fût des autres.

Ainsi, en ce moment, il habite, à Trouville, une maison sise rue de la Mer, une maison de cinq étages.

Jusqu’à présent, rien de bien extraordinaire.

Gandillot habite le premier étage.

Rien encore qui s’écarte violemment de la norme.

Mais, où nous entrons, jusqu’aux moelles, dans le domaine de la pire loufoquerie, c’est que la concierge dudit immeuble est logée dans une mansarde du cinquième étage.

Si vous voulez avoir un tuyau quelconque sur un locataire, il vous faut gravir les cinq étages de la maison, quitte à redescendre au palier indiqué.

Excellent exercice pour l’entraînement des muscles cruraux, mais fâcheux sport pour les gens pressés, stratagème regrettable pour les personnes asthmatiques ou simplement poussives.

Il n’y a probablement, à Trouville, que la maison en question jouissant de cette propriété : Gandillot y est allé tout droit.

Comme j’habite une vaillante petite cité maritime, non loin de Trouville, j’ai la souventeuse occasion de voir mon ami Léon et je m’amuse beaucoup au petit exercice qui suit :

J’arrive à Trouville avec un ami ; nous nous installons dans un café, et je dis à mon ami :

— J’ai deux ou trois lettres à écrire… Tu serais bien gentil de porter ce mot à Gandillot.

— Où demeure-t-il, Gandillot ?

— Là, tout près, telle rue, tel numéro.

Et rien ne saurait dépeindre la joie intérieure qui m’inonde tout, au retour de mon ami.

— Ah ! ben, il demeure dans une drôle de maison, Gandillot !

— Pourquoi donc ?

— Imagine-toi que, dans c’te boîte-là, la concierge est au cinquième !

— Allons donc !

— Je t’assure !

Cela fait plus de dix fois que je me livre à cette innocente plaisanterie, et je me suis amusé à la dixième autant qu’à la première.

Avant-hier, Gandillot et moi nous sommes venus de Trouville à Honfleur, dans une voiture traînée par un amour de petit âne, fort et courageux comme un jeune lion.

Arrivés à Villerville, j’émis la proposition de faire halte, pour permettre de souffler à notre petit Aliboron, prétextai-je, mais, en réalité, pour boire un coup ou deux (ma pauvre gorge se trouvait fort desséchée à la suite des débauches d’une partie de la nuit précédente).

Gandillot ne voulut rien entendre.

— Est-ce que, dit-il, tu prends cet âne pour une vache ? 16 kilomètres ne sont pour lui qu’un jeu d’enfant.

Enveloppant d’un coup de fouet notre modeste coursier, Gandillot en accéléra l’allure.

Et, dès lors, ce fut une galopade échevelée, qu’il se rencontrât des côtes ou que nous voyageassions en terrain plat.

Je souffrais, en mon cœur d’or, pour notre pauvre petit bourricot, mais je sentais bien que toute intervention n’aurait pu qu’aggraver sa torture.

Enfin, nous arrivâmes au bas de la Côte-de-Grâce ; nous la grimpâmes en un insignifiant nombre de minutes et presque pas de secondes.

Et pendant que Gandillot commandait notre déjeuner à la Renaissance, je m’absentai quelques instants.

— D’où viens-tu ? fit Gandillot.

— De la chapelle.

Comme l’incrédulité se peignait sur la face du jeune dramaturge, j’ajoutai :

— Oui, je viens de mettre un cierge à Notre-Dame de Grâce… pour le repos de ton âne.

Gandillot haussa les épaules à la hauteur d’une institution, mais, tout de même, il ne put s’empêcher de sourire.