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Rouletabille chez les bohémiens/01/X

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X. — « Attention à la Pieuvre ! »

Pendant ce temps, que faisait Rouletabille ? C’est la première question que se posa Jean dès que l’on eut emmené Hubert en prison ! Tant qu’Hubert avait été là, il avait été impossible à Jean de quitter le Viei Castou Nou. Il attendait un mot qui trahirait son rival, peut-être un aveu, en tout cas quelque indication qui pourrait le jeter sur la trace d’Odette… Hubert parti, Jean s’aperçut que Rouletabille n’était plus là depuis bien des heures ! Après sa rapide enquête à Lavardens, le reporter avait sauté dans l’auto qui avait amené les jeunes gens d’Avignon et il avait pris le chemin des Saintes-Maries. Ayant appris cela, Jean monta dans la petite torpédo du château et s’en fut à tout hasard à la rencontre de Rouletabille.

Cependant sa course n’était point rapide ; à chaque instant, il s’arrêtait pour questionner les paysans, pour interroger d’un regard circulaire l’immense horizon de la Camargue. Où était Odette ? Où était Odette ?

Si Hubert ne l’avait pas tuée comme il avait tué le père, où l’avait-il cachée ?… Dans quelle cabane gardée par les marécages avait-il transporté la pauvre enfant ?… Ah ! Hubert connaissait tous les coins de la Camargue ; si belle mais si traîtresse par instants, elle avait dû être la complice de ce misérable ! Hubert en avait compté tous les tourbillons, derrière les aubes à hautes tiges et aux troncs lisses… il en avait arpenté tous les ségonaux, du côté du Rhône semé d’îles… Hélas ! de quel côté chercher ?

Rarement fin de journée avait été aussi belle entre Arles et la côte. Les eaux reflétaient la douceur du soir qui descendait sur la terre en l’enveloppant d’une vapeur dorée… Au loin, les cloches des Saintes-Maries tintaient sur la campagne apaisée après ce grand jour de fête… Plus près, les rousserolles s’enfuyaient à tire-d’aile en poussant leurs cris joyeux… Debout sur sa voiture arrêtée à un carrefour où se posait une fois de plus le problème de son cœur, Jean tendit vers l’horizon des bras désespérés ; il appela : « Odette ! Odette ! » et puis il retomba et se mit à pleurer…

Et puis Jean a honte de sa faiblesse. Ce n’est point avec des larmes qu’il retrouvera ou vengera Odette, et il lance sa voiture à toute vitesse sur la route des Saintes-Maries.

Bientôt la vieille basilique sort de la lagune, dresse ses tours noires au bord de la mer, découpe sur l’horizon ses mâchicoulis et son chemin de ronde, tel un château fort ; son abside est un véritable donjon qui, jadis, a pu repousser l’assaut des Sarrasins… Maintenant, il couvre de son ombre la tourbe mouvante des bohémiens.

Et soudain, sur la route, Jean voit venir à lui le commencement de la caravane… Ce sont les ziganner venus d’Allemagne et les cigains venus des Portes de Fer, qui retournent les premiers dans leur lointain pays. Les mystères ont été vite accomplis cette année… Il y a des années comme celle-ci où les romanichels quittent le pays avant que commencent les fêtes provençales, des années où ils ne veulent se mêler en rien aux roumis, où, en sortant de la crypte, après leurs dévotions bizarres à sainte Sarah, ils s’enfuient comme s’ils avaient commis un crime…

Mais ceux-ci sont moins farouches que joyeux. On chante dans toutes les roulottes ; des jeunes femmes aux yeux de cigales et de vieilles figures de sorcières saluent avec des gestes pleins d’allégresse. Jean pense : « Voilà d’où Callista est sortie, voilà où j’aurais dû la laisser ! Qu’est-elle revenue faire au milieu de cette horde ? Rouletabille a peut-être raison de s’en préoccuper ! » Mais comme cette pensée l’éloignait d’Odette, suivant un raisonnement qui ramenait tout à Hubert, Jean ne songea bientôt plus à Callista…

Il arriva aux Saintes-Maries comme on commençait à danser au son des guitares et des accordéons. La grand-rue, étroite à ne pas laisser passer de front deux chars, était illuminée de lampions. Des toiles à voile tendues d’un toit à l’autre et qui, tout le jour, avaient répandu leur ombre sur ce corridor, pesaient maintenant immobiles sur une atmosphère lourde où montaient les relents du vin que les servantes versaient à toutes les tables sorties sur les trottoirs.

Une gaieté, une bonne humeur parfaite régnaient partout. Beaucoup de bruit, pas de querelles. Des éclats de rire, des propos farces lancés en passant, de la musique et, de temps en temps, l’éclat tonitruant des pétards que les gamins jettent sournoisement dans les jambes des consommateurs.

Peu de bohémiens dans cette rue ; ceux qui ne sont pas encore partis restent campés aux alentours, sur la dune et jusque sur la grève ; mais parmi le peuple des matelots, des guardians et des boutiquiers, quelques belles demoiselles passent, portant le noble costume des Arlésiennes. Devant elles, tous s’effacent avec des saluts, car on connaît leurs vertus domestiques et leur intrépidité à cheval.

Au fond des auberges, des groupes s’entretiennent à voix basse du cruel événement du jour. Les sinistres nouvelles venues du Viei Castou Nou ont rembruni plus d’un front. On ne comprend rien à la disparition d’Odette. L’affaire est si singulière qu’on ose à peine émettre quelques commentaires. Et puis Hubert, s’il n’a pas beaucoup d’amis, est redouté de tous.

Quand Jean, après avoir laissé sa voiture sur la place, pénètre dans la rue, chacun se découvre devant lui et ne dit mot. On le plaint. On s’écarte pour le laisser pénétrer dans la salle de l’hôtel des Saintes-Maries. Le patron, un vieux loup de mer devenu aubergiste, l’accueille avec tristesse, mais se garde de lui poser la moindre question. Jean lui demande :

— Vous avez vu Rouletabille ?

— Oui, monsieur, il est venu ici le tantôt.

— Où pourrais-je le trouver ?

— Ma foi, monsieur, je n’en sais rien !… Mon idée est qu’il doit être reparti maintenant !…

— Qu’est-ce qui vous fait croire cela ?…

— Eh bien, voilà !… En arrivant, il m’a demandé si une dame ne l’attendait pas… Je vous dis ça à vous parce que je sais que vous êtes ensemble comme les deux doigts de la main… Je lui ai répondu qu’il n’était venu personne… Là-dessus, il est sorti… et puis il est revenu un peu plus tard… Il avait l’air très préoccupé ; il m’a encore demandé si la dame n’était pas là… Je lui ai répondu que non !… Alors il s’est mis à écrire un petit mot, l’a glissé dans une enveloppe et m’a dit :

— Je ne crois pas qu’elle vienne maintenant, mais si elle arrivait, vous lui remettriez ceci !…

Là-dessus il est parti et je ne l’ai plus revu ; et c’est ce qui me fait vous dire qu’il a dû quitter les Saintes-Maries…

— Et la dame n’est pas venue ? interrogea Jean.

— Oui monsieur, elle est arrivée, il n’y a pas bien longtemps et je lui ai remis le mot… elle a paru bien contrariée que M. Rouletabille ne l’eût pas attendue !…

Jean pensait : il a voulu avoir une entrevue avec Callista ! Au fond, lui aussi n’aurait pas été fâché de la rencontrer, n’eût-ce été que pour dissiper tout malentendu de ce côté. Après sa dernière entrevue avec son amie où celle-ci s’était montrée si parfaitement résignée avec cette nuance de fatalisme propre à celles de sa race, il ne pouvait lui entrer dans l’idée qu’elle se serait rendue coupable d’un attentat aussi odieux que celui dont Rouletabille la soupçonnait. Elle ne pouvait avoir oublié tout ce que Jean avait fait pour elle et, en somme, après un dernier cadeau qui assurait son avenir, et qu’elle avait accepté, elle n’avait rien à lui reprocher. Callista était venue aux Saintes-Maries sans s’en cacher, ayant annoncé le but de son voyage à ses domestiques… Tout ce qu’avait imaginé Rouletabille était un pur roman… Jean fit une description de Callista à l’aubergiste qui, à son grand étonnement, lui répondit que ce signalement ne s’appliquait en rien à la visiteuse. D’abord la dame dont il lui parlait était brune et celle qui était venue était blonde.

Jean, étonné, se recueillit un instant, puis, soudain, une pensée lui traversa l’esprit comme un éclair.

— Est-ce que cette dame n’a pas des cheveux coupés court sur le front ?

— Oui monsieur, c’est bien cela, cette fois…

Jean se rapprocha de l’aubergiste.

— Il devait y avoir une adresse sur la lettre ? fit-il.

Mais comme l’autre prenait un air discret, Jean lui dit tout de go :

— Cette lettre n’était-elle point adressée à Mme de Meyrens ?

Et l’aubergiste fit signe qu’il en était ainsi.

À la suite de quoi Jean sortit, l’esprit de plus en plus troublé.

« Il ne peut plus se passer de cette terrible femme ! se disait-il. Que peut-il en attendre dans un moment pareil ? Et comment songe-t-il à lui donner des rendez-vous s’il ne l’aime plus comme il le prétend ? »

Laissant ensuite cette affaire, il se mit à la recherche des guardians qui étaient l’ordinaire compagnie d’Hubert, car il avait son idée, mais comme il sortait de la grande clarté de la rue et qu’il se trouvait tout à coup dans la demi-obscurité de la dune, son attention fut tout de suite attirée par deux silhouettes qui passaient non loin de là et qui ne semblaient point lui être inconnues.

Un homme et une femme se glissaient le long des murs, puis traversaient soudain un espace désert rayé d’ombre et réapparaissaient dans la clarté dansante d’un feu qui brûlait devant une roulotte.

Tout le long de la grève il y avait beaucoup de ces feux qui formaient comme un demi-cercle autour des Saintes-Maries ; ils avaient été allumés par les tribus de bohémiens venus de Béziers et de Pézenas qui restaient aux Saintes plus longtemps que les autres, car en somme ces cigains étaient dans leur pays et n’avaient point grand chemin à faire pour retrouver les routes le long desquelles ils étaient accoutumés à vivre…

La plupart de ces sortes de bivouacs étaient déserts ; les jeunes étaient allés danser et le souper cuisait sous la surveillance de quelques vieilles à mine de sabbat…

Jean ne put retenir une sourde exclamation en reconnaissant dans les deux ombres qu’il suivait Olajaï et la Pieuvre !

Les deux personnages s’étaient assis à côté d’une vieille qui s’était dressée à leur approche et qui dévisageait la Pieuvre avec une certaine défiance.

Mais Olajaï parla, la vieille hocha la tête et il fut visible qu’elle faisait maintenant le meilleur accueil à la nouvelle venue.

Ils s’étaient rapprochés tous les trois et la conversation qu’ils tenaient à voix basse les intéressait tellement que Jean put avancer de quelques pas sans éveiller leur attention.

Il aurait bien voulu entendre ce qui se disait, mais cela lui fut impossible.

Après cette roulotte, Olajaï et la Pieuvre en visitèrent d’autres et puis, tout à coup, ils disparurent comme par enchantement et Jean ne parvint plus à les retrouver.

Il rentra tout pensif et très ému de l’aventure dans la lumière de la grand-rue et là il fut averti que les guardians venaient de se réunir à l’auberge du Petit-Rhône.

Quand il pénétra, le groupe, qui paraissait avoir une conversation des plus animées, se tut soudain.

Le regard de Jean fit le tour de ces figures rudes au front serré, à l’œil hostile, et il leur dit :

— Vous savez ce qui est arrivé. Croyez-vous que ce soit Hubert qui ait fait le coup ?

— Ça, non ! répondirent-ils avec unanimité… nous ne le croyons pas !…

— Il est cependant en prison pour cela… si quelqu’un de vous l’a vu la nuit dernière… ça peut le servir !… Il faut le dire…

Tous gardèrent le silence.

« Je ne vois pas ici lou Rousso Fiamo (la Rousse Flamme), laissa tomber Jean… il pourrait peut-être nous donner quelques renseignements…

« Lou Rousso, un rouquin aux cheveux de feu, avait été autrefois le chef des guardians de Mauriac… Il était bien connu pour sa force, sa brutalité et son dévouement aveugle au jeune homme.

Une voix répondit :

« Lou Rousso Fiamo est parti avant-hier avec quatre taureaux pour la ferrade de Beaucaire…

— C’est bien la première fois que « lou Rousso Fiamo » ne se trouve pas à la fête des Saintes !… Il en fera certainement une maladie ! fit remarquer Jean.

Et il sortit, n’insistant pas, sachant qu’ils se tenaient tous et qu’il ne pourrait rien tirer d’eux. Cependant son voyage aux Saintes n’avait pas été inutile, loin de là ! et il avait hâte de revoir Rouletabille.

Une heure et demie plus tard, il le retrouvait à Lavardens.

— Eh bien ? questionna-t-il.

— Eh bien, répondit Rouletabille, malgré les avertissements d’Olajaï, j’ai voulu aller aux Saintes, mais je n’y étais pas plutôt arrivé qu’Olajaï me rejoignait dans un coin de rue et me faisait entendre à nouveau que la Camargue était très malsaine pour moi ! J’ai voulu avoir une explication. Il m’a quitté hâtivement en me disant :

» — J’ai déjà trop bavardé !

— Et tu es revenu ?

— Mon Dieu, oui ! d’autant que j’avais encore beaucoup à faire ici !…

— Et puis, reprit Jean avec une intention qui n’échappa point au reporter… tu n’avais pas trouvé là-bas celle que tu attendais !…

— Je vois que l’on t’a bien renseigné, répliqua Rouletabille le sourcil froncé…

— En tout cas, je sais une chose, fit Jean d’une voix sourde, c’est que pendant qu’Olajaï réussissait à te faire quitter les Saintes-Maries, il y restait, lui, avec la Pieuvre que tu étais venu voir et que tu n’as pas vue ! Mais je les ai vus, moi, tous les deux travaillant à l’on ne sait quelle besogne obscure qui ne doit être ni de ton goût ni du mien, puisqu’ils s’arrangent pour nous la cacher !…

— Ne crains rien, Jean ! dit Rouletabille de plus en plus sombre… Je te demande encore vingt-quatre heures et ce n’est ni Olajaï ni la Pieuvre qui m’empêcheront de sauver Odette !…

— Je rapporte de là-bas quelque chose qui pourrait nous servir, dit Jean en arrêtant le reporter, qui avait fait un mouvement pour le quitter… Si c’est Hubert qui a fait le coup, comme je le crois plus que jamais, il a certainement eu des complices, au moins un complice… Eh bien, je viens d’apprendre que « lou Rousso Fiamo », son âme damnée, est absent des Saintes depuis quarante-huit heures…

— Je le savais ! dit Rouletabille…

Et il s’éloigna rapidement de Jean, lui brûlant, comme on dit, la politesse… Santierne n’insista pas ; il se remit au volant et lança sa torpédo sur la route de Beaucaire… Il voulait savoir exactement à quoi s’en tenir sur cette absence de « lou Rousso Fiamo »…

Carnet de Rouletabille à cette date : « Olajaï : la Pieuvre… Jean pourrait bien avoir raison. Je ne me suis pas assez méfié de la Pieuvre. Elle ne peut plus me servir… Elle ne peut que me nuire… maintenant que je sais par elle que la police n’est pour rien dans mon cambriolage et après ce qui s’est passé aux Saintes-Maries, je devrais rompre entièrement avec elle. Ce n’est pas la première fois que l’idée m’en vient, mais je crois qu’il n’est que temps de la réaliser. En ce qui concerne Olajaï, il y a des moments où je suis sur le bord de son secret et puis, au moment où je crois le pénétrer, je retombe dans le noir. Les dangers qu’il m’annonce et dont, soi-disant, il veut me sauver, coïncident trop avec mon cambriolage à Paris pour qu’il n’y ait pas entre ceux-là et celui-ci un lien étroit. C’est ce lien qui m’échappe tout à fait. Qu’est-on venu faire chez moi ? Voilà le trou. Je suis sûr qu’Olajaï, d’un mot, pourrait le combler. Mais, dit-il, il a déjà trop bavardé !… et il me conseille de fuir, comme il me conseillait de ne pas quitter Lavardens. Tout cela se tient et cependant reste incompréhensible en ce qui me concerne. Une seule chose est certaine, c’est qu’il y a autour de moi quelque chose de très menaçant. Je suis surveillé, je le sens, à chaque pas que je fais à Lavardens et hors de Lavardens… et je n’échappe à cette surveillance occulte qu’avec les plus grandes difficultés et en déployant une astuce incroyable. Quoi qu’il en soit, j’ai réussi à relever la piste de Callista, depuis son arrivée aux Saintes-Maries, presque pas à pas, et je sais tout ce qu’elle a fait jusqu’au moment où elle disparaît non loin du « Viei Castou-Nou »…

» Descendue comme nous, mais vingt-quatre heures plus tôt, à Avignon, elle s’est fait conduire comme nous à Arles, en auto… Mais là, elle a quitté l’auto, a traversé la ville à pied, est allée prendre le premier train à la petite gare d’Arles-Trinquet et est descendue aux Saintes-Maries à neuf heures cinquante. Elle était vêtue simplement, mais fort élégamment d’une robe en velours tête-de-nègre ornée de castor et d’un chapeau rond agrémenté de poils de singe, toilette de sa dernière sortie avec Jean et avec moi quelques jours avant la rupture. Certes, elle ne se cachait pas ! Elle s’est rendue tout de suite à l’église et a commencé ses dévotions. Elle s’est rendue ensuite chez le curé et lui a demandé une carte pour la cérémonie de l’après-midi ; la descente des reliques. Puis, elle a fait un tour de ville, sans but apparent, s’intéressant aux différents spectacles que lui offraient les campements des bohémiens. À un moment, elle s’approcha d’un groupe qui tout d’abord ne lui accorda pas plus d’attention qu’aux autres passants. Un enfant vint lui demander la charité. Elle lui parla. Aussitôt un homme qui était assis devant elle, lui tournant le dos, lui jeta un regard par-dessus l’épaule, puis, en un instant, fut debout devant elle. Cet homme la dévisagea, considéra sa toilette et fit entendre sourdement, dans sa langue, entre ses dents serrées, les pires injures.

» Elle ne broncha pas, laissa tomber quelques mots dans la même langue et s’éloigna. Quand elle fut partie, l’homme et tous ceux qui étaient là crachèrent par terre. Callista, sans émotion apparente, avait laissé derrière elle les Saintes et tout le grouillement bohémien qui faisait au village comme une ceinture sordide. Elle gagnait la grève dans son endroit le plus désert et pénétrait dans les débris d’une hutte d’où elle sortait bientôt quasi nue, prête pour le bain. Après le bain elle s’étendit sur le sable du rivage comme une bête lasse.

» Tout à coup il y eut un bondissement près d’elle : c’était l’homme ! Elle l’attendait malgré ses injures. Elle se mit à rire en le regardant. Il la fit taire en lui collant sur les lèvres un baiser sauvage. Cet homme, c’était Andréa, celui qui l’avait poursuivie deux ans auparavant et dont Jean, pour son malheur, l’avait délivrée. Si c’étaient les oripeaux de femme roumi dont Callista était tout à l’heure revêtue qui avaient été l’occasion du furieux accueil d’Andréa, celui-ci, certes, en regardant Callista, n’avait plus rien qui pût blesser sa vue. Tout cela était fort bien calculé. Elle avait trouvé son homme. Il voulut la prendre. Elle le repoussa, mais que ne dut-elle point lui promettre ? Tout de suite, il se montra soumis. Elle s’en fut s’habiller et ils se quittèrent les meilleurs amis du monde.

» Callista n’assista point à la cérémonie de l’après-midi, elle quitta subrepticement le village dans une carriole conduite par un bohémien qui la laissa non loin de Lavardens et j’y ai perdu sa trace. Andréa aussi disparut des Saintes. J’ai perdu sa trace à lui à Maguelonne-le-Sauveur, mais il ne fait point de doute que je la retrouve dans celle du tondeur de chiens dont m’a parlé Estève.

» À Maguelonne-le-Sauveur, Andréa était à pied. À signaler que ni l’un ni l’autre n’ont pris le train dans lequel ils auraient été certainement remarqués par les employés, car le train de retour pour Arles à cette heure était vide. Jean vient de me quitter, sans doute parti pour Beaucaire à la recherche de « lou Rousso Fiamo ». Après tout, son voyage ne sera peut-être pas inutile. Il faut s’attendre à tout depuis que j’ai découvert le signe des Bohémiens chez Odette, cadeau offert par Hubert… Et maintenant je vais cuisiner Estève. Encore beaucoup à apprendre de ce côté… J’ai demandé à Jean vingt-quatre heures pour sauver Odette… s’il en est encore temps !… »