Roxane/40

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Éditions Édouard Garand (13p. 63-65).

CHAPITRE XVIII

HI ! PRESTO !


— Ah ! dit Champvert. L’impeccable Mme Louvier, qui profite de mon absence de la maison pour me dévaliser !… Veuillez me remettre ce que vous venez de me voler, chère Madame, ajouta-t-il, en tendant la main vers la jeune fille.

D’un geste un peu enfantin, Roxane mit ses mains derrière elle ; mais soudain, ses deux bras furent saisis et elle se sentit entraîner vers la table à écrire. Impossible de se défendre : Champvert avait un poignet de fer ; ce n’est pas une délicate jeune fille qui eut pu lui résister. Quoiqu’elle eut sur elle un revolver, elle savait bien que cette arme à feu lui serait arrachée des mains et dirigée sur elle, si elle essayait de s’en servir.

Arrivé près de la table, le notaire n’éprouva pas beaucoup de difficulté à s’emparer du testament, dont la vue lui causa une réelle surprise.

— Ainsi, dit-il, ce n’est pas de l’argent que vous cherchiez dans mon coffre-fort, mais ce chiffon de papier. C’est assez singulier… Ah ! attendez donc…

D’un mouvement brusque, il enleva la perruque et les lunettes de Roxane.

Mlle  Monthy ! s’écria-t-il. La fiancée de Hugues de Vilnoble !… Ainsi, depuis quelques semaines, vous jouez ici le rôle de ménagère, hein, dans le but de vous emparer de ce testament ?… Eh ! bien, chère Mlle Monthy, ce document, vous auriez mieux fait de le laisser où je l’avais mis, car, je vais vous donner le plaisir de le brûler en votre présence, immédiatement.

— Non ! Oh ! Non ! cria Roxane.

— Oui. Oh ! Oui, Mlle Monthy. Mais, auparavant, je vais vous garrotter avec de fortes ficelles ; ensuite, eh ! bien, je déciderai de votre sort… Tenez, pendant que je vous lierai les mains et les pieds, vous pourrez repaître vos yeux du testament, pour la dernière fois, puis nous ferons de ce chiffon un feu de joie.

Ce disant, Champvert déposa le testament sur sa table à écrire, puis, ouvrant un tiroir, il y prit un paquet de galon rose, le galon officiel des avocats et des notaires. Avec ce galon il attacha fermement les bras et les jambes de la jeune fille ; de cette manière, elle était incapable de faire le moindre mouvement.

— Vous voilà ficelée de la plus belle façon, Mlle Monthy, et vous n’êtes plus à craindre. Vraiment, j’admire mon travail ; il est véritablement artistique. Et Champvert dit méchamment. Maintenant, vous allez jouir d’un spectacle que vous n’oublierez jamais : la destruction du testament de M. de Vilnoble, en faveur de son fils Hugues, votre fiancé, Mlle Monthy ! Ha, ha, ha !

Toujours riant, le notaire s’approcha de la table pour y prendre le testament… le testament avait disparu !… Oui, il avait disparu !… Mais…comment avait-il pu disparaître ?… Champvert était bien seul dans son étude, avec Roxane, et celle-ci n’eut pu toucher au document, et pour cause : n’avait-il pas maintenu fortement la jeune fille d’une main, tandis qu’il la ficelait de l’autre ?… Alors ?…

— Le testament !… balbutia-t-il.

Il se mit à chercher parmi ses papiers et par terre ; même, il enleva le tapis de table, dont la frange traînait sur le plancher… Rien…

— Le testament… répéta-t-il. Je l’avais placé là… sur le bord de la table…

— Le testament a disparu, dites-vous, M. Champvert ? demanda Roxane. Alors, soyez-en assuré, c’est Yseult qui est venue le chercher.

— Yseult !… Mais, vous perdez la tête, Mlle Monthy ! exclama Champvert. Yseult est morte et…

— Souvenez-vous des dernières paroles qu’elle a prononcées, avant de mourir. « Le testament !… Hugues !… Pardon !… »

— Ah ! bah, dit le notaire, en haussant les épaules (Il ne croyait guère à l’intervention surnaturelle). Tout de même, c’est mystérieux la disparition du testament… Je ne puis comprendre…

Mais Roxane comprenait, elle ! Tandis que Champvert la garrottait, tout à l’heure, elle avait vu une petite main brune saisir le testament, puis le visage de Souple-Échine était apparu, un moment, entre les portières. Elle avait vu, ensuite le tapis de table remuer légèrement et elle comprit que le petit Sauvage rampait sous la table, dans l’intention d’atteindre la fenêtre, large ouverte. Entre la table et la fenêtre, la distance était de deux pieds, au plus ; tout de même, l’enfant serait obligé de se lever debout pour atteindre l’appui de la fenêtre… Le voilà Souple-Échine… Il vient de se lever… Roxane avait pâli… Si Champvert se retournait, il apercevrait le jeune Sauvage, et, devinant tout, bien sûr, il n’hésiterait pas à le tuer… Pourtant, le notaire était trop occupé à garrotter sa victime pour penser à autre chose. Souple-Échine, d’un bond, fut sur l’appui de la fenêtre, et en un clin d’œil, il avait sauté sur la terrasse, ses pieds nus ne faisant aucun bruit qui eut pu le trahir : Champvert avait été joué, roulé, par un enfant !

Hélas ! Roxane était en son pouvoir et sachant à qui elle avait affaire, elle aurait eu raison de trembler pour sa vie.

— Je sais bien que vous n’auriez pu toucher au testament, dit Champvert et je ne puis m’expliquer… C’est, je le répète, un mystère… Nous sommes seuls dans cette chambre, vous et moi, et cependant… Moi qui me proposais de vous régaler d’un petit feu de joie !

Roxane sourit.

— Vous souriez, Mlle Monthy ! Vous osez sourire !… Eh ! bien, vous allez le payer cher ce sourire, croyez-le ! Vous ne vous doutez guère du sort qui vous est réservé.

— Vous pouvez me tuer, je sais…

— Oui, et la justice ne m’inquiéterait pas pour cela ; chacun a le droit de défendre ses biens… Je vous ai surprise, dans mon étude, à… voler… D’ailleurs, une fois libre, vous parleriez. Je vous mettrai donc dans l’impossibilité de raconter à qui que ce soit de ce qui vient de se passer ou de parler de l’existence du testament de M. de Vilnoble.

— Allez-vous m’arracher la langue, M. Champvert ? demanda Roxane, d’un air moqueur.

— Non. Mais le sort que je vous réserve n’est pas un sort enviable. D’abord, je vais vous détacher les mains.

Il détacha la ficelle qu’il avait enroulée autour des mains et des poignets de la jeune fille, puis il dit, indiquant la table :

— Vous allez écrire immédiatement, ce qui suit :

« Je suis retournée aux Barrières-de-Péage.

ROXANE. »

— Jamais ! s’écria notre héroïne. Jamais je n’écrirai cela, entendez-vous, M. Champvert !

— Jamais est un grand mot, dit en riant le notaire. Écrivez Mlle Monthy, écrivez !

— Je jure que rien au monde ne me fera écrire cela !

— Il ne faut jurer de rien, vous savez… Allons, écrivez ! Le temps s’écoule rapidement, et j’ai autre chose à faire qu’à causer avec vous. Vite ! Hâtez-vous ! Écrivez ! Entendez-vous, Mlle Monthy !

Roxane ne fit aucun mouvement pour obéir à Champvert. Elle en avait le pressentiment, cet homme, qui l’avait en son pouvoir, méditait contre elle quelque terrible vengeance.

— Vous refusez de m’obéir, n’est-ce pas, Mlle Monthy ? Eh ! bien, je sais un moyen de vous y contraindre. Si vous n’écrivez pas ce que je viens de vous dicter, il arrivera malheur à… une certaine petite infirme qui vous tient beaucoup au cœur…

— Rita !… balbutia Roxane.

— Oui. Rita ! Rien ne me sera plus facile que d’attirer cette petite dans un guet-apens et de…

— Oh ! M. Champvert ! Pour l’amour de Dieu, ne touchez pas à ma petite sœur chérie !… Elle est faible et infirme, la pauvre mignonne et si chétive !… N’avez-vous jamais connu ce que c’est que d’aimer une innocente petite créature, que vous ayez conçu la diabolique idée de vous attaquer à cette enfant ?… De grâce, M. Champvert ! sanglota Roxane.

— Plaider, avec moi, c’est comme plaider auprès de cette chaise, Mlle Monthy, répondit le notaire, qui, cependant, avait légèrement pâli. Écrivez, entendez-vous ! Sinon, aussitôt que j’aurai décidé de votre sort, je m’occuperai de…

— Et si j’écris ce que vous m’avez dicté !…

— Il n’arrivera rien à votre petite sœur je vous en donne ma parole d’honneur !

— Vous m’en donnez… quoi ? dit la jeune fille, avec un éclat de rire. Votre parole d’honneur ! La vôtre ! La parole d’honneur du notaire Champvert ! Ha, ha ha !

— C’est bien, riez, Mademoiselle ! Rira bien qui rira le dernier cependant. Pour la dernière fois, je vous donne le choix entre écrire cette lettre ou sacrifier la vie de votre petite sœur.

Roxane n’hésita plus ; elle écrivit la lettre, se doutant bien pourtant que ce papier serait peut-être sa condamnation.

— Maintenant, suivez-moi ! dit Champvert.

— Mais… je ne puis pas marcher ; j’ai les pieds liés ensemble !

— C’est juste !

Il défit les galons et ficelles qui liaient les pieds de la jeune fille, mais il lui attacha les mains derrière le dos, puis prenant le papier qu’elle venait d’écrire, il conduisit Roxane droit à sa chambre, à la chambre qu’avait occupée Mme Louvier.

Arrivé dans la chambre, le notaire attacha de nouveau les pieds de Roxane ; de fait, il la ficela comme un paquet, puis il quitta la pièce, revenant, au bout de quelques instants, tenant à la main une fiole contenant une substance liquide ressemblant à de l’eau : c’était du chloroforme. En un clin d’œil, il en imbiba un mouchoir, qu’il appliqua sur le visage de la jeune fille. En vain essaya-t-elle de se défendre ; elle était impuissante, étant liée pieds et mains.

Mais, pauvre Roxane, elle ne se débattit pas longtemps ; bientôt, elle tomba sur une chaise, endormie.

Alors, hâtivement, Champvert se mit à entasser dans la valise de la fiancée de Hugues tout le linge de celle-ci, après quoi il plaça, très en évidence, la lettre qu’elle avait écrite sous sa dictée. Quittant la chambre ensuite en emportant la valise, il se dirigea vers les écuries et attela les deux chevaux de trait à la berline de voyage, sans même s’apercevoir que Jupiter n’était pas dans sa stalle.

Bientôt, Roxane était couchée sur un des sièges de la berline, dont les rideaux avaient été soigneusement fermés, puis, faisant lui-même le métier de cocher, Champvert administra aux chevaux deux maîtres coups de fouet. À ce traitement, auquel elles n’avaient pas été habituées, les deux nobles bêtes partirent, le mors aux dents, dans la direction de l’ouest.