Rymes/Aux dames lyonnoises
ANTOINE DU MOULIN AUX DAMES LYONNOISES.
omme ainsi soit que l’inclination,
laquelle naturellement
nous avons a noz semblables,
nous face esmouvoir selon le bon,
ou maulvais accident advenu a
ceulx de nostre complexion, je ne
doubteray point que la plus part de vous, Dames
vertueuses, ne sois assés marrie de soy mesmes du trespas
de celle vertueuse, gentile, & toute spirituelle Dame
D. Pernette du Guillet, sans d’avantage par ce petit
recueil sien vous renouveller la douleur, qui encor
vous saingne au cueur (mesmement a vous, qui de
plus privee frequentation l’avez congneue) pour l’oultrage
faict n’à guieres par la Mort a elle & a vous,
comme envyeuse de nostre bien. Mais les instantes,
& affectionnées remonstrances de son dolent mary
m’ont persuadé, comme luy, a vous vouloir plus tost
desplaire pour un peu, vous renouvellant vostre particulier
regret, que de vouloir generalement priver
toutes celles, qui ne la congneurent onc de face, de ce petit amas de rymes, lesquelles elle nous laissa pour
tesmoingnage de la d’exterité de son divin esprit, &
lequel, en le lisant, sera suffisant (j’en suis tout asseuré)
de la faire regretter non seulement a ses accointées,
mais aussi a toutes personnes de vertu avec une
perpetuelle hayne contre la Mort, qui nous à privez
de la consummation, que par cest heureux commancement
la felicité de son celeste engin nous promettoit.
Car, veu le peu de temps, que les Cieulx l’ont
laissée entre nous, il est quasi incroyable comme elle à
peu avoir le loysir, je ne dy seulement de se rendre si
parfaictement asseurée en tous instrumentz musiquaulx,
soit au Luth, Espinette, & autres, lesquelz
de soy requierent une bien longue vie a se y rendre
parfaictz, comme elle estoit, & tellement, que la
promptitude, qu’elle y avoit, donnoit cause d’esbahissement
aux plus experimentez : mais encores a si
bien dispencer le reste de ses bonnes heures, quelle
l’aye employé a toutes bonnes lettres, par lesquelles
elle avoit eu premierement entiere & familiere congnoissance
des plus louables vulgaires (oultre le sien)
comme du Thuscan, & Castillan, tant, que sa plume
en pouvoit faire foy : & apres avoir jà bien avant
passé les rudimentz de la langue Latine aspirant a
la Grecque (si la Lampe de sa vie eust peu veiller jusques au soir de son eage) quand les Cieulx nous enviantz
tel heur la nous ravirent, ô Dames Lyonnoises,
pour vous laisser achever ce, qu’elle avoit si heureusement
commencé : c’est a sçavoir de vous excerciter,
comme elle, a la vertu, & tellement, que, si par
ce sien petit passetemps elle vous à monstré le chemin
a bien, vous la puissiez si glorieusement ensuyvre,
que la memoire de vous puisse testifier a la posterité
de la docilité & vivacité des bons espritz,
qu’en tous artz ce Climat Lyonnois à tousjours produict
en tous sexes, voire assés plus copieusement, que
guere autre, que lon sache. Qui est la cause, qui m’à
meu, entre les autres persuasions, a vous communiquer
ce peu de commencement, que son affectionné
mary à trouvé parmy ses brouillars en assés povre ordre,
comme celle, qui n’estimoit sa facture estre encor
digne de lumiere jusques a ce, que le temps la luy
eust par frequent estude & estendue, & lymée. Et
pource en la mesme sorte que luy, & moy avons trouvé
Epygrammes, Chansons, & autres diverses matieres
de divers lieux, & plusieurs papiers confusément
extraictz, les vous avons icy, quasi comme
pour copie, mis en evidence, tant pour satisfaire a
ceulx, a qui privément en maintes bonnes compaignies
elle les recitoit a propos, comme la plus part faictz a leur occasion, que aussi pour ne vouloir perdre
soubz silence d’eternel oubly chose, qui vous peust
non seulement recreer, mais faire honneur a vous,
Dames Lyonnoises, & vous faire priser en maintes
contrees toutes les fois, que ces petites, & louables
jeunesses siennes seront en grande admiration leues
de tous. Et quand ce ne seroit, quelles pourront inciter
quelcune de vous, ou d’ailleurs, & l’animer aux lettres,
pour participer de ce grand & immortel los,
que les Dames d’Italie se sont aujourdhuy acquis, &
tellement, que par leurs divins escriptz elles ternissent
le lustre de maintz hommes doctz, & comme
en France semblablement tant de honnestes & vertueuses
Dames, & Damoiselles s’y adonnent avec
une grande expectation de leur perpetuelle renommée
au grand honneur, & louange de tout ce Royaulme :
& quand ce ne seroit (rediray je) que pour
toutes ces justes, & louables occasions, ne devrois je
estre jugé ingrat, & oultrageux a vous toutes, si,
ayant cecy entre mains, je vous eusse celé ce petit esguillon
de vous poulser a plus hault bien en perpetuelle
recommandation de vostre renommee ? Certainement
il n’est celuy (pour depravé jugement, qu’il
aye) qui ne m’en d’eust a bonne occasion blasmer,
comme larron de l’honneur, & publicque louange de vostre sexe. Et si d’avanture se trouve quelque bigerre
cerveau (comme communement la vertu ne va
jamais seule sans envie) qui vueille prendre cecy en
maulvaise part, pour n’en sçavoir autant faire, n’y en
approcher cent lieues pres, je vous supply croire, que
toute personne de bon, & sain entendement sçait tres
bien, que, tout ainsi que naturellement chascun de soy
juge les autres, les bons, comme vous, Dames bonnes,
& vertueuses, feront tousjours bien leur prouffit en
tout, & par tout : car il n’est si petite, ne si meschante
chose, dont on ne puisse tirer quelque peu de bien, &
utilité, qui l’y vouldra chercher, & le prendre en
bonne intention. Et pource, quand vous orrez detracter
l’envie pour vous descourager, & d’estourner de
que les Asnes voisent tousjours a
leurs chardons, & a Dieu mes Dames,
en grace de qui j’ay mieulx
aymé desplaire aux malingz,
que, en leur
complaisant,
vous
faire tort.
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