Rymes/Combien de fois ay je en moi souhaicté

La bibliothèque libre.

Combien de fois ay je en moy souhaicté
Me rencontrer sur la chaleur d’esté
Tout au plus près de la clere fontaine,
Ou mon desir auec cil se pourmaine,
Qui exercite en sa philosophie
Son gent esprit, duquel tant je me fie,
Que ne craindrois, sans aucune maignie,
De me trouver seule en sa compaignie :
Que dy je seule ? ains bien accompaignee
D’honnesteté, que Vertu à gaignee

A Apollo, Muses, & Nymphes maintes,
Ne s’adonnantz qu’a toutes œuvres sainctes :
Là quand j’aurois bien au long veu son cours,
Je le lairrois faire appart ses discours :
Puis peu a peu de luy m’escarterois,
Et toute nue en l’eau me gecterois :
Mais je vouldrois lors quant, & quant avoir
Mon petit Luth accordé au debvoir,
Duquel ayant congneu, & pris le son,
J’entonnerois sur luy une chanson
Pour un peu veoir, quelz gestes il tiendroit :
Mais si vers moy il s’en venoit tout droict,
Je le lairrois hardyment approcher :
Et s’il vouloit, tant soit peu, me toucher,
Luy gecterois (pour le moins) ma main pleine
De la pure eau de la clere fontaine,
Luy gectant droict aux yeulx, ou a la face.
Ò qu’alors eust l’onde telle efficace
De le pouvoir en Acteon muer,
Non toutes fois pour le faire tuer,
Et devorera ses chiens, comme Cerf :
Mais que de moy se sentist estre serf,
Et serviteur transformé tellement,
Qu’ainsi cuydast en son entendement,
Tant que Dyane en eust sur moy envie,

De luy avoir sa puissance ravie.
Combien heureuse, & grande me dirois !
Certes Deesse estre me cuyderois.
Mais pour me veoir contente a mon desir,
Vouldrois je bien faire un tel desplaisir
A Apollo, & aussi a ses Muses
De les laisser privees, & confuses
D’un, qui les peult toutes servir a gré,
Et faire honneur a leur hault choeur sacré ?
Ostez, ostez, mes souhaitz, si hault poinct
D’avecques vous, il ne m’appartient point.
Laissez le aller les neuf Muses servir,
Sans se vouloir dessoubz moy asservir,
Soubz moy, qui suis sans grace, & sans merite.
Laissez le aller, qu’Apollo je ne irrite
Le remplissant de Deité profonde,
Pour contre moy susciter tout le Monde,
Lequel un iour par ses escriptz s’attend
D’estre avec moy & heureux, & content.