Rymes/Desespoir traduict de la prose du parangon italien

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desespoir traduict de la
prose du Parangon Italien.


Si c’est Amour, Pourquoy m’occist il donc,
Qui tant aymay, & hayr ne sceuz onc ?
Et s’il m’occist, pourquoy plus oultre vis ?
Et si je vis, pourquoy font mes devis
De desespoir, & de plainctz tous confus ?
Meilleur m’estoit, soubdain que né je fus,
De mourir tost, que de tant vivre, mesmes,

Que mortel suis ennemy de moymesmes :
Et ne puis, las, & ne puis vouloir bien,
Ne voulant celle, en qui gist l’espoir mien :
Et ne puis rien fors ce, que veult la dame
De qui suis serf de cueur, de corps, & d’ame.
Estre ne peult mon mal tant lamenté,
Que de plus grand ne soye tourmenté :
Et ne pourrais monstrer si grand douleur,
Qu’encor plus grand ne celast mon malheur.
Las je ne suis prisonnier, ny delivre :
Et ne me tient en espoir, ny delivre
Mon bien servir, qui de mort prent envie.
Je ne suis mort, ny je ne suis en vie,
Me contraignant a plaindre mon mal aise :
Et raison veult toutes fois que me taise
Pour n’offencer ce, que servir desire,
Qui mon vouloir en mille partz dessire.
L’ame congnoit, que de si tres bas lieux,
Dont mes grandz pleurs montent jusques aux yeulx,
Jamais les voix ne peuvent estre ouyes,
Ny en haulteur si grande resjouyes :
Car ce mien feu, qui peu a peu me fond,
Est dens mon cueur allumé si profond,
Qu’il ne peult pas, bien qu’il soit grand, reluire
Devant les yeulx, qui pour mal me conduire

Font le Soleil de grand honte retraire :
Ainsi je meurs, estant contrainct me taire.
Pour moy ne voy remede suffisant,
Ne pour ma peine aucun moyen duisant :
Car mon desir à peur de desirer :
Qui tant plus croict, tant plus faict empirer
Ce mien espoir, qui peu a peu me fault :
Et toutesfois en moy point ne deffault,
N’y s’amoindrit ma grande passion :
Mais tousjours croict par obstination.
La Mort me fuit, non pour paix me donner,
Mais seulement pour ne m’abandonner :
Aussi celle est, qui pallie, & adumbre
De mes travaulx un non guieres grand nombre :
Parquoy je dy (sans ailleurs recourir)
Qu’on peult trouver plus grand mal, que mourir :
Mais bien meilleur est mourir a qui ayme
En grand douleur, & peine tant extresme :
Car, vivant, fault (miserable) qu’il sente
Les grandz douleurs de la peine presente,
Ayant tousjours du passé souvenir :
La craincte aussi de celles a venir
Incessamment luy redouble sa peine :
Parquoy sa foy est en espoir bien vaine.
Chetifz Amantz : aucun ne deubt s’offrir

A telle ardeur, peine a douleur souffrir
En un espoir (plus vain, que lon ne pense)
D’une, peult estre, ingrate récompense :
Car de l’amour la force tant aigue
Pour bien servir ne peult estre vaincue.
Et plusieurs fois (& a la verité)
On voit celuy, qui à moins merité
Estre, pour vray, le mieulx recompensé
Qui ne deubt estre a tel bien dispensé.
En telle guerre, ou vertu sert de vice,
Ne vault avoir ferme foy, ny service.
Puis donc qu’on m’oste, & denye victoire,
Qui m’estoit deue, il est par trop notoire,
Que là, ou meurt, & ou gloire desvie,
C’est gloire aussi que tost meure la vie.
Aussi, ô Dieux, avec ceste mort mienne
Mourront mes maulx, & ma playe ancienne,
Mon esperance, & desir obstiné,
Et mon arbitre en mal predestiné,
Mon mal, ma peine avec mes fascheries,
Amour aussi avec ses tromperies.