Rymes/Texte entier

La bibliothèque libre.
Rymes
RymesTournes (p. 1-80).

ANTOINE DU MOULIN AUX DAMES LYONNOISES.


Comme ainsi soit que l’inclination, laquelle naturellement nous avons a noz semblables, nous face esmouvoir selon le bon, ou maulvais accident advenu a ceulx de nostre complexion, je ne doubteray point que la plus part de vous, Dames vertueuses, ne sois assés marrie de soy mesmes du trespas de celle vertueuse, gentile, & toute spirituelle Dame D. Pernette du Guillet, sans d’avantage par ce petit recueil sien vous renouveller la douleur, qui encor vous saingne au cueur (mesmement a vous, qui de plus privee frequentation l’avez congneue) pour l’oultrage faict n’à guieres par la Mort a elle & a vous, comme envyeuse de nostre bien. Mais les instantes, & affectionnées remonstrances de son dolent mary m’ont persuadé, comme luy, a vous vouloir plus tost desplaire pour un peu, vous renouvellant vostre particulier regret, que de vouloir generalement priver toutes celles, qui ne la congneurent onc de face, de ce petit amas de rymes, lesquelles elle nous laissa pour tesmoingnage de la d’exterité de son divin esprit, & lequel, en le lisant, sera suffisant (j’en suis tout asseuré) de la faire regretter non seulement a ses accointées, mais aussi a toutes personnes de vertu avec une perpetuelle hayne contre la Mort, qui nous à privez de la consummation, que par cest heureux commancement la felicité de son celeste engin nous promettoit. Car, veu le peu de temps, que les Cieulx l’ont laissée entre nous, il est quasi incroyable comme elle à peu avoir le loysir, je ne dy seulement de se rendre si parfaictement asseurée en tous instrumentz musiquaulx, soit au Luth, Espinette, & autres, lesquelz de soy requierent une bien longue vie a se y rendre parfaictz, comme elle estoit, & tellement, que la promptitude, qu’elle y avoit, donnoit cause d’esbahissement aux plus experimentez : mais encores a si bien dispencer le reste de ses bonnes heures, quelle l’aye employé a toutes bonnes lettres, par lesquelles elle avoit eu premierement entiere & familiere congnoissance des plus louables vulgaires (oultre le sien) comme du Thuscan, & Castillan, tant, que sa plume en pouvoit faire foy : & apres avoir jà bien avant passé les rudimentz de la langue Latine aspirant a la Grecque (si la Lampe de sa vie eust peu veiller jusques au soir de son eage) quand les Cieulx nous enviantz tel heur la nous ravirent, ô Dames Lyonnoises, pour vous laisser achever ce, qu’elle avoit si heureusement commencé : c’est a sçavoir de vous excerciter, comme elle, a la vertu, & tellement, que, si par ce sien petit passetemps elle vous à monstré le chemin a bien, vous la puissiez si glorieusement ensuyvre, que la memoire de vous puisse testifier a la posterité de la docilité & vivacité des bons espritz, qu’en tous artz ce Climat Lyonnois à tousjours produict en tous sexes, voire assés plus copieusement, que guere autre, que lon sache. Qui est la cause, qui m’à meu, entre les autres persuasions, a vous communiquer ce peu de commencement, que son affectionné mary à trouvé parmy ses brouillars en assés povre ordre, comme celle, qui n’estimoit sa facture estre encor digne de lumiere jusques a ce, que le temps la luy eust par frequent estude & estendue, & lymée. Et pource en la mesme sorte que luy, & moy avons trouvé Epygrammes, Chansons, & autres diverses matieres de divers lieux, & plusieurs papiers confusément extraictz, les vous avons icy, quasi comme pour copie, mis en evidence, tant pour satisfaire a ceulx, a qui privément en maintes bonnes compaignies elle les recitoit a propos, comme la plus part faictz a leur occasion, que aussi pour ne vouloir perdre soubz silence d’eternel oubly chose, qui vous peust non seulement recreer, mais faire honneur a vous, Dames Lyonnoises, & vous faire priser en maintes contrees toutes les fois, que ces petites, & louables jeunesses siennes seront en grande admiration leues de tous. Et quand ce ne seroit, quelles pourront inciter quelcune de vous, ou d’ailleurs, & l’animer aux lettres, pour participer de ce grand & immortel los, que les Dames d’Italie se sont aujourdhuy acquis, & tellement, que par leurs divins escriptz elles ternissent le lustre de maintz hommes doctz, & comme en France semblablement tant de honnestes & vertueuses Dames, & Damoiselles s’y adonnent avec une grande expectation de leur perpetuelle renommée au grand honneur, & louange de tout ce Royaulme : & quand ce ne seroit (rediray je) que pour toutes ces justes, & louables occasions, ne devrois je estre jugé ingrat, & oultrageux a vous toutes, si, ayant cecy entre mains, je vous eusse celé ce petit esguillon de vous poulser a plus hault bien en perpetuelle recommandation de vostre renommee ? Certainement il n’est celuy (pour depravé jugement, qu’il aye) qui ne m’en d’eust a bonne occasion blasmer, comme larron de l’honneur, & publicque louange de vostre sexe. Et si d’avanture se trouve quelque bigerre cerveau (comme communement la vertu ne va jamais seule sans envie) qui vueille prendre cecy en maulvaise part, pour n’en sçavoir autant faire, n’y en approcher cent lieues pres, je vous supply croire, que toute personne de bon, & sain entendement sçait tres bien, que, tout ainsi que naturellement chascun de soy juge les autres, les bons, comme vous, Dames bonnes, & vertueuses, feront tousjours bien leur prouffit en tout, & par tout : car il n’est si petite, ne si meschante chose, dont on ne puisse tirer quelque peu de bien, & utilité, qui l’y vouldra chercher, & le prendre en bonne intention. Et pource, quand vous orrez detracter l’envie pour vous descourager, & d’estourner de

bien faire, souvienne vous, qu’il fault necessairement :
que les Asnes voisent tousjours a
leurs chardons, & a Dieu mes Dames,
en grace de qui j’ay mieulx
aymé desplaire aux malingz,
que, en leur
complaisant,
vous
faire tort.
De Lyon ce XIIII. d’Aoust,
1545.


L’IMPRIMEUR AU LECTEUR.

Quelle puissance Amytié puisse avoir,
Quand la vertu y est au vif empraincte,
Tu le pourras clerement icy veoir,
Appercevant une affection saincte
De chaste amour si haultement attaincte
En foy loyalle, & si bien poursuyvie,
Quelle peult cy, sans aucune contraincte,
(Maulgré la Mort) faire taire l’Envie.

rymes de gentile, et vertueuse dame d. pernette du guillet lyonnoise.


Le hault pouvoir des Astres à permis
(Quand je nasquis) d’estre heureuse & servie :
Dont congnoissant celuy, qui m’est promis,
Restee suis sans sentyment de vie,
Fors le sentir du mal, qui me convie
A regraver ma dure impression
D’amour cruelle, & doulce passion,
Ou s’apparut celle divinité,
Qui me cause l’imagination
A contempler si haulte qualité.


La nuict estoit pour moy si tresobscure,
Que Terre, & Ciel elle m’obscurissoit,
Tant, qu’à Midy de discerner figure

N’avois pouvoir, qui fort me marrissoit :
Mais quand je vis que l’aulbe apparoissoit
En couleurs mille & diverse, & seraine,
Je me trouvay de liesse si pleine
(Voyant desjà la clarté a la ronde)
Que commençay louer a voix haultaine
Celuy, qui feit pour moy ce Jour au Monde.



Ce grand renom de ton meslé sçavoir
Demonstre bien, que tu es l’excellence
De toute grace exquise pour avoir
Tous dons des Cieulx en pleine jouyssance.
Peu de sçavoir, que tu fais grand nuysance
A mon esprit, qui n’à la promptitude
De mercier les Cieulx pour l’habitude
De celui là, ou les trois Graces prinses
Contentes sont de telle servitude
Par les vertus, qui en luy sont comprinses.



Esprit celeste, & des Dieux transformé
En corps mortel transmis en ce bas Monde,
A Apollo peulx estre conformé
Pour la vertu, dont es la source, & l’onde.
Ton eloquence avecques ta faconde,
Et hault sçavoir, auquel tu es appris,

Demonstre assez le bien en toy compris :
Car en doulceur ta plume tant fluante
A merité d’emporter gloire, & prys,
Voyant ta veine en hault stille affluante.


Puis qu’il t’à pleu de me faire congnoistre,
Et par ta main, le vice a se muer,
Je tascheray faire en moy ce bien croistre,
Qui seul en toy me pourra transmuer :
C’est asçavoir, de tant m’esvertuer,
Que congnoistras, que par esgal office
Je fuiray loing d’ignorance le vice,
Puis que desir de me transmuer as
De noire en blanche, & par si hault service
En mon erreur ce vice mueras.



Par ce dizain clerement je m’accuse
De ne sçauoir tes vertus honnorer,
Fors du vouloir, qui est bien maigre excuse :
Mais qui pourroit par escript decorer
Ce, qui de soy se peult faire adorer ?
Je ne dy pas, si j’avois ton pouvoir,
Qu’a m’acquicter ne feisse mon debvoir,
À tout le moins du bien, que tu m’advoues.
Preste moy donc ton eloquent sçavoir

Pour te louer ainsi, que tu me loues.


R, au dizain toute seule soubmise
M’à, a bon droict, en grand doubtance mise
De mal, ou bien, que par R, on peult prendre.
Car pour errer, R, se peult comprendre,
Signifiant que le loz, qu’on me preste,
Soit une erreur, ou que R, est riens, ou reste :
Mais si par R, on veult responce avoir,
Je dy, combien que n’aye le sçauoir,
Ne les vertus, que ton R, m’advoue,
Qu'errer je fais tout homme, qui me loue.


Jà n’est besoing que plus je me soucie,
Si le jour fault, ou que vienne la nuict,
Nuict hyvernale, & sans Lune obscurcie :
Car tout celà certes riens ne me nuit,
Puis que mon Jour par clarté adoulcie
M’esclaire toute, & tant, qu’a la mynuict
En mon esprit me faict appercevoir
Ce, que mes yeulx ne sceurent oncques veoir.


Plus je desire, & la fortune adverse
Moins me permect, que puisse celuy veoir,
A qui elle eust par mainte controverse

Faict mainct ennuy, si ne fust son sçavoir,
Qui des Cieulx à ce tant heureux pouvoir
De parvenir tousiours a son entente :
Dont avec luy ce soulas puis auoir,
Que, luy content, je demeure contente.


Si tu ne veulx l’anneau tant estimer,
Que d’un baiser il te soit racheptable :
Tu ne doibs pas, au moins si peu l’aymer,
Qu’il ne te soit, non pour l’or acceptable,
Mais pour la main, qui pour plus rendre estable
Sa foy vers toy, te l’à voulu lyer
D’un Dyamant, ou tu peulx desplier
Un cueur taillé en face pardurable,
Pour te monstrer, que ne doibs oublier,
Comme tu fais, la sienne amour durable.


Comme le corps ne permect point de veoir,
A son esprit, ny sçavoir sa puissance :
Ainsi l’erreur, qui tant me faict avoir
Devant les yeulx le bandeau d’ignorance,
Ne m’à permis d'avoir la congnoissance
De celuy là, que pour pres le chercher
Les Dieux avoient voulu le m’approcher :
Mais si hault bien ne m’àsceu apparoistre.

Parquoy a droict l’on me peult reprocher,
Que plus l’ay veu, & moins l’ay sceu congnoistre.


Le Corps ravy, l’Ame s’en esmerveille
Du grand plaisir, qui me vient entamer,
Me ravissant d’Amour, qui tout esveille
Par ce seul bien, qui le faict Dieu nommer.
Mais si tu veulx son pouvoir consommer :
Fault que par tout tu perdes celle envie :
Tu le verras de ses traictz se assommer,
Et aux Amantz accroissement de vie.


L’heur de mon mal, enflammant le desir,
Fit distiller deux cueurs en un debvoir :
Dont l’un est vif pour le doulx desplaisir,
Qui faict que Mort tient lautre en son pouvoir.
Dieu aveuglé, tu nous as faict avoir
Du bien le mal en effect honnorable :
Fais donc aussi que nous puissions avoir
En noz espritz contentement durable !


Le grand desir du plaisir admirable
Se doit nourrir par un contentement
De souhaicter chose tant agreable,
Que tout esprit peult ravir doulcement.

O que le faict doit estre grandement
Remply de bien, quand pour la grande envie
On veult mourir, s’on ne l’à promptement :
Mais ce mourir engendre une autre vie.


Pour contenter celuy, qui me tourmente,
Chercher ne veulx remede a mon tourment :
Car en mon mal voyant qu’il se contente,
Contente suis de son contentement.


L’ame, & l’esprit sont pour le corps orner,
Quand le vouloir de l’Eternel nous donne
Sens, & sçauoir pour pouvoir discerner
Le bien du bien, que la raison ordonne.
Parquoy si Dieu de telz biens te guerdonne,
Il m’à donné raison, qui à pouvoir
De bien juger ton heur, & ton sçauoir.
Ne trouve donc chose si admirable,
Si a bon droict te desirent de veoir
Le Corps, l’Esprit & l’Ame raisonnable.


Je suis tant bien, que je ne le puis dire,
Ayant sondé son amytié profonde
Par sa vertu, qui a l’aymer m’attire
Plus que beaulté : car sa grace, & faconde

Me font cuyder la premiere du monde.


Que d’avoir mal pour chose si louable,
Comme a chascun son grand contentement,
Tout bon esprit (tant soit peu raisonnable)
Le pourra croire, & par bon jugement.
Mais si voulez congnoistre clerement,
Lequel des deux à sur plaisir puissance,
Fauldra gouster d’un meur entendement
L’heur, & malheur de vostre congnoissance.


Je t'ai promis au soir, que pour ce jour
Je m’en irois a ton instance grande
Faire chés toy quelque peu de sejour :
Mais je ne puis : parquoy me recommande,
Te promectant m’acquicter pour l’amande,
Non d’un seul jour, mais de toute ma vie,
Ayant tousjours de te complaire envie.
Donc te supply accepter le vouloir,
De qui tu as la pensee ravie
Par tes vertus, ta grace, & ton sçavoir.


Sçais tu pourquoy de te veoir j’euz envie :
C’est pour ayder a l’ouvrier qui cessa
Lors, qu’assembla en me donnant la vie,

Les differentz, ou apres me laissa.
Car m’esbauchant Nature s’efforça
D’entendre, & veoir pour nouvelle ordonnance
Ton hault sçavoir, qui m’accroist l’esperance
Des Cieulx promise, ainsi que je me fonde,
Que me feras avoir la congnoissance
De ton esprit, qui esbahit le Monde.


Si le servir merite recompense,
Et recompense est la fin du desir,
Tousjours vouldrois servir plus, qu’on ne pense,
Pour non venir au bout de mon plaisir.


En Daulphiné Ceres faisoit encor moisson,
Estant a Millery Bacchus en sa boisson :
Parquoy je puis juger, voyantz les vins si vertz,
Que Venus sera froide encor ces deux hyverz.


Je puis avoir failly par ignorance,
Celà me fault, maulgré moy, confesser :
Mais que je prenne en moy telle arrogance,
Que dessus vous je m’osasse avancer :
Je vous supply ne me vouloir penser
Si indiscrette a faire mon debvoir.
Bien est il vray, que je tasche a avoir

Ce, qui m’est deu, quoy qui en ait esmoy :
Car si Amour, & foy ont ce pouvoir
De vous donner, vous estes tout a moy.


A qui est plus un Amant obligé
Ou a Amour, ou vrayement a sa Dame  ?
Car son service est par eulx redigé
Au ranc de ceulx, qui ayment los, & fame.
A luy il doibt le cueur, a elle l’Ame,
Qui est autant, comme a tous deux la vie :
L’un a l’honneur, l’autre a bien le convie :
Et toutesfois voicy un tresgrand poinct,
Lequel me rend ma pensee assouvie,
C’est que sans Dame Amour ne seroit point.


Or qui en à, ou en veult avoir deux,
Comment peult il faire deux Amours naistre ?
Je ne dy pas, que ne puisse bien estre
Un cueur plus grand, que croire ie ne veulx :
Mais que tout seul il satisfeit a eulx,
Celà n’à point de resolution,
Qui sceust absouldre, ou clorre ma demande :
Et toutesfois ainsi qu’affection
Croist le desir, telle obligation
Peult Dame avoir a la Vertu si grande,

Que de l’Amant la qualité demande
Double merite, ou double passion.


J’ay esté par un long temps
Deceue de l’esperance :
Et si encor point n’attens
D’elle plus grand’asseurance,
Que celle là, que ma foy
Me peult promettre de soy.

Je voy les uns fort contents,
Les autres pleins de souffrance :
De ceulx là les rys j’entens,
De ceulx cy la douleance :
Ces passions j’apperçoy
Regner toutes deux en moy.

Je rys du bien, ou je tens
En tresgrand’ resjouyssance :
Et pleure, que je pretens
Qu'un autre en ayt jouyssance :
Ce que de mes yeulx je voy,
Et a grand peine le croy.

Toutesfois tel passetemps

Me donne encor confiance,
Qu'un jour je verray le temps,
Que cil fera la vengeance
Du mal qu'il m'à faict de soy
Au bien, ou je me deçoy.


Prenez le cas, que, comme je suis vostre
(Et estre veulx) vous soyez tout a moy :
Certainement par ce commun bien nostre
Vous me debvriez tel droict, que je vous doy.
Et si Amour vouloit rompre sa Loy,
Il ne pourroit l'un de nous dispencer,
S'il ne vouloit contrevenir a soy,
Et vous, & moy, & les Dieux offencer.


Soit que par esgalle puissance
L'affection, & le desir
Debattent de la jouyssance
Du bien, dont se veulent saisir :
Si vous voulez leur droict choisir,
Vous trouverez, sans fiction,
Que le desir en tout plaisir
Suyvra tousjours l'affection.


Quand vous voyez, que l’estincelle

De chaste Amour soubz mon esselle
Vient tous les jours a s’allumer,
Ne me debvez vous bien aymer ?

Quand vous me voyez tousjours celle,
Qui pour vous souffre, & son mal cele,
Me laissant par luy consumer,
Ne me debvez vous bien aymer ?

Quand vous voyez, que pour moins belle
Je ne prens contre vous querelle,
Mais pour mien vous veulx reclamer,
Ne me debvez vous bien aymer ?

Quand pour quelque autre amour nouvelle
Jamais ne vous seray cruelle,
Sans aucune plaincte former,
Ne me debvrez vous bien aymer ?

Quand vous verrey, que sans cautelle
Tousjours vous seray esté telle,
Que le temps pourra affermer,
Ne me debvrez vous bien aymer ?


Si je ne suis telle, que soulois estre,

Prenez vous en au temps, qui m’à appris,
Qu’en me traitant rudement, comme maistre,
Jamais sur moy ne gaignerez le prys.
Et toutes fois vous voyant toujours pris
En mon endroit, vostre ardeur me convye
Par ce hault bien, que de vous j’ay compris,
A demeurer vostre toute ma vie.


Si je n’ay peu, comme voulois,
Vous reciter au long, & dire
Ce, dequoy tant je me doulois,
Imputez le a mon cueur plein d’ire,
Pour n’avoir peu ouyr mesdire
Du bien, que je doibs estimer,
Et pour qui on debvroit mauldire
Tous ceulx, qui m’en veulent blasmer.


O vraye amour, dont je suis prise,
Comment m’as tu si bien apprise,
Que de mon Jour tant me contente
Que je n’en espere autre attente,
Que celle de ce doulx amer,
Pour me guerir du mal d’aymer.

Du bien j’ay eu la jouyssance,

Dont il m’à donné congnoissance
Pour m’asseurer de l’amytié,
De laquelle il tient la moytié :
Doncques est il plus doulx, qu’amer,
Pour me guerir du mal d’aymer.

Helas amy, en ton absence
Je ne puis avoir asseurance,
Que celle, dont (pour son plaisir)
Amour cault me vient dessaisir
Pour me surprendre, & de sarmer :
Gueris moy donc du mal d’aymer.


La fortune envieuse
Voyant mon Jour passer,
De la nuict est joyeuse
Pour me faire penser,
Vray ce, que le Ciel dict,
Pour se mettre en credit.

Mais sçavoir n’ay envie
Des Planettes le cours
Pour congnoistre ma vie,
Ayant autre discours :
Car tant que je verray

Mon Jour, je ne mourray.

Ne trouves point estrange,
Si, quand ne le puis veoir,
Je me trouble, & me change,
Tant, qu’il me fault douloir
Du mal, que mon cueur sent,
Quand de moy est absent.

Ce que j’y suis tenue,
Ne me faict tant l’aymer,
Que sa vertu congneue
Me contrainct l’estimer
Par son loz tant requis,
Qui m’est honneur acquis.

Sa grace accompaignee
Plus, qu’a nul, j’ay peu veoir :
Parquoy pour luy suis nee,
D’autre je n’ay vouloir :
Les Dieux pour moy l’ont mis
Au bout des vrays amys.

O amytié bien prise,
Que j’ay voulu choisir

Par vraye foy promise,
Qui mon cueur vint saisir,
Quand honneur s’allia,
Au bien, qui nous lia.

Ma fortune accomplie
En mon heureux sejour
De plaisir fut remplie,
Quand j’apperceu mon Jour:
Qui bien congneu l’aura,
Mon amy aymera.

Heureuse destinee
En mon heur apparoit,
Ne sçaichant femme nee,
Qui peult, ne qui sçauroit
Eviter la moytié
De sa noble amytié.

D’estre d’autres requise,
Ny vueillez point venir :
Car je suis tant apprise,
Que j’ay pour souvenir
La grandeur de son cueur
Estre du mien vainqueur.


Et si je n’ay la grâce
Pour meriter d’avoir
Ce bien, & qu’on pourchasse
De le me decevoir,
Ma fermeté fera,
Qu’il se contentera.


Ma voulenté plus grande, que l’effect,
Si elle estoit justement mesuree,
Rendre ne peult mon desir si parfaict,
Qu’elle ne soit en luy demesuree.
Et toutes fois s’estant avanturee
De tout en tout son pouvoir mesurer,
Oncques n’à peu seulement endurer
Son moindre effort : que feroit du surplus ?
Pour autant donc ne s’ose avanturer
De plus vouloir ce, qu’elle veult le plus.


Je ne croy point ce, que vous deites,
Que tant de bien me defiriez,
Comme a celle, pour qui vous feites
Ce, que pour vous faire deburiez.
Mais quelle plus estimeriez,
Ou celle, qui d’un cueur tremblant
N’ose dire ce, que vouldriez :

Ou qui le dict d’un faulx semblant ?


L’une vous ayme, & si ne peult sçavoir
Qu’Amour luy soit ou propice, ou contraire :
L’autre envers vous faict si bien son debvoir,
Que plus ne sçait, ou vous doibve complaire.
Or je demande en si doubteux affaire
A quelle plus debuez estre tenu ?
Car celle là d’un cueur simplement nu
Pour vous se oublie, & pour soy pensive est ;
Et ceste cy, taschant par le menu
A vous gaigner, de son bien se desvest.


Or bien, puis qu’ainsi le voulez,
Soit faict, sans y contrevenir :
Mais si au ranc des desolez
Il me fault par ce point venir,
Je vous supply vous souvenir
De regarder plus amplement,
Que tel en son dire amplement,
Comme contre moy remply d’ire,
Et qu’il ne dict rien simplement,
Que je n’entende, qu’il veult dire.


Dames, s’il est permis,

Que l’amour appetisse
Entre deux cueurs promis,
Faisons pareil office :
Lors la legereté
Prendre sa fermeté.

S’ilz nous disent volages
Pour nous en divertir :
Asseurons noz courages
De ne nous repentir,
Puis que leur amytié
Est moins, que de moytié.

Se voulantz excuser,
Que leur moytié perdue
Peult ainsi abuser
Tant, quelle soit rendue :
La loy pour nous fut faicte
Empruntant leur deffaicte.

Si j’eusse esté apprise,
Comme il failloit aymer,
Je n’eusse esté reprise
Du feu trop allumer,
Qu’estaindre j’ay bien sceu,

Quand je l’ay apperceu.

Ne nous esbahissons
Si le vouloir nous change :
Car d’eulx nous congnoissons
La vie tant estrange,
Quelle nous à permis
Infinité d’amis.

Mais puis qu’occasion
Nom à esté donnee,
Que nostre passion
Soit a eulx adonnee :
Amour nous vengera,
Quand foy les rengera.


parfaicte amytié.

Quand est d’Amour, je croy, que c’est un songe,
Ou fiction, qui se paist de mensonge,
Tant que celuy, qui peult plus faire encroire
Sa grand faintise, en acquiert plus de gloire.
Car l’un faindra de desirer la grace,
De qui soubdain vouldra changer la place :
L’autre fera mainte plaincte a sa guise,
Portant tousjours l’amour en sa devise,

Estimant moins toute perfection,
Que le plaisir de folle affection :
Aussi jamais ne s’en trouve un content,
Fuyant le bien, ou tout bon cueur pretent.
Et tout cela vient de la nourriture
Du bas sçauoir, que tient la creature.
Mais l’amytié, que les Dieux m’ont donnée,
Est a l’honneur toute tant adonnee,
Que le moins seur de mon affection
Est asseuré de toute infection
De Faulx semblant, Danger, & Changement,
Estant fondé sur si sain jugement,
Que, qui verra mon amy apparoistre,
Jamais fasché ne le pourra congnoistre :
Pource qu’il est tousjours a son plaisir
Autant content, que contient mon desir.
Et si voulez sçavoir, ô Amoureux,
Comment il est en ses amours heureux :
C’est que de moy tant bien il se contente,
Qu’il rien vouldroit esperer autre attente,
Que celle là, qui ne finit jamais,
Et que j’espere asseurer desormais
Par la vertu en moy tant esprouvee,
Qu’il la dira es plus haultz Cieulx trouvee.
Parquoy, luy seur de ma ferme asseurance,

M’asseureray de craincte, & ignorance.


Sans congnoissance aucune en mon Printemps j’estois :
Alors aucun souspir encor point ne gectois
Libre sans liberté : car rien ne regrectois
En ma vague pensee
De molz, & vains desir follement dispensee.

Mais Amour tout jaloux du commun bien des Dieux
Se voulant rendre a moy, comme a maintz odieux,
Me vint escarmoucher par faulx alarmes d’yeulx,
Mais je veis sa fallace :
Parquoy me retiray, & luy quictay la place.

Je vous laisse penser, s’il fut alors fasché :
Car depuis en maintz lieux il s’est tousjours caché,
Et quand a descouvert ma veue, m’a lasché
Maintz traictz a la volee :
Mais onc ne m’en sentis autrement affolee.

A la fin congnoissant, qu’il n’avoit la puissance
De me contraindre en rien luy faire obeissance,
Tascha le plus, qu’il peult, d’avoir la congnoissance
Des Archiers de Vertu,
Par qui mon cueur forcé fut soubdain abbatu.


Mais elle ne permit qu’on me feist autre oultrage,
Fors seulement blesser chastement mon courage,
Dont Amour escumoit & d’envie, & de rage :
O bien heureuse envie,
Qui pour un si hault bien, m’à hors de moy ravie.

Ne pleures plus, Amour : car a toy suis tenue,
Veu que par ton moyen Vertu chassa la nue,
Qui me garda long temps de me congnoistre nue,
Et frustree du bien,
Lequel, en le goustant, j’ayme Dieu sçait combien.

Ainsi toute aveuglee en tes lyens je vins,
Et tu me mis es mains, ou heureuse devins,
D’un qui est haultementent ses escriptz divins,
Comme de mon, severe,
Et chaste tellement, que chascun l’en revere.

Si mainte Dame veult son amytié avoir,
Voulant participer de son heureux sçavoir,
Et que par tout il tasche acquicter son debvoir,
Ses vertus j’en accuse
Plus puissantes, que luy, & tant que je l’excuse.


Puis que de nom, & de faict trop severe

En mon endroict te puis appercevoir,
Ne t’esbahis si point je persevere
A faire tant par art, & par sçavoir,
Que tu lairras d’aller les autres veoir :
Non que de toy je me voulsisse plaindre,
Comme voulant ta liberté contraindre :
Mais advis m’est, que ton sainct entretien
Ne peult si bien en ces autres empraindre
Tes motz dorez, comme au cueur, qui est tien.


Qui dira ma robe fourree
De la belle pluye doree,
Qui Daphnes enclose esbranla :
Je ne sçay rien moins, que celà.

Qui dira, qu’a plusieurs je tens
Pour en avoir mon passetemps,
Prenant mon plaisir çà, & là :
Je ne sçay rien moins, que celà.

Qui dira, que t’ay revelé
Le feu long temps en moy celé
Pour en toy veoir si force il à :
Je ne sçay rien moins, que celà.

Qui dira, que d’ardeur commune,
Qui les Jeunes gentz jmportune,
De toy je veulx, & puis holà :
Je ne sçay rien moins, que celà.

Mais qui dira, que la Vertu,
Dont tu es richement vestu,
En ton amour m’estincellà :
Je ne sçay rien mieulx, que celà.

Mais qui dira, que d’amour saincte
Chastement au cueur suis attaincte.
Qui mon honneur onc ne foulà :
Je ne sçay rien mieulx, que celà.


Combien de fois ay je en moy souhaicté
Me rencontrer sur la chaleur d’esté
Tout au plus près de la clere fontaine,
Ou mon desir auec cil se pourmaine,
Qui exercite en sa philosophie
Son gent esprit, duquel tant je me fie,
Que ne craindrois, sans aucune maignie,
De me trouver seule en sa compaignie :
Que dy je seule ? ains bien accompaignee
D’honnesteté, que Vertu à gaignee

A Apollo, Muses, & Nymphes maintes,
Ne s’adonnantz qu’a toutes œuvres sainctes :
Là quand j’aurois bien au long veu son cours,
Je le lairrois faire appart ses discours :
Puis peu a peu de luy m’escarterois,
Et toute nue en l’eau me gecterois :
Mais je vouldrois lors quant, & quant avoir
Mon petit Luth accordé au debvoir,
Duquel ayant congneu, & pris le son,
J’entonnerois sur luy une chanson
Pour un peu veoir, quelz gestes il tiendroit :
Mais si vers moy il s’en venoit tout droict,
Je le lairrois hardyment approcher :
Et s’il vouloit, tant soit peu, me toucher,
Luy gecterois (pour le moins) ma main pleine
De la pure eau de la clere fontaine,
Luy gectant droict aux yeulx, ou a la face.
Ò qu’alors eust l’onde telle efficace
De le pouvoir en Acteon muer,
Non toutes fois pour le faire tuer,
Et devorera ses chiens, comme Cerf :
Mais que de moy se sentist estre serf,
Et serviteur transformé tellement,
Qu’ainsi cuydast en son entendement,
Tant que Dyane en eust sur moy envie,

De luy avoir sa puissance ravie.
Combien heureuse, & grande me dirois !
Certes Deesse estre me cuyderois.
Mais pour me veoir contente a mon desir,
Vouldrois je bien faire un tel desplaisir
A Apollo, & aussi a ses Muses
De les laisser privees, & confuses
D’un, qui les peult toutes servir a gré,
Et faire honneur a leur hault choeur sacré ?
Ostez, ostez, mes souhaitz, si hault poinct
D’avecques vous, il ne m’appartient point.
Laissez le aller les neuf Muses servir,
Sans se vouloir dessoubz moy asservir,
Soubz moy, qui suis sans grace, & sans merite.
Laissez le aller, qu’Apollo je ne irrite
Le remplissant de Deité profonde,
Pour contre moy susciter tout le Monde,
Lequel un iour par ses escriptz s’attend
D’estre avec moy & heureux, & content.


Si j’ayme cil, que je debvrois hayr,
Et hais celuy, que je devrois aymer,
Lon ne s’en doit autrement esbayr,
Et ne m’en deult aucun en rien blasmer.
Car de celuy le bien dois estimer,

Et si me fuict, comme sa non semblable :
Mais de cestuy le plaisir trop damnable
M’oste le droict par la Loy maintenu.
Voila pourquoy je me sens redevable
A celuy là, qui m’est le moins tenu.


Si descharger je veulx ma fantasie
Du mal, que j’ay, & qui me presse fort,
On me dira, que c’est la jalousie
(Je le sçay bien) qui faict sur moy effort.
Mais qui pourroit estre en propos si fort,
Et d’argumentz si vivement pourveu,
Que ce, que j’ay de mes propres yeulx veu,
Soit une folle imagination,
Il feit accroire a mon sens despourveu ?
Il me feroit grand’ consolation.


Ne vous faschez, si a vous je me plaings,
Qui congnoissez raison mieulx, que celuy,
Pour qui souvent par motz de courroux pleins
Donner vous puis, en m’escoutant, ennuy.
Je ne le fais pour me plaindre de luy,
Qu’une autre en aye au vray la jouyssance :
Mais certes j’ay grand crainte, & desplaisance
Quand j’apperçoy vostre amytié desjoindre,

Prenant sur luy esgard, & congnoissance,
Qu’il me delaisse, encor pour une moindre.


Plus ne m’en chault, la congnoissant a l’œil,
Comme chascun, non plus belle, que bonne :
Mais ce, qui plus m’est grief soubz le Soleil,
Et qui mon ame esbabit, & estonne,
C’est que par tout j’oy un bruict, qui resonne
De quelque eclipse a mon Jour survenu,
Mais bien a moy : car il m’à prevenu,
Tesmoing n’en veulx, que la perseverance,
Par qui il est tant allé, & venu,
Ou moins doubtois en ma foible asseurance.


Comme mon Jour, il peult par tout aller
Par une mode au Soleil coustumiere :
Lequel l’on voit monter, & devaller,
Tournant reveoir sa region premiere.
Car de ses rayz a toutes faict lumiere,
Veu qu’elles ont d’ignorance la nuict :
Mais il y est, comme au feu la fumiere,
Plus elle est noire, & plus fort il reluict.


Mon Jour estoit assis tout aupres d’une,
L’entretenant a l’aise, & a repos,

D’affection non autre, que commune,
Mais comme on vient d’un a autre propos.
Voicy Amour sur eulx gay, & dispos,
Portant un arc, & traictz a la Gregeoise,
Lequel lascha deux motz a la Bourgeoise,
Et au partir lui dit, callimera :
Lors souspeçon en mon cueur myt grand noise,
Doubtant qu’il dist d’elle : qu’il l’aymera.


Je le devois prendre a augure,
Que plus, qu’elle, il m’estimera,
Et pour ma bonne avanture,
Mesmes qu’il est mon Imera :
Comme disant qu’il m’aymera,
Et que le verray enflammer,
Ainsi que cil, qui premier à
Mon cueur enflammé a aymer.


C’est une ardeur d’autant plus violente,
Qu’elle ne peult par Mort, ny temps perir :
Car la vertu est d’une action lente,
Qui tant plut va, plus vient a se nourrir.
Mais bien d’Amour la flamme on voit mourir
Aussi soubdain, qu’on la voit allumee,
Pource qu’elle est tousjours accoustumee,

Comme le feu, a force, & vehemence :
Et celle là n’est jamais consumee :
Car sa vigueur s’augmente en sa clemence.


Je n’oserois le penser veritable,
Si ce n’estoit pour un contentement,
Qui faict sentir, & veoir ce bien durable
Par la doulceur, qui en fort seulement.
De tous les heurs c’est le commencement :
J’en fais tesmoing le sçavoir estimable.
Est ce le bien qu’on dict tant incroyable ?
Je ne le croy, & le sçay seurement.


En lieu du bien, que deux souloient pretendre,
Je veulx le mal toute seule porter :
Puis que malheur ainsi me veult surprendre,
Il est besoing qu’apprenne a supporter.
O foy, amour, plaisir, se contenter,
Ce n’est moyen de mon mal subvertir.
Helas j’ay bien cause de regrecter
Ce, qui souloit en deux se despartir.


Un seul je hais, qui deux me faict aymer
Plus par pitié d’aveuglee jeunesse,
Qui trouve doulx ce, que je trouve amer,

Que par instinct d'amoureuse destresse,
Laquelle toute au quatriesme m'adresse.
Le voyant tout en moy se iniquiter.
Parquoy, vaulant envers vous m'acquicter,
Contraincte suis (afin que ne m'escarte)
Fuyant les trois, le quatriesme quicter,
Pour non trembler si grosse fievre quarte.


Aucuns ont dict la Theorique
Estre devant, que la Practique:
Ce que bien nyer on pouvoit.
Car, qui feit l’art, jà la sçavoit,
Qui est un poinct qu'un Sophistique
Concederoit tout en dormant :
Quant a moy, je dy pour replique,
Qu’Amour fut premier, que l’Amant.


Heureuse est la peine
De qui le plaisir
À sur foy certaine
Assis son desir.

Lou peult assés en servant requerir
Sans toutes fois par souffrir acquerir
Ce, que l’on pourchasse

Par trop desirer,
Dont en male grace
Se fault retirer.

Car un tel service
Ne pretend qu’au poinct,
Qui par commun vice
L’honneur picque, & poinct.

Et ce trauvail en fumee devient
Toutes les fois, que la raison survient.
Qui tousjours domine
Tout cueur noble, & hault,
Et peu a peu mine
Le plaisir, qui fault.

Mais l’attente mienne
Est le desir sien,
D’estre toute sienne,
Comme il sera mien.

Car quand Amour a Vertu est uny,
Le cueur conçoit un desir infiny,
Qui tousjours desire
Tout bien hault, & sainct,

Qui de doulx martire
l’environne, & ceinct.

Car il luy engendre
Une ardeur de veoir,
Et tousjours apprendre
Quelque hault sçavoir.

Le sçavoir est ministre de Vertu,
Parqui Amour vicieux est batu,
Et qui le corrige,
Quand dessus le cueur
Par trop il se erige
Pour estre vainqueur.

C’est pourquoy travaille
En moy cest espoir,
Qui desir me baille
Et veoir, & sçavoir.

Estant ainsi mon espoir asseuré,
Je ne crainct point, qu’il soit demesuré :
Mais veulx bien qui’l croisse
De plus en plus fort,
Afin qu’apparoisse

Mon cueur ferme, & fort.

Et que tousjours voye,
Travaillant ainsi,
Tenir droict la voye
D’immortel soucy.

Si donc il veult en si hault lieu monter,
Qu’il puisse Amour, & la Mort surmonter,
Sa caducque vie
Devra soulager
D’une chaste envie
Pour l’accourager.

Ainsi m’accompaigne
Un si hault desir
Que pour luy n’espargne
Moy, ne mon plaisir.


C’est un grand mal se sentir offensé.
Et ne s’oser, ou sçavoir a qui plaindre :
C’est un grand mal, voire trop incensé,
Que d’aspirer, ou l’on ne peult attaindre :
C’est un grand mal, que de son cueur contraindre,
Oultre son gré, & asubjection :

C’est un grand mal, qu’ardente affection
Sans esperer de son mal allegeance :
Mais c’est grand bien, quand a sa passion
Un doulx languir sert d’honneste vengeance.


Non que je vueille oster la liberté
A qui est né pour estre sur moy maistre :
Non que je vueille abuser de fierté,
Qui a luy humble, & a tous devrois estre :
Non que je vueille a dextre, & a fenestre
Le gouverner, & faire a mon plaisir :
Mais je voudrois pour noz deux cueurs repaistre,
Que son vouloir fust joinct a mon desir.


Point ne se fault sur Amour excuser,
Comme croyant qu’il ait forme, & substance
Pour nous pouvoir contraindre, & amuser,
Voire forcer a son obeissance :
Mais accuser nostre folle plaisance
Pouvons nous bien, & a la vérité,
Par qui un cueur plein de legereté
Se laisse vaincre, ou a gaing, ou a perte,
Esperant plus, que n’aura merité
Son amytié de raison moins experte.

Deux amys joinctz par estroicte amytié
Eurent, sans plus, une dissention :
L’un soubstenoit (par raison la moytié)
Que le Thuscan à plus d’affection :
L’autre disoit par resolution,
Que le François parle plus proprement.
Pour les vouloir mettre d’appointement,
Je dy, qu’ilz font tous deux beaux a descrire :
Mais pour en faire au vray le jugement,
Celuy depeinct ce, que cestuy veult dire.


Vidi d’intorno del Parnaso fonte
Per gratita di colei, che nulla asconde,
Di gente piena tutto el piano e’l monte :
E piu vidi un, ch’en le sacrate sponde
Stava de l’acque, e tre ghirlande assonte
Havea d’un Lauro, ch’ombregiava l’onde :
Tal ch’Apollo disse, come dir’suole,
Questo sara l’honor mio gran sê vuole.


Colpa ne sei, Amor, se troppo volsi
Aggiongendo alla tua la bocca mia :
Ma se punir’ mi vuoi di quel, che tolsi,
Fà che concesso il replicar mi sia :
Che tal dolcezza in le tuoi labbia accolsi,

Che fu lo spirto per partirsi via :
Sò ch’al secondo bascio uscira fuora :
Bascia me adunque, se tu vuoi ch’imuora.


Je suis la Journee,
Vous, Amy, le Jour,
Qui m’à destournee
De fascheux sejour.

D’aymer la Nuict certes je ne veulx point,
Pource qu’a vice elle vient toute appoint :
Mais a vous toute estre
Certes je veulx bien,
Pource qu’en vostre estre
Ne gist, que tout bien.

Là ou en tenebres
On ne peult rien veoir,
Que choses funebres,
Qui font peur avoir.

On peult de nuict encor se resjouyr,
De leurs amours faisant amantz jouyr :
Mais la jouyssance
De folle pitié

N’à point de puissance
Sur nostre amytié.

Veu qu’elle est fondee
En prosperité
Sur Vertu fondee
De toute equité.

La nuict ne peult un meurtre declarer,
Comme le jour, qui vient a esclairer
Ce, que la nuict cache,
Faisant mille maulx,
Et ne veult qu’on sache
Ses tours fins, & caultz.

La nuict la paresse
Nourrit, qui tant nuit :
Et le jour nom dresse
Au travail, qui duit,

O heureux jour, bien te doit estimer
Celle, qu’ainsi as voulu allumer,
Prenant tousjours cure
Reduire a clarté
Ceulx, que nuict obscure

Avoit escarté.

Ainsi esclairee
De si heureux jour,
Seray asseuree
De plaisant sejour.


conde claros de adonis.

Amour avecques Psiches,
Qu’il tenoit a sa plaisance,
Jouoit ensemble aux eschetz
En tres grand resjouyssance.

Mais bien tost il à ouy
Bien loing lamenter un Cygne,
De quoy peu s’est resjouy,
Et l’à prins pour maulvais signe.

Laissons le jeu, je yous pry,
Dict il d’une yoix amere
Et allons ouyr le cry
Du messager de ma mere.

Lors tous deux s’en vont bouter

A la prochaine fenestre,
Et leur veue droict gecter
Là, ou l’Oyseau pouvoit estre.

Si ont veu sur un estang
Long & grand, comme une Mer,
Un beau Cygne pur & blanc,
Qui chantait un chant amer.

O Deesse, disoit il,
Regnant au ciel Empiree,
Par ton engin trop subtil
Nostre joye est empiree.

Puis que par ta grand envie
Au malheureux Adonis
Tu as abregé la vie,
Et sont ses beaulx jours finiz.

Et nostre povre Maistresse
Seule au boys il à laissee
De douleur, & de destresse
Mortellement offencee.

Tant que plus ne veult porter

Ny le vert, ny couleur gaye :
Mais pour se réconforter
A la mort en vain s’essaye.

Lors l’Enfant a ces nouvelles
Son espouse à accollee,
Et esbranlant ses deux esles
En l’air à prins sa volee.

Lequel tant il à fendu,
Traversant mainte contree,
Qu’auprès il s’est descendu
De sa mere rencontree.

Comme luy, font arrivez
Les Graces, & ses deux freres
De toute ioye privez,
Et de tristesse confreres.

Qui pour donner allegeance
A la Deesse dolente,
Ont tous juré la vengeance
De la beste violente.

Parquoy entrant dens le boys

Chascun desploye sa Trousse,
Mettant les chiens aux abboys
Pour donner au Porc la trousse.

Mais si bien ont pourchassé,
Et continué leur fuicte,
Que le Sanglier tout lassé
N’à sceu, ou prendre la fuicte.

Parquoy toute la cohorte
S’est estendue a l’entour,
Et d’une corde bien forte
Au col luy ont faict maint tour.

L’un le traynoit par la corde,
L’aiguillonnant, & hurtant,
L’autre sans miséricorde
De son arc l’alloit battant.

Ainsi prins l’ont amené
Devant Venus esplouree,
Qui pour luy à demené
Complaincte desesperee.

Et tant de luy se douloit,

Que sans plus vouloir attendre
Tout soubdain elle vouloit
L’estrangler de sa main tendre.

Mais les Graces luy ont dict,
Qu’elle se feroit oultrage,
A fin qu’a ce contredit
Elle appaisast son courage.

Qui eust veu alors la beste,
Comment morte elle sembloit,
Humblement baissoit la teste,
Tant de peur elle trembloit.

Adonc soubz un arbre espais
Venus de douleur troublee
À commandé faire paix
A toute celle assemblee.

As tu, dict elle au Sanglier,
(Qui estoit mal asseuré,)
Osé ainsi desplier
Ton courroux demesuré ?

Qui t à meu, beste incensee,

D’avoir mon amy oultré ?
Et ce dict, comme offencee,
Adonis luy à monstré,

Qui gisoit tout estendu,
La face descoulouree,
Dont maint souspir à rendu
La povre Amante esploree.

Alors le Sanglier honteux
S’est prosterné a genoulx,
Et d’un son doulx, & piteux
S’est excusé devant tous.

Disant : Deesse honnoree,
Pardonne moy ce meffaict :
Car d’ire delibéree
Ne t’ay cest oultrage faict.

Bien est vray, que quand je vis
La forme du Jeune enfant,
Certes il me fut advis
De veoir un Dieu triumphant.

Tant me donnoit grand merveille

Sa chair blanche, & delicate,
Et sa bouche plus vermeille,
Que n’est aucune Escarlate.

Parquoy d’une ardeur surpris
Je me laissay approcher,
Me femblant un trop grand prys,
Si je le pouvois toucher.

Dont au contour d’une branche
Pour mon ardeur appaiser,
Descouvrant sa cuisse blanche,
Je la luy vouluz baiser.

Mais luy trop chault & ardent,
Suyvant sa course adressee,
Se va gecter sur ma dent,
Que je tenois abaissee.

Et tellement luy mescheut,
Qu’a celle heure trop perverse
Au plus près de moy il cheut,
Tout sanglant a la renverse.

Mais j’atteste tous les Dieux,

Juges de mon innocence,
Que sur moy j’eusse trop mieulx
Desiré si grand offence.

Et pour ce que la dent feit
Si oultrageux malefice,
Et que tant vers vous meffeit
Je veulx bien, qu’on la punisse.

Voicy la dent, & la hure,
Qui ont causé tel esmoy :
Las, de leur male avanture
Prenez vengeance sur moy.

Ainsi de l’offence grande
Le povre Porc s’excusoit :
Et toutes fois pour l’amande
A la mort il s’accusoit.

Si grande estoit la douleur,
Et le regret, qu’il souffroit,
(Comme cause du malheur)
Qu’a tout tourment il s’offroit.

Parquoy toute l’assistence

Vont a Venus supplier
De mitiger sa sentence
Et son courroux oublier.

Desliez le donc, dict elle,
Puis que pour mon Amy mort
Il s’accuse a mort cruelle,
Ayant de son faict remord.

Mais qu’il jure, qu’es foreftz
Jamais plus il n’entrera :
Ains qu’en boues, & marestz,
Tousjours il se veault rera.

Et a fin que desormais
Se souvienne du meffaict,
Je veulx qu’il porte a jamais
Une marcque de son faict.

C’est qu’en terre l’estendrez,
Et pour reparer l’injure
Les piedz autant luy fendrez
Que la playe à d’ouverture.

Afin que par ce moyen

Ceulx, qui le rencontreront,
Entendent le malheur mien.
Dont, peult estre, pleureront.

De Venus ce mot sacré
Ne fut point hors de sa bouche,
Que la beste de son gré
Dessus la terre se couche.

Et souffrit patiemment
Executer la sentence :
Puis debout bien humblement
Remercia l’assistence.

Et pour monstrer qu’il vouloit,
Que lon sceust sa desplaisance,
N’à despuis, comme il souloit,
Aux boys faict sa demeurance.


Toute personne assés Jeune, & moins docte,
Qu’il ne fauldroit pour se experimenter
Par une mode & ignorante, & sotte
Vouldra tousjours son pareil frequenter :
Mais un cueur hault taschera de hanter,
Ou il verra sa perfection pleine,

A celle fin, que, pour se contenter,
Tout bien luy soit usure de sa peine.


Celle clarté mouvante sans umbrage,
Qui m’esclarcit en mes ténébreux jours,
De sa lueur esblouit l’œil volage
A l’inconstant pour ne veoir mes sejours :
Car, me voyant, m’eust consommé tousjours
Par les erreurs de son errante fleche.
Parquoy l’esprit, qui desir chafte cherche,
En lieu de mort à eu nouvelle vie,
Faillant aux yeulx (dont le corps souffrant seche)
De mes plaisirs la memoire ravie.


coq a lasne.

Amy je n’ay Lacquais, ny Page,
Qui bien sceust faire son message,
Ne telle chose raconter,
Que me sens au cerveau monter
En ceste plaine, & bel espace.
Mon Dieu, comme le monde passe
En oysiveté par simplesse !
Ne voit on point tant de sagesse,
Que le plus fol demeure maistre ?
Il n’y à rien si beau, que d’estre

Aupres de quelque beau donneur.
Seroit ce pas grand deshonneur
De la laisser ainsi pucelle ?
Je ne dy pas, que ce fust celle,
Qui m’à donné l’occasion.
Cherchons autre occupation
Pour parvenir a la legere :
Car voulentiers une estrangere
Sera tousjours la mieulx venue,
Pour autant, que, quand elle est nue,
Elle change d’accoustrement :
Comme celluy, qui point ne ment,
Quand il s’excuse sur un compte.
Nul n’est tenu de rendre compte
(Apres la paye) du receu.
Ò qu’il est bien pris, & deceu
Le doulx Pigeon aux Tourterelles,
Laissons celà : ce sont querelles,
Que les Grecz eurent aux Troyens.
On ne veit onc tant de moyens
Despuis que le tabourin sonne.
Qui sçauroit comme l’eau de Saone
Faict le beau tainct au Damoiselles,
Tant de peine ne prendroient celles
A distiller pour se noircir,

(Je voulois dire a s’esclarcir)
Leur blanche, & delicate peau.
A mal juger ne fault appeau :
Puisqu’on n’en paye, que l’amande :
Celuy, qui me doibt, me demande.
Mais c’est chose par trop notoire,
Que lon nous peult bien faire croire,
Qu’une robe faicte a l’antique
Ne monstre le corps si ethique,
Bien qu’il soit un petit trop juste
Pour courtisaner a la buste.
Mais j’en croirois plus tost la preuve
De son amy, quand il la treuve
Sur le faict de la pipperie.
C’est ce, qui perd la confrérie
De sainct Amour, qui nous surprent,
Puis qu’en lieu de donner on prent.
Or a Dieu donc, lasche journee,
Puisqu’elle est jà tant sejournée,
Que l’on n’en corne plus la prise :
Tant y va le pot, qu’il se brise,
Qui nous faict apres bon mestier.
S’elle sçavoit bien le mestier,
On ne craindroit point le danger
De ce plaidoyeur estrangier :

Mais qu’on le plume sans mentir
Avant qu’il le puisse sentir.


la nuict.

La nuict estoit obscure, triste, & sombre,
Toute tranquille, & preste a malefice,
Tous animaulx reposantz soubz son umbre :
Mais mon esprit, tresprompt a son office,
Ne permettoit au corps de sommeiller
Un tant soit peu pour chose, que je feisse.
Parquoy contraincte en mon lict de veiller,
Entray si fort en contemplation,
Qu’on ne m’eust sceu en veillant resveiller :
Lors travaillant l’imagination
Je discourois plus avant, que les Cieulx,
Avecques doulce, & longue passion.
Advis m’estoit qu’en lieu délicieux
Je me trouvois avec un si grand aise,
Que souhaicter je n’eusse sceu de mieulx.
Car en ce lieu tout bruict, tout cry s’appaise,
Et n’oit on rien, dont fort je m’esbahis,
Qui me donna quelque peu de malaise.
Pour m’enquerir descouvrois le pais,
Et ne voyois que figures horribles,
Monstres du monde & de mon Jour hais.

Comment, ô Dieux, ces beste tant terribles
Peuvent, disois je, icy vivre en silence ?
Choses de croire a moy trop impossibles.
Car elles sont aptes a violence,
Et a les veoir ennemyes de paix
Les jugeriez par leur impatience.
Ainsi long temps d’envie je me pais,
Et de desir d’entendre un peu leur estre,
Dont a present, pour un peu, je me tais.
Car je voy là venir a main fenestre
Une grand Dame, a qui font reverence
Maint Laboureur, Noble, Marchant & Prebstre.
Car elle estoit de si belle apparence,
Que, pour pouvoir a elle parvenir,
L’un ne faisoit a l’autre difference.
Mais bien voyou de tous costez venir
Un si grand peuple, & gentz a si grand nombre,
Que de leurs noms ne me puis souvenir.
Et tant estoient, qu’ilz se faisoient encombre
Pour celle Dame attoucher, & puis suyvre,
Comme captifz, & joyeux de son umbre.
Plus la suyvoient, plus la vouloient pour suyvre,
Son seul regard si fort les delectoit,
Qu’ilz ne pouvoient, sans elle, une heure vivre.
Une grand Royne a son costé estoit

(Deux, ou trois pas toutes fois plus arriere)
Qui sceptre d’or, & couronne portoit.
Mais elle alloit d’une mode si fiere,
Et d’un orgueil si roguement enflee,
Que de parler d’elle donnoit matiere.
Et toutes fois la plus part alemblee
Des poursuyvantz a la Dame adressoit :
Parquoy vers elle accouroit l’assemblee.
Le plus souvent pour eulx elle oppressoit
Tous ceulx, qui d’elle au fort ne faisoient compte,
Et au besoing appart les delaissoit.
Mais au contraire elle estoit si tresprompte,
Pour avancer tous ses favorisez,
Qu’elle faisoit a tous les autres honte.
Parquoy les siens, estans ainsi prisez,
Ne craignoyent point souvent a repoulser
Ceulx, qui n’estoyent par elle autorisez.
Dont en peu dheure elle vint a haulser,
Et tellement son grand pouvoir estendre,
Que les plus loings craignoyent la courroucer.
Et mesmement qu’elle faisoit entendre
A la grand Dame, a croire trop facile,
Qu’elle pouvoit sur les Roys entreprendre.
Et qu’il n’estoit chose tant difficile,
N’engin si dur reduict soubz son pouvoir,
Qui ne devint incontinent docile.

Or la grand Dame (a parler au devoir)
Estoit aveugle en sa mescongnoissance,
Et ne vouloit ses faultes point sçavoir :
Et pour autant en sa grande puissance
Se reposoit sur ceste avare Royne,
Remettant toute en elle sa fiance :
Qui par sa face attrayante, & seraine
Dessus la terre, & la ronde Machine
En peu de temps la rendit souveraine :
Veu qu’une Vieille hydeuse, & qui rechine
Tousjours des dentz de ses mains embridez.
Seche, & jaulnatre, a courbe, & longue eschine,
Joue enfoncee, yeulx rouges tous ridez,
Ce neantmoins songneuse, & diligente
A appeller les plus oultrecuydez,
Pour sa moytié estoit demy Regente
Pour ceste Royne au besoing soulager,
Car a servir ne fut onc negligente.
Ceste en ce point venoit accourager
Ceulx de sa sorte, & si bien leur aydoit,
Qu’ilz venoient tous de haine a enrager.
Tout chascun (presque) a les ensuyvre ardoit :
Mais a l’escart seoit une autre Dame,
Qui les mieulx nez gentement retardoit.
La face avoit rouge, comme une flamme,

Et toutesfois d’une masque couverte,
Se tenant loing de celle gent infame :
En faictz discrete, & en parler diserte,
Sur la grand Dame ayant tousjours l’œil droict,
Maulgré la Royne a l’avarice experte :
Ceulx, qui fuyoient le faulx, aymant le droict,
La fuyoient tous, & la tenoient de pres,
Dont ilz estoient louez en maint endroit :
Bien que souvent par les malings d’aupres
Fussent mocquez, secrettement apart,
Et en public par motz & signe expres :
Mais la grand Dame allant en mainte part,
Tousjours tournoit sa veue çà, & là,
Dont ilz avoient maulgré la Royne, part.
Et tellement, qu’elle, voyant celà,
Pour les ouyr les faisoit approcher :
Car onc a nul elle ne se cela.
Quand quelqu’un d’eulx la pouvoit attoucher,
Et bien au long son vouloir luy deduire,
Elle l’avoit plus, que les autres, cher :
Tant qu’ilz venoient par sa clarté a luyre
Par dessus tous, veu qu’elle les voyoit
Ne la vouloir par les autres seduire.
Aussi desjà trop elle s’ennuyoit
Des importuns, & de leur grand audace,

Parquoy le plus elle les r’envoyoit.
Lors voyoit on chascun leur faire place,
Bien que par fois les plus malicieux
Les empescheoient par faict, ou par menace :
Et çà, & là couroient ambitieux,
Qui machinantz d’un accord se rangeoient,
Contre les bons, avec les enuyeux :
Mais a la fin de despit enrageoient :
Car ou la Dame honteuse s’approuchoit,
Comme confus, par les siens s’estrangeoient.
La Vieille alors ses cheveulx arrachoit
De grand douleur, & de fine destresse,
Et a gaigner contre eulx elle tachoit.
En telle foule, & si confuse presse
D’elles chascune a son prouffit regarde,
Mais complaisant tousjours a sa Maistresse.
Tant les suyvis, qu’en fin je me pris garde
De Monstres maintz horribles, & difformes,
Que la grand Dame avoit là pour sa garde :
Lesquelz, combien que de diverses formes
Ils sussent tous, & sans estre semblables,
Si estoient ilz a malfaire conformes.
Mesbahyssant que ces gentz miserables
N’avoient horreur pour un si vain desir,
De frequenter a l’entour de ces Dyables.

Si m’en enquis au long, & a loisir,
D’un poursuyvant, qui d’ardeur perissoit
Pour parvenir au but de son plaisir.
Mais la clarté, qui tant plaisante yssoit
(Ce me dit il) des yeulx de la Princesse,
Tous poursuyvantz en sorte esblouissoit,
Que plus suoyent, & travailloient sans cesse,
Plus ce travail leur estoit grand repos,
Et tout tourment leur servoit de lyesse :
Encor que point n’eussent a tous propos
Si bon aspect d’elle, qu’ilz esperoient,
Si n’estoient ilz pour celà moins dispos :
Ains que tousjours apres ilz tascheroient,
Sans regarder que leur destruction,
Et temps perdu les desespereroient.
Parquoy, voyant leur grand confusion,
Je ne me peux tenir alors de rire,
Bien que sentisse estre une illusion :
Et d’une joye entremeslee d’ire
Non seulement me prins a detester
Ces Monstres vains, mais tresbien les mauldire :
Veu qu’ilz venoient le monde inquieter,
Et si ne sont d’eulx mesmes moins, qu’une umbre,
Qui le cerveau nous vient a hebeter,
Au libre arbitre estant fascheux encombre

Pour coulourer nostre concupiscence,
Noz vains desirs, & folies sans nombre.
Et nonobstant qu’ilz n’ayent aucune essence,
Par une folle imagination
Nous en faisons nostre vraye science.
Ò miserable est la condition
De nous humains, laquelle est tousjours prompte
A inventer nostre perdition.
Mais sur ce point je voy l’aulbe, qui monte
Chassant bien loing ceste tourbe nuisante
De Vaine gloire, Ambition, & Honte :
Si m’esjouys en la clarté plaisante
De mon cler Jour, que je veis apparoistre,
Pour esclarcir ma nuict tres mal plaisante,
Comme il se faict assez de soy congnoistre.


desespoir traduict de la
prose du Parangon Italien.


Si c’est Amour, Pourquoy m’occist il donc,
Qui tant aymay, & hayr ne sceuz onc ?
Et s’il m’occist, pourquoy plus oultre vis ?
Et si je vis, pourquoy font mes devis
De desespoir, & de plainctz tous confus ?
Meilleur m’estoit, soubdain que né je fus,
De mourir tost, que de tant vivre, mesmes,

Que mortel suis ennemy de moymesmes :
Et ne puis, las, & ne puis vouloir bien,
Ne voulant celle, en qui gist l’espoir mien :
Et ne puis rien fors ce, que veult la dame
De qui suis serf de cueur, de corps, & d’ame.
Estre ne peult mon mal tant lamenté,
Que de plus grand ne soye tourmenté :
Et ne pourrais monstrer si grand douleur,
Qu’encor plus grand ne celast mon malheur.
Las je ne suis prisonnier, ny delivre :
Et ne me tient en espoir, ny delivre
Mon bien servir, qui de mort prent envie.
Je ne suis mort, ny je ne suis en vie,
Me contraignant a plaindre mon mal aise :
Et raison veult toutes fois que me taise
Pour n’offencer ce, que servir desire,
Qui mon vouloir en mille partz dessire.
L’ame congnoit, que de si tres bas lieux,
Dont mes grandz pleurs montent jusques aux yeulx,
Jamais les voix ne peuvent estre ouyes,
Ny en haulteur si grande resjouyes :
Car ce mien feu, qui peu a peu me fond,
Est dens mon cueur allumé si profond,
Qu’il ne peult pas, bien qu’il soit grand, reluire
Devant les yeulx, qui pour mal me conduire

Font le Soleil de grand honte retraire :
Ainsi je meurs, estant contrainct me taire.
Pour moy ne voy remede suffisant,
Ne pour ma peine aucun moyen duisant :
Car mon desir à peur de desirer :
Qui tant plus croict, tant plus faict empirer
Ce mien espoir, qui peu a peu me fault :
Et toutesfois en moy point ne deffault,
N’y s’amoindrit ma grande passion :
Mais tousjours croict par obstination.
La Mort me fuit, non pour paix me donner,
Mais seulement pour ne m’abandonner :
Aussi celle est, qui pallie, & adumbre
De mes travaulx un non guieres grand nombre :
Parquoy je dy (sans ailleurs recourir)
Qu’on peult trouver plus grand mal, que mourir :
Mais bien meilleur est mourir a qui ayme
En grand douleur, & peine tant extresme :
Car, vivant, fault (miserable) qu’il sente
Les grandz douleurs de la peine presente,
Ayant tousjours du passé souvenir :
La craincte aussi de celles a venir
Incessamment luy redouble sa peine :
Parquoy sa foy est en espoir bien vaine.
Chetifz Amantz : aucun ne deubt s’offrir

A telle ardeur, peine a douleur souffrir
En un espoir (plus vain, que lon ne pense)
D’une, peult estre, ingrate récompense :
Car de l’amour la force tant aigue
Pour bien servir ne peult estre vaincue.
Et plusieurs fois (& a la verité)
On voit celuy, qui à moins merité
Estre, pour vray, le mieulx recompensé
Qui ne deubt estre a tel bien dispensé.
En telle guerre, ou vertu sert de vice,
Ne vault avoir ferme foy, ny service.
Puis donc qu’on m’oste, & denye victoire,
Qui m’estoit deue, il est par trop notoire,
Que là, ou meurt, & ou gloire desvie,
C’est gloire aussi que tost meure la vie.
Aussi, ô Dieux, avec ceste mort mienne
Mourront mes maulx, & ma playe ancienne,
Mon esperance, & desir obstiné,
Et mon arbitre en mal predestiné,
Mon mal, ma peine avec mes fascheries,
Amour aussi avec ses tromperies.


confort.

Si lon pouvoit par un repentir cher
Donner remede, & quelque exploict chercher
Aux maulx receuz, & dommages passez,

Certainement j’en demourrois assez,
Au dict de ceulx, qui sont perseverantz
En leur amour, sans sortir hors des rancz :
Et qui (vrayement) sont de telle excellence,
Qu’en eulx vertu par longue patience
S’esvertuant plus fort se glorifie :
Nature aussi du tout s’y fortifie,
Et tellement, que dessus eulx Fortune
N’à nul pouvoir, & n’a puissance aucune,
Sinon d’autant, que le veult, & commande
L’injuste Amour, qui raison ne demande.
Mais que te vault ? Tu descharges ta Dame
En l’accusant : & en luy donnant blasme
L’honores mieulx : Vituperant la loues :
La denyant plus fort tu la te advoues.
Et si tu veulx, comme dure, & cruelle
La blasonner, par raison naturelle
Tu la viendras, comme juste, adorer,
Et en ton cueur sa vertu odorer.
Car ce, qui deubt le noud lyer, le soult :
Ce, qui devroit bien fort contraindre, absoult :
Et ce, que plus on destrainct, & deslye,
C’est ce, qui plus éternellement lye.
La haulteur sienne, ou son cueur se pourmaine,
(Qui la demonstre estre doulce, & humaine)

La contrainct estre en voulenté tres rude,
Comme confite en toute ingratitude :
Mais elle fainct, contre le sien vouloir,
D’avoir d’amour un constant nonchalloir :
Car son desir, & la crainte d’injure
Vainct ton servir, qui a t’aymer l’adjure.
Parquoy ces partz, qui en toy sont amables
D’honnesteté, se font desraisonnables.
Et son amour tres saige contredict
A ton vouloir de raison interdict.
Son sens aigu, son meur entendement
Congnoit assez valeur apertement,
Et qui l’incite, & jour & nuict convie
A te vouloir bien, & heureuse vie,
Et s’il n’estoit honte, qui la revocque,
Elle useroit d’une amour reciproque,
Mais quoy ? Raison à sus elle pouvoir,
La destournant de faire son debvoir,
Et la retient a non te satisfaire
Combien qu’elle eust voulenté de ce faire.
Ainsi tu peulx en ton ardeur choisir
Et joye, & dueil, plaisir, & desplaisir,
Doulx, & amer, faveur, & desfaveur,
Desapetit, revoquee faveur,
Donc, ô Amant, prens en toy reconfort,

Et contre Amour vueilles toy monstrer fort.
Ne permetz point que desespoir dispute
Contre ton sens : Mais a guerdon repute,
Voire a tres grande, & juste recompense,
Qu’il luy desplait toutes fois qu’elle pense,
Que tu n’as mal, que pour luy vouloir bien,
Dont tu ne peulx guérir sans son moyen.
Resjouys toy, & vueilles t’estimer,
Veu que de toy elle se souffre aymer,
T’ayant tousjours au devant de ses yeulx,
Et que de cueur plus triste, que joyeux,
Tes plainctes voit, & sans desdain les lise,
D’elles aussi les piteux mots eslise,
Et que pour toy elle à daigné mouvoir
La sienne main a te faire sçavoir
Sa tendre en toy, & grand compassion,
Te declarant par son affection
Chose a autruy non jamais accordée,
Ny par fortune en discord recordee.
Or confidere en oultre, que depuis,
Que tu as mis sus elle tes appuyz
Et desdié ta totale fortune,
Tu es venu trop plus hault, que la Lune,
En loz, & bruict, & honorable fame,
Et tu te veulx laisser cheoir en diffame !

Va, remercie, & te prosterne en face
Devant les Cieulx, qui t’ont faict cette grace
D’estre venu en ce temps pour la veoir
Telle, ou Nature à mis tout son sçavoir :
Telle pour qui, pour non la veoir, plaindront
Tous Siecles sainctz, qui apres toy viendront.
Ne cherche point remede a prendre fin,
N’a te priver de sa presence, afin
Que de ta mort la nouvelle piteuse
Ne luy causast douleur, & vie honteuse.
S’elle te veult avec pitié pourveoir,
Ne dois tu point plus tost desirer veoir
La tienne mort avec le sien honneur,
Que veoir sa coulpe, & ta vie en bonheur ?
Et si elle est pour ta douleur en peine,
Ou en soucy, tien pour chose certaine,
Que son vouloir raisonnable conteste
A satisfaire a ton vouloir moleste.
Ayes douleur de sa peine & misere,
La deschargeant de coulpe si legere :
Prefere aussi sa saincte renommee
A vie estant de toy tant peu aymee.
Conforte toy, qu’elle est seule la cause
De ton travail, qui ne peult trouver pause.
Conforte toy par propos immortel,

Que de ton mal le fondement est tel,
Que seulement pour avoir mis si hault
Le tien desir, & l’espoir, qui te fault,
Celà te donne assez de recompence
De ton travail. Pour autant doncques pence
Qu’en ceste soif, & alteration,
Tu peulx avoir refrigeration.
Car le tourment, que tu souffres pour elle,
Estre te doit joye continuelle
A ton esprit, & doulx contentement,
Et au travail tres grand allegement.
Car il n’est rien, tant soit grand, en ce monde,
Qui vaille autant, que ce mal, qui te abonde.
Or te soit donc triomphante victoire
D’estre vaincu d’elle, qui est ta gloire.
S’elle te tient, & vainc pour son captif,
Son cueur sera au tien plus intentif.
S’elle te tient soubz condition serve,
A quelque fin, peult estre, te reserve.
Laisse luy donc, toy estant sien, la cure
De ce, qu’elle à, & a soy se procure :
Laisse luy donc le soing, & pensement
De ce, qu’est sien : Car naturellement
On ne veult point veoir la perdition
De ce, qu’on à en sa possession.


fin.

Epitaphes de la Gen
tile & spirituelle Dame Pernette du
Guillet dicte cousine, trespassee
Lan m.d. xxxxv.
le xvii. de
Juillet.


L’heureuse cendre aultresfois composee
En un corps chaste, ou Vertu reposa,
Est en ce lieu par les Graces posee
Parmy ses os, que Beaulté composa.
O Terre indigne : en toy son repos à
Le riche Estuy de celle Ame gentile,
En tout sçavoir sur tout aultre subtile,
Tant que les Cieulx, par leur trop grand envie,
Avant ses jours l’ont d'entre nous ravie
Pour s'enrichir d’un tel bien mescongneu :
Au Monde ingrat laissant honteuse vie,
Et longue mort a ceulx, qui l'ont congneu.


AULTRE.

Beaulté mortelle icy en vain souspire,
Puis que la Mort le corps soubdain ravit.
Mais Vertu vive, & qui jamais n’empire,
Comme l’Esprit au Ciel, en Terre vit.

AULTRE.

Si grand Esprit se sentant a malaise
D’estre en son corps estroictement enclos,
Comme un gros feu en estroicte fournaise,
Ne peut durer longuement en son clos.
Aussi afin que plus ne fust forclos
De la celeste, & eternelle envie,
Laissa son Nom avec immortel los
Vivre pour luy ceste caducque vie.


D. V. Z.

Onc Perle nette en vif, & petit monde
Son per n’eut tant en sçavoir, & faconde,
Que ceste n’ayt amoindry, qui gist cy :
De qui l’esprit par Mort non obscurcy
Demonstra bien, durant sa maladie
Quelz sainctz propos, sçavoirs, & melodie
Elle avoit sceu, & apprins de soymesmes,
Tant qua sa fin proposa si haultz thesmes,
Qu’on la disoit, comme le mourant Cygne,
Se sentir jà immortelle, & voysine
Des bienheureux : si vertu, & sçavoir
Font aux humains la place aux Cieulx avoir.


I. D. V.

Une en son per nette, cousine, & sœur

De tout hault bien, suyvant le chemin seur,
Merite los par l’esprit d’elle veu
De tant de biens, & de sçavoirs pourveu,
Qu’on l’estimoit (en l’estat des Bourgeoises)
Un parangon entre les Lyonnoises.
Sa maladie onc ne la peut grever :
Car on la veit si haultement resver
En sainctz propos, & tresplaisantz devis,
Qu’en se mourant, comme les Sainctz ravis,
Feit telle fin, que malingz souhaitterent
Ainsi mourir, & les bons desirerent
Telle vertu, & tel sçavoir ensuyvre,
Qui l’Ame au Ciel, & son Nom faict cy vivre.


R. I. P.