Sœur Sainte-Rose

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Feuilleton de L’OPINION NATIONALE
du 23 mars 1870.


SŒUR SAINTE-ROSE

NOUVELLE
Par ANDRÉ LÉO.

Aux abords de la petite ville de M…, près d’Alençon, un soir d’octobre, deux religieuses, vêtues de l’ample robe grise et de la coiffe blanche allongée sur le visage en auvent, marchaient côte à côte sur la route. Le jour baissait ; elles pressaient le pas ; leurs longs chapelets se balançaient sur leurs robes, et, derrière elles, s’allongeait la rangée d’ormeaux qui borde l’avenue, sans que les voyageuses vissent encore autre chose devant leurs pas qu’une ligne blanche sinueuse emmurée de verdure. À peine échangeaient-elles de temps en temps quelques paroles. Une des deux se signa, prit un chapelet et marmotta des lèvres. Sa compagne l’imita, mais un peu nonchalamment et continua de fixer d’un regard vagué — qui émanait d’un iris bleu comme un ciel d’été — les nuages encore empourprés du couchant sur lesquels se détachait le délicat feuillage des ormeaux.

Comme toute paire de religieuses en tournée, ces femmes étaient l’une vieille et l’autre jeune. La vieille, une incarnation d’aigre-doux en chair et en os, replète, un peu lourde, aux traits jadis agréables, beaux peut-être ; mais qui empâtés d’inertie morale et intellectuelle, n’exprimaient qu’une pieuse maussaderie.

Sa compagne, mince, élancée, un peu maigre, avait cette blancheur trop diaphane, qu’on rencontre fréquemment sous ces coiffes jalouses de l’air, du soleil, et, secrètement, de la vie même. Les joues de la jeune sœur n’avaient pas cependant perdu toute couleur ; c’était un coloris de rose du Bengale, faible et doux. Ses yeux avaient une expression inconsciente de langueur, qui n’était pas de la tristesse ; la bouche, assez grande, et qui, sous prétexte d’un faux pas, s’ouvrit sur de belles dents bien rangées, gardait, malgré cette empreinte générale de mélancolie, quelques signes d’une jeune et rieuse vivacité.

Au milieu du silence, que troublait à peine le bruit du vent dans les feuilles et le choc précipité de leurs pas sur le sol, un gémissement vint frapper les oreilles des religieuses. La plus âgée tressaillit, serra son chapelet dans ses mains, et pressa le pas ; la plus jeune s’arrêta, et regarda autour d’elle.

C’était d’un champ, au bord de la route, que partait le gémissement.

— Jésus ! s’écria la vieille religieuse, qu’attendez-vous, ma sœur ? à cette heure-là !…

— Si c’était quelqu’un de malade, ma sœur ?

— Un ivrogne plutôt. Venez, venez ; il est imprudent de s’arrêter à ce qu’on entend la nuit.

Cédant à cette injonction, la jeune sœur se remit en marche ; mais au bout de quelques pas, elle s’arrêta de nouveau.

— Ce serait un péché, ma sœur, dit-elle, que de laisser en danger quelqu’un que nous pourrions secourir.

— Voilà bien de vos imaginations, répondit l’autre un peu aigrement.

À ce moment, une voix d’enfant s’éleva, pleurante, et le même gémissement se répéta, suivi de quelques paroles confuses.

— Entendez-vous, ma sœur ?

— J’entends, répliqua la vieille, d’un ton sec.

Mais bientôt, comme se reprochant cette réponse, elle reprit plus doucement :

— Vous avez raison, sœur Sainte-Rose, nous devons aller voir ce que c’est.

Elles se dirigèrent aussitôt du côté d’où partaient les voix. Sœur Sainte-Rose sauta légèrement le fossé, d’ailleurs peu large, qui séparait la route du champ voisin et tout aussitôt se trouva près d’une femme affaissée par terre, qui tenait sur son sein un petit enfant endormi, tandis qu’une fillette d’environ cinq ans, pleurait, en demandant quelque chose, dans un langage inintelligible, mêlé de sanglots.

L’attitude brisée de cette femme, l’expression ardente de ses yeux et l’éclat de ses joues, qui ressortaient enflammées, sur un fond de teint livide, frappèrent la religieuse au premier coup d’œil.

— Vous êtes malade ? fut son premier mot à l’étrangère.

— Oui, répondit celle-ci, bien malade ! Mes enfants ont faim et froid. Prenez pitié de nous, ma sœur.

— Jésus ! répondit seulement, en joignant les mains, la jeune religieuse.

Et revenant vers sa compagne qui semblait la directrice de leur association, — et que son obésité plus que sa grandeur avait retenue sur l’autre bord du fossé — elle peignit en quelques mots le triste tableau qu’offrait ce groupe misérable.

— Qui est cette femme ? d’où vient-elle ? demanda la vieille sœur.

Et la conversation suivante s’établit, par l’intermédiaire de sœur Sainte-Rose :

— Nous venons des environs de Saint-Brieuc, loin d’ici.

— Où vont-ils ?

— À Paris.

La voyageuse semblait vouloir poursuivre ; mais au lieu de parler, elle soupire.

— Quo vont-ils faire là ?

— Rejoindre… mon mari.

— N’a-t-elle donc point de parents ?

Est-il possible qu’elle vienne, avec des enfants, de si loin à pied ?

— Je n’ai point de parents… proches, et seulement une amie à Rennes, C’est en m’arrêtant là pour la voir et afin de reposer un peu les enfants, que je me suis aperçue… hélas !… que j’avais été volée de mon peu d’argent, en chemin de fer sans doute ; ou bien, l’aurai-je perdu. Alors, j’ai continué mon voyage à pied par petites journées, demandant l’hospitalité sur la route. Mais deux ou trois fois, la nuit, j’ai manqué d’asile et la fatigue trop grande, un refroidissement, la fièvre… Tout à l’heure, j’ai senti que je ne pouvais aller plus loin.

— Avez-vous des papiers ?

La pauvre femme exhiba un paquet de lettres froissées, qu’elle dit être de son mari ; mais d’attestation de monsieur le maire, point ; ce que la vieille sœur jugea suspect. Elle grommelait là-dessus, quand sœur Sainte-Rose l’interrompit :

— Sœur Sainte Angélique, cette femme parait bien malade :

— Hum ! allons… on ne peut s’empêcher de la recueillir. Nous avons pourtant bien assez de nos pauvres… Enfin ! nous allons la conduire à notre mère supérieure ; on verra.

Ces mots étaient à peine prononcés que sœur Sainte-Rose s’emparait du petit enfant et aidait la pauvre femme à se lever. On reprit la route. Il n’y avait tout au plus qu’un quart d’heure de marche jusqu’à M… ; mais la malade ne se traînait qu’avec peine ; ses pieds étaient enflés ; elle éprouvait des douleurs ds tête presque insupportables, et tout dénotait en elle les ravages d’une fièvre violente. Quant à la petite fille, elle pleurait toujours, mais tout bas, parce que sœur Angélique, en la prenant par la main, lui avait ordonné de se taire, d’une voix terrible.

— Appuyez-vous sur moi, dit sœur Sainte-Rose à l’oreille de l’étrangère.

— Oh ! vous êtes bonne, ma sœur…… Mais mon petit garçon vous charge déjà bien assez.

— Non, il n’est pas lourd du tout. Quel âge a-t-il ?

— Huit mois. Hélas non ! il n’est pas lourd. Il a tant maigri ! C’était un bien bel enfant ; mais il a tété du mauvais lait.

L’enfant dormait dans les bras de la sœur, comme auparavant dans ceux de sa mère. À peine sœur Sainte-Rose sentait-elle ce petit poids sur son bras, et un faible souffle contre son sein. Au sortir de l’ombre des ormeaux, comme on entrait dans la ville, elle put entrevoir le visage de l’enfant et le trouva joli ; mais tout maigrelet et pâle.

Au seuil de l’hospice, comme si elle avait médité de s’épargner un nouvel interrogatoire, et de maussades formalités, la pauvre femme s’évanouit. On la porta dans une grande salle, qui contenait onze lits, la plupart occupés. La petite fille, devant toutes ces choses étranges, souffrant de faim et de froid, ne put se retenir plus longtemps de crier, et réveilla le poupon, qui se mit de la partie.

— Marie-Jésus ! s’écria la supérieure, qu’allons-nous faire de ces enfants-là ? Ils vont réveiller nos malades. Emmenez-les dans la cuisine, sœur Sainte-Rose, et donnez-leur à souper.

La jeune sœur obéit à cet ordre avec joie. Il lui en eût coûté de laisser aux soins d’une autre de pauvres enfants si malheureux. Cependant, le petit la regardait effaré, comme s’il avait peur d’elle. Peut-être était-ce le costume de la religieuse qui lui causait cet effroi ?

Sœur Sainte-Rose alla s’asseoir au coin de la cheminée et pria la sœur cuisinière de lui donner un peu de potage pour les enfants. Une belle assiettée fumante et la chaleur du foyer calmèrent tout de suite la petite, et, bientôt après avoir mangé, sa tête ronde, coiffée d’un bonnet noir, d’où s’échappaient en frisant des cheveux blonds, se pencha de côté et d’autre et finit par s’appuyer sur les genoux de la sœur, où elle demeura profondément endormie. Mais quant au poupon, il détournait sa bouche de la cuiller, et se rejetant en arrière, comme il eut cherché le sein maternel, il poussait des cris perçants.

— Hélas ! dit sœur Sainte-Rose, c’est du lait qu’il faudrait à cet innocent. N’y aurait-il pas moyen, ms sœur, de lui en donner ?

— À cette heure ! il n’y en a plus, répondit la cuisinière, une religieuse vieille et un peu sourde, qui, après avoir dit cela, continua de vaquer à ses affaires, comme si la chose ne lui eut rien fait.

L’enfant souffrait pourtant. Et sœur Sainte-Rose aussi. Car il était bien cruel d’entendre crier cet enfant, de savoir ce qu’il demandait et de ne pouvoir le lui donner. Il souffrait : ses petites joues flétries avaient des tons jaunes ; sa petite bouche en s’ouvrant laissait voir le dedans des lèvres et la langue teintes d’un rouge vif, et ses cris, grêles et enroués, sortaient d’une poitrine qu’on eût dit fêlée. Quelques cuillerées de bon lait l’eussent tant rafraichi !

S’il n’y en avait pas, du lait, dans le couvent, il y en avait dans la ville, tout près même, chez des voisins. Malheureusement, à cette heure, la règle interdisait de sortir…

Si l’on demandait à la supérieure !… Ce serait bien. Puis, sûrement elle refuserait… les règlements ne s’enfreignent pas pour si peu. L’homme n’est-il pas né pour la souffrance ? soit ; mais les enfants…

Il avait un cri qui déchirait l’âme, et il semblait dire avec les yeux en pleurs : Je suis si petit, si faible ! j’ai tant besoin de secours ! Vous le voyez, et vous me laissez mourir !

Sœur Sainte-Rose avait envie de pleurer. Elle s’aperçut que les petits pieds de l’enfant étaient froids et les réchauffa ; il en fut apaisé pour un instant ; mais quand elle essaya de nouveau de lui faire boire un peu de bouillon, il recommença de crier et de détourner la tête. Aux regards qu’il jetait autour de lui, on voyait qu’il cherchait sa mère.

Un désir ardent présente toujours à l’esprit l’image des biens désirés ; ainsi sœur Sainte-Rose avait-elle sous les yeux le buffet des voisins et les bienheureux pots de lait qui s’y trouvaient. Que n’eût-elle donné pour les avoir ! Elle rencontra l’œil noir de l’enfant, et ce regard exprimait tant de désolation et tant d’infortune, qu’elle n’y tint plus ; au risque même d’un péché, après avoir écarté doucement la petite dormeuse, elle se leva et sortit de la cuisine avec l’enfant.

Elle allait jusque sous le porche raconter à la tourière son ennui.

Quoique un peu bavarde, celle-ci était une excellente femme.

— Attendez, s’écria-t-elle, à l’instant, la Gilles sort d’ici. Je vais l’appeler.

Elle courut à la porte, et grâce à un pritt perçant, fit revenir la visiteuse, qui volontiers alla chercher du lait. Ainsi, ni l’une ni l’autre des religieuses n’ayant mis le pied dehors, et la tourière ayant seulement passé la tête hors de la porte, elles espérèrent n’avoir point péché.

La Gilles revint, apportant du lait et même un morceau de sucre, et bientôt après, sœur Sainte-Rose, toute heureuse, posait sur les lèvres de l’enfant une cuillerée de lait tiède sucré. Déjà, il s’insurgeait, quand la saveur du lait qui pénétrait dans sa bouche, opéra dans ses résolutions un changement subit. Il but, et même s’apprivoisant, saisit la cuiller de sa petite main et aida l’opération, de manière à la rendre fort difficile. Après cela, ses yeux se fermèrent ; sa tête se pencha sur le bras de la jeune sœur, et il s’endormit.

Le petit hospice de M… ne recevait que des adultes. Rien n’était donc disposé pour le coucher des deux enfants. On ne pouvait leur faire passer la nuit dans une salle habitée par des malades et plusieurs fiévreux ; le médecin, d’ailleurs, appelé près de la voyageuse évanouie avait formellement défendu qu’elle donnât le sein à son enfant et le couchât avec elle. Il trouvait cette femme fort malade. On laissa donc l’enfant à sœur Sainte-Rose, qui lui bâtit dans sa cellule un petit lit, tandis qu’une autre religieuse fut chargée de loger la petite fille.

C’est une erreur commune de croire que l’intensité de la vie dans l’être est en raison du nombre et de l’importance des événements dont l’existence de cet être se compose. Il est des gens que les circonstances les plus émouvantes laissent presque insensibles ; d’autres, à qui les faits les plus simples fournissent des émotions ardentes, — en ce cas, presque toujours secrètes. — C’est que la vie réside non dans l’objet, mais dans l’être même, qui pour s’épancher, au besoin, prendra tout prétexte : un roseau, à défaut d’un chêne ; la plante ou l’animal au défaut de l’humanité, au défaut du fait, le rêve. Les passions puériles, qu’on méprise et raille chez ceux que leur maigre destinée a privés de passions plus hautes, sont germes de même espèce, auxquels le sol a manqué.

Chez sœur Sainte-Rose, l’éducation compressive du couvent avait refoulé tout au fond, dans le secret de son âme, les facultés aimantes, d’autant plus timides qu’elles étaient plus tendres, — et si discrètes, que sœur Rose quelquefois n’eût su dire elle-même pourquoi le cœur lui battait si fort. Il en était ainsi ce jour-là, tandis qu’elle portait le petit enfant dans sa cellule. Cet embarras de l’avoir en garde la nuit comme une mère, — embarras que sœur Sainte-Angélique, par exemple, eut, d’une résignation aigrelette, offert à Dieu comme une croix, causait à la jeune religieuse un émoi profond, mais très doux.

Après avoir déshabillé l’enfant avec précaution et l’avoir posé dans son petit lit, elle se prit à le regarder. Il dormait paisiblement ; sa tête penchée sur l’épaule découvrait son petit cou maigre ; un souffle léger s’échappait de ses lèvres entr’ouvertes. Elle pensa que c’était grâce à elle qu’il dormait ainsi, grâce à l’aliment nécessaire qu’elle était enfin parvenue à lui procurer, et cela lui fit bondir le cœur d’une joie si vive !… Puis elle s’agenouilla sur son prie-Dieu, où, ce soir-là, sa ferveur alla jusqu’aux larmes ; elle qui parfois s’accusait de sécheresse, elle se coucha heureuse de tant aimer Dieu.

Au milieu d’un rêve étrange — elle était saint Vincent-de-Paul et recueillait des enfants abandonnés ; — un faible cri l’éveilla. Aussitôt, se jetant hors de sa couchette, elle courut près de l’enfant. Dans l’obscurité, que perçait mal une petite lampe en hâte allumée, l’enfant la prit pour sa mère ; il l’attira de ses petites mains, et collant sa bouche sur le sein de la religieuse, il s’efforçait d’écarter la toile dont ce sein était couvert. D’abord, toute saisie d’une pareille méprise, elle se recula ; puis, se remettant un peu, elle se rapprocha de l’enfant une tasse de lait à la main, en lui adressant des paroles amies.

À cette voix étrangère, il jeta des cris, et la repoussa. Vainement elle insista pour le faire boire : il semblait irrité de ne point trouver à sa portée, comme à l’ordinaire, le tiède breuvage maternel, et ce lait froid rebutait sa lèvre. Ne pouvant l’apaiser, et désolée par ses cris, sœur Sainte-Rose enfin le prit dans ses bras et se mit à le balancer, en marchant dans la chambrette, sur le rhythme lent et doux d’un cantique. Elle avait vu des mères faire ainsi.

ANDRE LÉO

(La suite à demain)

Feuilleton de L’OPINION NATIONALE
du 24 mars 1870.


SŒUR SAINTE-ROSE

NOUVELLE
Par ANDRÉ LÉO.



Peu à peu, les cris de l’enfant s’affaiblirent, ses paupières s’abaissèrent graduellement et il retomba dans le sommeil. Mais il n’avait pas bu ; mais il avait faim, et son sommeil probablement ne serait pas long. Elle tremblait d’entendre de nouveau ce cri de détresse, qui la pénétrait jusqu’au fond du cœur, ou cette plainte alanguie, que tout à l’heure, au sein même de l’assoupissement, il faisait entendre. Ce qu’il fallait à ce petit estomac souffrant, c’était du lait qui rappelât du moins la chaleur maternelle. Comment n’avait-elle pas deviné cela ?

Et maintenant, comment faire ? La règle défendait de sortir la nuit des cellules. — Oui ; mais ce n’était pas la règle non plus d’avoir dans sa cellule de petits enfants, et dès lors… — Ah ! sœur Rose raisonnait.

Elle fit plus. Surexcitée par la crainte des cris de l’enfant, plus qu’elle ne l’eût été par un danger personnel, elle osa ouvrir sa porte, descendre furtivement, rallumer le feu dans la cuisine, toutes choses qui, découvertes, eussent fait un scandale, dont nous n’avons pas l’idée. Pendant cette audacieuse entreprise, sa conscience la tourmenta bien sans doute ; mais plus encore, il faut l’avouer, la crainte que l’enfant ne se réveillât pendant son absence. Heureusement, tandis que l’oreille tendue, le cœur palpitant, elle écoutait, nul bruit ne parvint jusqu’à elle, et bientôt elle remonta, pieds nus, doucement, cachant sa lumière de sa main, avec un flacon de lait tiède, qu’elle garda sur sa poitrine pour en entretenir la chaleur. Tout cela était-il bien ? Mais elle ne pouvait s’empêcher de le faire. Oh ! comme le cœur lui battait !

Il voulut bien enfin boire, et presque aussitôt se rendormit. Sœur Sainte-Rose était heureuse !… Mais au milieu de quel trouble !… Pour consoler cet enfant et pour le persuader, c’étaient des paroles vraiment maternelles qui lui étaient échappées, échappées en vérité, comme si du fond de son cœur un ressort les lui eût portées aux lèvres. Même, sans y penser, elle avait appuyé sa bouche sur ce doux front. Elle qui n’était pas mère, qui ne pouvait l’être jamais, devait-elle agir ainsi ? Elle en était confuse, et pourtant, c’étaient des larmes de joie qui lui en venaient aux yeux, et l’on eût pu voir dans le crépuscule de l’aube son visage rayonner. — Non, vis-à-vis de Dieu, elle n’était point tranquille : Tant de soins et d’agitation pour une créature !… — Mais un pauvre petit enfant ! Dieu n’était-il pas trop grand et trop bon pour en être jaloux ? Lui aussi devait en avoir pitié ; il aime l’innocence. Et tant d’amour et de gloire vont à lui, qu’assurément il ne pouvait regretter la part donnée, par une de ses plus humbles épouses, à ce petit être souffreteux, frêle et abandonné.

Au jour, en ouvrant les yeux, elle vit l’enfant sur son petit lit qui, d’un air étonné, sérieux, la regardait. Qu’il était habile et charmant, ainsi cramponné de ses petites mains, pour voir ! Il y avait dans ses yeux une intelligence !… Elle ne put retenir une exclamation admirative, et, de sa plus douce voix, en lui souriant, elle l’appela, ne sachant pas son nom :

— Ami ! petit ami !

L’enfant resta sérieux, mais ne cria point. La jeune religieuse se leva, et bien doucement, tout en souriant au bambin et en lui parlant des yeux, elle fit sa modeste toilette. Sérieux toujours et comme réfléchi, l’enfant ne quittait pas des yeux cette jeune fille, en béguin de nuit et en jupon court, fraiche et naïve de simple jeunesse, qu’il voyait ainsi tourner autour de lui. Sans trop de protestations ensuite, il se laissa laver et habiller, et après cela, quand elle le prit dans ses bras et le porta à la fenêtre de la cellule qui donnait sur le jardin, tout à coup, au sourire de sœur Sainte-Rose, il répondit par un sourire…

Quelle grâce ! et comme elle en fut reconnaissante !… De ces lèvres mortes au baiser, ce fut presque un baiser de nourrice que reçut l’enfant.

Mais quelques instants plus tard, quand elle eut mis sur sa tête ce grand bonnet de percale blanche empesée, au fond duquel on apercevait à peine sa figure pâlie et ses yeux bleus, l’enfant, après l’avoir contemplée d’un air chagrin, détourna la tête, et se mit à pleurer. Elle eut peine à lui rendre un peu de confiance, et le reprenant dans ses bras, descendit en soupirant.

On lui remit alors aussi la petite fille ; celle-ci, rassurée par la douce voix de sœur Sainte-Rose, sentit bientôt sa langue se délier. Elle dit le nom de son frère : Petit-Jean ; le sien : Joséphine, et parla de son papa, qui était parti, bien loin… puis, elle demandait sa mère à tout moment.

La mère aussi demandait ses enfants, et sur l’ordre du médecin, on chargea sœur Sainte-Rose de les lui conduire. Dans le corridor qui menait à la salle des femmes, ils rencontrèrent le docteur, M. Marinier. C’était un petit homme vif et brun, non pas de cheveux — car il les avait laissés à peu près tous, comme il le disait, sous les tropiques — mais de teint. Il avait été chirurgien sur un vaisseau. Sec de figure, il commençait pourtant, avec l’âge, à s’arrondir. À la vue de la sœur Sainte-Rose, qui portant d’un bras le marmot, conduisait par la main la petite fille, la figure du docteur s’éclaira d’un sourire ; ses petits yeux vifs brillèrent et il s’arrêta ; car, ainsi que bien d’autres, M. Marinier avait toujours une parole pour la douce et jolie sœur.

— Oh ! oh ! s’écria-t-il, vous voilà devenue maman.

Cette interpellation troubla si fort sœur Sainte-Rose, qu’elle rougit sous sa coiffe et resta un moment silencieuse. Enfin, elle demanda comment se portait la pauvre mère.

La réponse du docteur fut une grimace et un haussement d’épaules tristement significatifs. Il ajouta :

— C’est une pleurésie qui n’a pas été prise à temps. Et puis il y avait déjà de la consomption… les progrès ont été rapides.

— Bon Dieu ! balbutia en frémissant la jeune religieuse. Et ces pauvres enfants ! que deviendront-ils ?

— Dame ! s’ils n’ont pas de parents, il faudra bien les mettre aux Enfants-Trouvés. Hum ! pour celui là, il n’y serait pas longtemps, dit-il, en prenant la main du petit garçon. Hé ! petit !…

— Il est faible, n’est-ce pas ? demanda sœur Sainte-Rose, un peu haletante.

— Il a sucé la consomption de sa mère… Oh ! je ne crois pas…

Il posa l’oreille sur la poitrine de l’enfant.

— Non, ce ne serait rien. Mais il a besoin de soins, de vrais soins de mère, et vous savez, à l’hospice, les plus forts seulement… Eh ! comme il me regarde ! On dirait qu’il entend… il a des yeux pleins d’intelligence et de vie, ce petit-là !

Et le docteur voulant être aimable, fit une grotesque grimace à l’enfant, qui, d’un air moins effrayé que scandalisé, se rejeta sur le sein de la sœur.

— Il vous aime déjà, dit le docteur.

Il revint sur ses pas, ouvrit la porte de la salle et retourna, en les précédant, au lit de la malade.

— Voici vos enfants, madame ; ils ont été bien soignés, par une jeune sœur qui aime les marmots.

Au sein de ce repos trop tardif, après d’extrêmes fatigues, les forces de la pauvre femme l’avaient tout à coup abandonnée, comme des ouvriers qui, rebutés d’une tâche excessive, s’en vont. Elle gisait dans son lit, sans voix et presque sans mouvement. Cependant, elle baisa ses enfants avec transport ; mais sa joie et sa tendresse ne purent s’exprimer que par ses regards. Les enfants eurent peine à la reconnaître, tant depuis la veille elle avait changé. En une seule nuit, ses yeux s’étaient creusés, ses joues s’étaient avalées, et ses pommettes luisantes de fièvre saillaient. Elle jeta sur la sœur un regard d’inquiétude ; mais la reconnaissant, elle se rassura.

— C’est vous, madame, ah ! merci. Fifine a été bien sage, n’est-ce pas ? Mais Petit-Jean ? il a dû bien crier cette nuit. Hélas ! et que lui a-t-on donné !

— Ne vous inquiétez pas ; maintenant tout va bien, dit sœur Sainte-Rose ; puis elle raconta en détail tout ce qui s’était passé.

La mère eut un soupir de soulagement.

— Oh ! vous êtes bonne ! dit-elle. Je l’ai vu tout de suite à votre air. Je suis bien heureuse que ce soit vous qu’on ait chargée de mes enfants. Hélas ! mon Dieu ! que vont-ils devenir ? ajouta-t-elle avec angoisse.

— Ce qu’ils deviendront ? dit le docteur. On les soignera bien, parbleu, et vous les emmènerez quand vous serez rétablie.

La pauvre femme attacha ses yeux sur lui, avec une lueur d’espérance, combattue par le doute ; puis elle reprit :

— Je suis malade ! je le sens, bien malade ! Ah ! monsieur le docteur, les mères ne devraient pas mourir !

— Je ferai pour vous une neuvaine, dit sœur Sainte-Rose d’une voix étouffée ; je ferai prier Joséphine et nous supplierons le saint Ange du petit de vouloir bien aussi parler pour lui et se joindre à nous. Dieu est si bon ! il vous guérira.

Un regard de reconnaissance fut la réponse de la pauvre femme ; puis elles parlèrent ensemble des enfants, que de temps en temps la mère embrassait. Enfin, il fallut se séparer : car on ne devait rester qu’une demi-heure, mais en se disant : À demain.

À partir de ce moment, la sœur Sainte-Rose fut décidément consacrée à la garde des enfants, outre certains soins de couture et de jardinage qu’elle remplissait en les surveillant, et où la petite fille prétendit l’aider. C’était bien tout le contraire : cependant, la gentille gaucherie et le babillage harmonieux de Joséphine, charmant la jeune sœur, lui rendaient l’heure légère et douce. Pendant ce temps, Petit-Jean, assis à terre sur une natte, dans le réfectoire ou dans le jardin, échangeait avec elles des gazouillements ou des sourires. Désormais, la nuit, tout se passait à merveille : il buvait sans résistance le lait tiède que sœur Sainte-Rose lui offrait, se rendormait aussitôt, et dès son réveil, au matin, souriait à sa jeune gardienne.

Une fois apprivoisé, leur intimité devint chaque jour plus étroite. L’enfant de plus en plus se fit comprendre, et de plus en plus aussi comprit qu’une mère nouvelle lui était donnée. Un signe, un cri, surtout les regards, suffisaient entre eux. Ce petit professeur, en deux ou trois jours, apprit à la religieuse cette télégraphie du cœur, qui existe, à défaut de la parole, entre la mère et l’enfant. Et pour que la situation fût complète, la voyant près de lui si attentive, si occupée de le servir, de le réjouir, de lui plaire, lisant si bien la maternité dans ses yeux, l’enfant devint exigeant et se plût à commander, avec une confiance en son pouvoir qui ravissait la jeune sœur.

Entre ces deux petits êtres si spontanés, si épanouis, sœur Sainte-Rose s’éveillait à une vie nouvelle. Orpheline à douze ans, le couvent qui l’avait reçue pour l’élever l’avait gardée. Sans parents dans la ville, depuis le départ de sa sœur ainée, qui s’était mariée avec un petit employé de Paris, elle avait cru ce qu’elle entendait répéter chaque jour des dangers du monde et de ses fausses joies, des douceurs et des avantages d’une vie toute consacrée au divin amour. Sa jeunesse avait grandi là comme une plante à l’ombre, toute pâlissante, comprimée dans l’étau de la règle, étouffée entre la défiance de soi et la crainte de Dieu, mais souffrant sans le savoir. Elle avait pris le voile sans effort et sans regret.

Maintenant, tout à coup, elle sentait s’agiter en elle et revivre son adolescence arrêtée. Aux mouvements de son cœur, elle s’apercevait qu’un poids étouffant avait jusque-là pesé sur elle ; sa poitrine endolorie se dilatait dans un air nouveau. Heureuse de ces impressions, elle n’en éprouvait, malgré les habitudes timorées de son esprit, aucune défiance. Jésus n’avait-il pas dit : Laissez venir à moi les petits enfants ! Ne prisait-il pas au-dessus de tout leur innocence ! Puis, elle sentait sa piété plus vive que jamais.

Assurément, ces enfants n’étaient pas les premiers qu’eût vus sœur Sainte-Rose, ni même qu’elle eût soignés ; mais ce n’avait jamais été qu’en passant et en circonstances tout autres. Les autres enfants n’avaient jamais eu besoin d’elle que très secondairement ; ils avaient leurs mères, dont ils exigeaient les soins, repoussant ceux de l’étrangère. Elle s’était bien toujours sentie attirée vers eux ; mais n’avait guère eu l’occasion de vaincre la crainte, ou la timidité, qu’elle leur inspirait. Ceux-ci, au contraire, si froissés et si malheureux, après une courte lutte de leur sauvagerie, l’avaient adoptée pour mère. Ils ne se trouvaient bien qu’à son ombre ou dans ses bras. C’était à elle que, dans leurs contrariétés et dans leurs souffrances, ils venaient demander aide et protection ; c’est vers elle que, dans la surprise ou dans la joie, se tournaient leurs yeux naïfs. Elle leur était devenue nécessaire ! Ils l’aimaient !

Jamais sœur Sainte-Rose n’avait rêvé pareille joie. Elle en avait l’âme remplie de soleil, toute transfigurée, et, par un secret instinct, devant ses compagnes, elle baissait les yeux, afin de voiler les rayons qui s’en échappaient. Tout sentiment a ses pudeurs et son mystère, et puis, dans ce milieu hostile aux amours humains, la religieuse, sans vouloir se l’avouer, sentait la nécessité de la prudence.

Ces jours-là eurent des beautés inaccoutumées :

Au jardin, où le plus souvent sœur Sainte-Rose se tenait avec les enfants, le soleil jetait sur les pampres rougis de splendides lueurs ; les feuillages inclinés, qu’on eût dit pensifs avaient une grâce infinie ; les chants des oiseaux ravissaient l’oreille, et le parfum âpre et mélancolique des chrysanthèmes se mêlait à la suave odeur des roses quarantaines, qui fleurissaient pour la dernière fois. Sur les lèvres de la religieuse, adorant dans cette belle nature la gloire de Dieu, le sourire s’unissait à la prière. Elle sentait aussi dans son cœur un flot de bonté divine, et, lorsqu’elle cherchait à rêver les joies du ciel, elle ne pouvait jamais se figurer autre chose que les enfants auprès d’elle, dans ce jardin embaumé, sous ce beau ciel, au milieu des flots de cette ruisselante lumière.

Un jour, elle était là, assise sur l’herbe, et ourlant du linge, avec le petit sur ses genoux, tandis que Joséphine, en babillant, tournait autour d’eux ; — sœur Sainte-Rose parlait à Petit Jean d’une voix douce, et lui répétait les mots tendres qu’on chante aux enfants comme une musique ; — tout-à-coup, leurs yeux se rencontrèrent ; une lueur, éveil de la vie du cœur, brilla dans ceux de l’enfant ; il jeta ses bras autour du cou de sœur Sainte-Rose, et appuya sur sa joue deux petites lèvres, qui balbutiaient leur premier baiser.

Une folie de cœur la prit ; elle serra l’enfant dans ses bras, lui rendit mille caresses, et toutes les paroles passionnées qu’elle avait apprises dans ses prières, elle les lui dit comme à Dieu. Puis, à la fois tremblante de bonheur et confuse d’un si vif transport de tendresse, elle resta étonnée, craintive…

Ne venait-elle pas d’offenser Dieu ? Oh ! sans doute ! Il n’est point permis d’aimer à ce point la créature. Cet élan sublime que l’enfant venait d’exciter en elle, hélas ! le divin Époux jamais n’en avait été l’objet ! Elle joignit les mains alors, baissa le front, demanda pardon à Jésus et à Marie… Mais, en voyant le petit Jean, là, sur ses genoux, lui sourire, elle ne sut trouver du repentir.

Cependant, au milieu de la joie profonde qui, sans qu’elle pût s’en défendre, persistait en elle, une réflexion lui vint qui l’attrista : ce n’était pas elle qui aurait dû recevoir le premier baiser de cet enfant, mais plutôt sa vraie mère, la pauvre femme couchée là-bas, seule, sur son lit de douleur ; ce baiser lui avait été volé ! Sous ces impressions diverses de joie, de crainte, de remords, sœur Sainte-Rose se mit à pleurer.

Ce jour-là devait être rempli pour elle de plus d’émotions qu’elle n’en avait encore éprouvé pendant toute sa vie. Comme elle rentrait, elle rencontra la mère supérieure, qui se prit à regarder les enfants d’un air fâché, disant :

— Cela n’en finit pas, et ces enfants nous sont d’un grand embarras !… Ils nous prennent tout votre temps.

Sœur Sainte-Rose ne répondit pas. Les paroles de la supérieure, comme une lame aiguë et froide, lui avaient pénétré le cœur, et lui suggérèrent coup sur coup plusieurs pensées qu’elle n’avait pas eues, ou plutôt n’avait pas voulu avoir. La pauvre mère, une fois morte, que ferait-on des enfants ? Hélas ! la chose n’était que trop claire, ils partiraient. Où iraient-ils ? Où ?… Elle avait beau ne le pas vouloir, nul autre asile ne se présentait que l’hospice des enfants-trouvés, antre d’où l’enfance ne sort que morte ou flétrie. Ah !… c’en était déjà trop de s’avouer que ces enfants devaient lui être enlevés, qu’elle ne les garderait point… Et comment !… cela n’était point possible… Pourtant, les perdre, les abandonner, lui semblait plus que déchirant… C’était cruel et coupable !…

Surprise de ne pas recevoir de réponse, la mère supérieure avait regardé la jeune sœur.

En la voyant pâle et troublée, une expression dure et sévère se marqua sur le visage.

— Vous seriez-vous attachée à ces enfants ? demanda-t-elle.

— Oh ! ma mère… en vérité…

— Répondez.

— Je crois… que oui. Ne sont-ce pas des membres souffrants de Notre Seigneur Jésus-Christ !

— Sans doute ; mais c’est notre Seigneur Jésus-Christ seulement que vous devez aimer en eux. Ne l’oubliez pas. Le malin esprit a toutes sortes de pièges pour détourner l’âme du saint amour. Il faut que je confie ces petites créatures à la sœur Sainte-Angélique. Chacune sera de corvée à son tour. Tenez, la voici, remettez-les-lui.

Il fallait obéir. Pâle comme une morte, sœur Sainte-Rose tendit à sa compagne le petit garçon. Mais celui-ci regimbant et criant, se cramponna de toutes ses forces à son amie.

— Reste avec nous, ma Rose ! criait de son côté Joséphine, en s’attachant à la robe de la sœur.

— Voilà qui est ridicule ! dit la supérieure d’un ton sec, tandis que sœur Sainte-Angélique, de l’air le plus maussade et le plus mécontent de son nouveau rôle, se mit à distribuer des tapes aux enfants et les entraîna.

ANDRE LÉO

(La suite à demain)

Feuilleton de L’OPINION NATIONALE
du 25 mars 1870.


SŒUR SAINTE-ROSE

NOUVELLE
Par ANDRÉ LÉO.



Était-ce la douleur, était-ce l’indignation qui rendait sœur Sainte-Rose si pâle, si tremblante, qui voilait ses yeux de larmes et agitait ses lèvres convulsivement. Elle fit un pas.

— Où allez-vous ? demanda la supérieure.

— À la chapelle, ma mère.

— Ce n’est pas l’heure. Cependant… je vous le permets ; car vous en avez besoin. Allez vous jeter aux pieds de notre Sauveur, interrogez-vous, et voyez si les sentiments que vous éprouvez sont bien dignes de trouver accès dans le cœur d’une de ses épouses.

Sœur Sainte-Rose se rendit à la chapelle, et dès qu’elle fut entrée par la petite porte, qui ouvrait près de l’autel de la Sainte-Vierge, elle s’affaissa sur les dalles. Tout son corps tremblait et c’était dans sa poitrine un tumulte, des soulèvements qui l’étouffaient. D’abord, cet état lui fit peur ; se rappelant les paroles de la supérieure, elle se dit qu’en effet elle était indigne de paraître en la présence de Jésus et de sa divine mère, et elle s’humilia profondément devant eux. Ses larmes coulèrent avec une grande abondance ; elle se sentait un peu soulagée, quand la pensée lui revint des enfants, qui certainement pleuraient, la demandaient et que rudoyait sœur Sainte-Angélique. Alors, tout l’orage recommença, plus violent que jamais, car la réflexion vint ajouter ses incitations à celles du sentiment soulevé.

— Quel mal pouvait-il y avoir, mon Dieu, à ce que ces pauvres enfants fussent heureux, aimés ? Était-il vrai que cela pût offenser Jésus, si bon et si doux ? Ah ! sans doute, il doit être aimé par-dessus tout ; mais lui-même ne nous a-t-il pas recommandé de nous aimer les uns les autres ?

Elle ne pouvait le nier, ces enfants tenaient une grande place dans son cœur !… La première peut-être… et c’est là… hélas ! comment faire ? Bien souvent, sans cesse, elle s’est efforcée d’aimer Dieu de toutes ses forces… Mais il est si loin !… Et puis il n’a pas besoin, lui, de cet amour, tandis que ces faibles petits êtres… si l’on n’aimait pas les enfants, que deviendraient-ils ?… Il y a pourtant des femmes heureuses, dont c’est le devoir de les aimer… Eh bien ! puisqu’une mère manque à ceux-ci…

— Ah ! sainte Vierge, dit-elle, en rencontrant sous ses yeux l’image de la mère divinisée, qui, souriante sous son voile, soutenait son poupon d’un bras triomphant. Ah ! sainte Vierge, vous aimez bien aussi votre enfant, vous ! Ce n’est donc point un péché…

Elle pleura encore, pria encore et sortit, bien inquiète de ce qui s’était passé pendant son absence. Au seuil de la chapelle, elle rencontra une sœur qui la venait chercher.

— Venez donc, sœur Sainte-Rose, venez vite. Ces petits drôles nous font enrager, et il parait qu’il n’y a que vous qui puissiez en avoir raison.

La jeune sœur courut au réfectoire, où, par dessus les cris des enfants, se faisait entendre la voix grondeuse du docteur.

— Ah ! vous voilà ! dit-il brusquement ; vous auriez dû mieux choisir votre temps pour des prières. Ces enfants sont ahuris ; je ne sais pas ce qu’on leur a fait : la mère attend… Ce sera probablement la dernière visite, et vous allez les lui montrer dans un bel état ! Ce n’est pas tout que soigner le corps, vous le savez bien. Il ne faudrait pourtant pas expédier trop durement cette pauvre âme dans l’autre monde.

Sœur Sainte-Rose ne répondit pas ; elle serrait contre son cœur la petite fille, qui était accourue à sa rencontre, et elle venait de s’emparer de Jean, qui s’était jeté dans ses bras avec transport. Ils avaient tous deux les yeux rouges, la figure gonflée, le cœur palpitant, et l’on voyait une des joues de Joséphine couverte d’une rougeur ardente.

— Ce sont de vrais démons, cria la sœur Angélique, elle-même toute échauffée, les yeux hors de la tête, et dont le visage en ce moment ne semblait pas celui d’une élue.

Restée seule avec les enfants et le docteur, la jeune religieuse eut bientôt calmé par de douces paroles et des caresses, les deux petits êtres que sa seule présence venait de rasséréner.

— Que diable s’est-il passé ? demanda le docteur, en remarquant la figure également altérée de sœur Rose. — Tenez, ajouta-t-il, ne recevant pas de réponse, vous étiez faite pour être une bonne mère de famille, vous !

Cette parole hardie, qui n’obtint pas plus de réponse que la première, n’en pénétra pas moins le cœur ému de sœur Sainte-Rose. Portant le Petit-Jean, qui lui serrait le cou de ses deux bras, et conduisant par la main Joséphine, elle se rendit près de la malade.

Celle-ci était plus faible qu’à l’ordinaire ; jamais encore ses yeux n’avaient été si creux, et sur ses tempes, au coin de la bouche, aux narines, s’étaient creusés des sillons nouveaux. Il fallut pencher les enfants sur le lit pour qu’elle pût les embrasser ; quant à eux, ces pauvres enfants ne retrouvant plus qu’à grand’peine dans cette moribonde, la mère autrefois chérie, ils ne marquaient nul empressement à recevoir ses caresses, et plus d’une fois avaient témoigné leur impatience de partir, avant la demi-heure écoulée. La malheureuse mère s’en apercevait, et par moments, ne pouvait s’empêcher d’éprouver une grande jalousie contre sœur Sainte-Rose. Mais, d’un autre côté, lui voyant pour ses enfants un cœur maternel, elle était touchée de reconnaissance.

— Écoutez, dit-elle dès l’abord, j’ai beaucoup de choses à dire, et il faut que je vous les dise aujourd’hui ; car je sens… peut-être qu’il serait trop tard demain. Asseyez-vous là, près de moi. Je vais vous raconter… à vous seule… toute mon histoire, et — si ce n’est pas trop demander — ce que j’espère de vous.

Sœur Sainte-Rose s’assit tout auprès de la pauvre femme, dont le souffle était si haletant, et la voix si faible, qu’elle ne semblait guère capable de parler longtemps. Cependant, en phrases entrecoupées, mais rapides, elle fit ce récit à l’oreille attentive de la jeune sœur, tout en jetant fréquemment les yeux sur l’aiguille de la pendule, qui mesurait la demi-heure accordée chaque jour à son amour maternel.

« Mon malheur est venu de ce que j’étais orpheline, plus qu’orpheline, car mes parents ne m’avaient laissé ni amitié, ni souvenir, et pas même un nom ; j’ai été élevée à l’hospice des Enfants-Trouvés. Toute petite encore, on me plaça dans une ferme pour y garder les troupeaux : là, je grandis doucement avec les enfants de mes maîtres, ne recevant guère plus de coups, ni plus de mauvaises paroles que les autres, pourvu que je fisse mon devoir ; car c’étaient malgré tout d’assez bonnes gens. On me rappelait bien de temps en temps ma naissance par un vilain nom, et les filles de mes maîtres me traitaient orgueilleusement ; mais je n’avais point à me plaindre de leurs frères, et Julien surtout, le cadet, me marquait une grande amitié.

» Comme il n’avait qu’un an de plus que moi, nous étions toujours ensemble, occupés du même ouvrage, et le dimanche des mêmes jeux. Avec l’âge, notre amitié devint plus forte encore ; enfin, j’avais à peine dix-huit ans, quand Julien me dit qu’il ne voulait point d’autre femme que moi. Et moi aussi, je l’aimais ; je l’aimais de toute mon âme. Quand il me parla ainsi, pourtant, je ne pus m’empêcher de pleurer, prévoyant les malheurs que nous aurions. En effet, ses parents furent indignés qu’il songeât à s’allier avec une fille de mon espèce, qu’ils regardaient comme étant de trop sur la terre, puisqu’elle n’en possédait pas le moindre morceau. Ils me chassèrent, et je dus aller prendre du service ailleurs. De son côté, Julien, irrité, quitta la ferme, et pour se rendre plus indépendant, fit l’apprentissage du métier de forgeron.

» Nous nous voyions tous les dimanches. Je n’avais pas le courage de rompre avec lui, qui était à lui seul tous mes amis et toute ma famille en ce monde. Quand il eut passé vingt ans, et qu’il en vint à gagner de bonnes journées, il voulut absolument notre mariage. Malheureusement, la chose ne se pouvait sans le consentement de son père, avant l’âge de vingt-cinq ans. Plus de quatre années encore à attendre ! Cela lui semblait si long, qu’il en était comme désespéré, comme fou… et moi, le voyant ainsi, je n’eus pas non plus le courage…

» Il faut bien vous l’avouer : nous nous établîmes chez nous, comme mari et femme, sans l’être devant la loi, nous aimant pourtant de tout notre cœur et voulant élever nos enfants ensemble… C’était deux mois avant la naissance de Joséphine. Tout le monde me méprisait ; on disait : « Elle chasse de race… » Hélas ! je n’aurais pourtant demandé qu’à être honnête, si on me l’avait permis ! Pourquoi exige-t-on des malheureux qu’ils soient plus forts et plus méritants que les autres, quand précisément ils sont plus faibles ! Est-ce Juste ?

» Julien m’aimait ; je ne pouvais pas être tout à fait malheureuse ; mais l’on ne s’attacha qu’à gâter ce pauvre bonheur, qui ne nuisait pourtant à personne. On s’efforça de détacher de moi Julien ; on le pressait de faire un autre mariage. Si je n’étais pas sa femme, — bien qu’il me semblât à moi, — Joséphine était bien sa fille ; c’étaient pourtant des pères et des mères qui lui conseillaient d’abandonner son enfant ! Les gens, parfois, comprennent bien étrangement les choses.

» Les parents de Julien aussi parlaient contre nous et nous faisaient tort de toutes manières. Qui nous était favorable et nous faisait travailler devenait leur ennemi. On les craignait. Il faut peu de chose pour faire pencher du côté de la misère le sort de l’ouvrier. Le travail manqua, la maladie vint, et nous n’eûmes point le secours que, dans les plus pauvres familles, on se prête. Avec cela point d’avance ; nous souffrîmes beaucoup.

» Enfin, voyant que nous étions dans notre village plus mal qu’ailleurs, Julien se décida de s’en aller à Paris, où l’on gagne de fortes journées. Il vendit ses outils et sa forge et partit, me laissant de quoi vivre pour un peu de temps : il devait m’appeler près de lui, dès qu’il aurait trouvé de l’ouvrage, et mis de côté quelque chose. Je travaillais d’ailleurs de toutes mes forces pour gagner quelques sous par jour, et diminuer d’autant la dépense. Mais c’était bien peu : notre petit Jean, qui avait alors quatre mois, ne me laissant guère de temps.

J’avais consenti à ce départ ; mais quand Julien ne fut plus là, le cœur me manqua et je souffris mille fois plus que je ne l’avais imaginé. Je n’avais point d’amis ; pour le réconfort, j’étais seule ; mais les mauvaises insinuations ne me manquaient point. On me faisait entendre que j’étais abandonnée. Assurément, je n’en croyais rien ; pourtant, à mesure que les jours passaient, des idées de plus en plus noires me remplissaient le cerveau ; je me disais parfois que je ne reverrais plus Julien… Hélas ! vous voyez !… »

La voix de la pauvre femme cessa de se faire entendre ; mais bientôt, jetant un regard sur la pendule, elle reprit :

« Julien m’écrivit : Il avait trouvé de l’ouvrage, non sans peine, et gagnait assez bon prix ; mais il était forcé de presque tout dépenser pour son loyer et son entretien. Cependant, il espérait bien pouvoir m’envoyer dans un mois l’argent nécessaire à notre voyage.

» Cette lettre me fut lue par un voisin ; car on ne m’avait appris ni à lire, ni à écrire. Et c’était pour cela sans doute, que la lettre de Julien était si courte et contenait peu de tendresses. Malgré ce raisonnement, j’en eus chagrin, et toutes sortes de suppositions cruelles roulèrent jour et nuit dans mon pauvre esprit. Je devins malade ; naturellement le petit, que je nourrissais, devint lui aussi tout chétif et languissant.

» Un mois après, j’eus une autre lettre. Ça n’allait pas mieux, au contraire ; l’ouvrage manquait. Je vis un mauvais sourire sur les lèvres du voisin.

» — Eh ! eh ! me dit-il, c’est toujours comme ça. Les jeunes gens partent avec de belles idées et de belles promesses ; mais dans les grandes villes…

» Non ! non ! Julien ne pouvait pas être ingrat ni trompeur. Je me répétais cela sans cesse ; mais je souffrais… que c’était pitié !

» Puis, je reçus encore un billet et un peu d’argent. — Rien de sûr, me disait-il ; il fallait attendre encore. Et ce furent les dernières nouvelles. En vain j’attendis, en vain j’écrivis, c’est-à-dire je fis écrire… Oh ! la grande tristesse que de ne pouvoir dans l’absence parler soi-même, seul, à ceux qu’on aime ! que d’être forcé d’ouvrir à des étrangers une moitié de son cœur en retenant l’autre, et de n’épancher le sentiment qui vous brûle qu’à travers la glace de l’indifférence, ou de la moquerie d’autrui !

» Toute ma vie se tendit sur un seul point : l’heure où chaque jour le facteur apportait les lettres ; et les jours et les heures étaient longs dans cette attente, et chaque fois devenait plus rude le coup de la déception. Ma tête se monta ; je me dis enfin que peut-être Julien m’oubliait, me trahissait. Il y avait longtemps que je lisais cette idée dans les regards de pitié qu’on jetait sur moi : elle m’entourait de tous côtés ; quand je n’eus plus la force de la repousser, je fus perdue.

» Aucune consolation, aucun sage avis ne m’était donné ; mon chagrin, renfermé tout en moi, me rongeait le cœur ; mais j’en serais morte avant de le confier à personne ; car je voyais les gens triomphants d’avoir eu raison contre notre amour, et ceux-là même qui me plaignaient ne le faisaient qu’en me donnant tort.

» Au milieu de tout cela, je me desséchais, comme sous le soleil l’herbe coupée ; et, ne pouvant enfin supporter plus longtemps un tel état, je me dis qu’il fallait mourir, ou aller rejoindre Julien. — Feignant d’avoir reçu une lettre par laquelle il m’appelait près de lui, je vendis notre mobilier ; puis je partis pour Lamballe, d’où je pris le chemin de fer jusqu’à Rennes.

» Ce fut mon malheur de m’arrêter là. J’avais fait deux parts de mon argent : l’une qui devait nous faire vivre quelques jours à Paris, l’autre pour payer la fin de notre voyage, et ce fut celle-ci qui me fut volée, ou que je perdis.

» Toucher à l’autre, c’était, dès nos premiers pas dans Paris, nous donner à la misère… Et si je ne trouvais pas Julien tout de suite, ou bien, s’il était malade, — cette raison-là était la seule qui pût expliquer son silence, et j’y revenais toujours, n’en voulant, n’en pouvant accepter d’autre. — Voilà pourquoi j’entrepris de faire à pied un si long chemin, bien que déjà malade et épuisée. D’ailleurs, quand on me dit que le train serait à Paris, le soir même, je ne pus croire que c’était si loin.

» … J’eus faim, j’eus froid ; je fus trempée tour à tour de sueur et d’humidité… Je vois bien que je vais mourir…

» Écoutez-moi, sœur Sainte-Rose, il ne faut pas croire que Julien soit un misérable. — Il le serait s’il abandonnait ses enfants. — Eh bien, ce n’est pas possible. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé ; mais Julien, je vous le jure, ne nous a pas abandonnés. Il reviendra ; il nous cherchera… Hélas ! Qu’il retrouve au moins ses enfants !

» Et enfin, sœur Sainte-Rose, quand il ne reviendrait pas, quand il serait mort. lui-même, il ne faut pas que nos enfants soient mis aux Enfants-Trouvés. Sœur Sainte-Rose, entendez-vous, il ne le faut pas ! Moi, leur mère mourante, je n’y consens pas, ce serait un crime ; car tout mon malheur est d’être sortie de là, voyez-vous. D’abord, Jean, qui n’est pas fort, le pauvre petit, y mourrait de misère et de dureté ; Joséphine, plus tard, serait méprisée et malheureuse comme je l’ai été moi-même.

» Le monde est ainsi fait. Ceux qu’il soupçonne, il les empêche d’être honnêtes. C’est odieux ; mais c’est comme cela, je le sais bien. Et pourtant, qu’a-t-elle fait, la pauvre innocente ? Ne souffrez pas qu’on perde à plaisir sa vie, sœur Sainte-Rose, ne le souffrez pas ! Jean, depuis qu’il est avec vous, est déjà bien mieux portant. Il vous aime… comme il m’aimait. Oh ! ma sœur, promettez-moi de protéger ces enfants, de les défendre, d’empêcher… Je vous dis que leur père viendra les chercher, sûrement… Cependant… s’il ne venait pas… vous ne les abandonneriez point, n’est-ce pas ! ma sœur. Ce sont de bons petits êtres ! Quand ils seront un peu plus grands, ils peuvent rendre bien des services ici. Ils ont besoin, voyez-vous, d’être aimés ; sans cela, on court risque d’être mauvais. Et vous les aimez, je l’ai vu. Oh ! je vous bénirai tant ! On dit que les morts peuvent bien des choses ; je prierai pour vous ; je vous ferai avoir toutes sortes de biens. Quelle plus grande charité que de faire de ces pauvres enfants des honnêtes gens, au lieu de misérables !… Promettez-moi donc cela, sœur Sainte-Rose ; autrement, voyez-vous, je maudirais Dieu : je serais damnée. Promettez-moi… »

ANDRE LÉO

(La suite à demain)

Feuilleton de L’OPINION NATIONALE
du 26 mars 1870.


SŒUR SAINTE-ROSE

NOUVELLE
Par ANDRÉ LÉO.



La demi-heure avait sonné.

— Il est temps de quitter la salle, dit la voix d’une religieuse.

Sœur Sainte-Rose pleurait. Son cœur n’hésitait pas ; mais ce qu’on lui demandait, c’était un acte de volonté, et sa volonté n’était plus à elle. Cependant, refuser une prière si juste, refuser cette mère mourante, était-ce possible ? Sous l’empire d’un de ces élans qui, sans laisser place à la réflexion, vous jettent au feu ou à l’eau, elle serra de toute sa force la main décharnée de la pauvre femme.

— Ah ! vous acceptez ! dit celle-ci d’un souffle éteint, mais ardent.

— Oui ! dit la jeune religieuse, sans savoir comment elle tiendrait parole, et pourtant sûre de la tenir.

Elle se soutenait à peine ; ses jambes tremblaient ; son cœur l’étouffait.

Tout à coup, l’accent d’une voix froide et claire la pénétra comme une lame.

— Eh bien ! sœur Sainte-Rose, vous vous oubliez, la demie est passée depuis six minutes.

C’était la voix de la supérieure. La jeune sœur balbutia quelques mots d’obéissance et pencha le petit sur sa mère pour les adieux. Elle sentit alors que la malade lui glissait un objet dans la main, et rencontra son regard, qui lui recommandait le silence. Puis, la pauvre mère embrassa les enfants de toute son âme, avec des larmes et des soupirs, qui eussent duré jusqu’à l’épuisement de sa vie, si la présence de la supérieure, quelques mots brefs qu’elle dit et son froid regard n’eussent tout refoulé. Dès que sœur Sainte-Rose fut hors de la salle, elle glissa dans sa poche, sans le regarder, l’objet que la mourante lui avait remis, et ce ne fut que le soir, dans sa cellule, qu’elle l’examina. C’étaient soixante francs en or, avec cette adresse : Julien Emaury, à Grenelle, rue du Marché, 20.

Tant d’émotions successives avaient brisé la jeune religieuse. Sa pensée, de quelque côté qu’elle se tournât, restait éperdue. La règle ! son vœu d’obéissance !… Déjà, combien elle avait gravement péché ! elle qui n’avait pas le droit de garder à elle sa pensée, qui devait tout dire, tout avouer, qui ne devait avoir en propre ni un sentiment, ni une volonté !…

Jusque-là, quelque honte et quelque tourment qu’elle en eût ressenti, elle avait tout révélé, depuis les mouvements les plus vifs de son cœur jusqu’aux velléités les plus fugitives, soigneuse d’arracher, à mesure, ces germes de vie sans cesse renaissants, — Et que de fois, lasse de ce travail éternel, meurtrie de tant de blessures, elle avait rougi d’elle-même et maudit la sève inépuisable qui faisait fleurir tant de choses mondaines en son cœur. Mais depuis quelques jours, ce n’était plus tout cela, c’était une passion véritable qui croissait en elle, et, comme ces merveilleux rameaux des légendes, s’étendait jusqu’à tout couvrir de son ombre. Et, bien loin d’éprouver le besoin de s’en accuser, elle l’avait abritée, cachée à tous les regards, à ceux même de son confesseur, juge sévère qui l’eût proscrite, elle le savait bien. Non, elle ne voulait pas arracher ce sentiment-là ; elle ne le pouvait ; de celui-là, les vrilles étaient les fibres mêmes de son cœur. Abandonner ces pauvres enfants, Oh ! jamais !…

Et Dieu ?

Dieu !… le Seigneur Jésus ! le doux Sauveur ! et la sainte Vierge ! Ces êtres surnaturels, si grands et si doux, qui méritent de la part des hommes tant d’amour, tout l’amour même, puisque, seuls, ils sont parfaits… Eux qui l’avaient comblée de tant de bontés, de douceurs si grandes, quand, à force d’avoir tendu vers eux sa pensée, elle arrivait enfin à sentir leur présence et à tressaillir d’amour en face de leur infinie grandeur… Oh ! pouvait-elle être à ce point ingrate et relapse !…

Mais elle a fait un serment ; elle a promis à cette mère mourante…

Et le serment qu’elle a fait au divin Époux, antérieur à celui-là, est-il moins sacré ?

Il est nuit ; sœur Sainte-Rose a éteint sa lumière, comme le veut le règlement, et elle s’est couchée : mais le tourment qui l’agite ne peut lui permettre aucun repos, ni même l’immobilité. Elle se lève : elle marche dans les ténèbres ; elle se prosterne et prie, avec larmes et sanglots. Si elle osait, elle irait au jardin respirer un peu. Ces murailles l’étouffent, — Encore ces désirs coupables d’espace et de liberté ? Oh ! non, non ! Elle vivrait paisible et joyeuse dans cette cellule, si les enfants lui étaient laissés. Elle bêcherait la terre, et travaillerait jusqu’à la mort, pour les nourrir, les aimer, les voir grandir autour d’elle. Elle ferait les plus durs pèlerinages ; elle irait à genoux jusqu’à Rome… À Rome ! quoi donc ? pourquoi ?… Demander au saint-père de La relever de ses vœux ? aurait-elle eu cette pensée ? de renier son vœu !… de rejeter l’alliance de Jésus !

Ce fut, à ce moment, comme une voix étrangère, qui passa près d’elle, disant : — La loi ne reconnaît pas tes vœux !

Mais elle frémit comme d’un sacrilége. Il n’y a qu’une loi, celle de la conscience, et les serments… Hélas ! elle en avait fait deux, deux serments contraires. Elle a promis à cette mère de sauver et d’élever ses enfants.

Horrible imprudence ! Quoi qu’elle fasse, elle sera parjure. Mais à qui doit-elle avant tout obéissance et fidélité, n’est-ce pas à Dieu ? Hélas ! elle ne peut que racheter sa faute, à force de prières et de larmes ; elle ne peut que pleurer, prier, demander pour ces enfants le secours de Dieu. Lui seul peut les protéger ; lui, suprême puissance et bonté suprême !… Ah ! sans doute ; et cependant ?…

Alors, elle, qui jusque-là s’en est remise de tout à la Providence, qui n’a jamais hésité, dans sa foi, à conseiller aux affligés ce dernier recours… maintenant qu’il s’agit des enfants, elle a peur, elle doute. Car enfin, il faut l’avouer, nombre de créatures de Dieu souffrent sur cette terre… La Providence ne semblait-elle pas déjà, ces pauvres petits, les avoir abandonnés ?… Et combien d’autres ne laisse-t-elle pas mourir !… Des anges au ciel ?…

Oh ! non, non ! Contre ce décret, tout céleste qu’il soit, le cœur de la jeune religieuse se soulève. Ils ne pourraient obtenir cette gloire, sans mourir. Mourir de souffrance, eux !… Et pourquoi donc mourraient-ils ? ne sont-ils pas nés pour vivre ?

Elle eut un élan d’indignation contre cette Providence implacable, qui pouvait sacrifier de pauvres petits enfants.

…… A-t-elle blasphémé ? grand Dieu ! Non, non ! seulement elle s’est trompée. La providence de Dieu n’agit point elle-même ; elle choisit dans l’humanité ses instruments, et si c’était sœur Sainte-Rose — cette pensée la fit tressaillir, — si c’était elle, que Dieu eût choisie pour sauver ces deux enfants…

Elle voulut le croire. Cette espérance répandit le baume dans ses veines, et sur le matin elle s’endormit.

Au réveil, un vif serrement de cœur la reprit, en même temps que lui revint le sentiment de sa situation, et ce fut vainement qu’elle rappela l’espoir accepté pendant la nuit. Rafraîchie par le sommeil, et en pleine possession de son esprit, elle voyait bien qu’il fallait choisir entre deux devoirs contradictoires, entre deux affections rivales. Jetant les yeux autour d’elle avec désespoir, elle rencontra le sourire de Petit-Jean, qui, dressé sur son lit, la regardait. Elle courut à lui d’un élan de cœur, le saisit dans ses bras, le serra sur sa poitrine ; l’enfant, remué par cette tendresse, jeta les bras autour du cou de sa mère adoptive, et, comme la veille, imprima ses deux lèvres sur sa joue.

— Oh ! s’écria-t-elle, dans un transport, je me damnerai pour toi s’il le faut !

Mais aussitôt, elle se demanda, pleine d’effroi, si ce n’était pas le démon qui lui soufflait de telles paroles ? mouvements du cœur et les objections de la foi se répondaient en elle à oscillations presque égales, et, de plus en plus éperdue, bientôt elle ne sut que souffrir.

Elle descendit, agitée d’une autre terreur, celle qu’on lui enlevât les enfants, comme on l’avait essayé la veille.

ANDRÉ LÉO.

(La suite à mardi.)


Feuilleton de L’OPINION NATIONALE
du 31 mars 1870.


SŒUR SAINTE-ROSE

NOUVELLE
Par ANDRÉ LÉO.

Le jour vint ; les bruits de la vie recommencèrent au dehors. Mais rien ne vint troubler le silence de la cellule. Vers huit heures, sœur Sainte-Rose qui, toute saisie de froid et de fatigue, se tenait repliée sur elle-même, et fermait les yeux, tressaillit, se leva et courut à la fenêtre. Elle venait d’entendre la voix plaintive de Joséphine, et elle vit en effet les enfants traverser la cour, la petite marchant à la main de la supérieure, tandis que Petit-Jean, porté par la sœur Sainte-Angélique, pleurait, agitait ses petits bras et cherchait du regard autour de lui. Et tout à coup ce doux mot que la veille, dans sa détresse, il avait prononcé pour la première fois, il le répéta de même, comme un appel : — Mamma ! mamma !

Ils disparurent. Joséphine avait sa petite cape, et l’on avait entouré Jean d’un vieux châle. Où allaient-ils ? où les entrainait-on ainsi ?

Oh ! si vraiment, contre les dernières volontés de leur mère, on avait la cruauté d’envoyer les enfants dans ce froid tombeau… Mais alors il fallait donc… il fallait agir… c’est-à-dire… se révolter contre l’autorité de la supérieure… invoquer la loi !…

Ce mot glaça le cœur de sœur Rose ; et elle restait là, tremblante, appuyée contre la fenêtre, éperdue de cœur et d’esprit. Les choses en étaient arrivées là !… Était-ce bien sûr ?.…

En face d’une lutte si formidable, en face des réalités, cette pauvre fille, dont toute l’existence n’avait été jusque-là qu’un rêve, eut peur.

La veille, dans la fièvre de sa douleur et de son indignation, elle avait conçu les pensées les plus hardies, et se fut crue capable de les exécuter sans hésitation. Mais à cette heure, brisée par l’insomnie et glacée, voyant l’événement si près d’elle, une terreur invincible la paralysait. Elle, rompre son vœu d’obéissance, causer un scandale pareil, faire une de ces choses dont le monde parle, se donner en spectacle à toute la ville, en exécration à toute la communauté !

Elle voila de ses deux mains son front et ses yeux. Ah !… mais ces enfants, ces enfants qu’on porte à la honte et à la misère, tout son cœur s’élançait après eux, suivi de sa conscience en courroux.

Ce n’est pas qu’elle manque de courage ; elle se dévouerait pour eux en silence avec bonheur ; mais habituée à tout renfermer en elle-même, une timidité invincible la retient au seuil de ce passage de la volonté à l’action.

Tout à coup la porte s’ouvrit, et la supérieure entra.

Cette vue terrifia sœur Sainte-Rose bien plus encore. C’était une personne si imposante que la Sainte mère ! Sa démarche lourde, sa taille épaisse, le ton gris-clair de son œil froid, la croix qui pendait sur sa poitrine, tout, jusqu’à son double menton, avait aux yeux de la jeune religieuse un tel caractère, que si elle eût dû représenter sous figure humaine l’autorité même, elle n’eût point imaginé d’autres traits que ceux de la supérieure. Elle vivait sous ce pouvoir depuis son enfance, et l’enfance et la jeunesse ont une puissance extraordinaire pour incarner leurs illusions autour d’elles.

D’une bouche moins naïve, la Sainte mère eût reçu le nom de grosse mère plus volontiers. Elle ne manquait pas, en effet, de vulgarité, bien qu’elle fût intelligente ; mais la vie qu’elle menait l’avait affaissée sur elle-même, dans un cercle de petits commérages et de petits soins ; puis, elle était de nature très positive, ainsi que l’indiquait son regard. Ce qu’il y avait encore de très imposant en elle, c’était la grande considération qu’elle se portait, et dont on ne pouvait manquer de recevoir l’impression en la voyant.

— Avez-vous compris, ma fille, l’étendue de votre faute ? dit-elle en entrant, d’un ton lent et dur. Vous avez commis l’acte de rébellion qui précipita dans l’enfer les mauvais anges, et vous avez manqué à vos serments envers le divin Époux, en attachant votre cœur à l’amour des créatures. La situation de votre âme, soumise au démon, me fait frémir. De peur que Dieu vous frappant dans sa colère, vous n’ayiez pas le temps de vous repentir, je veux bien suspendre pour une heure la réclusion que je vous ai imposée. Rendez-vous à l’église. Humiliez-vous, et pleurez votre crime. Votre confesseur va venir.

Que pouvait objecter une humble fille élevée dans ces croyances, et qui leur avait consacré sa vie ! Sœur Sainte-Rose se taisait ; jamais sa faute ne lui avait paru si grave, en effet, qu’en ce moment où les paroles de la supérieure lui en montraient la parenté avec l’acte de Satan lui-même. Le Diable est l’inventeur des révolutions, il n’y a pas à le nier. Et si la jeune religieuse eût été logique, un tel argument devait anéantir en elle tout esprit de révolte.

Mais son éducation l’avait, au contraire, soigneusement détournée du souci de coordonner ses idées et ses impressions. Il en résulta qu’effrayée dans sa conscience et subjuguée par l’ascendant de la Sainte mère, elle s’accusa, gémit, demanda pardon à genoux, en pleurant. — Mais quand elle vit la supérieure près de quitter la chambre, la pensée des enfants, exilés et malheureux, lui reprit le cœur, et elle s’écria :

— Dites-moi seulement, en grâce, ma mère, où sont les enfants ?

— Voici votre folie qui vous reprend, dit la supérieure en colère.

Et durement, elle ajouta :

— Ils sont partis. Vous ne les reverrez plus.

— Je ne les reverrai plus ! s’écria la pauvre fille, qui oublia tout le reste en cet instant. Oh ! non ! ce n’est pas possible ! Dieu n’est pas si cruel que cela. Ces enfants m’aimaient ; leur mère me les a donnés ! Ils ont besoin de moi ! Oh ! ne les faites pas souffrir comme cela, Sainte mère ! Tenez, j’en suis sûre, ils crient, ils m’appellent… On les rend malheureux, on me les tuera ! Ces gens n’aiment pas les enfants, ils ne savent pas…

Elle se jeta aux pieds de la supérieure en versant un torrent de larmes, et, joignant des mains suppliantes, que crispait son trouble et sa douleur :

— Sainte-Mère, vous le voyez, je ne puis pas être raisonnable ! Mais Dieu pourtant n’a pas maudit les enfants ! Jésus les aimait ! C’est au cœur des femmes qu’il a confié le soin de ces petits êtres… innocents… et qui ne méritent pas de souffrir ! Oh ! je vous en supplie, rendez-les moi ! Je ferai double tâche ici ; je les élèverai bien et leur apprendrai à aimer Dieu. Les enfants là-bas deviennent méchants, vous savez ; on ne les aime pas. Nous sauverons ainsi leurs âmes. Le petit, le docteur a dû vous le dire, a besoin de grands soins ; très sûrement, il mourrait là-bas… N’est-ce pas un crime que de laisser périr une créature de Dieu ? Un petit enfant surtout !… Au nom de Jésus !… ma mère !…

— Vous êtes décidément folle ! dit la supérieure en la repoussant. Rendez-vous à l’église. J’ai fait prévenir le père Valin, S’il n’a pas raison de vos fureurs, demain vous partirez pour notre maison de pénitence. Allez !

Elle-même la poussa dehors et des yeux la suivit jusqu’à l’église.

Cette explosion de sentiments vis-à-vis de la supérieure avait rendu à sœur Sainte-Rose toute son énergie. Quand elle entra dans l’église, le père Valin ne s’y trouvait pas encore. Elle se prosterna devant l’autel de la Vierge, et se livra, palpitante, à l’examen du terrible problème que, soit par l’action, soit par l’inertie, elle devait résoudre. Abandonner ces enfants ou les sauver ? — Les sauver !… Toute son âme s’emportait vers ce désir, mais… il fallait pour cela reprendre sa liberté ! Violer ses vœux !…

Abandonner les enfants, c’était violer un autre serment ; mais c’était bien plus : c’était vouer à la mort où à la misère, au vice presque sûrement, hélas ! deux êtres, ces deux êtres déjà chéris, qu’on avait remis à sa garde, qui s’étaient eux-mêmes donnés à elle de toute leur innocence et de tout leur cœur. Joséphine ! élevée dans cette maison, le sort de sa mère l’attendait, sinon plus de malheur et de honte encore. Lui, le cher petit, les tortures d’une longue agonie, sans l’amour et les caresses, qui jusque-là du moins avaient enveloppé ses souffrances de quelque douceur et l’avaient fait naître à la tendresse. — Mamma ! mamma !… — Sous ce doux appel, que sœur Rose croyait entendre encore, et dont tout son cœur tressaillait, elle se leva, fit quelques pas, et se prosterna de nouveau.

Elle attendait son confesseur, instinctivement, dans le besoin où elle était d’un secours, en de telles perplexités. — Mais que lui apporterait-il ? D’avance ne le savait-elle pas ?… Son langage serait le même que celui de la supérieure : il la menacerait de l’enfer… — Dieu, réellement, serait-il si sévère que de la damner pour avoir aimé ces pauvres et ces petits, dont il recommande l’amour ?… L’enfer ! Mais les enfants, le démon aussi les menace ; le malheur, l’abandon les lui peuvent livrer… Ne s’agit-il donc que de son salut, à elle seule ? Ne doit-elle penser qu’à cela ! Non, dans cette vie comme dans l’autre, c’est entre le salut de ces enfants et le sien qu’elle doit choisir. Il faut les perdre en se sauvant, elle, ou se perdre, elle, pour les sauver…

La question ainsi posée, elle sentit dans son sein comme une éruption de flammes, et tout ce poids de doute et de douleur qui l’oppressait lui fut soudainement enlevé : c’était le saint héroïsme du dévouement, qui venait de la remplir d’une énergie supérieure à toute crainte, et plus forte que toute entrave. Jamais dans la recherche solitaire des joies de Dieu, elle n’avait rencontré si vif enthousiasme, ni de telles grandeurs. Ce n’était plus l’épuisante et sèche ardeur de l’amour mystique, mais la vie même, l’inondant de ses flots sacrés, de ses joies les plus puissantes et de ses harmonies les plus pures, depuis l’éveil de l’aube et le premier sourire de l’enfant, jusqu’aux grands soirs des Thermopyles et de Mentana, jusqu’aux bûchers de Jean Huss et de Jeanne Darc. Elle se sentit en paix avec le bien et tout d’un coup cessa de croire à Satan.

D’un pas ferme, elle se dirigea dans l’église, jusqu’à la porte de la rue. Un bruit qui se fit entendre ne la troubla pas. Elle eût rencontré le prêtre qu’il ne l’eût point arrêtée. Elle traversa la ville et se rendit chez le notaire Bernafoux.

L’homme de loi fit un haut-le-corps en entendant cette jeune sœur expliquer le but de sa démarche, réclamer ses droits de tutrice, reprendre sa volonté. Devant ses clercs, qui purent en certifier, il ne manqua pas de lui représenter le scandale d’une pareille résolution. M. Bernafoux faisait les affaires de deux communautés et communiait tous les ans. — Cependant, il voulut bien remettre à sœur Sainte-Rose une copie du testament et l’engagea à se rendre chez le juge de paix.

Celui-ci était un voltairien libéral, avec les biais qui conviennent à un homme en place. Il reçut la jeune sœur avec bonté, l’appela mon enfant et se crut toutefois obligé de lui demander si elle avait bien compris toutes les conséquences de sa démarche. Apprenant qu’elle avait à peu près de quoi vivre et qu’elle voulait aller à Paris, il sourit et laissa voir qu’il ne désapprouvait pas cette hardiesse. Quant aux enfants, il fit des questions détournées, imaginant une intrigue.

Mais ces enfants ayant eu une mère, bien reconnue, et comme il ne pouvait soupçonner sœur Sainte-Rose d’en être le père, il n’y comprit rien, sinon que c’était peut-être un honnête prétexte. Il écrivit alors à la maison des Enfants-Trouvés à Alençon, et donna tous les ordres nécessaires pour que les enfants fassent remis à Mlle Céline Darry, en religion sœur Sainte-Rose. Enfin, il recommanda paternellement la jeune fille à de braves gens de sa connaissance, point dévots, assez indépendants pour ne pas craindre les rancunes du couvent, et qui voulurent bien la loger. Ce fut là qu’elle reçut le soir même la visite du père Valin.

Il ne réussit qu’à l’effrayer un peu, qu’à la désoler beaucoup ; mais ne put rien changer à sa décision. Il osa perfidement la prier de rentrer tout d’abord, et de fléchir la supérieure à force de soumission, se faisant fort, lui, d’obtenir plus tard que les enfants revinssent à l’hospice, pour être remis aux soins de leur tutrice. Mais, si peu défiante qu’elle fût, elle sentit le piége, et refusa. Il fit couler les larmes de la jeune fille en lui peignant la désolation que sa conduite causait parmi ses compagnes, et combien surtout le cœur de la Sainte-mère en était navré. Il parla, enfin, des vengeances de Dieu, de l’immoralité du parjure, des dangers du monde et de ses mépris. Cantonnée dans son dilemme, elle resta invincible.

— S’il faut sacrifier eux ou moi, répétait-elle, je préfère que ce soit moi. J’en ferai d’honnêtes gens et ils plaideront ma cause auprès du bon Dieu.

Elle écrivit, le soir même à sa sœur, qui habitait Paris, cette lettre :

Ma chère sœur,

Je ne sais comment tu prendras la chose que je vais te dire. Je sors de mon couvent. Ce n’est pas par manque de religion, ni désir de vivre dans le monde, c’est pour élever deux pauvres petits enfants, dont la mère est morte et me les a confiés. J’avoue que je les aime de tout mon cœur ; mais j’espère que Dieu me pardonnera ; si tu n’es pas trop fâchée, ou ton mari, ce me serait un grand secours d’être auprès de vous, du moins dans les premiers temps ; car je n’entends rien aux usages de la vie, surtout à Paris.

« C’est là pourtant qu’il faut que j’aille vivre pour n’être pas connue et mal regardée. Tu as toujours été bonne pour moi, et je ne pouvais pas d’abord songer à me rendre ailleurs qu’auprès de toi, si tu veux me recevoir. Je crois bien être à Paris lundi, par le train du soir, et si je vous trouvais à la gare, j’en serais heureuse ; sinon, je me logerai près de là, dans une petite chambre et vous écrirai où je suis.

» Ta sœur, née Céline Darry, en religion, sœur Sainte-Rose.

» Car je prie ma patronne de vouloir bien me garder sous sa protection, comme je garderai toujours son saint nom.

À cause des démarches nécessaires pour qu’on lui rendit les enfants, sœur Sainte-Rose dût passer à M… la journée du lendemain. Elle ne pouvait, renonçant à son voeu d’obéissance, garder plus longtemps l’habit religieux. La bonne femme chez qui elle logeait fut donc chargée d’acheter de simples habits de ville, que sœur Sainte-Rose revêtit, non sans douleur. Comme toutes les natures peu cultivées, qui embrassent rarement d’un seul coup d’œil toutes les conséquences de leur décision, le fait extérieur avait à ses yeux une grande importance, il accentuait l’acte et même, à bien des égards, le révélait sous un jour nouveau.

Elle pleura de quitter le saint habit et d’être vêtue de manière mondaine. À se voir passer dans le miroir de sa petite chambre, ne se reconnaissant plus, elle avait honte. Elle souffrait de sentir son front nu frappé par l’éclat du jour, et regrettait la vaste coiffure, dans laquelle s’abritait si commodément autrefois son impressionnabilité un peu sensitive. Un son de voix, un mouvement, un rien, faisait passer incessamment sur ses joues des rougeurs plus ou moins vives, et ses paupières, seul voile qui lui restât, s’abaissaient à chaque instant.

Avec cela son hôtesse, qui aimait à causer, ne lui épargnait pas les remarques. Elle s’émerveillait maintenant que sœur Sainte-Rose n’eut pas plus qu’une autre l’air d’une religieuse, mais d’une jolie fille tout simplement, « sauf, qu’avec son air timide, elle ne portait pas plus de vingt ans. » Elle eut soin aussi de lui apprendre que toute la ville était en rumeur à cause d’elle, et que l’on en disait… Dieux !… les femmes surtout… Sans compter que les hommes en pensaient bien d’autres et le laissaient voir à certains mots.

— Et pourtant, moi, je jure à tous et je jurerais sur mon âme que vous entendez rester honnête.

— Honnête, dit la jeune fille émue ; qui peut en douter ?

— Ah ! pauvre chère demoiselle, on voit bien que vous ne connaissez pas le monde. Si l’on doute ? Les gens ne font que cela. Ne dites jamais à personne là-bas que vous avez été religieuse ; car ceux même qui font fi de l’Église ne seraient pas les derniers à crier sur vous.

Et peu à peu, sans malice, elle finit par dire à peu près tout ce qu’elle avait entendu. Sœur Rose, heureusement n’en comprit pas la moitié.

Cependant elle souffrait vivement de ces caquetages, de ce bruit fait autour d’elle. Plus elle entendait parler d’elle-même moins elle se sentait comprise et plus se trouvait étrangère, dans ce monde inhospitalier, inconnu. Sans la pensée des enfants, comme elle eût fui, sans crainte des sévères punitions qui l’attendaient vers le couvent, un asile au moins pour sa pudeur ! Elle eût voulu se dérober à la vue, à la pensée même, de tant d’indiscrets, et se comparait à ces pauvres oiseaux de l’ombre, autour desquels s’ameutent, avec huées et grands coups de bec, les oiseaux criards du jour.

ANDRÉ LÉO.

(La suite à demain.)

Feuilleton de L’OPINION NATIONALE
du 1er avril 1870.


SŒUR SAINTE-ROSE

NOUVELLE
Par ANDRÉ LÉO.


À la nuit tombée, elle vit entrer furtivement chez ses hôtes le docteur Marinier, un peu effaré, mais tout joyeux. Il la complimenta vivement sur son courage et la remercia, non moins vivement, de ne l’avoir point dénoncé.

— On a pourtant des soupçons contre ma langue, au moins ; mais bah ! je m’en moque. Après tout, le couvent a plus besoin de moi que je n’ai besoin du couvent… Vous savez que l’on vous croit sérieusement possédée du diable, et que toutes les bonnes sœurs se signent en parlant de vous. Une sœur si douce et si pieuse autrefois ! dit-on de toutes parts. — Eh ! leur dis-je, c’est bien cela, précisément, l’eau qui dort. — C’est égal, vous avez un courage superbe et un cœur !… Et, quoi qu’on en dise, vous ne faites cela que pour les enfants. Je l’ai bien vu, moi.

Sœur Sainte-Rose quitta la ville dès le lendemain matin, et partit pour Alençon, emportant, grâce à la sollicitude de ses hôtes et à celle du docteur Marinier, une somme qui devait suffire à son voyage et aux premiers besoins de son installation.

À l’hospice des Enfants-Trouvés, quand on lui amena Jean et Joséphine, et que — après avoir un instant hésité à la reconnaître, à cause de son nouveau costume, — les deux pauvres petits se jetèrent sur elle en criant de joie, elle oublia toutes ses angoisses, toutes ses amertumes ; prenant l’un dans ses bras, l’autre par la main, le cœur si enivré qu’elle n’avait plus honte : elle traversa la ville pour se rendre à l’embarcadère.

Et quand elle les eut là, près d’elle, dans le wagon, tous les deux, là, bien à elle ! à elle toute seule ! et sans crainte qu’on pût les lui enlever, un bonheur immense remplit son cœur ; elle n’était plus religieuse : elle était mère. Et tandis qu’elle les regardait de toute son âme, avec ce beau sourire maternel, si plein d’amour, de fécondes promesses, dont le sourire du ciel sur la terre au printemps n’est que l’ébauche, eux aussi, tout heureux de se retrouver dans cette atmosphère chaude et tendre dont elle les enveloppait, lui répondaient par mille sourires, qui éclataient de toutes parts, aux coins de leurs lèvres mignonnes, dans les fossettes des joues et du menton, dans leurs yeux brillants.

Que de caresses échangées ! que de doux soins, de friandises, de bonheurs ! Le voyage fut court. Ils arrivèrent le soir à Paris, et ce fut seulement en posant le pied sur l’asphalte de la gare qu’un serrement de cœur saisit de nouveau la déclassée. Était-elle abandonnée dans cette ville immense ? Allait-elle retrouver les siens ?

Ils étaient là. Annette Darry avait, elle aussi, du cœur, et son mari, brave homme, avait accepté la fugitive, à condition toutefois que sa rupture de ban serait soigneusement cachée à leur entourage. Une chambre avait été louée pour Céline dans la maison même qu’habitait sa sœur, et elle reçut, avec ses enfants adoptifs, l’hospitalité cordiale du petit ménage.

Six mois s’étaient passés. Afin de subvenir à l’insuffisance de son trop petit avoir, Céline avait appris l’état de fleuriste, qui était celui de sa sœur, et déjà son travail commençait à lui rapporter l’aisance. Les enfants, frais et propres comme des babies anglais, avaient fort grandi : Joséphine commençait à bien lire et à coudre un peu ; Jean courait partout, comme un homme, et faisait beaucoup de bruit.

En le voyant si rose et blanc, si joufflu, si large d’épaules, en entendant sa voix, d’une remarquable sonorité, aucun des habitants de la petite ville de M…… n’eut reconnu l’enfant chétif, presque rachitique, recueilli par les deux sœurs grises, sur le grand chemin. Il n’était pas absolument très sage, il faut bien le dire ! il faisait plus d’une sottise ; mais il avait en ces moments-là précisément, une manière de regarder sa maman et de l’embrasser, qui faisait trouver le méfait plus charmant qu’une bonne action. On en raffolait dans le voisinage, tout en avouant que sa mère le gâtait un peu. Car nul ne doutait que madame Céline Darry, une veuve de province, ne fût la mère de ces deux enfants.

Les veuves dont nul n’a connu le mari, inspirent toujours des soupçons ; mais il n’en naissait point près de celle-ci, d’un air si pudique, et tout ensemble si candide et si réservée. On ne la trouvait que trop imposante, malgré sa douceur, et plus d’un n’osait l’aborder, qui pourtant s’en mourait d’envie. Elle consacrait tous les jours une heure à promener ses enfants dans le square voisin. On admirait sa grâce et son intelligence maternelle, et l’on se disait tout bas que si elle ne jetait ainsi les yeux ni à droite, ni à gauche, ni en dessous, et se montrait si dépourvue de coquetterie, si uniquement attachée à ses enfants, c’est qu’elle n’était pas consolée de la perte de son mari. D’autres pourtant la trouvaient bien jeune, et parfois embellie d’un trop frais sourire, pour admettre qu’elle renfermât en son cœur un grand chagrin.

Et ceux-ci avaient raison. Dans ce milieu nouveau, occupée des enfants qui grandissaient près d’elle, Céline, la sœur Sainte-Rose d’autrefois, s’épanouissait comme une fleur transportée de l’ombre à la lumière. Au sein d’une famille qui l’aimait et la respectait, peu à peu ses inquiétudes religieuses s’étaient apaisées, et elle s’était livrée tout entière à cet amour, le plus beau des amours humains, qui l’avait arrachée aux illusions de l’amour mystique.

Sa croissance intellectuelle et morale, arrêtée par la vie monastique, reprenait son cours, avec les énergies de la vingt-sixième année.

— Pour instruire ses enfants, elle voulut savoir ; elle lut, écouta ; ses préjugés un à un tombèrent ; ses remords bientôt s’évanouirent ; et elle comprit qu’en donnant son cœur aux affections naturelles, joies et vertus de cette vie, elle n’avait pu offenser Dieu. La poésie, qui la ravissait, l’aida à comprendre, ou plutôt à formuler, ce qu’elle portait en son propre cœur, la sublimité de cette vie humaine, que follement, autrefois, on lui avait appris à maudire. Elle se sentit, dès lors, si heureuse, en paix avec sa conscience, et pouvant dispenser le bonheur à ses adoptés chéris !…

Ce fut une floraison magique, admirable, de toutes ses facultés à la fois. Ses joues prirent le coloris de la santé, de pures flammes brillèrent dans ses yeux ; sa taille devint souple, vivante ; son esprit s’anima de charmantes saillies, sur un fond d’éternelle naïveté. Tous ceux qui la voyaient se sentaient charmés et pénétrés de nobles croyances. Les deux enfants l’adoraient.

Céline, cependant, n’avait point oublié la recommandation dernière de la pauvre morte, ni les devoirs qui lui restaient à remplir vis-à-vis du père des enfants. Peu de temps après son arrivée à Paris, elle était allée à Grenelle, et à l’adresse indiquée s’était informée de Julien Emaury. On s’était rappelé assez vaguement avoir vu quelqu’un de ce nom parmi tant d’ouvriers, qui passaient là plus ou moins de temps ; mais il avait disparu depuis trois mois tout au moins, et même avait laissé, pensait-on, quelques effets qu’il n’était point venu réclamer. On n’en savait davantage. Des recherches faites par le beau-frère de Céline restèrent également sans résultat. On pensa que Julien Emaury avait été victime de quelque accident, et Céline, un peu égoïstement, n’y pensa plus, car elle ne cherchait ce père qu’avec une peur invincible de le trouver.

Elle se reposait donc en toute sécurité dans son bonheur, la vie claustrale lui ayant laissé un fond d’imprévoyance enfantine, qu’aucune expérience d’ailleurs n’était venue modifier.

Un jour, elle était dans sa chambre avec les enfants ; tout en roulant entre ses doigts des tiges de lilas, qu’elle montait en grappes, elle faisait lire Joséphine contre ses genoux ; Jean, à cheval sur un tabouret, voyageait par la chambre, et de temps en temps, cherchant les yeux de sa jeune maman, se faisait encourager d’un sourire. Tout à coup, sur le seuil de la porte restée ouverte, parut un jeune homme, un ouvrier, de bonne tournure et de bonne mine, mais dont l’air un peu étrange, moitié attendri, moitié sévère, frappa Céline d’une appréhension instinctive. Il avait regardé tout d’abord les enfants, puis s’adressant à la jeune fille :

— C’est vous, dit-il, qui êtes mademoiselle Darry, en religion, comme ils disent, sœur Sainte-Rose ?

Fort saisie d’entendre cet inconnu la nommer ainsi, mais, incapable de nier la vérité, Céline répondit :

— Oui.

— C’est donc vous qui m’avez pris mes enfants ! répliqua-t-il.

Elle se leva toute éperdue, fit un pas vers les enfants, les bras étendus, et s’évanouit.

ANDRÉ LÉO.

(la suite à mardi.)

Feuilleton de L’OPINION NATIONALE
du 7 avril 1870.

SŒUR SAINTE-ROSE

NOUVELLE
Par ANDRÉ LÉO.

Quand Céline rouvrit les yeux, elle vit le jeune ouvrier penché sur elle, d’un air d’inquiétude et de bonté ; mais cela ne put effacer l’impression douloureuse qu’elle ressentait de sa présence. Elle avait compris que cet homme venait lui prendre sa vie, ses enfants ! Aussi, ne put-elle s’empêcher de le repousser, et détournant la tête avec un gémissement, elle se mit à fondre en larmes.

— Diable : s’écria-t-il, je vois que je suis le mal venu. Je ne vous ai rien dit de mal pourtant, il me semble. Il y a deux mois que je cherche mes enfants dans tout Paris ; j’en étais bien un peu en colère… Ainsi vous les aimez donc beaucoup ?… Eh bien ! ne dois-je pas les aimer, aussi, moi !

Et voyant qu’elle était maintenant assez forte pour se soutenir, sur le siége où il l’avait fait asseoir, il la laissa et courut aux enfants, en s’écriant :

— Je ne les ai pas encore embrassés !

Ils le regardaient de tous leurs yeux l’un et l’autre, étonnés, inquiets, de l’état de leur maman et de la présence de cet étranger.

— Tu ne reconnais pas ton papa ! Joséphine, dit le jeune homme, en prenant la petite fille dans ses bras.

— Non ! dit-elle, non ! en le repoussant. Et tournant les yeux vers Céline, elle cria : — Maman ! d’un ton plaintif.

Le père attristé, la posa par terre, après l’avoir, malgré elle, embrassée, et alors courant se réfugier près de sa maman, Joséphine se colla contre elle, pencha la tête sur ses genoux, et de là se mit à regarder l’étranger, d’un air moins craintif que malicieux.

— Et toi, Jean ? dit-il.

Mais déjà l’enfant avait imité le mouvement de sa sœur, et l’un et l’autre, campés aux deux côtés de leur mère adoptive, semblaient défier toute attaque.

Les voyant ainsi tous trois groupés contre lui, elle si triste et si pâle, eux presque hostiles, le père, d’un air tout chagrin, s’assit en face d’eux, et dit, en laissant tomber ses mains sur ses genoux :

— Allons !…

— Mon Dieu ! c’est vrai, dit alors la jeune fille, d’une voix brisée, nous le recevons bien mal !… Enfants, c’est votre père… Joséphine, tu sais…

La voix lui manqua ; mais non le courage ; elle se leva, prit les deux enfants par la main, et les conduisit près de leur père :

— C’est votre papa, mes enfants, embrassez-le. C’est un bon ami.

Ils consentirent alors, et il les prit tous deux sur ses genoux ; les regardant tour à tour, il les embrassait de même. De grosses larmes se mirent à couler sur ses joues. Quant à Céline, elle alla s’asseoir dans un coin, en s’efforçant d’étouffer ses sanglots.

Elle n’y fut pas longtemps seule ; bientôt, les enfants, échappant à leur père, vinrent la rejoindre, et Julien Emaury s’approcha lui-même ensuite, d’un air embarrassé.

— Je suis venu vous bien déranger, dit-il, je le vois ; il est clair que l’on n’avait pas besoin de moi ici. Pourtant… vous comprenez que c’est mon devoir d’aimer mes enfants et d’en prendre soin. Et vous ne sauriez m’en vouloir, à cause de cela ?

— Oh ! non, monsieur, dit-elle, non certainement ! — après avoir furtivement essuyé ses yeux.

— Comme cela, reprit-il ému, vous vous y êtes donc beaucoup attachée ?

Une pareille question !… Elle ne put y répondre que par des larmes.

Le jeune ouvrier fit un grand geste et marcha précipitamment dans la chambre.

— Ah ! s’écria-t-il, si vous saviez quelle émotion ça me fait votre chagrin, moi qui vous dois tant de remercîments !… Et avec ça que je m’en suis joliment acquitté tout à l’heure, quand je suis entré !… c’est que je ne m’attendais pas du tout… On m’avait dit, à M…, des bêtises… mais à présent, voyez-vous, rien que de vous voir pleurer comme ça, et de trouver les petits si propres, si gentils, et si attachés à vous, je vous connais tout de suite ! Vous êtes une digne et brave personne, oui !… Et ma pauvre femme a eu bien raison !… Ah ! quel malheur j’ai eu là, mam’zelle Rose !…

Il passa la main sur ses yeux, fit de nouveau quelques pas, et après avoir toussé pour s’éclaircir la voix, il reprit :

— Ne pleurez pas comme ça, je vous en prie ; vous sentez bien que je ne vas pas vous les emmener aujourd’hui.

La jeune fille se leva et s’approcha de lui, les mains jointes. Ses regards, l’expression de son visage comme son attitude, tout était prière, une prière ardente… cependant, elle ne put prononcer d’autre mot que : Monsieur !…

Et sa voix s’éteignit dans un flot de larmes.

— Ah ! mais, s’écria-t-il, c’est trop fort, que je vous cause une pareille désolation ! Tenez, j’aime mieux me sauver. Ce n’est pas pour dire que je ne reviendrai pas ; ça ne serait pas possible. Mais… prenez le temps de vous remettre ; nous causerons ensuite et vous verrez que je ne suis pas méchant.

Il enleva tour à tour chacun des enfants dans ses bras, les regarda, les baisa, les serra contre son cœur, et sortit.

Annette, absente pendant cette visite, en reçut aussi la nouvelle avec une très vive émotion, mais qui se rattachait à un autre ordre de sentiment. — Eh ! quoi, le père de ces enfants, ce père déclaré mort, allait se montrer vivant ! et qui pis est, n’être point le mari de celle qu’on croyait leur mère ! Comment expliquer cela ? comment revenir sur les déclarations faites, assez imprudemment, à leurs connaissances ? Que diraient Mme Brochant, M. Zinet, Mme Laffre ? et tous les autres amis ? Paris n’est un désert d’hommes que pour ceux qui y vivent sans relations de famille ou d’amitié ; encore en ce cas, sont-ils sujets liges des commérages de la loge. Mais du moins, à ceux-là il suffit de changer d’appartement pour changer de monde et au besoin d’état civil. Il n’en était pas ainsi du beau-frère et de la sœur de Céline. M. et et Madame Vallon avaient, grâce à Dieu, leurs connaissances, autrement dit leur petite ville dans Paris, où les commérages, en ces conditions, valent bien ceux de la province. Raconter la vérité simple de l’aventure, avouer que Céline était une religieuse en rupture de vœux, Annette eût préféré bâtir à nouveau mille et une histoires.

Ce n’est pas qu’on ne se piquât, chez l’employé parisien, d’une certaine dose de tolérance. On y suivait à son tour ces courants de l’opinion, qui emportent à un moment donné toute la masse ; mais on se trouvait dans les derniers flots ; et puis, pour les choses générales, c’est bien ; on s’accommode encore volontiers des théories ; mais la bonne Annette, qui savait son monde, sentait fort bien que les deux ou trois esprits forts de la société seraient les premiers à blâmer Céline, et à la juger légèrement.

Aussi le lendemain, quand revint Julien Emaury, ce fut Annette qui le reçut. Ce qu’elle lui dit, où elle en voulait venir, il ne put d’abord le comprendre, et il est certain qu’Annette elle-même ne le savait pas très bien. En effet, demander à ce père de renoncer à son titre et à ses droits, était ce possible ? Elle ne pouvait se le permettre, et pourtant, quel autre moyen de sauver l’honneur de Céline ? Aussi Mme Vallon s’embrouilla-t-elle en circonlocutions et en réticences qui jetaient la plus grande confusion dans son discours. Elle finit d’une voix émue par supplier Julien de ne point perdre sa sœur.

— Il faudrait que je fusse un grand ingrat ! s’écria le jeune ouvrier. J’ai bien vu que cette demoiselle est fortement attachée à mes enfants, et que ce n’est point, comme on me l’avait insinué à M…, pour couvrir un coup de tête qu’elle les avait emmenés. J’avais craint de les trouver malmenés, misérables, abandonnés peut-être, et je les revois propres, frais, gentils comme de petits princes, et aimant votre sœur comme une vraie mère. Oui, ça m’a touché le cœur plus que je ne pourrais vous dire. Mais enfin voyons, que voulez-vous que je fasse ? À la manière dont vous avez arrangé les choses, je n’y vois pas la moindre place pour moi et cependant il m’en faudrait une, si petite que vous voudrez.

ANDRÉ LEO.

(La suite à demain.)

Feuilleton de L’OPINION NATIONALE
du 8 avril 1870.


SŒUR SAINTE-ROSE

NOUVELLE
Par ANDRÉ LÉO.

Annette, en regardant ce beau garçon, de figure ouverte, de haute taille et de franche allure, se dit en soupirant que ni dans la vie intime, ni dans l’attention publique, une petite place ne lui suffirait.

— Mais, reprit-elle, vous n’avez pas l’intention, seul comme vous l’êtes, de reprendre, au moins tout de suite, vos enfants !

— C’est à quoi je n’ai fait que penser depuis hier, dit-il ; en effet, je ne puis pas. Il me faudrait toujours les placer quelque part, et puisque vous les aimez et qu’ils sont si bien chez vous…

— Nous les gardons, c’est convenu, dit Annette, heureuse de gagner du temps. Seulement, si vous êtes un bon garçon, vous les viendrez voir… de temps en temps… quand nous serons seuls… sans dire qui vous êtes, et sans parler de la chose à personne. Plus tard, nous verrons… Ma sœur peut-être, elle-même, deviendra plus raisonnable. Je lui ai dit souvent que ces enfants gêneraient son avenir ; mais elle n’aime qu’eux et ne songe point à se marier.

— Se marier ! une religieuse ! exclama Julien.

— Elle ne l’est plus, répliqua Mme Vallon, d’un ton un peu sec.

Et la conversation en resta là. Ces conclusions rapportées à Céline la calmèrent. Les natures jeunes, sont confiantes en la vie, et prennent facilement à la lettre le proverbe : « Qui a terme ne doit rien » L’espérance en elles est plante si vivace, qu’elle couvre sans façon de ses rameaux verts tout ce qu’elle ne veut pas voir.

Céline se résigna aux visites de Julien, et l’impression pénible qu’elles lui causaient d’abord, une fois surmontée, elle accepta cordialement l’intimité, que leur imposait une affection et des préoccupations communes. Rien comme l’amour des enfants n’adoucit le cœur et l’attendrit. Penchés l’un et l’autre vers ces deux chers petits êtres, à tous moments, ils se rencontraient.

C’était le soir, après sa journée, que Julien accourait voir ses enfants. Si vite qu’il eût dîné et fait un bout de toilette, il était toujours un peu tard ; on couchait déjà le marmot ; Joséphine restait la dernière. Mais bientôt, assise sur les genoux de son père, son babil s’alanguissait, ses yeux se fermaient, et Julien, après l’avoir embrassée, allait la déposer dans les bras de Céline, qui l’emportait. Julien attendait le retour de la jeune fille, afin de lui dire bonsoir, de la remercier, de causer encore un peu des enfants, et cela durait ainsi quelquefois jusqu’à dix heures.

Peu à peu, les visites du jeune ouvrier devinrent plus fréquentes. Il changea d’atelier pour se rapprocher des Vallon, bientôt il vint tous les soirs.

On l’aimait ! on appréciait sa droiture, son bon cœur, son intelligence. M. Vallon le trouvait bien un peu vif sur les questions brûlantes de l’époque ; mais nouveau-né à la vie de la pensée, le jeune ouvrier dévorait les livres, les journaux, et ne s’arrêtait pas volontiers en si beau chemin. Céline, qui l’écoutait avec attention, inclinait à le croire sur toutes choses ; Annette le tenait pour le plus excellent garçon ; mais elle et son mari n’en étaient pas moins sur les épines pendant ses visites, du moins jusqu’à ce que les enfants fussent couchés ; car, je vous prie, que fût-on devenu, si devant Mme Pimprelle ou M. Grenier, les enfants, les enfants de Mme Céline, avaient appelé ce jeune homme : papa !

Cette pauvre Annette changeait de couleur chaque fois que retentissait la sonnette, et l’on faisait évader Julien par la cuisine, lorsqu’un voisin, chose heureusement assez rare, venait le soir. Toutes ces cachotteries, qui faisaient rougir Céline, impatientaient fort Julien. Et même encore, avec tant de précautions, tout n’était pas sauf. Restait à savoir ce que pensaient les concierges. Mme Vallon voulut bien leur apprendre que Julien était son cousin et le parrain des enfants. Mais un jeune parrain qui vient tous les soirs !

Dès la seconde visite, Julien Emaury avait raconté les motifs du long silence qui avait causé la mort de sa pauvre femme et l’avait fait soupçonner par les Vallon d’avoir abandonné ses enfants.

« Il avait trouvé une bonne position et s’apprêtait, joyeux, à écrire à sa femme qu’elle vint le rejoindre, quand un soir, en sortant de l’atelier, il rencontra sur son chemin un attroupement d’étudiants, auxquels s’était joint par curiosité quelque populaire. Lui aussi, pour voir s’arrêta, et il était là depuis cinq minutes, quand il sentit tout à coup une grêle de coups de poings s’abattre sur lui.

Instinctivement, il avait répondu en pareil langage à de telles avances ; mais l’agresseur, appelant à l’aide, cinq ou six hommes étaient accourus, avaient entouré Julien, l’avaient criblé de coups, et l’avaient traîné au poste ; là seulement, il sut qu’il avait eu affaire à des agents de police.

— Canailles ! s’écria-t-il furieux, est-ce pour battre les gens qu’on vous paye ?

— Nous faisons ce qui nous plaît, répondit l’un d’eux, et voici pour te le prouver.

De nouveau, ils le frappèrent, en l’accablant des plus grossières insultes, et l’un d’eux lui asséna sur la tête un coup si malheureux, que Julien s’évanouit.

Il ne retrouvait toute sa connaissance qu’un mois après, à l’hôpital, où, pendant plus de quinze jours encore, faible et condamné au silence par le médecin, il ne put songer à écrire ; d’ailleurs, il ne se rendait nul compte du temps écoulé. Il se levait enfin et allait prendre la plume, bien chagrin de n’avoir que de mauvaises nouvelles à mander à sa famille, quand il reçut une assignation pour avoir à répondre de coups et injures contre des agents de la force publique dans l’exercice de leurs fonctions.

Si peu gai qu’il fût, il se mit à rire.

— À la bonne heure, se dit-il, voilà qui m’épargne de la peine ! Je voulais les aller chercher et ne savais où les prendre. Ils viennent ; c’est bien fait !

Et il alla gaillardement à son interrogatoire ; mais il en revint tout autre.

Voilà ce qui s’y était passé :

— Pourquoi avez-vous résisté aux agents de l’autorité ? lui demanda-t-on.

— Vos agents ! ce sont des polissons ; ils m’ont…

— Vous aggravez votre faute par cette épithète…

— C’est vrai ; j’aurais dû dire des bandits. Figurez-vous qu’ils se sont jetés sur moi…

— Prévenu, vos paroles sont des plus blâmables. Vous devez respecter les agents de l’ordre.

— De l’ordre !… ça n’est pas de l’ordre qu’ils font ; c’est du désordre et de l’insolence.

— Votre langage est celui d’un révolutionnaire, et prouve qu’ils ont eu raison de vous châtier.

— Me châtier ! eux ! de quel droit ?

— Monsieur ! vous insultez le pouvoir !

— Ah çà ! dit Julien, sérieusement étonné ; j’ai dormi plus d’un mois et ne sais pas ce qui s’est passé, Est-ce qu’en France nous ne serions plus chez nous ?

— Que voulez-vous dire ?

— Simplement de savoir si nous avons été conquis par l’étranger ? Ou bien si c’est revenu comme avant la Révolution, quand les gens appartenaient au roi et à ses valets ? Car être poursuivi pour avoir été battu, je vous jure, ma foi, que ça me renverse un peu les idées.

— Ce prévenu est un homme dangereux, dit le juge.

ANDRE LÉO

(La fin à demain)

Feuilleton de L’OPINION NATIONALE
du 9 avril 1870.


SŒUR SAINTE-ROSE

NOUVELLE
Par ANDRÉ LÉO.



Grâce pourtant à l’avocat de Julien, qui produisit les certificats de l’hospice, et démontra que son client avait failli perdre la vie, le tribunal voulut bien user de quelque indulgence ; il ne condamna l’accusé qu’à trois mois de prison.

— Oui, poursuivait Julien, c’est comme ça que je suis devenu républicain. Auparavant, il y avait bien quelques camarades d’atelier qui m’avaient parlé de politique ; mais je les laissais dire et ne m’en occupais point, tandis que ces gens-là firent mon éducation tout d’un coup. Et depuis ce temps, voyez-vous, l’on ne m’attrape plus avec des mots ; je regarde au fond, et quand je vois un tas d’imbéciles se laisser insulter, bâtonner, rançonner, voler et tuer par amour de l’ordre, à ce qu’ils disent, je pense qu’avant de louer, comme on fait souvent, l’intelligence de l’espèce humaine, il faudrait attendre un peu.

Après sa condamnation, Julien, quoique désespéré, avait écrit à sa femme, mais celle-ci avait déjà quitté le pays ; la lettre resta chez des voisins insouciants. Une seconde, envoyée de la prison un mois plus tard, eut le même sort, et ce fut seulement après une nouvelle attente que, s’étant adressé enfin au maire de sa commune, Julien apprit le départ et la mort à l’hospice de M… de celle que toujours il nommait sa femme avec un respect douloureux. On lui avait appris en même temps que la nommée Marie-Catherine avait légué la tutelle de ses enfants à une sœur de l’hospice.

Au sein de cette douleur et dans cette inquiétude, il avait fallu pourtant que Julien attendît l’époque fixée pour sa sortie de prison ; il avait fallu de plus qu’à force de travail et de privations, il gagnât l’argent nécessaire au voyage de M… Là, il avait appris le départ de la religieuse avec ses enfants, et on n’avait pu lui donner que le nom du beau-frère de la sœur Sainte-Rose et l’indication assez vague de son emploi ; si bien qu’il avait dû consacrer encore des semaines à cette recherche.

— Voilà comment, dit-il, j’arrivais inquiet, irrité, et comment je fus si surpris et si heureux de trouver mes enfants entre les mains d’une personne…, si…, telle que Mlle Céline, enfin…

Ces épithètes qu’il n’osait dire, erraient sur ses lèvres et étincelaient dans ses yeux : M. Vallon riait, en regardant Céline ; celle-ci, rougissante, se penchait pour embrasser les enfants, et Annette avait un sourire capable et fin, qui disait beaucoup de choses.

Leur beau jour, c’était le dimanche, parce qu’ils allaient ensemble à la campagne, dans les bois, se promener, causer, jouer en toute liberté. Le papa et la maman, naturellement, suivaient les enfants, qui, selon l’usage des enfants, des papillons et des oiseaux, couraient en zigzag, de tous côtés, au caprice ou à l’aventure. M. et Mme Vallon, gens plus posés, restaient dans l’allée ou dans le chemin, laissant Julien et Céline se disputer la surveillance des bambins et se suivre pas à pas.

— Sais-tu que nous avons l’air de patronner des amoureux ? disait M. Vallon à sa femme.

— Et pourquoi pas ? répondait Annette en souriant.

Il est certain que cette communauté d’enfants, sans lien conjugal, devenait fort embarrassante. Pour que Céline rougit, et aussi Julien, il suffisait de l’honnête méprise d’un passant. Et puis, dans cet amour commun, que de gênes, que de précautions fâcheuses pourtant imposées. Pis encore, que d’imprudences obligées, commandées par le caprice ou l’innocence des enfants ! Et pourquoi !…

Un jour à Vincennes,

— Mademoiselle Céline, dit Julien, savez-vous ?…

— Quoi donc ?

En demandant cela, elle rougit sans savoir pourquoi. Julien avait l’air tout saisi ; et cela lui serrait le cœur à elle-même.

Il reprit avec effort.

— Voilà bien des jours que je n’ose pas… vous dire… Vous voyez… tout le monde nous croit mariés !

— Ah !… sans doute !… répondit-elle d’une voix altérée, en détournant la tête. Que voulez-vous… que j’y fasse… moi ?…

— Ce que je veux…, dit-il. Vous êtes la mère de mes enfants… Ils sont bien heureux !… Mais moi !… moi je voudrais aussi… du bonheur ; je voudrais… que vous fussiez ma femme… Ah ! mademoiselle Céline, vous ne me répondez pas !… Si je vous ai fâchée, pardonnez-moi !

La jeune fille, en effet, comme si elle n’eût pas entendu, regardait d’un autre côté, vers la pelouse où Petit-Jean, riant aux éclats se roulait en l’appelant. Et pourtant cet appel, si promptement obéi d’ordinaire, elle semblait aussi ne pas l’entendre.

— Vous ne répondez pas ? répéta Julien. Oh ! je le vois, je vous ai fâchée ! Oui, c’est trop d’orgueil à moi ! je me le disais, mais je n’ai pu m’empêcher…

— Est-ce qu’on épouse une religieuse ? dit-elle enfin, rappelant ainsi — était-ce méchamment ? Non ; plutôt, je crois, pour cacher son trouble, — ce qu’il avait dit à Annette les premiers jours.

— Ah ! s’écria-t-il, quoi ! cela ne se peut pas ? serait-ce vraiment impossible ?

L’accent de sa voix était si ému, si déchirant, qu’elle ne put s’empêcher de se retourner vers lui, et le voyant si pâle, si malheureux, si craintif, elle n’eut plus de doutes sur son amour…

Quelques semaines après, on célébra leur mariage, qui fut civil seulement. Elle avait fait bien du chemin, sœur Sainte-Rose, depuis le jour où elle demandait en pleurant à la Sainte Vierge la permission d’aimer de pauvres enfants ! Ses idées avaient en effet beaucoup changé ; mais elle n’en était pas moins restée pieuse, car la piété, religion du cœur, est d’ordre humain, comme toutes choses de notre monde. Plus éclairée maintenant, plus intelligente, elle n’en savait que mieux aimer, et l’ordre humain aussi a ses choses sacrées.

Mme Primprelle, M. Grenier, Mme Laffre, M. Zinet et Mme Brochant proposent en exemple à tous les beaux-pères M. Julien Emaury, qui se conduit, vis-à-vis des enfants de sa femme, absolument comme s’ils étaient ses propres enfants.

ANDRÉ LÉO.
FIN

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