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Sabre et scalpel/15

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CHAPITRE XV.

Revenons au Marquis et à André que nous avons laissés à la caverne, dans le dernier chapitre.

Le marquis dormait toujours du sommeil des ivrognes.

La vieille Zégine, accablée de rhumatismes, fumait une pipe noire, sur un lit de sapin, dans un coin, près du foyer.

André et Pierre s’assirent près d’elle et allumèrent leurs brûle-gueule.

— Y’a donc du nouveau, dit ce dernier que vous nous arrivez comme ça par un temps de chien ?

— Du nouveau ? Il faut s’entendre, maître Pierre ; est-ce que notre arrivée te surprend !

— Tiens, cette drôle de question. Pas le moins du monde ; mais les compagnons nous visitent si peu depuis quelque temps.

— C’est vrai, c’est vrai ; mais cela pourrait bien reprendre. Et tiens, d’abord, je suis venu de la part du maître.

— Vrai ? allons, ça me fait plaisir.

— Oui ; il doit venir ici dans deux ou trois jours, peut-être plus tôt, peut-être plus tard. Mais il ne sera pas seul ; il doit amener une dame avec lui, et ses ordres sont que la chambre réservée soit ornée du mieux qu’il sera possible.

La vieille Zégine ôta sa pipe de ses lèvres, ce qui indiquait chez elle un sentiment extraordinaire.

— Une dame ! fit-elle, une dame ! Eh ! bien, ce sera du propre, par exemple ; j’aimerais mieux y voir des argenteries et des petits dîners fins comme autrefois, avec tous les compagnons. On buvait dans des coupes d’or et on s’éclairait avec des chandeliers d’église ; le lendemain tout était fondu, et ça recommençait toujours avec du neuf. C’était le bon temps ! Et pas de dames, surtout ; c’est moi qui commandais !…

Elle remit sa pipe entre ses mâchoires édentées et poussa vers la voûte un profond soupir avec une pyramidale bouffée de tabac.

— Tais-toi donc, la vieille, dit Pierre, on ne sait ce qui peut arriver ; le maître…

L’apparition soudaine de Beppo lui coupa la parole.

Le marquis était dans un débraillé sublime de figure et d’accoutrement.

Corpo di Bacco, dit-il avec un bâillement, je crois que je souis ici !

— Et que la bouteille est vide, dit André, ça se voit. Marquis, je vous ai déjà averti que votre passion vous jouerait quelque vilain tour.

Accidente ! qu’est-ce qu’il y est donc ?

— Il y est que vous êtes soûl, marmotta Zégine, avec un regard de dédain.

— Moi soûl ! belle dame ; vous vous trompez, pure, pure ; j’ai dormi, voilà tout, et je souis monté ici en rêve.

— Assez ! dit André ; nous ne pouvons pas passer la nuit ici et il faut songer au retour. Allons, marquis, ficelez-vous et partons. Quant à vous, ajouta-t-il, en s’adressant à Pierre et à Zégine, rappelez-vous les ordres du maître ; tenez-vous prêts et surtout que la chambre soit belle. Voici de quoi vous approvisionner.

Il mit deux rouleaux d’argent dans la main de Zégine, après quoi, lui et le marquis quittèrent la caverne par le même chemin qui les y avait amenés. Il était minuit, mais le temps était clair. En descendant la colline, André crut apercevoir une ombre traverser le sentier à vingt pas d’eux. Il arma son fusil.

— Ce n’est rien, dit le marquis, c’est probablement quelqué lièvre qui régagne son logis.

— C’est un lièvre qui a le pas lourd dans tous les cas, répondit André, et nous ferons bien de nous tenir sur nos gardes.

Ils sortirent du bois, le marquis songeant que la bouteille n’était peut être pas vide et que ce reste serait perdu, pendant qu’André, tout pensif, marmottait à part lui :

— Ce doit être ce maudit Landeau !

Le soir même du jour où Gustave Laurens avait demandé la main d’Ernestine, Giacomo Pétrini entrait dans l’avenue bordée d’ormes et d’érables qui conduisait à Mont-Rouge.

Il avait à peine fait quelques pas, lorsque Gilles arriva à sa rencontre. L’honnête intendant avait la figure longue d’inquiétude.

— Mauvaises nouvelles, dit-il, il faut que je vous parle de suite et sans témoins. Rebroussons chemin et marchons un peu sur la grande route.

— Diable ! qu’est-ce encore ? Le fait est que depuis quelque temps, vous n’avez que de mauvaises nouvelles à m’annoncer.

— Vous croyez que c’est peut-être pour mon plaisir ? merci !

Dans tous les cas, voici ce que j’ai à vous dire. Il est incontestable, maintenant, que Landeau a parlé et que l’officier connaît notre secret. Bien plus, la demoiselle doit en connaître quelque chose et peut-être aussi ce damné Chagru. Tous deux m’ont regardé d’une façon particulière aujourd’hui, et ils ont causé longtemps ensemble. Le diable m’emporte si je ne sais ce qui m’a poussé à mettre ce bonhomme dans nos plans ; nous aurions pu parfaitement nous passer de lui et il ne nous cause que des embarras. Pourvu toujours que Maximus ne soit pas instruit de tout, rien n’est encore désespéré. Cependant mon opinion est qu’il vaudrait mieux agir de suite ; c’est plus prudent. Vous savez que ce Laurens a demandé la main à Ernestine.

— Diable ! alors, c’est entre nous deux guerre à mort et vous dites bien, il faut agir de suite. Ce n’est plus seulement une mesure de prudence, mais un acte de nécessité. À la guerre comme à la guerre, il va se servir de tous ses moyens ; usons de tous les nôtres. À quel plan vous êtes-vous arrêté ?

— Au seul possible : il faut enlever l’héritière. Nous pourrons ensuite la rendre pour une somme convenue.

— Comment la rendre, maître Gilles ! Je ne veux pas du tout la rendre, je l’aime, moi, cette jeune fille, et je prétends la garder, même en perdant la dot.

— Alors, nous ne nous entendons plus.

— C’est ma volonté ! Et malheur, à qui oserait se mettre en travers !

— Pas tant d’aigreur, mon maître ; vous oubliez un peu nos petites conventions et nos positions respectives. Ce n’est plus le chef des faux monnayeurs et son lieutenant qui parlent aujourd’hui ; rappelez-vous bien cela ; nous avons traité et nous traiterons encore sur un pied d’égalité. Je vous ai proposé une affaire, vous l’avez acceptée ; si vous voulez y faire de la passion et trancher du héros de roman, je ne veux pas que ce soit à mon détriment ; autrement et à mon tour je vous dirai : malheur à vous !

— Comment ! vous oseriez ! dit Pétrini d’un ton considérablement baissé.

— Non seulement j’oserais, mais j’ose, mon maître. Mais tenez, laissons cette querelle dont nous ne pouvons bénéficier ni l’un ni l’autre et continuons à parler d’affaires, cela vaudra mieux.

— Voyons, votre plan ? dit Giacomo tout-à-fait dompté.

— Puisque vous êtes devenu raisonnable, le voici : Nous sommes aujourd’hui à vendredi. Dimanche sur les neuf heures du soir, trouvez-vous à la caverne, je vous conduirai votre fiancée. Quant aux détails, je m’en charge, c’est mon affaire. Pierre et Zégine sont déjà prévenus. Une fois la jeune fille en notre possession, nous pourrons parlementer et négocier ; enfin nous aviserons ; le plus pressé est de la faire disparaître :

— Mais ce Laurens, va nous faire un obstacle !

— Tout est prévu, mon maître. Il part le même soir pour Montréal. Les deux absences vont coïncider presque. Comprenez-vous la fureur de Maximus, si un ami lui laisse entendre délicatement que notre officier n’est peut-être pas tout-à-fait étranger à l’affaire ?

— C’est une idée ; maître Gilles vous avez du génie !

— Il est bien heureux que vous vous en aperceviez à la fin.

Maintenant, c’est entendu : Dimanche soir à neuf heures. Jusque là, motus ! Allez voir votre fiancée et tâchez d’être aussi aimable que possible. Surtout veillez à votre physionomie si l’on vous fait des allusions.

Gilles pirouetta sur ses talons et gagna la ferme en sifflotant un petit air joyeux.

Giacomo se dirigea vers le château où son arrivée fut saluée comme aux plus beaux jours.

Ernestine eût même pour lui de petites attentions qui réjouirent le cœur du jeune médecin.

Une femme s’attache volontiers aux grands vices comme aux grandes vertus, pourvu que l’objet de son amour sorte de la ligne ordinaire. Les extrêmes la captivent, en bien comme en mal. Nous constatons le fait sans prétendre l’expliquer.


Cependant, le Dimanche était arrivé avec un de ces soleils magnifiques qui semblent apporter une vitalité nouvelle à toute la nature. Les arbres en fleurs répandaient dans les airs ces senteurs embaumées qui fouettent le sang et remontent les esprits. Tout avait un aspect gai, un air de fête, les feuilles des grands ormes et des érables géants bruissaient harmonieusement, sous les caresses d’une brise tiède et parfumée ; pendant que sous leurs ombrages, le long de la route les femmes et les enfants en habits de fête se reposaient en attendant l’heure de la messe. Partout, des groupes souriants et animés ; ici deux ou trois vieillards à cheveux blancs cheminaient en fumant leurs pipes neuves, leur habit sous le bras, la cravate détachée, racontant leurs faits et gestes du temps passé, cet éternel sujet des causeurs sur le retour. Plus loin marchaient d’un pas pesant et penché des groupes de ces robustes laboureurs dont le pied droit semble toujours par un mouvement instinctif, chercher le sillon absent. Habit bas, comme leurs aînés, ils parlaient des semences passées, des foins et de la moisson prochaine.

« Le mil et le trèfle rendaient-ils beaucoup ? et la mouche gâterait-elle les blés ? » Quelques-uns — des riches — dédaignaient ces sujets communs et tranchaient dans la politique du jour. « Appuieraient-ils le ministère aux prochaines élections ? on ne savait pas ; la gauche avait bien ses mérites et Papineau avait dit son fait au Gouvernement. »

Venaient ensuite les groupes de jeunes gens fagotés de leur mieux et faisant de l’œil aux jeunes belles de l’autre côté de la route. Heureux celui qui possédait un chapeau de castor et un tuyau de pipe immaculé projetant de cinq ou six pouces hors de la poche du gilet ; si, avec cela, il avait une paire de bottes anglaises, ses compagnons ne le tutoyaient plus.

Quant au jeune gandin, propriétaire d’une montre en argent avec la chaîne en acier poli — celui-là avait passé l’hiver dans l’Amérique — il trouvait à chaque cinq minutes des raisons pour regarder l’heure et faire sautiller ses breloques, afin d’intimider ses voisins, dont les yeux brûlaient d’envie. Les jeunes filles se montraient discrètement du doigt en chuchotant entr’elles et les mères calculaient tous les avantages d’un gendre qui peut dire exactement l’heure à chaque moment de la journée et peut-être corriger la pendule du bedeau à l’Angelus du midi.

Tout cela marchait gaiement, aspirant l’air à pleins poumons, insoucieux du lendemain et sans remords dans le passé.

Heureuse simplicité des mœurs de nos campagnes qui va se perdant tous les jours pour faire place aux appétits du gain, aux exigences du luxe qui plissent les fronts, font pencher les têtes soucieuses et voilent les limpidités du regard.

Ce jour-là, après les offices. Ernestine allait faire sa promenade soit en voiture avec Maximus et Céleste, soit à cheval, accompagnée d’un domestique lequel, depuis un certain temps n’était autre que notre ami Chagru.

L’honnête marin avait bien ses petites répugnances à enfourcher le grand cheval anglais, et se trouvait moins à l’aise en selle qu’à la roue du gouvernail : mais, pour la demoiselle, il n’y avait rien qu’il ne fût prêt à faire, et lorsque le tangage était trop fort, il embrassait le col de son coursier comme dernière planche de salut.

Ce jour-là, la promenade en voiture n’eut pas lieu. Gilles s’était arrangé de manière à retenir Maximus et sa sœur à la maison — ce qui d’ailleurs n’était pas un fait extraordinaire, — et à six heures, Ernestine partit seule, à cheval, suivie de Michel Chagru. Elle devait revenir vers les huit heures pour le dîner.

Il y avait déjà assez longtemps qu’elle chevauchait sur le grand chemin et sous les couverts à travers le domaine de Maximus, lorsque le père Chagru ôtant son chapeau et montrant le soleil qui disparaissait derrière les grands arbres fit respectueusement remarquer à la jeune fille qu’il était peut-être temps de revenir au château.

— Bah ! fit-elle en regardant à sa montre, nous avons encore une grosse demi-heure devant nous, et rien ne presse, il fait si beau. Je veux d’ailleurs visiter une source qui doit être dans ces environs et dont Monsieur Peyron m’a parlé ce matin. Il paraît que c’est très joli et qu’il y a de petites fleurs fort rares le long du ruisseau. Il m’a parlé d’un érable aux feuilles rouges et je l’aperçois justement là-bas ; ce doit être dans cette direction, allons-y.

Elle lança son cheval et Chagru suivit sans mot dire.

Au bout de cinq minutes, ils débouchèrent dans une clairière circulaire d’aviron cent pas de diamètre et tapissée d’un fin gazon. Au milieu de cette clairière, et sur une petite éminence s’élevait l’érable au feuilles rouges dont nous avons parlé. À ses pieds, dans le flanc de la butte et entre deux roches grisâtres, une source jaillissait fraîche et limpide pour se répandre ensuite en murmurant sur les cailloux polis, et former un petit ruisseau qui serpentait entre une double haie de rosiers sauvages.

Ernestine sauta légèrement de son cheval et vint tremper ses mains dans l’onde claire.

— Comme c’est joli, dit-elle, en faisant jaillir les brillantes gouttelettes comme autant de perles entre ses doigts ; et dire que je ne connaissais pas encore cet endroit charmant. Il faudra que j’y revienne tous les jours. Dites donc, vous me ferez un petit berceau auprès de la source et j’y amènerai cette bonne tante Céleste : elle sera enchantée.

La jeune fille folâtra longtemps le long du ruisseau, cueillant les roses dont elle se fit un énorme bouquet.

Le soleil était entièrement disparu et les ombres commençaient à se répandre au milieu des grands arbres.

— Je crois, Mademoiselle, qu’il vaudrait mieux nous en retourner. Voici de gros nuages qui m’annoncent rien de bon, et nous aurons tout juste le temps d’arriver avant la pluie.

En effet, des masses noires et menaçantes amoncelées vers le nord, commençaient à se mouvoir avec une vitesse inquiétante.

— Rentrons, dit la jeune, fille ; nous serons peut-être un peu trempés, mais je n’ai pas peur, ce ne sera pas la première fois.

Chagru, lui amena un cheval et elle allait monter en selle, lorsque tout-à-coup, d’un bosquet voisin, deux hommes masqués s’élancèrent en même temps.

L’un d’eux appliqua à Chagru un vigoureux coup de poing sur le derrière de la tête. Le bonhomme trébucha et roula sur le bord du ruisseau.

Avant qu’il eût pu se relever, les deux hommes avaient empoigné Ernestine, et s’étaient élancés avec elle dans le bois, sans tenir compte de ses cris déchirants.

— Silence ! la petite, dit l’un d’eux, ou nous allons vous étourdir !

Ils continuèrent leur course, avec leur léger fardeau pendant une demi-heure, à travers le bois, poursuivis de près par Chagru qui s’était relevé furieux et leur donnait la chasse.

Ernestine ne criait plus ; elle s’était évanouie.

« — Tant mieux, disait Beppo, en courant toujours, — car les deux hommes n’étaient autres que André et le noble marquis, — tant mieux, corpo di Bacco ! la petite ne crie plus ! dans cinq minutes ce maudit vieux ne pourra plus nous suivre, il fait déjà presque noir.

En effet, au bout de quelque temps, le père Chagru n’ayant plus un son pour se guider fut obligé de ralentir sa course ; il n’y voyait presque plus d’ailleurs à cause de la nuit qui tombait rapidement avec l’orage, et parce que ses yeux, fouettés par les branches se gonflaient douloureusement. À la fin il s’arrêta épuisé.

— Perdue ! dit-il d’un air de profond découragement, perdue ! Qu’est-ce que son oncle va dire ! Et pourtant, Dieu sait que ce n’est pas ma faute !

La pluie tombait alors en larges gouttes qui fouettaient les feuilles des arbres.

Chagru resta quelques instants songeurs et indécis. À la fin, il secoua sa torpeur et se mit en marche pour s’en retourner.

Quand il sortit de sous le couvert et déboucha sous la clairière, l’orage s’était déchaîné avec violence et faisait gémir les arbres, sons son souffle furieux pendant que les éclats de tonnerre roulaient dans le lointain.

Les deux chevaux étaient disparus, sans doute, la peur les avait pris et ils avaient regagné le château qui se trouvait à une distance de près de deux milles.

— Allons, se dit Chagru, dépêchons-nous, en faisant une battue nous pourrons peut-être la retrouver d’ici à demain matin…

Et il partit au pas de course à travers les champs, murmurant à part lui :

— Ce maudit docteur doit y être pour quelque chose !

Cependant André et le marquis continuaient leur marche sous le bois avec Ernestine toujours évanouie.

Beppo avait jeté un sarrau de toile sur la tête de la jeune fille pour la garantir de la pluie et des branches.

Après environ une heure de marche silencieuse, ils arrivèrent au plateau que nous avons déjà décrit dans un chapitre précédent. Ils donnèrent le signal et hissèrent la jeune fille jusqu’à la corniche supérieure où, cinq minutes après, ils étaient grimpés à leur tour.

Ernestine n’avait pas encore ouvert les yeux, et sa figure avait la blancheur du marbre. Un souffle lent et léger qui soulevait sa poitrine annonçait seul que la vie ne l’avait pas abandonnée.

Ils la transportèrent dans la dernière caverne et la déposèrent sur le lit du maître, après quoi ils se retirèrent discrètement en laissant Zigine auprès d’elle.

— Sacrebleu ! dit Pierre, quand les deux hommes furent revenus, dans la grotte d’entrée, vous avez là une jolie prise, et vous êtes d’heureux coquins, mes compères !

— Motus ! mon vieux, dit André, c’est au maître, ct, tu comprends, c’est sacré !

C’est tout de même un beau brin de fille et le maître ne se mouche pas dans le coton : c’est mon idée !

— Le coquin a bon goût ! glissa le marquis ; mais moi, je préfèrerais autre chose : j’ai une soif d’enfer ! vrai comme je dis, corpo e sangue !

— Et quand est-ce que vous n’avez pas soif, marquis de mon cœur ? dit André. Cependant, pour cette fois, je suis de votre opinion. Pierre, donne-nous, quelque chose à boire, nous sommes mouillés comme une soupe.

André jeta du bois sec dans le foyer pendant que Pierre tirait d’un vieux bahut une bouteille de cognac, à laquelle les trois hommes, le marquis surtout, firent un accueil flatteur.

Au bout d’un quart d’heure, ils fumaient leurs pipes dans ce demi-engourdissement si recherché des connaisseurs et par malheur si souvent dépassé, lorsqu’un signal aigu se fit entendre de l’extérieur. Pierre fit disparaître la bouteille et s’élança dans le couloir.

Cinq minutes après, la tête fuyante de Gilles Peyron se montrait dans l’entrée.

— Est-ce fait ? dit-il, en s’adressant aux deux compagnons.

— La petite est là qui dort, dit le marquis, en montrant la chambre de réserve, et elle dort bien. Gilles alla s’assurer de la chose, après quoi il revint, et sans s’asseoir :

— C’est bien, dit-il, il faut que je me sauve de suite ; nous sommes à faire une recherche dans les bois du domaine, et mon absence trop longue pourrait être remarquée.

Demain midi, vous viendrez prendre mes ordres à la ferme. En attendant, ne sortez pas d’ici, et vous, marquis, ne vous grisez pas surtout.

— Oh ! qué non ! qué non !…

Gilles n’attendit pas la fin, et disparut derrière le coude du goulot, qui servait d’entrée.

Cinq minutes après, Pierre, André et le marquis ronflaient près du feu, à côté de la bouteille vide.