Saint Amand (Verhaeren)
SAINT AMAND
Puisque son Dieu songeait en lui,
Il s’en était venu, par les chemins fortuits,
Avait peine à trouer la frondaison profonde,
Nuages d’ombre et d’or armés de vent
Qui accouriez du bout du monde,
Cris des bêtes et tumulte de voix
Et batailles, au fond des bois,
Vous n’interrompiez pas
Devant ses yeux fervents et clairs,
Le Saint voyait les rais de ses futurs miracles,
Luire au travers.
Avec des mots de paix et de prière
Il bénissait l’horreur des lieux qu’il traversait,
Et la tempête énorme et les haines guerrières
Et l’unanime aboi des rages carnassières
Dans le roux Languedoc ou la pourpre Aquitaine,
Le merveilleux soleil comme une grappe d’or.
Semblait mûrir la vie aux treilles de l’espace.
Des pays fiers et doux y nourrissaient les races.
Les îles de la mer y rappelaient encor
Les anciens paradis d’où s’envolaient les anges.
Tel matin de moisson ou tel soir de vendange,
Qu’on la buvait superbement,
Par tous les pores,
Et faite avec du froid et faite avec de l’ombre :
Sur des morceaux de sol que divisaient les eaux,
Quelques maisons de bois, quelques murs de roseaux
Peuplaient, sous le ciel bas, l’ample étendue humide.
Semeurs prudents, colons timides
Mais tenaces jusqu’à l’entêtement,
Jetaient, dans les sillons, le chanvre ou le froment
Et recueillaient et travaillaient la laine
Des troupeaux blancs
Parqués, sous un chaume branlant,
De la foudre sinistre et des cieux orageux.
Partout, au bord de la fontaine, au coin du pré,
De Thor, dont il niait la puissance avilie,
Le saint priait et discourait.
Il s’affirmait mystérieux et téméraire.
Il unissait en lui tant de forces contraires
Et son silence était si merveilleux d’ardeur
Que ceux dont il domptait et enlevait la peur
Soudain abandonnaient leurs autels et leurs prêtres
Rien qu’à le voir
Le soir
Joignent les gestes clairs et souples de leurs eaux
Il établit la paix d’un double monastère.
Les murs, au bord des flots, penchant leur face austère
S’y reflétaient en y mirant la croix.
Deux simples tours montaient parmi les bois ;
Et les feuilles des arbres proches
Mêlaient leur bruissement confus
Aux tintements de l’Angelus,
Quand l’Aube, aux doigts d’argent, frôlait, là-haut, les cloches.
En ce coin d’eau nombreuse et de terre boisée
D’où Gand ferait, un jour, jaillir son beffroi d’or.
Pécheurs, fermiers, colons, s’étaient mis à l’ouvrage,
Quittant les uns leur barque et les autres leur clos,
Et des femmes avaient monté, la pierre au dos,
Des échelles menant vers les plus hauts étages,
Si bien, qu’à voir le cloître immense et crénelé,
Chacun y désignait en passant par les routes,
Soit aux creux du portail, soit à la clé des voûtes,
Pouvaient passer les mers et traverser les plaines
Qui d’Irlande, de France ou des Pays saxons,
La Flandre leur offrait à tous une maison,
Ruche pour les esprits, grange pour les javelles
Et cellier pour les fruits des croyances nouvelles,
Colombier clair, d’où l’extase s’élancerait
Vers l’infini, à coups d’aile vibrante et forte,
Tandis que le travail des bras dessécherait
Le sol pourri de boue et de racines mortes.
Voyait ainsi son rêve à l’entour de la croix
Fleurir, comme un rinceau de roses tributaires,
Et parfumer l’espace et parer l’avenir.
La mort, dès lors, sans le troubler, pouvait venir
Poser sur son vieux front ses mains de gel et d’ombre
Et sur le bloc de son tombeau marquer le nombre
Et la trace des pas silencieux du temps,
Son cœur se confiait à l’avenir flottant,
Et quand le ciel montrait, au déclin des journées,
Les étoiles jusqu’au zénith échelonnées.
Le saint prétendait voir en leurs groupes de feux,
Comment, selon sa volonté parfaite, Dieu
Disposerait plus tard, aux jardins de la terre,