Sainte-Hélène et les Invalides

La bibliothèque libre.
A. Legallois, éditeur (p. 1-8).
SAINTE-HÉLÈNE


ET LES


INVALIDES



PAR
ÉDOUARD D’ANGLEMONT.







PARIS
A. LEGALLOIS, ÉDITEUR,
ET
CHEZ H. RIGAUD, GALERIE VIVIENNE, 5 et 7.

1840





Nec pluribus impar.
Devise de Louis XIV.
Facti sumus opprobrium vicinis nostris ; subsannatio et illusio his qui in circuitu nostro sunt.
David, ps. 78.
C’est moi qui me tairais !
Victor Hugo.








Thémistocle a vaincu la Perse à Salamine,
Une palme immortelle a couronné son front ;
Athènes, où l’Envie et s’ébat et domine,
D’un exil lui vomit l’affront !
Thémistocle demande un abri pour sa gloire
Aux ennemis dont sa victoire
A foulé l’orgueil insolent ;
Et, lui tendant la main, le monarque d’Asie,
Cet hôte fastueux, des champs de Magnésie
Lui crée un asile opulent !

Mais quand cet aigle-roi, ce dieu de la conquête
Qui nous fit tant de jours d’un magique soleil,
Ainsi qu’un chêne altier brisé par la tempête,
Tombe d’un trône sans pareil,
Entraîné par l’élan d’un noble caractère,
Vint à la foi de l’Angleterre
Livrer le plus grand des malheurs,
Au lieu de l’abriter en un royal partage,
Albion, cette sœur de l’antique Carthage,
L’abreuva du fiel des douleurs !

Celui qui de son souffle a remué la terre,
Qui laboura le monde esclave de sa voix,
Ruine de géant, ruine solitaire,
Comme Prométhée autrefois

Fut enchaîné vivant sur un rocher sauvage,
Débris de quelque vieux rivage,
Sous un ciel aux feux dévorants ;
Et là, durant six ans, le vautour britannique
Déchira sans pitié de son bec tyrannique
Le cœur du roi des conquérants !

Et quand Napoléon vaincu par la souffrance
S’éteignit, quoiqu’il eût à ses derniers moments
Réclamé le sommeil de la terre de France,
Le rocher prit ses ossements !
Lui qui vit de ses pieds, d’où jaillissait la foudre,
Les nations baiser la poudre,
Que les rois vinrent adorer,
Mort, il n’eut en son lit, solitude profonde,
Pour gémir sur son sort que l’ouragan et l’onde,
Que des saules pour le pleurer !

Mais, ô verbe guerrier, christ d’une nouvelle ère,
Tes vœux d’agonisant bientôt seront remplis !
Les ossements sacrés du héros populaire
Chez nous vont être ensevelis !
Et celui qui plaça les martyrs des batailles
En d’impérissables murailles
Où plane encor son nom si beau,
Sous ce toit de drapeaux conquis par la victoire
Louis-Quatorze donne au géant de l’histoire
L’hospitalité du tombeau !

À vous donc que le vent de notre république
Exila des caveaux du royal Saint-Denis,

Que sous la voûte d’or du temple catholique
Napoléon a réunis,
À vous par le repos de nouveaux mausolées
Ombres maintenant consolées,
À vous, lieutenants du grand Roi,
Vauban, Turenne ; à vous d’ouvrir le sanctuaire,
Quand l’Empereur, vêtu du belliqueux suaire,
Aux portes s’écrira : C’est moi !

À vous de vous presser en vos lits funéraires !
Car autour du guerrier qui n’a point de rivaux
Il nous faudra trouver des tombes pour vos frères,
Ces demi-dieux des jours nouveaux !
Car le roi des combats, en sa couche dernière,
Veut les guides de sa bannière
Pour compagnons de son sommeil !
Car toute royauté demande sa couronne ;
Car il faut, pour qu’aux cieux tout éclat l’environne,
Des satellites au soleil !

Il me semble déjà bercé par le génie
Du culte d’Ossian, cette religion
Qui vous peuplait de morts, monts de Calédonie,
Et qui charmait Napoléon ;
Il me semble déjà voir ces illustres ombres
Sortir de leurs demeures sombres
Au bruit d’héroïques concerts ;
Et comme un camp d’aiglons, devant une mêlée,
Sur la cendre par nous au triomphe appelée

Planer d’une vague des airs !…

Oh ! qu’elle eût été noble et sainte et solennelle
La pompe qu’au grand homme on promet aujourd’hui,
Oh ! comme cet hommage à sa gloire éternelle
Aurait été digne de lui,
Si le pays, au jeu du glaive et du tonnerre,
Eût, vengeur du roi de la guerre,
Gagné sa cendre à ses bourreaux !
Si la France, traînant à son char de victoire
Albion sous un faix de honte expiatoire,
Eût conduit le deuil du héros !…

Mais toi que ton idole avait habituée
À t’entendre nommer la grande nation,
Ô France, tu n’es plus qu’une prostituée
Vouée à la dérision !
L’Europe, qui depuis tes trois jours de folie
Et te flagelle et t’humilie,
A brisé ton masque trompeur !
Pour toi plus de combats, de gloire, de trophées !
Pour toi du fer guerrier les moissons étouffées
Tombent au souffle de la peur !

Conquérant, ceux qu’on vit refuser ta Belgique,
Enlever à l’appui d’un élan valeureux
Ta Pologne ployant en sa lutte énergique,
Incendie allumé par eux,
Tromper ton Italie à la voix de la France
Redressant, ivre d’espérance,

Son front par les fers avili,
Et qui craignent d’aider l’Égypte renaissante,
Cet épi que sema ta main resplendissante
Et qu’arrose le bras d’Ali ;

Ceux qui te devaient tout, qui devant ton naufrage
Perdant le souvenir de tes dons généreux,
Te jetèrent à flots le mépris et l’outrage
Ou te vendirent malheureux,
Ces criminels pour qui l’histoire inexorable
A d’un carcan inaltérable
Éternisé le châtiment,
Voilà, Napoléon, ceux qui seront en scène
Pour fêter ton retour aux rives de la Seine,
Pour honorer ton monument !

Ces nains aux pieds desquels la France est inclinée,
Osant mettre en oubli ton supplice immortel,
Vont avec Albion sceller un hyménée
Dont ton cercueil sera l’autel !
Et c’est en se gorgeant sur ta cendre sacrée
De l’or du peuple, leur curée,
Que nos gouvernants jureront
Tout ce que veut de nous la vénale Angleterre,
Tout ce que nous prescrit l’union adultère,
Tâche éternelle de leur front !

Et devant ce spectacle aux scènes éhontées,
Devant tant d’intérêts impudemment trahis,
Devant tant de grandeurs lâchement insultées,

Poète ami de mon pays,
J’aurais été muet ! devant ces chants serviles
Dont nos muses pâles et viles
Vont saluer l’ovation,
Enfermée aux liens d’un odieux silence
Ma muse n’aurait point jeté dans la balance
L’hymne de malédiction !

Quand d’autres vont, quêteurs d’un ignoble salaire,
Déchaîner le torrent des adulations,
Je n’aurais point crié dans ma sainte colère :
Anathème à ces histrions
Qui taillent sans pudeur en oripeaux scéniques,
En de sacrilèges tuniques,
Le plus auguste des manteaux,
Qui vont avec les os du géant de l’Empire,
Pareils au fossoyeurs du drame de Shakspeare,
Jouer sur d’orgueilleux tréteaux ;

Qui rêvent, en l’éclat de la grande parade
Où de tous leurs calculs l’habileté se fond,
Pour nous Athéniens du chien d’Alcibiade
Renouveler le jeu profond
Et qui ne sentent pas, en la route insensée
Où joyeuse court leur pensée,
Que ce qu’ils tiennent en leur main
C’est ta robe, ô César, cette robe puissante
Qu’Antoine déploya plaintive et menaçante
Aux regards du peuple romain !

20 juin 1840.
FIN.