Sainte Lydwine de Schiedam/Chapitre XII

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Plon-Nourrit (p. 238-253).

XII


Le mécontentement de Jésus contre sa pauvre servante ne dura guère et il entérina sa réconciliation par des miracles.

L’ange de Lydwine la fréquenta de nouveau et ce furent encore des promenades dans les églises et dans le Paradis ; pendant que son âme voyageait, son corps demeurait insensible ; l’extase l’anesthésiait à un tel point qu’elle fut atrocement brûlée, un jour, sans s’en apercevoir.

Les incendies apparaissent, à trois reprises différentes, dans la vie de la sainte ; ainsi qu’on l’a vu plus haut, par la faute de son frère, le feu grilla, un matin, la paille de son lit. Il consuma, une fois encore, sa couche.

Une après-midi d’hiver, les femmes qui la servaient ne sachant comment la réchauffer, puisqu’à cause de ses yeux l’âtre devait rester mort, imaginèrent de glisser sous sa couverture un vase rempli de braises qu’elles fermèrent avec un couvercle.

Lydwine était, à ce moment, ravie hors du monde ; elles sortirent, pour vaquer à leurs affaires, mais lorsque peu de temps après, elles revinrent, elles odorèrent un fumet de chair grillée et se précipitèrent sur le lit qu’elles découvrirent ; le couvercle s’était défait et les charbons étaient en train de carboniser l’une des côtes de la sainte.

À cet instant, son ravissement cessa.

— Ô Lydwine, s’écrièrent ses amies, quelle affreuse plaie ! ne la sentez-vous pas ?

— Si, fit-elle, je la sens maintenant, mais je ne souffrais nullement tandis que j’étais avec le Seigneur.

Les braves femmes pleuraient, en se reprochant leur imprudence.

— Ne vous lamentez pas, murmura-t-elle, et bénissez le Sauveur qui m’a si bien absorbée en Lui que je ne me suis même pas doutée que des braises me calcinaient le flanc.

En l’an 1428, un incendie menaça d’être pour elle plus terrible. Peu de semaines avant qu’il n’éclatât, Lydwine s’était exclamée, à plusieurs reprises : la colère de Dieu est sur Schiedam ! Et, tout en larmes, elle avouait à ses intimes qu’elle s’était offerte comme victime au Christ qui avait refusé d’accepter son sacrifice.

Que va-t-il advenir ? lui demanda-t-on.

— Un incendie détruira Schiedam ; l’iniquité de cette ville est mûre et l’heure de sa moisson est proche ; je ne puis, hélas ! désarmer le ressentiment du Juste.

Et s’adressant à Catherine Simon, elle ajouta :

— Je sais, ma chère sœur, que vous avez en réserve un certain nombre de planches qui n’ont pas été utilisées dans la construction de la maison que l’on vous bâtit, donnez l’ordre qu’on les transfère, sans retard, derrière le jardin, ici ; nous les emploierons à édifier un hangar où les sinistrés déposeront les objets qu’ils auront pu sauver du désastre.

Catherine lui obéit ; Lydwine la remercia ; puis, la veille du jour où le feu devait se déclarer ; elle lui dit :

— Rappelez-vous votre vœu d’aller en pèlerinage à Notre-Dame de Bois-le-Duc ; réalisez, demain, cette promesse ; partez et revenez au plus vite.

— Mais, s’écria Catherine, vous m’avez annoncé que l’incendie de Schiedam aurait lieu demain ; ce n’est vraiment pas le moment pour moi de m’absenter, car si je m’en vais, je suis certaine de perdre tout ce que je possède !

— Écoutez ce que je vous dis, répartit Lydwine ; le Seigneur ne connaît-il pas mieux que vous ce qui doit vous être profitable ?

Et la veuve Simon qui ne savait pas ne point obtempérer aux injonctions de la sainte s’en fut à Bois-le-Duc.

Le lendemain était un samedi de juillet, fête de saint Frédéric, évêque et martyr et de saint Arnulphe, confesseur ; c’était la veille du jour où les marins de Schiedam prenaient la mer pour commencer la pêche du hareng. Suivant un vieil usage, ils se réunirent pour célébrer leur départ, par un banquet. Lorsque le repas, qui fut long et copieusement arrosé de cervoises et de bières, fut terminé, les cuisiniers laissèrent un fourneau qu’ils croyaient éteint près d’une cloison de roseaux ; vers les onze heures du soir, des étincelles en jaillirent qui embrasèrent la cloison et le feu gagna de proche en proche et se propagea par toute la ville ; il sautait d’une maison à l’autre et comme la plupart étaient en bois, elles flambaient ainsi que des lattes, sans même que l’on pût les secourir. Fouetté par le vent du large il franchissait les espaces vides, rasait, en passant, les jardins et allumait les arbres, dardant dans des tourbillons de fumée les déchiquetures de ses flammes qui aussitôt qu’elles avaient atteint une bicoque ne la lâchaient plus. Elles pesaient sur les croisées qu’elles évidaient et crevaient les portes ; l’on ne voyait plus alors dans une carcasse qui craquait que des solives rouges ; elles se tordaient, se dressaient, à un moment, échevelées de même que des torches puis retombaient, en une pluie de charbons, en se cassant ; et dans une détonation, la maison se décoiffait et il en fusait une gerbe de flammes qui embrasait la nuit. Il pleuvait des braises et il grêlait du feu ; l’on n’entendait que le ronflement des brasiers, le fracas des poutres qui s’écroulaient, les explosions des barriques dont les cercles cédaient, les cris de terreur de la foule qui fuyait devant ces serpents et ces ailes de feu qui rampaient et volaient de toutes parts.

Il en fût ainsi du commencement à la fin de la nuit ; le lendemain matin, l’église paroissiale, un couvent de religieuses qui y attenait et la majeure partie des rues de Schiedam n’étaient plus qu’un monceau de décombres ; et le feu ne s’apaisait pas.

En vain, les habitants, ranimés par la clarté du jour, s’efforçaient de circonscrire le foyer de l’incendie, il n’en continuait pas moins ses ravages.

À un moment, une traînée de flammes se dirigea vers la demeure de Lydwine ; de braves gens accoururent et voulurent emporter la sainte, mais elle refusa, affirmant qu’elle n’avait rien à craindre. Ils l’abandonnèrent sur sa couche, mais démolirent par précaution la charpente et le plafond de la maison qui étaient en bois et ne laissèrent debout que la pierre des murs. Seulement, comme l’on était au mois de juillet et que le soleil sévissait cruellement, ils durent, voyant les atroces souffrances de Lydwine dont les yeux saignaient à la lumière, jeter une vieille tenture sur les pans de muraille, afin de lui procurer un peu d’ombre. Ce palliatif — qui était bien inutile, du reste, car le feu aurait pu tout aussi bien cinéfier l’étoffe que le bois du plafond et se communiquer à la paille du lit, — n’ayant pas réussi à atténuer les douleurs de la patiente, ils ne surent plus à quel expédient recourir et rétablirent au-dessus d’elle les planches qu’ils avaient détachées et partirent.

Lydwine resta seule pendant toute la journée de ce dimanche ; elle avait la fièvre et rissolait sous ce soleil de plomb ; elle s’arma de patience, pria, invoqua son ange mais il ne lui répondit pas ; quand tomba le soir, elle crut mourir ; la chaleur concentrée sous les planches et la fumée des ruines que l’on noyait, l’asphyxiaient. N’y tenant plus, elle chercha un bâton qui lui servait d’habitude à attirer ou à repousser les courtines du lit et aussi à frapper des coups quand elle avait besoin d’appeler, mais elle eut beau promener en tous sens le seul bras qu’elle avait libre, elle ne le découvrit plus.

Elle était sûre pourtant que le fléau ne l’atteindrait pas, qu’elle ne périrait point, suffoquée ainsi et la peur fut plus forte que la raison ; la nature prit le dessus, le silence de son ange l’accabla, elle défaillit et pleura en songeant qu’elle allait mourir sans l’aide des sacrements, seule, en son coin.

L’énervement issu de la fièvre qui la rongeait accélérait cette panique. À ces détails, l’on peut juger combien lorsque le Seigneur le veut, les âmes, même les plus avancées dans la voie du sacrifice, errent et vacillent. Au fond, rien n’est plus malaisé que tuer ce que saint Paul nomme « le vieil homme ». On l’engourdit, mais, la plupart du temps il ne meurt pas. Un rien le sort de sa léthargie, et le réveille ; il semble que le Démon arrose, en secret, les anciennes racines et les empêche de jamais se dessécher ; et les premières pousses qu’elles produisent, en silence, dans l’ombre de l’âme, ce sont celles de la vaine gloire, cette ivraie spéciale des êtres privilégiés ! Lydwine était bien éloignée de ce sentiment pourtant, et néanmoins Dieu voulut l’humilier, une fois de plus, en permettant qu’elle doutât de l’efficace de ses prières, qu’elle se cabrât devant le péril et se débattît dans des affres purement humaines !

Mais il ne lui tint pas rigueur de sa faiblesse, comme il lui avait tenu rigueur du chagrin ressenti au décès de son frère, parce que ces transes étaient son œuvre, parce que c’était Lui-même qui les imposait à sa pauvre servante ; et la preuve est qu’il s’ingénia aussitôt à la secourir.

L’ange invisible jusqu’alors se présenta et posa doucement sur la poitrine de Lydwine un morceau de bois de la longueur d’une aune environ. Elle le saisit et le soulevant avec peine, car il était lourd, elle écarta les rideaux et huma voracement un peu d’air. Le lendemain matin, lorsqu’elle considéra de près ce bâton, elle s’aperçut qu’il était non seulement pesant et rugueux, mais encore tordu et comme coupé à même d’un tronc ; et elle ne put s’empêcher de penser que son ange aurait beaucoup mieux fait de lui retrouver son ancienne baguette que de lui apporter cette incommode gaule ; aussi, quand Jan Walter arriva, pour savoir comment elle avait passé la nuit, lui confia-t-elle cette branche d’arbre, en le priant de la donner à dégrossir.

Walter visita les menuisiers de la ville, mais leurs outils avaient été brûlés et ils ne pouvaient se charger du travail. De guerre lasse, il s’aboucha avec un tonnelier qui possédait encore une doloire et celui-ci râpa énergiquement le gourdin. Des copeaux embaumés volèrent et sous l’écorce, une couleur de cire fraîche apparut.

Ce doit être du cyprès, répondit cet homme à Walter qui l’interrogeait pour connaître de quelle essence d’arbre provenait ce bois ; mais, ajouta-t-il, je n’en ai jamais vu de si parfumé et de si dur.

Puis, tandis que des personnes qui assistaient à cette scène, dans son atelier, s’emparaient des rognures, à cause de leur odeur, il dit au prêtre :

— Écoutez, je ne puis avec une doloire équarrir proprement votre bâton ; gardez-le tel qu’il est, cela vaudra mieux.

Walter, ennuyé de ce contre-temps, repartit en quête d’un autre ouvrier. Il finit par en rencontrer un dont tous les instruments n’avaient pas été détruits et celui-là se mit à l’œuvre ; mais il n’eut pas plutôt flairé l’arôme du rondin qu’il voulut s’approprier les copeaux, alors que Walter désirait les conserver ; et pour en avoir davantage il aurait, avec son rabot, aminci le bois de telle sorte qu’il n’en serait plus resté, si le prêtre ne le lui avait enlevé des mains et ne s’était enfui avec.

Il demanda à Lydwine, lorsqu’il lui rapporta la baguette, si elle savait le nom de l’arbre qui l’avait produite.

— Dieu le sait, fit-elle, et moi pas ; mon frère ange ne me l’a point conté.

Plus tard, à la fête de saint Cyriaque, martyr, c’est à-dire au commencement du mois d’août, l’ange conduisit Lydwine dans les pourpris de l’Eden. Là, il lui reprocha d’avoir si peu estimé son présent — ce dont elle fut très marrie — et il lui montra l’arbre, un cyprès d’une espèce particulière, et la place même à laquelle il avait coupé la branche ; et il lui apprit que cette tige châtierait le Démon et serait pour lui un objet d’épouvante.

Et, en effet, Brugman déclare avoir assisté à ces expériences ; il suffisait d’approcher cette verge d’un énergumène pour lui arracher des cris plaintifs et le faire frémir de la tête aux pieds.

Et, un siècle plus tard, Michel d’Esne, l’évêque de Tournai, ajoutait : « Cela est très vrai, comme j’ai non seulement ouï dire, mais vu de mes yeux ; car j’ai vu des démoniaques crier, grincer des dents et trembler extrêmement devant une petite pièce de ce bois. »

Dès que l’histoire de ce bâton se fut ébruitée, toute la ville processionna chez la sainte pour le regarder et le fleurer ; il continua d’odorer, mais un libertin, amené par la curiosité, chez elle, le toucha et dès lors il cessa d’exhaler son résineux parfum.

La veuve Catherine qui avait terminé son pèlerinage rejoignit sur ces entrefaites la ville et trouva, à la place de son logis, un tas de tisons calcinés et de cendre.

Cette perte la désola ; elle arriva, en pleurant, chez Lydwine.

— Vous voyez, s’écria-t-elle, vous voyez que je n’aurais pas dû m’absenter ; si je ne vous avais pas écoutée, j’aurais peut-être au moins sauvé quelques-unes de mes pauvres affaires !

Mais la sainte sourit.

— Ô tête, ô tête, s’exclama-t-elle, il y a longtemps que vous souhaitez d’habiter avec moi ; seulement, le sacrifice qui vous coûtait le plus, c’était de vous séparer de cette maison à laquelle vous étiez trop attachée. Maintenant qu’elle n’existe plus, qui vous arrête ? Venez vous fixer, ici, et, au lieu de gémir, remerciez Dieu qui a précipité les événements de telle sorte qu’il vous dispense de discuter avec vous-même.

Et Catherine s’empressa, en effet, de résider chez la bienheureuse et jusqu’à l’heure de sa mort, elle ne la quitta plus.

Une autre question serait intéressante à résoudre, celle de savoir comment les Schiedamois qui étaient, pour la plupart, des marins ivrognes sans doute et luxurieux, mais pas plus que les matelots des autres plages, avaient pu attirer si résolument sur eux le courroux du Ciel. Si l’on se réfère à leur attitude, alors que feu André, leur ancien curé, affirma avoir jeté l’Eucharistie dans un amas de boue, l’on constate que ces gens avaient la foi et vénéraient le corps du Sauveur, car ils s’indignèrent et voulurent écharper ce triste sacerdote ; ils n’étaient donc ni des mécréants, ni des déicides. Comment dès lors justifier ce ressentiment du Christ ?

Thomas A Kempis raconte qu’ils avaient bafoué la statue miraculeuse de la Vierge et il cite parmi les délinquants un prêtre et une femme dont la liaison publiquement affichée était un scandale pour le peuple. À quelques détails qu’il précise, il est facile de reconnaître en cet ecclésiastique et en cette gourgandine, ce Joannès de Berst et cette Hasa Goswin dont nous avons déjà parlé ; mais en sus de ce délit, l’on peut, je crois, admettre ceci : qu’en raison même de cette faveur qu’elle obtint de posséder dans ses murs une sainte qui rendait, par les miracles qu’elle opérait, les grâces de la Providence visibles, Schiedam devait être, aux yeux de Jésus, une ville plus religieuse, plus mystique que les autres, une cité modèle, et elle ne fut rien de cela ; Dieu l’épargna, une fois, sur les instances de sa servante, alors qu’une flotte s’avançait pour la détruire, mais elle ne s’amenda point et le Juge, lassé, sévit ; telle est la seule explication qui semble plausible.

Malgré tout, Lydwine ne pouvait s’empêcher de croire que si elle avait été plus pure, elle aurait peut-être été mieux exaucée et cependant elle savait que ses mérites étaient là-haut, soigneusement comptés.

N’avait-elle pas, quelques années auparavant, un jour qu’elle était en extase, contemplé ce spectacle qui fut montré, d’ailleurs, à beaucoup de saints, de l’Époux tenant une couronne sertie de gemmes ? Elle l’examinait et remarquait que certaines montures étaient vides.

— Les pierres qui manquent s’enchâsseront avec le temps, dit Jésus ; cette couronne est celle que je te prépare.

Lorsqu’elle fut revenue à elle, elle pensa justement que les fleurons inachevés symbolisaient les douleurs qui lui restaient à subir et elle s’apprêta à les endurer.

Faisant alors un retour sur elle-même, humblement elle se repéra ; elle songea qu’elle n’avait jamais offert au Bien-aimé un cœur vraiment affranchi et un esprit dûment désoccupé ; elle se reprocha de ne pas s’être assez exilée de ses volontés, de ne s’être jamais entièrement bannie ; elle s’avoua ne pas s’être assez soigneusement tamisée de la lie de ce monde et elle supplia Jésus de la mettre en mesure d’expier cette avarice d’elle-même, en l’accablant d’injures et de sévices, en la traitant, ainsi qu’il avait été, Lui-même, traité.

Il la satisfit sur-le-champ.

À ce moment, Philippe, duc de Bourgogne, qui revendiquait, par droit d’héritage, au détriment de sa nièce, la comtesse Jacqueline, la possession des Provinces-unies, envahit à la tête d’une armée les Pays-Bas et installa des garnisons dans les places. Le 10 octobre, le jour où l’on célébrait la fête des saints martyrs Géréon et Victor, il entra à Schiedam. Il y fut reçu avec de grands honneurs et invité à un festin auquel furent conviés toutes les autorités de la ville et le curé qui était Jan Angeli, encore vivant à cette époque.

À la fin du repas, quatre Picards, qui faisaient partie de la maison du duc, demandèrent au curé de les conduire chez cette Lydwine dont on leur avait relaté monts et merveilles.

Il y consentit et les accompagna, eux et leurs serviteurs ; mais à peine se furent-ils introduits dans la chambre qu’ils commencèrent à tapager et, comme Jan Angeli les suppliait de se retirer, ils prétendirent qu’il était l’amant de sa pénitente et le poussèrent derrière un petit autel qui avait été dressé dans cette pièce pour y recevoir le corps du Christ, lorsqu’on venait communier la malade.

Il s’y blottit, triste et confus.

On n’y voit goutte, dans cette cambuse ! cria l’une de ces brutes. Il alluma une chandelle, arracha les rideaux et les couvertures du lit et le ventre hydropique de la malheureuse bomba, ainsi qu’une outre, lamentable et nu ; alors ils se tordirent et crièrent qu’elle était enceinte des œuvres de son confesseur !

La nièce de Lydwine, la petite Pétronille, assistait avec le curé à cette scène ; quand on découvrit le corps de sa tante, elle ne put se maîtriser et elle s’élança pour la recouvrir. Ils voulurent l’en empêcher, mais elle leur opposa une telle résistance, qu’ils finirent par l’empoigner et ils la jetèrent contre les marches de l’autel avec tant de violence qu’elle se blessa grièvement à l’aine et aux reins et s’évanouit.

Cette encontre exaspéra ces soudards. Ils qualifièrent Lydwine de paillarde, l’accusèrent d’être mère de quatorze enfants et de se saouler, la nuit ! puis, tandis que celui qui tenait le flambeau, éclairait la couche et invectivait la martyre, en hurlant : on va te dégonfler, sale bête ! les autres enfoncèrent leurs doigts dans la peau tendue du ventre qui creva.

L’eau et le sang jaillirent en abondance par trois trous et le lit fut inondé.

Après qu’ils eurent accompli ce forfait, ils sortirent pour se laver les mains puis rentrèrent et se remirent à l’injurier.

Lydwine, qui n’avait répondu que par des gémissements à ces tortures, les regarda alors et dit :

— Comment ne craignez-vous pas de toucher au travail de Dieu, comment ne craignez-vous pas le châtiment que sa Justice vous prépare ?

Ils haussèrent les épaules et, après une dernière bordée de lazzis et d’outrages, ils s’en furent.

Le curé se précipita aussitôt dehors, pour chercher des secours. Les amies de Lydwine arrivèrent ; elles ranimèrent avec un cordial Pétronille qui dut s’aliter et elles pansèrent les blessures de sa tante et changèrent la paille de sa couche devenue semblable à un fumier d’abattoir, tant elle était trempée de sang !

Le lendemain, le duc de Bourgogne, qui ignorait cet attentat, partit pour Rotterdam ; mais à peine son armée eut-elle déguerpi de Schiedam, que la nouvelle du crime courut par toute la ville. Ce ne fut qu’un cri d’indignation contre ces bandits. Les échevins se présentèrent chez la malade, pour la consoler et lui annoncèrent qu’ils allaient, eux aussi, s’embarquer pour Rotterdam, afin de réclamer au duc la punition de ses gens.

— N’importunez pas le prince, à mon sujet, répliqua Lydwine ; Dieu se réserve la vengeance de ce méfait ; déjà l’arrêt de ces infortunés est prononcé.

Et, en effet, la répression qui les attendait ne tarda guère. Celui de ces hommes qui portait le flambeau et avait si grossièrement insulté la sainte fut, à l’instant même où il entrait dans le port de Rotterdam, saisi de vertige. Il erra, comme un fou, sur le pont du bateau et tomba et se fracassa le crâne ; un autre près de Zierikzée se tordit dans des accès de délire et fut abandonné dans une chaloupe où il mourut ; le troisième qui appartenait à l’armée navale fut tué, pendant un combat, par les Anglais ; le quatrième enfin, qui s’attribuait le titre de médecin, fut frappé d’apoplexie près de Sluse et devint aphasique. Son domestique lui rappela alors son crime et l’interrogea pour savoir s’il n’en éprouvait pas quelque remords. Il fit signe que oui et trépassa.

Après son enterrement, ce serviteur, qui était un brave et pieux homme, vint à Schiedam pour solliciter, au nom de son maître, le pardon de Lydwine ; et il lui fut accordé, on peut le croire, aisément.

Cette sinistre aventure désola, pendant des années, la sainte.

Elle pleurait non sur les plaies qu’elle avait reçues, mais sur la perversité de ces vauriens que ses prières ne parvenaient pas à sauver ; aussi ne voulait-elle pas qu’on la plaignît de ces sévices.

— Plaignez-vous plutôt, fit-elle, un jour, aux magistrats et baillis de Schiedam qui reparlaient chez elle de cette affaire ; plaignez-vous, car je vous vois menacés d’un péril dont vous ne vous doutez point.

Et, en effet, peu de temps après, ils furent inculpés par le duc de Bourgogne de trahison et menacés d’avoir le cou tranché.

Après ces événements, l’ange du seigneur s’approcha de Lydwine et lui dit : votre Époux vous a admise, suivant votre désir, aux tortures de la Passion, vous avez été injuriée, couverte d’ignominie, dénudée, et vous avez rendu de l’eau et du sang par vos blessures ; soyez heureuse, ma sœur, car la scélératesse de ces Picards va aider à compléter le nombre de pierres qui manquent à votre couronne.