Sainte Parascève (Polotsk)

La bibliothèque libre.


SAINTE PARASCÈVE


PRINCESSE DE POLOTSK, SUPÉRIEURE DU MONASTÈRE DE SAINT-SAUVEUR, PRÈS DE POLOTSK[1]




I


Un parterre cultivé avec soin par un jardinier habile ne produit pas d’aussi nombreuses fleurs que le monastère, fondé par sainte Euphrosine[2] sous le vocable de notre divin Sauveur, a produit de filles agréables par leurs vœux à Dieu, aux anges et aux hommes. Dans un jardin bien cultivé, on voit de douces violettes, de beaux narcisses avec d’étincelantes tulipes, des roses resplendissantes et des lis à l’odeur suave ; en un mot, une multitude de fleurs variées, qui charment par leur beauté et par l’éclat de leurs couleurs. Ainsi dans le monastère de Saint-Spas, comme dans un parterre fertile en vertus, en grâces et en bénédictions divines, on pouvait voir sainte Eudoxie, sœur de sainte Euphrosine, plongée dans une contemplation continuelle, dans une adoration à la fois profonde et humble de notre divin Créateur. On y voyait aussi sainte Agathe avec sa candeur angélique, ainsi que la bienheureuse Euphémie, qui ne se plaisait que dans la liaison intime avec le Sauveur. On y voyait encore une foule de sœurs et de mères briller par leurs vertus, comme les fleurs brillent par leur éclat. Toutes étaient conduites dans cette voie par la fondatrice du monastère, sainte Euphrosine, qui par son exemple vivifiait ces fleurs vivantes, de même que les rayons du soleil et la rosée du ciel donnent aux fleurs naturelles leur beauté et leur splendeur.

Pendant que le monastère de Saint-Spas abondait ainsi en ces fleurs, du vivant de sainte Euphrosine et après sa mort, grâce à la succession régulière des supérieures de ce couvent et à la stricte exécution des prescriptions de la règle de saint Basile, un lis étincelant vint orner ce beau parterre, je veux parler de sainte Parascève, ou, comme on l’appelle autrement, sainte Praxède, qui a un si grand renom.

Après la mort de sainte Euphrosine, première supérieure du monastère de Saint-Sauveur, après celle de ses frères, Venceslas et David, princes de Polotsk, la ligne des princes héréditaires de Polotsk s’éteignit, et cet État, à l’instar d’une république libre, passa entre les mains de trente notables, élus par les citoyens eux-mêmes.

La principauté de Polotsk ne jouit pas longtemps de cette liberté ; car Mingaylo, duc de Lithuanie et de Novogrodek, l’accusant d’infidélité, l’envahit en ennemi, battit ses troupes sous le fort de Grodek, prit Polotsk d’assaut, s’empara du château-fort et imposa un tribut aux habitants.

À la mort de Mingaylo, son fils cadet, Guinvil, ayant hérité du duché de Polotsk tandis que le duché de Lithuanie et de Novogrodek échéait en partage à son frère aîné Skirmund, épousa la princesse Marie, fille de Boris, prince de Tver ; celle-ci lui fit accepter la sainte foi avec le baptême. Ainsi, ce premier prince, souverain de la Lithuanie, était devenu chrétien sous le nom de Georges ; il gouverna ses États longtemps et avec bonheur. Il eut un fils du nom de Boris, et il mourut, encore jeune, en 1220.

Boris Guinvilovitch tenait déjà, du vivant de son père, les rênes du gouvernement de Polotsk. Seigneur pieux et juste, il voulut laisser un souvenir digne de lui. C’est pour cela qu’il fit bâtir d’abord une magnifique église près du château de Polotsk, là où auparavant était située la cathédrale de bois de Sainte-Sophie. Il bâtit ensuite deux autres églises dans un faubourg de Polotsk, au delà de la Dvina, sur le fleuve Bieltchyça ; une à la gloire des saints martyrs Boris et Gleb ; l’autre à la gloire de la sainte martyre Parascève, appelée, par les habitants de la Petite-Russie, Piatniça, et qui, sous Dioclétien, avait reçu la couronne du martyre.

À côté de ces églises, il bâtit un monastère, surmonté de tours, où il établit les moines Basiliens. Cet ordre s’y maintenait encore à la fin du siècle dernier ; aujourd’hui toutes ces églises sont entre les mains des Russes non-unis.

La ville de Borisow, sur la Bérésina, doit son origine au même prince Boris ; et les bourgeois de Polotsk recouvrèrent leurs institutions, qui leur avaient été ravies par son aïeul Mingaylo.

Il fit la guerre aux princes de Smolensk, de Pskov et de Vitepsk. Enfin, plein d’années, il mourut saintement, et fut enterré dans l’église de Sainte-Sophie, au château de Polotsk. Il laissa un fils du nom de Rechwald ou Rogwolod.

Rogwolod, qui, sur les fonts de baptême, avait reçu le nom de Basile, devint, à la mort de son père, duc de Polotsk. Les commencements de son règne avaient été troublés par les habitants de Pskov, qu’il réduisit à l’obéissance. Il régna ensuite longtemps en paix et mourut, laissant un fils du nom de Gleb, et une fille, qui était sainte Parascève. Ces enfants avaient reçu de leur père une éducation éminemment chrétienne, et ils héritèrent, à sa mort, du duché de Polotsk.


II


Parascève n’ayant pas loin de la maison le monastère de Saint-Sauveur, le visitait souvent avec piété, et elle prit tellement en affection la vie sainte et retirée des religieuses de ce couvent, qu’elle abandonna les richesses et les plaisirs de ce monde pour se consacrer au service de Dieu, dans la retraite paisible du monastère.

Sa résolution était très sérieuse ; car, très peu de temps après, elle céda à son frère Gleb sa part d’héritage et entra au monastère de Saint-Sauveur, et là, revêtue, par Siméon Novogorodec, de la bure monacale, elle observa religieusement les institutions de la règle de saint Basile. Elle enrichit le couvent de fortes sommes et le dota de ses biens.

Toute la Ruthénie fut saisie d’admiration à la vue de ce bel exemple, donné par la duchesse de Polotsk, et beaucoup de personnes des deux sexes embrassèrent, comme elle, la règle de saint Basile. Celles que les cloîtres ne pouvaient pas recevoir menaient une vie monacale dans leurs propres maisons. De ce nombre fut le prince Gleb, frère de la princesse Parascève.

Encouragé par sa sœur, il se consacra d’une manière héroïque au service divin, fit vœu de chasteté, et mourut après une vie plus pleine de bonnes actions que d’années. Il fut enterré à Polotsk, dans l’église de Sainte-Sophie, à côté de son père et de son aïeul. Au grand regret de tous, la famille des princes de Polotsk s’éteignit à la mort de ce prince.

Sainte Parascève observa fidèlement les commandements de l’Église et les institutions monacales. Elle avançait de plus en plus dans les voies de la perfection par l’exercice de vertus religieuses, elle animait sans cesse ses compagnes à la pratique de ces mêmes vertus, dont elle était le modèle. Sa meilleure distraction était de lire et de copier la Sainte-Écriture ; chose qu’elle recommandait aux autres religieuses. Elle affectionnait particulièrement celles qui s’appliquaient à cet exercice, et elle leur décernait des récompenses.

Ayant passé dans cette vie sainte plusieurs années au monastère de Saint-Spas, sainte Parascève attira sur elle les regards de toutes les religieuses, qui d’un accord unanime la nommèrent leur supérieure ou hégumène.

La servante de Dieu, parée de ce titre, prit à cœur d’orner son église. Cette église, fondée jadis par sainte Euphrosine, parut, à cause des soins de sainte Parascève, avoir été fondée par cette dernière.

Sainte Parascève ne s’occupait pas moins des temples du Saint-Esprit confiés à sa garde, c’est-à-dire, des religieuses qui étaient sous sa direction, et qui, après avoir fait vœu de chasteté, promettaient de consacrer à Dieu leur vie entière. Elle choisit secrètement pour sa supérieure l’une d’elles qui était la plus fervente, et elle ne voulait rien faire sans son approbation.

Toutefois, les religieuses du Saint-Sauveur ne jouiront pas longtemps de leur sainte supérieure. Baty, khan des Tartares, envahit le pays avec 600,000 hommes ; il s’empara d’abord de la Petite-Bulgarie, puis de Moscou, passant les habitants au fil de l’épée. Il prit ensuite Vladimir, Jaroslav, Rostov, Pereyaslav, Suzdal et beaucoup d’autres villes, dont il fit le saccage. Il défit Georges III Vsevolodovitch, grand-duc de Vladimir, et son neveu Vsevolod, ou Basile Constantinovitch, de même que Mstislav IV Romanovitch, duc de Kiev, qui, à la tête de leurs troupes, étaient sortis contre lui. Il les fit même mettre à mort d’une manière horrible dans son camp.

Après cette invasion, Baty se retira dans ses États, emportant avec lui un immense butin. Quelques années après, il envahit Kiev, qu’il mit à feu et à sang ; il dépouilla toutes les églises et les rasa. Beaucoup d’habitants furent tués ; l’esclavage fut imposé à un grand nombre d’autres. Vers 1254, il alla du côté de Sandomir, capitale de la Petite-Pologne, et envoya dans la Grande-Pologne son général Keydan. Celui-ci porta partout le carnage et la dévastation ; il fit hacher en pièces les religieuses de Vitov, qui ne voulurent pas violer leur vœu de chasteté ; toutes périrent, sauf trois qui avaient fui dans les forêts. Avec l’autre moitié de sa horde, Baty alla vers Cracovie. Il battit les troupes de Pologne, commandées par le palatin Clément, castellan de Cracovie, à Chmiclnik, le 18 mars ; et il força Boleslas V, le Chaste, de fuir avec sa mère Grzymislava et sa femme Cunégonde.

Il se dirigea ensuite vers la Silésie inférieure, du côté de Breslau, ville qu’il trouva sans habitants et qu’il brûla. Il fit assassiner Bénigne, religieuse de Cîteaux, fidèle à son vœu de chasteté. De là il se dirigea vers Liegnitz, et s’étant réuni avec Keydan, il se rua sur les troupes chrétiennes commandées par Henri II, le Pieux, fils de Henri le Barbu, duc de la Silésie et époux de sainte Hedvige. Les chrétiens furent battus, et le prince Henri périt avec une foule de seigneurs de Moravie, de Silésie, de Cuijavie et de Bohème. La tête du prince fut attachée par les Tartares à une lance et promenée partout. Son corps fut inhumé, avec les corps de beaucoup de chevaliers distingués, dans l’église de Saint-Jacques des PP. Franciscains de Breslau. Enfin Baty traversa la Silésie et la Moravie, semant partout la dévastation sur son passage, et s’en alla en Hongrie, qu’il pilla pendant trois années consécutives.

Lorsque la nouvelle des cruautés de Baty se fut répandue de tous côtés, la panique envahit la Russie-Blanche et surtout le duché de Polotsk, gouverné déjà alors par Ringold, grand-duc de Lithuanie. Sainte Parascève permit à ses religieuses de fuir devant le fléau. Celles-ci cherchèrent un asile d’un côté et de l’autre. Sainte Parascève confia la garde de son monastère à des personnes pieuses et dévouées ; puis, accompagnée de quelques religieuses, elle partit pour Rome, afin d’y vénérer le sépulcre des Apôtres et de rendre hommage au Souverain Pontife, leur successeur.

Cependant Baty, qui avait envahi la Hongrie, y essuya une grande défaite à Varadin, sous Bela IV, roi de Hongrie. C’est alors seulement que la terreur cessa de régner dans la Lithuanie, et que les citoyens, dispersés depuis longtemps, purent regagner leurs foyers. Les religieuses de Saint-Spas revinrent aussi dans leur monastère ; mais leur mère Parascève ne parut plus au milieu d’elles. Elle resta à Rome et vécut plusieurs années encore avec beaucoup de piété et d’édification, dans la capitale du monde chrétien, où siégeait alors le pape Grégoire IX. Enfin, prise d’une fièvre légère dont elle devait mourir, elle se munit des derniers sacrements, et rendit son âme pure entre les mains de Dieu, le 12 novembre 1239, à Rome, où elle fut enterrée solennellement.

Bientôt après, Parascève se fit connaître par de nombreux miracles. En 1275, elle fut canonisée par le pape Grégoire X, et son nom figure aujourd’hui à côté de celui de sainte Euphrosine. La Ruthénie et le grand-duché de Lithuanie l’ont prise pour leur patronne, et ont placé son nom dans leur calendrier, au 28 octobre (jour de sa canonisation). Ce jour fut célébré depuis dans la Petite-Russie, dans le grand-duché de Lithuanie et surtout à Polotsk, avec une grande solennité.

j. martinof. s. j.

LE P. DANIEL PAREBRUCK

de la compagnie de Jésus.




Léonard Kessel, en partant pour le Portugal[3], était accompagné de huit Belges, récemment admis avec lui dans la Compagnie de Jésus. De ce nombre il en est trois qui n’appartiennent plus à la Belgique actuelle, savoir : Jacques Lhostius (L’Hoste ?), de Douai, Maximilien De la Chapelle et Jean Couillon, de Lille. Nous laissons à leurs compatriotes le soin de réunir, dans d’intéressantes biographies, les documents épars qui les concernent. Sur les cinq autres novices Belges, nous n’avons que des renseignements fort incomplets, pour ne pas dire nuls. Nous avons parlé, dans une précédente notice[4], de Pierre Faber, de Hal, et de Thomas Poghius. Corneille Vishaven, le jeune, resta en Portugal. Hermès Poen, natif de Renaix, au pays d’Alost, était, avant d’entrer dans la Compagnie, chanoine de Saint-Pierre à Louvain, et professeur de morale au collége du Lys. Il fut plus tard envoyé de Coïmbre au collége de Gandie, fondé par le duc François de Borgia. Il nous reste à mettre un peu d’ordre dans les notes que nous avons recueillies sur le P. Daniel Parebruck[5].

Il naquit à Termonde. De là vient qu’il est souvent désigné sous le nom de Daniel a Denderamunda, Teneramundanus, etc. Il était prêtre du diocèse de Cologne, lorsqu’il se joignit à Strada pour aller en Portugal. Renvoyé presque immédiatement en Belgique, il partit aussitôt pour Rome, avec Jacques Lhostius[6], et passa de cette ville à Padoue,

 
  1. Cette notice est extraite de Stébelski, auteur de l’ouvrage polonais intitulé : Deux astres de Polotsk (Dwa swiatla, etc. Vilna, 1781) et devenu extrêmement rare. — Nous avons publié une notice sur une autre sainte Parascève, dans les Précis Historiques de cette année, p. 289.
  2. Voir les Précis Historiques, 1862, p. 230 : Sainte Euphrosine, princesse de Polotsk ; par le P. Martinof.
  3. Voir les Précis Historiques, 1862, p. 466 ; et 1863, p. 344.
  4. ibid., 1865, p. 347, en note.
  5. Pour ce qui est du nom de ce Père, nous préférons l’écrire Parebruck, avec les auteurs de l’Imago primi sœculi, qui tous étaient Flamands, que d’admettre l’orthographe Paiebruck, d’Orlandini, qui, rédigeant son Histoire sur des documents manuscrits, a pu facilement prendre une lettre pour une autre. Dans notre notice sur le P. Kessel, la même erreur a été commise pour le nom de ce Père. (Précis Historiques, 1863, p. 347.)
  6. Précis Historiques, 1865, p. 347.