Sais-je où (Verhaeren)

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PoèmesSociété du Mercure de France (p. 73-74).

SAIS-JE OÙ ?


C’est quelque part en des pays du Nord — le sais-je ?
C’est quelque part sous des pôles aciéreux,
Où les blancs ongles de la neige
Griffent des pans de roc nitreux.

Et c’est grand gel — reflété brusquement
En des marais d’argent dormant ;
Et c’est givre qui grince et pince
Les lancettes d’un taillis mince.

Et c’est minuit ainsi qu’un grand bloc blanc.


Sur les marais d’argent dormant,
Et c’est minuit qui pince et grince
Et, comme une grande main, rince
Les cristaux froids du firmament.

Et c’est en ce lointain nocturne,
Comme une cloche taciturne
Qui tait son glas, mortellement.

Et c’est encore grand’messe de froid
Et de drèves comme en cortège…
C’est quelque part en un très vieux pays du Nord, — le sais-je ?
Mais c’est vraiment dans un vieux cœur du Nord — en moi.