Salve alma parens

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Éditions du Chien d’Or (p. couv).

Marcel Dugas



SALVE
ALMA
PARENS




éditions du chien d’or, québec
1941



tous droits réservés

par marcel dugas

SALVE ALMA PARENS



J’USERAI pour parler de toi d’un ton familier et j’appellerai chat un chat. Non pas que je sois devenu l’ennemi de la subtilité. Mes poètes, comme Dieu, parlent sur un Sinaï entouré de nuages et d’éclairs. Ils ont créé un paradis d’images, un ciel où les mots ont leur mystère comme les étoiles. Je ne les renie point. Mais il me plaît aujourd’hui de te parler comme un enfant à sa mère, de te caresser avec les syllabes les plus simples et les plus claires. Et tu me pardonneras, si tu veux, mon audace et peut-être ce que tu appelleras mon cynisme. Il n’importe, si tu y découvres mon amour et ma foi en ton destin. Comment pourrais-tu refuser le cri de tant de sincérité. Et si je te blesse, Mère, ne sais-tu pas pardonner ?


Si lointaine que tu sois, je n’ai pas perdu le souvenir de ce que tu es et je devine ce que tu seras plus tard, dans un siècle, lorsque des flancs du possible, belle et grande, tu apparaîtras marquée au front du sceau de la maturité. On te proclamera glorieuse entre toutes les terres du monde et les siècles viendront te prendre par la main. Car, toi aussi, tu auras fabriqué de la gloire et tu fatigueras les oreilles humaines de la clameur de ton orgueil.

Pour l’instant, tu es jeune encore et danses avec ivresse sur les rives des fleuves et des lacs. Ils sont à toi : tu peux en être fière. On les dit prétentieux, mais ils ne sont que grands.

Ils ont vu l’ambition, la gloire, l’apostolat et le martyr refléter dans leurs flots des figures inédites. Avant que le civilisé ne vînt, les tribus sauvages allumèrent des feux de joie, troublant le silence des solitudes du cri fauve qui s’échappait de leurs lèvres.

Ils ont miré le visage du carnassier, contemplé les manèges de l’instinct et, un jour, l’homme qui, avec ses mains et son génie, construit des maisons et des temples. Car des vaisseaux, soulevés par l’espoir du vieux monde, sillonnèrent leurs vagues et, un matin ou un soir, ont apporté la parole de foi, la prière, le vrai Dieu.

Sur leurs rives, un peuple est né. Il a grandi et il saura bien ce qu’il veut de lui-même quand il aura cessé d’être pauvre et sera en possession de ses forces créatrices.

Il a quatre siècles d’existence à peine ; il vient de se retourner sur sa couche. De ses yeux fureteurs, il fouille l’horizon.

Il demande du pain et des jeux ; il va exiger bientôt ces grands hochets qui passionnent des peuples vieillis et ces idées qui fleurissent d’illusions leur tête et leur servent à tromper la mort.

Il s’est levé, certes, et dans l’inexpérience de sa jeunesse, sa confiance inébranlable, il choisit de ses doigts malhabiles les matériaux du futur, les amasse, les empile. Vienne l’homme, l’architecte, le créateur, et ces amas de richesses serviront à la cathédrale, à l’œuvre mûre.


Petite patrie si chère dont le nom prononcé frappe l’âme, ouvre des sources jaillissantes. Petite patrie, arche sacrée où l’homme dans son souvenir passe et repasse. Petite patrie, passerelle jetée entre deux mondes.

Tes érables étaient si beaux ; leur doux feuillage palpitait de nids et les feuilles tremblaient d’extase quand le rossignol de minuit égrenait sa chanson divine. À l’ombre de tes tilleuls, ma jeunesse épia les proies du bonheur ! J’ai couru dans tes chemins, hanté ton église où mon âme, priante, se mêlait à l’encens et aux grondements des orgues. J’ai tout aimé de toi : terre, ciel, bois, moissons et les sapins neigeux qui tendaient leurs branches dans l’hiver inexorable. Et ces veillées pleines de rires, d’histoires et de tabac. Comme ils fument ton tabac avec délices, les gars, les grands gars de chez nous ! Richesse âcre ou mielleuse, suc de cannelle ou relents d’enfer emportant bouches et gosiers.

Petite patrie dorée par la lumière ou battue des grands vents, de la neige et de la pluie, ton image tremble en moi comme une gestation, un amour indicible. J’ai le désir de vous, grands ormes berceurs où mon enfance a ri à la lumière et, dans ma vieillesse solitaire, je tends vers votre ombre mes mains suppliantes.

Et il y a la grande patrie, celle qui s’avance vers les siècles de l’avenir avec sa figure avide de gloire. La terre, travaillée en tous sens, où les morts tiennent conseil, s’entraîne vers les possibles. Quels fruits en jaillissent, et faune et flore ! C’est prodige des yeux et nourriture des corps.

Couché, en rêve, sur le sable de ton fleuve, j’évoque le passé dans ce vent qui agite les arbres ; je trempe mes doigts de fièvre dans le flot qui vient mourir sur la grève. Je tends l’oreille — comme le chasseur qui guette le gibier rare. Moi, je ne suis qu’un chasseur d’images et fouetté par les vents imaginaires, je vis dans ce rêve qui est la réalité de ton histoire. Je recrée le passé pour qu’il réchauffe ma vieille âme. Ce fleuve chante le poème initial. Ce dur poème où, sur la glèbe encore inviolée, marchèrent jadis les héros et les saints.

Ruban de pourpre déroulé sous mes yeux ; ruban maculé de mots et de sang, de fastes, de ruées grandioses et sauvages ; ruban où s’imprimèrent le visage des hommes et des femmes, où s’estompent la cité primitive, les clochers habillés de prières, la rive ensorceleuse enchantant un peuple qui ne voulut pas mourir.

Mais pourquoi dormir sur ce passé ou tant scruter l’avenir, chercher à le faire tenir dans des mots, car il les dépassera tous. Le présent existe : courons nous enivrer au charme de sa réalité.


Ce pays a un corps et une âme ; ce pays respire dans chacun de ses habitants, mâles et femelles.


Les filles sont belles et simples, quoique parées — quelques-unes, certes, perdues de « manières », de curiosités quotidiennes, rêvant de chapeaux et de « machines » — Elles aiment les colliers, boucles d’oreilles, bracelets et tout le reste ; elles s’habillent comme la reine de Saba ou simplement, sans bijoux et sans fard.

Filles-fleurs qui ploient sous l’averse ardente des journées d’août.

Filles enrobées dans un manteau d’hermine et qui, des entrailles du sol, surgissent comme des statues de sel, car c’est l’hiver.

Dans leurs yeux, comme dans un miroir, le désir se baigne. Le désir ! Tous les désirs. Mais celui-là entre autres, le meilleur : au bout de l’allée, le jeune « cavalier » s’avance, sourire aux lèvres, portant sa force, tel un talisman. Elles l’ornent de qualités : il est beau, ses regards brillent. Elles courent au-devant de lui, l’entourent, font chaîne. Et c’est un prisonnier. Il ne sait laquelle choisir, il les choisit toutes d’abord, pour ensuite prendre le bras de l’élue. La chaîne se rompt. Ils sont libres, ils peuvent courir le monde ; la joie emplit leur cœur et leurs bras. Ils peuvent courir : le monde leur appartient.

Ô jeunesse, fleur du ciel, ambroisie de la terre ! Pourquoi ne pas rêver, amasser dans ce moment béni la félicité humaine ? Oublier ceux qui ont souffert, qui ne furent jamais heureux, qui ignorent de telles joies, et traînent dans leur poitrine un cœur qui ne s’est jamais ouvert.

Que les lèvres se joignent pour qu’il y ait sous le ciel un peu plus de bonheur !

Le miracle va descendre de sa maison idéale.

Cessez vos sacrifices, essuyez vos larmes ; jetez loin de vous suaires et cilices et venez, troupes fraîches et riantes, à la fête qui vous appelle.

Venez prendre le bonheur à pleines mains. Ouvrez large votre cœur afin que le vent de l’ivresse s’y engouffre tout entier.

Et tes gars ! — Ils sont grands de taille, petits, moyens : ce sont des tournesols, des lys, des soleils. Ils ont un teint rouge vif de pomme, éclat du fruit natal sur l’arbre, au temps de la cueillette.

Ils adorent la force et le plaisir. On les trouve sur toutes les pistes du sport. Comme Antée, ils captent de leurs pieds fermes la vertu du sol.

Narines ouvertes, ils aspirent le vent salubre des savanes et des forêts, pareils à ces pionniers et défricheurs de jadis qui posèrent les bases de notre empire.

Ces filles et ces gars assurent la persistance de la race dans un coin perdu de l’Amérique. Ils parlent français. C’est bien pour cela que ce coin perdu de l’Amérique revêt une signification spéciale, miraculeuse, paradoxale. Autrement, il n’en faudrait pas parler.

L’arche flotte sur les eaux ; elle porte sa cargaison sacrée qui s’avance vers les rives du futur. Depuis trois siècles, elle est sauvée du déluge — celui des événements qui changent la face du siècle, le visage des peuples — celui de l’histoire qui pétrit les hommes dans son creuset.


Les vieillards lèvent les yeux sur cet avenir en fleur, sur ces générations vives, alertes, qui courent à la conquête sur les grandes routes.

Les vieillards qui descendent sur le versant de la montagne regardent avec envie ce lever d’aube, ces nouveaux venus en marche vers les îles de la promesse, heureux de porter les mains sur les trésors de la vie pour les faire fructifier. Ils augmenteront les legs ; ils créeront des jardins nouveaux où toutes les fleurs vont fleurir.

Dans le soir, l’érable balance ses bras vénérables. Doré par le soleil, dispensateur d’un suc unique, il évente sa vieille âme symbolique. Depuis un temps immémorial, il a nourri ses fils des eaux les plus vives : ces eaux qui traînent un goût d’ambroisie, un filet de nectar.

Quand vient l’automne, son feuillage berce la mort de l’été. Apothéose des feuilles où le rouge le plus sanglant alterne avec le vert le plus tendre. Charme de la beauté finissante, mêlé à ce qui ne veut pas mourir encore. Orchestration des déclins, et ce fin travail des soleils morts ayant laissé dans leurs ramilles des baisers de feu. Fête de la couleur !

De ces feuilles — tellement elles sont belles ! — on voudrait se construire un lit de repos ou d’amour.

Dans le soir, l’érable balance ses bras séculaires. Il évente sa vieille âme symbolique.

Ma terre, quel est donc ton secret ? Tu peux bien me le dire, car je ne le crierai pas sur les toits. Tout au plus me contenterais-je de confier ce secret aux pages d’un poème. Dis-moi, les soirs de juillet, lorsque le soleil descend, ne te retournes-tu pas sur toi-même pour regarder frémir, monter, tel un grand désir sur l’horizon, ta glèbe ensorcelée, tes animaux, tes forêts, tes rivières, tes jardins, dans ce ciel qui crépite ainsi qu’un brasier d’amour.

Je crois que tu te regardes dans le miroir des sources et que tu te trouves belle. Les dieux de l’éther s’élancent vers toi ; ils couronnent ton front jeune : ce sont, hésitantes, au bord de la nuit, les étoiles qui déjà te sourient avant qu’ils ne te parent de leur éclat.

J’en ai la certitude, tu mêles tes soupirs d’ardeur avec ceux des hôtes nocturnes qui peuplent les espaces — royaume où se débat un autre univers parmi les rayons et les ombres, la bataille des éléments, la promenade oscillante des planètes.

Pour faire plaisir à l’Évangile, tes montagnes bondissent dans l’azur, escaladent l’infini. Elles bouleversent tellement l’ordre établi que, si on les regarde bien, on les aperçoit enveloppées d’un vêtement de sang, sous le voile épandu des feuilles mortes. Et tu ris de ta puissance et de cette splendeur qui est tienne.


Dans le jour qui va s’éteindre les correspondances s’établissent.

Tous les nids sont secoués d’un même frisson, et les nacelles aériennes partent pour le voyage sidéral.

Nacelle où le plus petit des oiseaux qui vainement chercha sa pâture s’élance vers les enivrements de l’empyrée, la corolle céleste, humide de larmes séraphiques, où il ira étancher sa soif.

Voici l’oiseau-mouche remontant de la terre éblouie de sa beauté vers je ne sais quel golfe astral qui, dans la sphère divine, attend son retour. Et voici l’aigle, l’hirondelle, les autres, les innommés, commençant l’ascension sublime. Sûrs d’eux-mêmes, enivrés d’espace, buvant la joie éparse des choses, ils saluent d’un geste de leurs ailes le soleil qui va mourir.

Et ce sont les soupirs des nids visités par les derniers rayons : le cri de la mère-oiseau qui remercie d’être traversée par cette chaleur.

Immobiles, cuits, vernissés, les arbres agitent faiblement la chevelure de leurs branches. De chacune, un peuple minuscule monte et descend : mouches, abeilles, fourmis. Ils sont obsédés de stridulements, et le bec fin du pivert troue leur écorce mousseuse. L’écureuil lèche ses pattes en dévorant l’espace du soupçon de ses yeux. Assailli de mille craintes, il semble un petit roi Lear de ce royaume de branches et de feuilles. Et l’ombre de Pan erre sur l’herbe soyeuse.

Des jardins paraissent s’envoler, saisis par l’étreinte des génies de l’air qui roulent sous des jonchées de roses, de dahlias et de marguerites.

Sur le bord des sources, Narcisse effeuille dans leur miroir son cœur qui fuit, rapide comme la flèche, insaisissable comme la pensée.


Là-haut, plus dense, mûr ainsi que le fruit qui va se détacher, l’azur, épanoui. Dans sa passion de lumière, il ramasse ses énergies et son audace. Il lutte désespérément contre la fin, la chute vers l’obscurité.

Les idées pures térèbrent de leur vol obstiné ce zénith aux confins de la splendeur. Elles tourbillonnent autour de l’âme des poètes et des apôtres. Fines, effilées, créations de l’esprit las des vanités de la terre, elles jouent sur le seuil de l’éternité, porteuses du rêve et de la douleur des hommes.


C’est votre âme, poète, qui par vos deux yeux fouilleurs, voyage dans l’éther, cherchant à retrouver le squelette de l’amour défunt, l’archétype, le fin simulacre de vos tendresses, un fantôme échappé de l’oubli.

C’est votre âme qui, par vos regards blessés et priants, confie à l’azur une peine qui ne sait pas guérir, une angoisse que les hommes ne peuvent apaiser, un secret qui va se perdre dans l’univers stellaire, gardé par le silence.


Une vieille, aux bandeaux blancs, courbée sur elle-même, égrène de ses doigts noueux, un rosaire. Quelque part, sur le versant d’une colline, les morts dorment sous des croix.


L’hymne à la terre s’échappe de tous les gosiers, de toutes les bouches.

La terre tressaille, ivre-morte, de ces adulations qui s’élèvent des hôtes qui l’habitent.

La terre prie, vénère, adore les puissances célestes.

Le soleil descend toujours ; son agonie glorieuse va cesser.

Soudain, dressée sur ses pieds d’ivoire, la nuit s’assied sur l’horizon ; elle presse dans ses bras le jour qui s’écroule.

Ô nuit plus enivrante que le jour le plus parfait !

Voici sonnée, cette heure du ciel ! Le rival de la terre, en beauté, accuse en ce moment sa plénitude rayonnante. Il accapare toute la lumière et la verse, en coulées d’opale, sur notre planète endormie. Il n’est point avare d’échanges, de communications, de messages. Il est la voix qui parle intarissablement et le chemin par où s’engage le rêve des hommes fatigués du tumulte terrestre.

Ils disent adieu à leur corps charnel pour un départ où l’esprit et l’âme sont les navigateurs aventureux, assoiffés de paix ou tendus vers l’étoile qui n’a pas encore été découverte.

La sphère éthérée s’émeut de ce grouillement d’âmes devant la porte de ses mystères qu’elle garde si jalousement. Elle semble offensée des regards douloureux, braqués sur les parois fragiles qui dérobent à la connaissance ces merveilles sur lesquelles la main des terriens ne s’est pas encore posée. Mais du cœur pleurant des étoiles s’échappe une pluie de douceurs. Homme, cesse de souffrir et de chercher. Accueille ce repos, ces larmes nocturnes qui veulent être pour ton âme une rosée de grâce qui sanctifie : c’est l’heure de la prière de minuit.


Seigneur, vous avez créé les fleurs, la nuit et le jour, et l’homme avec ses cinq sens. Vous avez placé cet homme parmi les fleurs et vous lui avez donné des yeux pour regarder la terre qui est belle. Vous l’avez induit en tentation. Et il s’est approché de ces fleurs avec ses cinq sens. Il a voulu les respirer, les presser sur sa bouche, les étreindre. Et parce qu’il avait une volonté, il en a usé pour son plaisir durant les rapides minutes que vous lui avez accordées pour vivre cette vie. À cause de cette volonté qui lui vient de vous, et parce qu’il était fait selon votre ressemblance, il a voulu être maître de tout. Mais un maître sans sagesse, faillible, entouré de lisières et d’empêchements. Et parce qu’il était faible et malheureux, il a tenté de parfaire son désir. Dans toutes les choses créées, il a cherché à bercer sa misère, son cœur plein d’orgueil et sa chair mendiante d’amour. Il lui est arrivé de regarder l’univers et lui-même avec des yeux pleins de larmes. Souvent, avec ses regrets et sa mémoire enchantée, il a su rajeunir sa vieille âme. Tout un paradis tremblant s’y reflétait avec ses archipels de délires et d’ivresses.

Cet homme s’est ingénié à faire éclater ses limites. Pardonnez à cet homme qui n’est pas autre chose qu’un homme et qui, certes, n’a rien d’un dieu.

Il vous a tant aimé, jadis, quand votre nom passait sur ses lèvres d’enfant. N’a-t-il pas usé de ses genoux les marches de vos temples et mangé à ces Tables où vous distribuez le pain des élus ?

Il vous a tant aimé avant de s’approcher de ce monde avec les cinq sens que vous lui avez donnés.

Pour tout dire, il vous aimait malgré la tyrannie qu’exerçaient sur lui ces téléphones vivants, pleins d’appels et de sollicitations. Sans doute, bien mal, avec cette contradiction de l’esprit et de la matière où il semble que devant eux la raison s’abolisse. De la sorte, il était semblable à tous ceux que vous lui avez prêtés comme compagnons, amis et ennemis, associés d’un jour et que parfois la vie sépare.

Puis il a couru le monde de l’imagination et celui qui appartient à la géographie.

Avec ses cinq sens, il s’est approché des créatures du jardin terrestre. Il les a regardées, touchées, aimées avec le même délire que, le jour où petit, il savait vous adorer et meurtrir sur vos pieds crucifiés sa bouche ivre de cris.

Vous étiez muet, Seigneur, devant ce débordement d’amour, et votre tête pâle continuait à s’incliner sur votre poitrine sans qu’un mot en jaillisse.

Mais que le silence des humains est plus épouvantable encore, et leur cruauté infiniment plus ravageante que ce halo mystérieux où votre voix dort éternellement derrière vos lèvres décharnées.

On vous a tué, et vous ne pouvez plus parler ! Des êtres existent qui se sont tus et se taisent toujours. Seigneur, votre créature peut tellement souffrir que, parfois, elle vous ressemble, attachée à une croix, les bras cloués et le cœur transpercé par le fer.

Seigneur, vous êtes meilleur que la créature sortie de vos mains, puisque vous comprenez tout. Les hommes qui ne sont qu’à votre image sont privés de comprendre autant que vous.

Puisque vous avez créé le désir, vous savez mieux que tous qu’il se peut exercer en dépit de ce que l’on a inventé pour l’empêcher de s’assouvir.

Seigneur, vous êtes parfait.




imp. la semaine commerciale, 4 rue st-jacques, québec

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Catégorie:Poésie québécoise