Sans dessus dessous/Chapitre supplémentaire

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CHAPITRE SUPPLÉMENTAIRE

dont peu de personnes prendront connaissance.

Le roman que nous venons de présenter au public repose, comme tous nos travaux antérieurs, les bases les plus sérieuses, malgré ses apparences ultra-fantastiques.

Après en avoir conçu les grandes lignes, nous avons demandé à notre ami, M. Badoureau, ingénieur des Mines, auteur du savant exposé de l’état actuel des Sciences expérimentales, qui vient de paraître à la librairie Quantin, le mesure exacte des divers phénomènes décrits dans ce roman.

Nous soumettons cette mesure aux mathématiciens. Ce que le roman a montré, ce travail le démontre.

I

données du problème

La Terre est à peu près une sphère de 40 000 000 mètres de circonférence, plus exactement un ellipsoïde de révolution aplati dont le rayon équatorial, à peu près égal à , dépasse de 21 000 mètres le rayon polaire.

Nous admettrons avec Baily que, si sa matière était pesée en un point de sa surface, elle aurait un poids moyen de 5 670 kilogrammes par mètre cube. Sa masse totale est donc égale à

En admettant que la Terre fût exactement sphérique, et eût une masse spécifique constante dans toute son étendue, son moment d’inertie par rapport à un axe quelconque passant par son centre serait

Le centre de la Terre décrit chaque année, avec une vitesse moyenne d’environ 30 000 mètres par seconde, une ellipse dans le plan de l’écliptique. Notre globe tourne en un jour de 86 400 secondes sidérales autour de l’axe polaire, qui reste à peu près constamment parallèle à lui-même, et qui fait avec une normale au plan de l’écliptique un angle de 0,409[1].

La galerie creusée dans le flanc sud du Kilimandjaro a 27 mètres de diamètre. Elle est semblable au canon de 27 de la marine française (modèle 1875), mais 100 fois plus grande en dimensions linéaires (ou 1 000 000 fois plus grande en volume). Elle lance un boulet 1 000 000 fois fois plus lourd que l’obus de 180 kilogrammes lancé par ce canon. La masse de ce boulet

est 34.1015 fois plus faible que celle de la Terre. Nous admettrons que la vitesse initiale du projectile est de 2 800 000 mètres. Dans ces conditions, les quantités de mouvement reçues en sens inverse par le boulet et par l’âme de la pièce sont mesurées par le nombre 18.106.2 800 000 = 50.1012.

La résistance de l’air est une force dirigée en sens inverse de la vitesse relative du boulet par rapport à l’air, et égale à K MU2S[2], M étant la masse d’un mètre cube d’air (0,132 à la surface du sol), U la vitesse du boulet par rapport à l’air, S la surface de la projection du boulet sur un plan perpendiculaire à cette vitesse, et K un coefficient numérique dépendant de la forme du boulet et égal à 1, quand il est sphérique.


II

départ du boulet d'un point quelconque.

Si la Terre reçoit en un point A, situé à du pôle, un choc mesuré par une quantité de mouvement (fig. 1) dans une direction BA définie par l’azimut a et par l’inclinaison b, ce choc lui donne les deux mouvements suivants[3] :

Fig. 1

1° Une translation parallèle à BA de vitesse égale à Cette vitesse modifie la vitesse de translation de la Terre, change la durée de l’année et le plan de l’orbite terrestre, à moins qu’elle ne soit située dans le plan de l’écliptique.

2° Une rotation autour d’un axe OZ perpendiculaire à OAB, de vitesse angulaire égale à



Portons sur l’axe OZ une longueur OC proportionnelle à cette vitesse angulaire, dans un sens tel que, pour un observateur ayant les pieds en O, la tête en C, la rotation ait lieu en sens inverse du mouvement des aiguilles d’une montre. Portons de même sur l’axe ON une longueur OD proportionnelle à la vitesse angulaire de rotation de la Terre dans le mouvement diurne . Cette rotation a lieu en sens inverse du mouvement des aiguilles d’une montre, pour un observateur ayant les pieds en O, la tête en D.

Formons le parallélogramme OCED. OE est proportionnelle à la nouvelle vitesse angulaire de rotation de la Terre, et sa direction est celle du nouvel axe polaire. Elle coupe la surface de la Terre en un point N’, qui est le nouveau Pôle nord.

Fig. 2

Prenons comme axes coordonnés ON, une perpendiculaire à ON dans le plan ONA, et une perpendiculaire à ces deux droites (fig. 2).

Le plan OAB passe par la droite OA



Il fait l’angle a avec le plan des XZ. Il a donc pour équation



et l’angle DOC, d’une perpendiculaire à ce plan avec ON, qui a été pris pour axe des Z, est donné par la formule



Reprenons le parallélogramme OCED de la fig. 1.

Fig.3

L’angle EDO est . Si nous appelons l’angle DOE = NON’, l’angle DEO est . Posons



Nous aurons



d’où


L’angle dont le Pôle s’est déplacé est donc donné par la formule



Il est nul si on tire verticalement , ou si on tire à l’Équateur dans la direction de l’Est ou de l’Ouest

Il est maximum si on tire horizontalement d’un point quelconque dans la direction du Nord ou du Sud (), et dans ce cas, il est donné par la formule



La surface de la mer prend la forme d’un ellipsoïde de révolution autour du nouvel axe polaire. Le niveau de la mer change donc en presque tous les points du globe.

L’intersection du niveau de la mer ancien et du niveau de la mer nouveau se compose de deux courbes planes, dont les plans passent par une perpendiculaire au plan des deux axes polaires, et respectivement par les deux bissectrices AB, CD de l’angle des deux axes polaires.

Fig. 4.

La dénivellation de la mer sera à peu près maximum sur les bissectrices de l’angle formé par AB et CD. Le rayon de la Terre sur la bissectrice OH passe de la valeur , donnée par la formule



à la valeur , donnée par la formule


On a



d’où on tire sensiblement



Telle est approximativement la valeur du maximum de la dénivellation de la mer.

La nouvelle vitesse de rotation de la Terre OE est sensiblement égale à . La vitesse de rotation de la Terre subit donc une variation égale à



La durée du jour éprouve par conséquent une variation égale à



Cette variation est maximum quand le canon est braqué à l’Équateur horizontalement vers l’Est ou vers l’Ouest


Elle est nulle si on tire verticalement



si on tire d’un point quelconque de la Terre vers le Nord ou vers le Sud , ou si on tire au Pôle


La modification apportée au mouvement de la Terre se répercute dans les mouvements des astres qui font partie du système solaire, et même de ceux qui lui sont étrangers.


III

départ du boulet dans le cas considéré.


Si nous faisons dans ce qui précède



la vitesse de translation donnée à la Terre est égale à


c’est-à-dire 0 micron, 000 08, le déplacement angulaire du Pôle est donné par la formule



et la dénivellation maximum des mers est sensiblement



c’est-à-dire 0 micron, 009.

Dans ce cas, la fig. 1 devient la fig. 5.

Le coup de canon tiré au Kilimandjaro (point A, supposé à 0° de latitude et 35° de longitude est), horizontalement vers le sud, donne à la Terre : 1° un mouvement de translation vers le Nord ; 2° un mouvement de rotation autour d’un axe allant des bouches de l’Amazone (point F), aux îles Moluques (point G). Ce mouvement de rotation se combine au mouvement de rotation de la Terre autour de l’axe NS, et donne un mouvement de rotation autour d’un nouvel axe polaire N’S’. Le nouveau Pôle nord est situé en un point qui était primitivement par 55° de longitude ouest. Mais la distance NN’ n’est égale qu’à



c’est-à-dire à environ 3 microns[4].

Fig. 5

Tel serait l’effet littéralement minuscule du tir d’un canon qui lancerait un projectile 1 000 000 fois plus lourd que l’obus du canon de 27 de la marine française (modèle 1875), avec une vitesse 3 000 ou 4 000 fois plus considérable que les plus grandes vitesses qu’on ait pu atteindre jusqu’ici avec les nouveaux explosifs.


IV

erreur des trois zéros.


Si on oublie trois zéros dans la mesure du tour de la Terre, on trouve :



Le nouveau Pôle nord est voisin de la côte ouest du Groënland, et de l’ancien cercle polaire.

mètres. Les points surélevés à 8 415 mètres sont situés près des îles Bermudes, et au sud de l’Australie, les points abaissés à 8415 mètres sont situés près d’Iakoutsk et près des îles Malouines.

Le rayon vecteur de la mer au Pôle ancien qui était de



prend la valeur donnée par la formule



La différence , qui est la dénivellation de la mer à l’ancien Pôle, est approximativement



Le niveau de la mer monte donc de plus de 3 000 mètres au Pôle ancien, mais si on admet qu’il y existe un plateau de 4 000 mètres de hauteur, ce point n’est pas submergé.

Il était évident a priori que les anciens Pôles seraient abaissés par rapport au niveau de la mer, puisqu’en ces points le niveau de la mer était préalablement à une distance minimum du centre de la Terre, et que les nouveaux Pôles seraient surélevés par rapport au niveau de la mer, puisqu’en ces points, le niveau de la mer sera postérieurement à un minimum de distance du centre de la Terre.

Fig. 6

Il était de même évident que tous les points de l’ancien Équateur émergeraient puisque le niveau de la mer y était avant l’événement à une distance maximum du centre de la Terre, et que tous les points du nouvel Équateur seraient submergés, puisque le niveau de la mer y sera, après l’événement, à un maximum de distance du centre de la Terre.

En tirant du Kilimandjaro vers le Sud, le 22 septembre, douze heures après le passage du Soleil au zénith du lieu, Maston espère donner à la Terre un nouvel axe polaire allant de la baie de Baffin à la terre Adélie, et sensiblement perpendiculaire à l’écliptique. De la sorte, la Terre se trouverait dans des conditions semblables à celles de Jupiter. Les anciens Pôles seraient à 23° du nouveau Pôle et auraient constamment le climat de Trondjhem au printemps.

Fig. 7

V

parcours du boulet.


Dès que le boulet a quitté l’âme de la pièce, il constitue pour la Terre un véritable satellite. Le centre de gravité de la Terre et du boulet continue à se mouvoir comme par le passé, car son mouvement n’est pas altéré par les forces qui s’exercent entre la Terre et le boulet.

Si l’air n’existait pas, le centre du boulet décrirait une conique autour de ce centre de gravité comme foyer. Sa vitesse serait donnée par l’équation des forces vives.



1° Cette conique est une parabole si , et le boulet atteint une vitesse nulle en passant au bout d’un temps infini à une hauteur infinie (courbe 4).

Fig. 8

2° Si , la conique est une ellipse. En particulier, si , elle est un cercle (courbe 2). La force centrifuge fait alors exactement équilibre au poids du boulet. Si , le boulet choque la Terre, de façon à détruire l’effet du choc initial, en un point situé à une distance du point de départ (supposé à une certaine hauteur), comprise entre 0 et 20 000 000 (courbe 1). Si , le boulet décrit librement une ellipse complète et revient choquer le flanc du nord du Kilimandjaro avec une vitesse (courbe 3), de façon à détruire l’effet du choc initial.

3° Si , la conique est une hyperbole (courbe 5). Le boulet décrit la moitié d’une branche d’hyperbole, et ne revient jamais à son point de départ.

Nous pouvons facilement admettre qu’avec une vitesse initiale de 2 800 000, la résistance de l’air ne diminuera pas assez la vitesse du boulet pour lui faire décrire une courbe fermée.

Dans le cas considéré, le boulet décrit donc, en tenant compte de la résistance de l’air, une courbe infinie qui tourne sa concavité vers le centre de la Terre. Il reste constamment au-dessous du plan horizontal du point de départ, et néanmoins s’élève constamment de plus en plus vite. Au bout d’un certain temps, l’attraction terrestre sur le boulet devient négligeable à côté de l’attraction solaire, et il décrit une conique autour du Soleil, comme une nouvelle planète. À ce moment, d’ailleurs, nous perdons le boulet de vue.

4° Si était infini, le boulet resterait constamment dans le plan horizontal du point de départ, en décrivant la droite 6.

VI

déviation latérale apparente du boulet.

Fig. 9

Le boulet partant d’un point sensiblement sur l’Équateur et ayant une vitesse horizontale vers l’est de , conserve cette vitesse. Au bout du temps , il est à une hauteur au-dessus d’un point de latitude méridionale , et à à l’est de la position initiale du méridien du Kilimandjaro.

Sa projection horizontale b est à




à l’est de la position initiale du méridien du Kilimandjaro.

Si le boulet était constamment resté dans le méridien du Kilimandjaro, sa projection horizontale serait à



à l’est de la position initiale du méridien du Kilimandjaro.

L’excès de la première avance sur la seconde,



mesure la déviation apparente du boulet vers l’est.

Elle est alternativement positive et négative.

Au bout d’un temps très court, h est très faible, et la déviation apparente du boulet vers l’est est sensiblement égale à



Le boulet commence donc par avancer vers l’est, ainsi qu’on l’enseigne d’ailleurs dans tous les traités de balistique.


A. Badoureau.
  1. Telle est en effet la longueur de l’arc intercepté sur une circonférence de rayon 1 par un angle au centre de 23° 28’.
  2. Les Sciences expérimentales en 1890. IIe partie, chapitre III.
  3. Les Sciences expérimentales en 1890. IIIe partie, chapitre II.
  4. Le mètre international qu’on a cherché à faire égal au mètre français présente par rapport à lui une différence qui est, peut-être, de 2 microns.