Satan (Alfred Le Poittevin)

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Jadis, quand dépouillé de son antique gloire,
Terrassé par le Christ et fuyant sa victoire,
L’Archange descendit des cieux,
Abaissant ses regards sur les terrestres plaines
Il vit Adam, l’objet de ses jalouses haines,
Qui chantait des hymnes pieux.

« Va, dit-il, favori d’un Dieu que je déteste,
Hâte-toi de jouir de l’instant qui te reste
Pour chanter Celui que tu sers ;

L’heure fatale approche où ton cœur va maudire
Ton Ève, ton destin, ton Maître, et le délire
Qui, pour Lui, dicte tes concerts !

Ah ! de plus près que toi j’ai contemplé son trône ;
Nul éclat n’effaçait l’éclat de la couronne
Dont m’a dépouillé son courroux ;
Homme, que son amour fit sortir de la fange,
Tremble ! tu tomberas comme est tombé l’Archange
Que l’on adorait à genoux !

Tu te promets en vain d’éternelles années ;
Tu ne couleras point tes heures fortunées
Dans les bosquets riants d’Éden ;
Tu n’auras qu’entrevu cette joie éphémère :
Bientôt ton cœur flétri n’aura plus de prière
Pour l’Arbitre de ton destin.

Qu’importent mes revers et ma triple défaite ?
Tes jours de désespoir seront mes jours de fête ;
Bientôt, infidèle à sa loi,
Tu plaideras l’instant où, de ton Dieu victime,
Renversé par la foudre et tombant dans l’abîme,
Je t’y fis rouler avec moi !

Que de fois, à l’aspect de ta gloire passée,
Tu voudras effacer le jour où sa pensée
Te tira du sein du Chaos ;
Mais en vain : fléchissant sous ta longue infortune,
Tu te fatigueras d’une plainte importune
Pour qu’il te rende à ton repos.

Ô céleste palais, glorieux héritage !
Vastes champs de l’Éther, témoins de mon courage
Ainsi que de mon châtiment !
Du tyran fortuné qui m’a ravi ma gloire,
Je troublerai bientôt l’odieuse victoire !
Écoutez mon dernier serment :

Favori du Seigneur, Adam, ta bouche impure
Dévorera bientôt l’amère nourriture
Qui ravit l’immortalité ;
Dès lors tu transmettras la peine héréditaire
À tes fils condamnés, qui maudiront leur père
Et sa folle crédulité.

Un vertige éternel pèsera sur ta race !
Sur le globe où tu vis il n’est pas une place
Où ne doive couler le sang.

Son humide vapeur, ô Maître de la terre,
Chez ces êtres hideux que ton cœur me préfère,
Voilà quel sera ton encens !

Ta jalouse fureur y sèmera la guerre !
L’homicide Caïn, teint du sang de son frère,
Sera le premier meurtrier ;
Ses fils hériteront des erreurs paternelles,
Et, bravant ta colère, à ton culte infidèles,
S’obstineront à l’oublier.

En vain ton bras vengeur, lassé de la clémence.
Les ensevelira dans un désastre immense
En déchaînant les mers contre eux ;
À peine reproduits, bientôt les fils de l’homme,
Par leur iniquité, sur l’impure Sodome,
Auront fait descendre tes feux !

En vain ton Fils aimé, s’exilant sur la terre,
Viendra leur proposer un destin plus prospère
S’ils veulent accepter tes lois ;
Oubliant de Daniel l’antique prophétie
Ils ne connaîtront point la voix de ton Messie
Et l’attacheront à la croix !

Puis, quand auront sonné les heures tant prédites,
L’Ante-Christ s’abattra sur ces races maudites,
Suivi d’un déluge de feux,
Comme ces vents brûlants qui traversent les plaines,
Soulèvent l’Océan, déracinent les chênes,
Et ne laissent rien après eux !

Tu descendras alors sur ton splendide trône ;
Quelques justes épars recevront la couronne
Pour avoir pratiqué ta loi ;
Mais, frémissant de rage et chérissant leurs crimes,
Le reste des humains, roulant dans les abîmes,
Viendra t’y maudire avec moi ! »