Satires (Horace, Raoul) Livre 2 (latin français)

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Satires (Horace, Raoul) Livre 2 (latin français)
Traduction par Louis-Vincent Raoul.
Satires d’Horace et de PerseImprimerie Bogaert-Dumortier (p. 115).

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FINIS

Traduction de L.V. Raoul


LIVRE II.


SATIRE I.


L’un prétend que, trop libre en mes écrits caustiques,
Et transgressant les lois des anciens satiriques,
J’exerce la censure avec trop de rigueur ;
L’autre trouve mes vers traînans et sans vigueur,
Et pense qu’aisément chacun, du même style,
Dans une matinée en composerait mille.
Docte Trébatius, de grâce, dites-moi,
Que faut-il faire ? — Il faut ne plus écrire. — Quoi !
Ne plus faire de vers ! — Non. — L’avis est fort sage,
Mais je ne puis dormir. — Dans le Tibre, à la nage,
Jetez-vous par trois fois, et le soir, buvez pur ;
Il n’est point pour dormir de remède plus sûr.

Ou bien, si rien en vous n’éteint l’ardeur d’écrire,
Certain du noble prix qu’obtiendra votre lyre,
Célébrez de César les exploits éclatans.
— Déjà je les aurais chantés depuis long-temps ;
Mais chacun n’est point propre à peindre la vaillance,
Et le Gaulois altier expirant sur sa lance,
Et le Romain vainqueur, et le Parthe blessé,
De son coursier fougueux par un trait renversé.
— Au moins vous auriez pu d’un prince ferme et sage
Célébrer la justice et vanter le courage.
Ainsi jadis Lucile honora Scipion.
— Je n’en laisserai point passer l’occasion ;
Mais je ne voudrais pas de ses propres merveilles
Aller mal à propos lui lasser les oreilles.
Car César, s’il accepte un encens qu’on lui doit,
Se cabre sous la main d’un flatteur maladroit.
— Sans doute ; mais il faut y mettre de l’adresse ;
Et cela vaudrait mieux que de venir sans cesse
Percer de traits sanglans Crispinus, Fannius,
Pantolabe et surtout ce bon Tigellius.
Tout le monde en effet craint de prêter à rire,
Et, n’eût-il rien à craindre, abhorre la satire.
— Que voulez-vous ! Milon, dès qu’à ses yeux troublés,
Dans la chaleur du vin, les flambeaux sont doublés,
Se livre pour la danse au transport qui l’entraîne :
Castor, noble écuyer guide un char dans l’arène ;
Pollux, adroit lutteur du ceste arme son bras ;
Autant d’hommes, autant de penchans ici-bas.
Le mien est d’imiter le genre de Lucile,
Qui nous vaut bien tous deux, s’il n’est pas plus habile.

Lucile de ses vers faisait ses confidens ;
Et comme on s’abandonne à des amis prudens,
Qu’il eût le sort propice ou les destins contraires,
Eux seuls de ses secrets étaient dépositaires :
De là vient qu’en son livre, ainsi qu’en un portrait,
Le vieillard tout entier est rendu trait pour trait.
Habitant de la Pouille ou de la Lucanie,
Car les Vénusiens sont une colonie
Transportée en ces lieux, au départ des Sabins,
Pour contenir, dit-on, de dangereux voisins ;
Quelque nom que l’on donne aux bords qui m’ont vu naître
Je veux suivre Lucile et le prends pour mon maître ;
Mais, tout en l’imitant, je fuirai ses écarts :
Personne ne sera blessé de mes brocards ;
Et tant que les méchans me laisseront tranquille,
Mon glaive en son fourreau demeurant inutile,
(Puisse-t-il, juste ciel ! s’y rouiller à jamais !)
Je ne m’en servirai qu’à m’assurer la paix ;
Mais malheur à celui dont l’attaque imprudente
Viendrait aigrir le fiel de ma plume mordante !
Puni, je l’en préviens, de sa témérité,
Dans la ville, en tous lieux, son nom sera chanté.
Cervius en courroux, saisit l’urne fatale.
La fille d’Albucus, menaçant sa rivale,
Nouvelle Sagana, tient un breuvage prêt,
Le brigand un poignard, Turius un arrêt !
C’est la loi naturelle en tous les cœurs empreinte,
Et pour se mettre en garde ou répandre la crainte,
Chacun de ses moyens use en se défendant,
Le taureau de sa corne, et le loup de sa dent.

Confiez à Scéva les longs jours de sa mère :
Il ne brisera point sa tête octogénaire ;
Pas plus qu’un loup ne rue, et qu’un torreau ne mord.
Scéva plus doucement lui donnera la mort,
Et, le miel d’un gâteau, fait tout exprès pour elle,
Le débarassera de la vieille éternelle.
En un mot, car j’abuse ici de votre temps,
Soit que vers le tombeau je chemine à pas lents,
Soit que m’enveloppant de ses crêpes funèbres,
Bientôt la mort m’appelle au séjour des ténèbres,
Riche ou pauvre, dans Rome ou sur des bords déserts,
Quelque soit mon destin, je veux faire des vers.
— Ah ! jeune homme, craignez que de cette manie
Votre imprudente audace un jour ne soit punie ;
Craignez qu’un ennemi chez les grands en faveur,
N’éteigne en votre sang cette coupable ardeur.
— Quoi donc ? quand le premier, d’un courage héroïque,
Lucile a pu venger la morale publique ;
Lorsqu’au front des pervers par ses mains arraché,
Le masque laissa voir leur opprobre caché,
Lælius en prit-il le plus léger ombrage ?
Et vit-on le héros qui renversa Carthage,
Réclamer pour Lupus, accablé de ses vers,
Ou plaindre Métellus de quelques traits amers ?
Sa muse cependant également sévère,
Des plus nobles romains au plus obscur vulgaire,
Poursuivit sans égards tous les gens vicieux,
Et la seule vertu trouva grâce à ses yeux.
Bien plus : quand loin du bruit d’un trop vaste théâtre,
Ces grands hommes, au sein d’une amitié folâtre,

Voulaient fuir des emplois la fatigue et l’ennui,
Ils couraient chez Lucile ; et c’était avec lui
Qu’ils goûtaient le bonheur d’une douce retraite,
Heureux de partager le souper du poète,
Et ses plaisirs sans faste et ses jeux innocens.
Je n’ai pas sa naissance, encor moins ses talens :
Comme à lui, cependant, quoi qu’en dise l’envie,
Qui briserait ses dents en mordant sur ma vie,
Les grands ne m’ont fermé leur cœur ni leur maison.
Docte Trébatius, ai-je tort ou raison ?
— Vous avez raison, mais vous ignorez peut-être
Une loi qu’il importe aux auteurs de connaître :
La voici : « Le préteur punira l’écrivain
Qui par des vers méchans blessera son prochain. »
— Oui, par de méchans vers, et le décret est juste ;
Mais s’ils sont bons ; s’ils ont le suffrage d’Auguste ;
Si l’auteur pour son compte, exempt de tout défaut,
Ne blesse qu’un fripon, ou n’a berné qu’un sot !
— Oh ! tout le monde alors approuvant la satire,
Le procès finira par des éclats de rire.


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FIN