Satires (Perse)/II
◄ Satire I | Satire II | Satire III ► |
SATIRE II.
LES VŒUX.
De l’époque sacrée où tu reçus le jour,
Marque d’un crayon blanc le fortuné retour,
Et verse un pur nectar à ton heureux génie.
Tu n’as point, Macrinus, cette avare manie
Qui, la bourse à la main, abordant les autels,
Oserait marchander même les immortels.
Qu’il est rare d’entendre un riche, avec franchise,
Offrir au ciel des vœux que l’honneur autorise,
Et sans déguisement, sans murmures secrets,
Le cœur à découvert, expliquer ses souhaits !
Grands dieux, rendez-moi bon, équitable, sincère :
Voilà ce que l’on dit d’une voix haute et claire,
De manière à frapper le passant curieux ;
Mais murmurant tout bas des vœux ambitieux :
Oh ! que si je pouvais du frère de mon père
Accompagner bientôt la pompe funéraire !
Si j’allais, sous le soc, en labourant mon champ,
Entendre résonner une cruche d’argent !
Ou bien si le pupille après lequel j’hérite,
Maigre et frêle avorton, mourait de mort subite !
Nérius, cet époux enrichi par son deuil,
A bien conduit déjà trois femmes au cercueil !
Et pour sanctifier des vœux si téméraires,
Du Tibre le matin les ondes salutaires
Effacent dans ton cœur les tâches de la nuit.
Mais réponds, c’est d’un rien que je veux être instruit :
Quel est ton sentiment sur le dieu du tonnerre ?
Parle, es-tu bien d’avis qu’il faut qu’on le préfère…. ?
— À qui donc ? — à Staïus ? tu ne réponds rien ? quoi ?
Douterais-tu lequel est de meilleure foi ?
Lequel de l’orphelin prendrait mieux la défense ?
Eh bien, ce qu’à ce dieu tu dis en confidence,
Va le dire à Staïus. Jupiter, dieu vengeur,
S’écriera tout d’abord ce lâche empoisonneur !
— Et Jupiter muet, sans s’invoquer lui-même,
Sans se prendre à témoin, écoute ton blasphème !
Peut-être, lorsqu’au lieu de ne frapper que toi,
Sa foudre éclate au loin, ton cœur est sans effroi.
Quelle funeste erreur ! quoi ! parce que tes restes,
Épouvantable objet des vengeances célestes,
À la voix d’Ergenna, dans des lieux abhorrés,
Par le sang d’un agneau ne sont pas consacrés,
Du puissant Jupiter fatiguant l’indulgence,
Tu crois pouvoir sans crainte insulter sa vengeance !
Par quels dons penses-tu corrompre ainsi les dieux ?
Par des gâteaux ! des fleurs ! des parfums précieux !
Il est d’autres erreurs. Vois-tu cette grand-mère
Qui, du ciel à grands cris conjurant la colère,
Redoute à tout moment quelque malheur nouveau ?
La vois-tu retirer son enfant du berceau,
Et du doigt du milieu, saintement attentive,
Lui frotter et la bouche et les yeux de salive ?
Oh ! sans doute elle sait par quels charmes puissans
On détourne l’effet des regards malfaisans !
Des deux mains doucement elle le frappe ensuite ;
Et déjà, dans l’espoir dont tout son cœur palpite,
Le frêle rejeton qu’elle tient en ses bras,
Le dispute en richesse aux Crassus, aux Pallas.
Puisse, dit-elle, un roi le souhaiter pour gendre !
Puissent mille beautés à son hymen prétendre !
Qu’il marche, et qu’à l’instant qu’il les aura touchés,
De roses sous ses pas les gazons soient jonchés !
Pour moi, je ne veux pas qu’une aveugle nourrice
Fatigue ainsi du ciel la bonté protectrice.
Non, vînt-elle, grands dieux ! en habits solennels,
Pour mon fils à genoux encenser vos autels,
N’écoutez point les vœux de sa bouche indiscrète.
Vous demandez au ciel une vigueur d’athlète,
Une mâle vieillesse : à la bonne heure ; mais
Ce luxe efféminé, ces festins, ces grands mets,
Quels que soient ici-bas vos nombreux sacrifices,
Permettront-ils aux dieux de vous être propices ?
Vous voulez augmenter votre bien, vos troupeaux,
Et les autels sont teints du sang de vos taureaux !
Mercure, dites-vous, visite mes étables ;
Donne-moi des brebis, des agneaux innombrables.
Eh ! le moyen d’en voir le nombre aller croissant,
Quand pour lui chaque jour vous en immolez cent !
Cet homme toutefois, à force de constance,
Croit avoir du destin vaincu la résistance.
Déjà, dit-il, je vois mes désirs accomplis,
Et mes bœufs engraissés et mes greniers remplis ;
Il le croit, jusqu’au jour où trompé, sans ressource,
À peine un dernier sou se désole en sa bourse.
Qu’un trésor tout-à-coup s’offre à vos yeux surpris ;
Qu’on vous montre une bourse, une coupe de prix,
Vous en suez ! le cœur vous bondit d’allégresse,
Et je vous vois verser des larmes de tendresse.
De-là sur les autels de nos dieux protecteurs,
L’or des vaincus porté par les triomphateurs ;
De ces dieux en effet la majesté sacrée,
N’a-t-elle pas bien droit à la barbe dorée,
Quand leur bonté, la nuit, par des soins complaisans,
Des songes les plus purs vient enivrer nos sens ?
L’or a banni le cuivre en honneur sous Saturne :
De la simple vestale il a remplacé l’urne :
Il a fait dédaigner et l’argile et le bois
Qui suffisaient jadis au second de nos rois.
Esprits vides du ciel et courbés vers la terre !
Pourquoi porter vos mœurs aux pieds du sanctuaire ?
Pourquoi, jugeant les dieux d’après vos sentimens,
Leur prêter de vos goûts les vains rafinnemens ?
C’est là, c’est cette erreur au genre humain fatale,
Qui court ravir si loin la perle orientale :
Qui mêle la canelle au fruit de l’olivier :
Qui cherche les grains d’or épars dans le gravier,
Et qui par le murex, dont la liqueur s’altère,
Fait prendre à nos toisons une teinte étrangère.
Ces plaisirs, cet éclat que le luxe produit,
Le coupable du moins quelquefois en jouit ;
Mais vous qui nous devez de solennels exemples,
Pontifes, répondez, que sert l’or dans vos temples ?
Moins encore, ô Vénus, que les simples joujoux
Que la vierge en tremblant vient mettre à tes genoux.
Que n’offrons-nous aux dieux des tributs moins vulgaires,
Des dons que Messala, l’opprobre de ses pères,
Ne leur saurait offrir avec tous ses trésors ?
Un cœur incorruptible, une âme sans remords ;
Une âme où la vertu satisfaite et tranquille,
Ainsi que dans un temple, ait fixé son asyle.
N’en doutons point : offert par un mortel pieux,
L’hommage le plus simple est agréable aux dieux.