Savoir aimer/Charité

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Savoir aimerPubliés par les amis de l’auteur (p. 68-71).
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CHARITÉ



Nourrissez votre cœur du feu des charités.
Filles du fils de l’homme, aux yeux pleins de clartés
Aimez celle qu’un peuple appelle : politesse
Avant Notre-Seigneur, savoir vivre, qu’était-ce ?
Quelque chose au dehors, mais au fond, presque rien.
Être civilisé, c’est bien ; poli, très bien,
La politesse, fleur de l’homme charitable
Règle notre attitude, et rit à notre table,
Et donne un sens exquis aux choses du repas,
Science qui s’apprend, et qui ne s’apprend pas.
Code intime et profond, né dans la quiétude
Du cloître, et dont le monde après, fit son étude.
L’âme où passa Jésus, toujours en garde un pli.
Et c’est encore rester chrétien qu’être poli.
La politesse est reine et fait son doux royaume
Des cœurs purs, c’est un lys royal qui les embaume !
Non, celle qui se montre en chapeaux élégants :
Bien qu’un homme se lise aux couleurs de ses gants,


Ni celle qui fatigue, — ou bien qui complimente. —
Obligée à se taire à moins qu’elle ne mente,
Mais celle-là qui règne avec simplicité,
Qui sait servir le miel pur de la vérité ;
Qui veut laisser chacun ou chacune à sa place ;
Qui calme les transports comme elle rompt la glace,

Parmi les charités, si légères au sol
Qu’elles foulent si peu, que l’on dirait un vol
Timide, à fleur de terre, ou d’ange ou d’hirondelle ;
Au nom des tout petits qui soupent sans chandelle,
Sous les arbres, les yeux dans leurs cheveux trop longs
Et viennent d’Italie avec leurs violons ;
Du vieux joueur de flûte, aux mèches toutes grises
Et du pauvre, à genoux sur le seuil des églises,
Qui marmotte une antienne ou qui froisse les grains
Du rosaire, à la fête où vont les pèlerins,
Parmi les charités, porteuses d’escarcelles
D’un vers reconnaissant, je veux célébrer celle
Qui passe en écoutant les plaintes des roseaux
Et qui donne aux petits comme on donne aux oiseaux !

Fais ton miel admirable, ô reine des abeilles,
Charité, donne encore tes jours, ton cœur, tes veilles,
Jésus multiplia les poissons et les pains.
Voyez, dans ce palais, dont les plafonds sont peints,
Où les lustres ont plus de branches que les arbres,
Où le peuple des sphinx taillés au cœur des marbres
Garde la cour sonore et les vastes paliers,
Château plein de frontons, d’urnes et de piliers,
Cette royale enfant toute belle, qui foule
Comme un jardin fleuri, l’éloge de la foule !


Eh bien, la charité qui lui parle à mi-voix
Saura lui retirer les bagues de ses doigts,
La perle éclose au coin de son oreille en flamme,
Sa chevelure où rit la gloire de la femme,
Sa chambre, où le soleil allonge dans la paix
Sa large griffe d’or sur les tapis épais ;
Ses miroirs éclatants, les servantes accortes,
Ce vestibule altier plein de dessus de portes,
Où des gens dont le vent chiffonne le manteau
Sont poudrés par Boucher et fardés par Watteau,
Et l’œil de ces bergers, diseurs de douces choses ;
Les grands vases de fleurs, où Sèvre a peint les roses !
Ses pieds si délicats, chaussés de gros souliers,
Sa taille consacrée à d’humbles tabliers,
Sous sa coiffe de tulle et d’épingles légères,
L’enfant ira, parmi les âmes étrangères,
Fermer les yeux des morts, coudre le drap fatal,
Où sous les crucifix des murs de l’hôpital
Au chevet d’un mourant dont la bouche blasphème
Pour lui dire : « Je suis votre sœur qui vous aime ! »

Cette charité-là se nomme amour divin.
Elle enivre les cœurs, plus forte que le vin,
Père des charités, dont le père pardonne,
Jésus, ô doux Jésus, pour qu’enfin l’on se donne
À vous, dont on tient l’âme et le cœur que l’on a,
Vous qui changiez en vin l’eau claire de Cana,
Qui chantait en entrant sonore au col des vases.
Changez la boue en or dans nos cœurs lourds de vases.
Vous qui rendiez la vue, à ceux dont les bâtons,
Tâtent le pied des murs, nous marchons à tâtons,

Et nous sommes des sourds, et la pierre est pareille
À nous. Maître, mettez le doigt sur notre oreille :
Vous, dont l’ordre, au soleil qui sur le peuple luit,
Tirait Lazare blanc des brumes de la nuit,
Seigneur, ressuscitez aussi nos cœurs de roche
S’il est vrai, ô Seigneur, que votre règne approche !