Scènes de la Vie religieuse en Orient

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SCENES


DE LA


VIE RELIGIEUSE EN ORIENT





DAMAS. — JÉRUSALEM. — LE DÉSERT. — LA CARAVANE DE LA MECQUE.[1]





I. — DAMAS.

Me voici à ma première station, à Khan-Murad, sur la route de Beyrouth à Damas, et si j’avais pu nourrir quelques illusions sur le comfort des hôtelleries du pays, je dois y renoncer aujourd’hui. Des murailles fendillées, crevassées, recouvertes pour la forme d’un toit qui craque de toutes parts, et divisées en chambres où se pressent avec une touchante fraternité des voyageurs, des bêtes de somme et des moutons, — voilà ce qui constitue le khan oriental dans toute sa perfection. Des galettes de farine, que l’estomac d’une autruche et celui d’un Arabe peuvent seuls digérer, des œufs, du café, des narguilhés, et au plus beau jour des fruits et des poules, voilà la carte des ressources culinaires que le caravansérail offre à l’appétit des voyageurs. Ma qualité d’Européen me valut les honneurs d’une chambre séparée, de laquelle on fit déguerpir, non sans peine, trois énormes mulets blancs qui y avaient élu domicile. Mon hôte lui-même, séduit par l’espérance d’un backchich, cette lampe merveilleuse d’Aladin que tout voyageur porte dans son gousset, voulut pousser la civilité jusqu’à balayer le sol de la chambre où je devais passer la nuit; mais un Hercule eût pu seul accomplir ce travail surhumain, et ces démonstrations de propreté soulevèrent des torrens d’une poussière si nauséabonde, que je dus supplier mon hôte de ne pas donner suite à ses bonnes intentions et de laisser les choses dans leur état normal.

Douze heures de cheval à travers les chemins les plus abrupts ont des vertus somnifères qui dépassent celles des préparations opiacées. Aussi, après un frugal repas, je me roulai avec délices sur mon petit lit de camp, où un sommeil de juste exténué vint me verser ses pavots jusqu’au lever de l’aurore. Au réveil, le spectacle qui s’offrit à mes yeux n’était pas dénué d’originalité. Les trois mulets que l’on avait chassés à mon intention de leurs quartiers avaient profité de l’obscurité de la nuit pour faire leur rentrée à la sourdine; couchés autour de mon lit, ils savouraient en vrais sybarites le bien-être du repos. Quelques moutons, moins hardis, étaient restés groupés en travers de l’ouverture qui servait de porte à mon antre. Les rayons d’or du soleil levant me permirent d’apprécier mille détails de décoration qui avaient échappé la veille à mes yeux alourdis par la fatigue : des lézards aux écailles dorées épanouis sur la muraille, des insectes vampires de toute forme et de toute couleur, un rat de robuste appétit qui travaillait à belles dents sur ma botte droite. Je me dérobai avec une exactitude toute militaire à cette intéressante compagnie, et le soleil n’avait pas encore montré son disque entier à l’horizon que j’étais à cheval au milieu des rochers et des précipices du Liban.

Après avoir escaladé pendant deux jours des rochers faits à l’usage des chamois et de l’aigle, et que mon petit Arabe franchissait avec une admirable sûreté de pied, j’éprouvai un véritable plaisir à me trouver sur un terrain plat et à franchir à un bon galop la large plaine de la Bekka, qui sépare le Liban de l’Anti-Liban. Toutefois cette satisfaction ne fut que de courte durée, la route rentra bientôt dans des montagnes où ma pauvre monture fut de nouveau réduite à donner des preuves de son industrie. Je remarquai surtout un lit de torrent semé comme un damier de pierres énormes, et dont les espaces resserrés ne semblaient praticables au premier coup d’œil que pour des couleuvres et des souris maigres. Mon cheval y serpenta pendant plusieurs milles sans se trouver un seul instant dans des conditions d’équilibre stable, et cependant sans faire un faux pas. un papillon du noir le plus foncé avait pris quartier dans mon cerveau à la fin de cette longue journée de marche à travers des rochers arides, et j’attendais avec une véritable anxiété l’instant où Damas, la perle de l’Orient, apparaîtrait à mes yeux. Le panorama de ces lieux si vantés, dont Mahomet a dit qu’il ne voulait pas les voir, parce qu’il voulait rester dans la croyance qu’il n’est qu’un seul paradis, allait-il me récompenser des ennuis de la route ? Déjà j’inclinais à croire que le prophète avait basé son opinion sur de véritables récits de voyageur, et qu’entre l’oasis de Damas et le séjour d’éternelles délices la seule et véritable similitude est dans l’aspérité des routes qui mènent à tous deux, quand j’arrivai au point extrême de la chaîne de l’Anti-Liban, et toute ma mauvaise humeur disparut devant le splendide spectacle qui s’offrit à mes yeux. Aussi loin que la vue pouvait s’étendre, se déroulait une mer de verdure de la plus éclatante fraîcheur. Coquettement assise au milieu des jardins, la ville de Damas, dessinée en forme de raquette de paume, montrait ses maisons aux toits plats, ses minarets aux formes élancées, sa mosquée au large dôme. Ce splendide paysage, éclairé par les rayons d’or d’un soleil couchant, exerça sur mes yeux une véritable fascination, et je ne le quittai pas de vue un seul instant pendant le reste de la route, laissant à mon industrieux petit coursier le soin de veiller au salut de ses jambes et de celles de son cavalier. Ma confiance était bien placée, car nous arrivâmes en ville sains et saufs à travers des chemins qui font peu d’honneur au corps des ponts et chaussées de sa hautesse le grand-seigneur.

Le premier aspect des rues de Damas n’offre rien d’agréable à l’œil ou à l’odorat. Des ruelles étroites tracées entre des murailles jaunâtres et crevassées, des fondrières, des lacs d’eau croupie, des montagnes d’ordures qui dans des pays plus civilisés marchent en poste, des carcasses d’animaux de toute dimension, depuis la souris jusqu’à l’âne, voilà les détails caractéristiques que vous retrouvez dans tous les quartiers de la perle de l’Orient, et au milieu desquels il vous faut circuler, non sans circonspection. Ah ! digne étranger tout frais échappé du boulevard de Gand ou de Regent-Street, suivez mon conseil, ouvrez l’œil et rasez le sol. Ce mur branlant aux profondes crevasses ne tient évidemment que par la grâce du prophète ; voilà un profond abîme où un simple faux pas peut vous précipiter. Vite la canne au vent ! cette bande de chiens jaunes, affamés, pelés, hargneux, s’attache à vos pas avec une ténacité qui décèle un vif désir de faire plus intime connaissance avec vos mollets ; en deux temps une volte-face ! car voici un âne, un cheval, un chameau dont le fardeau ratisse les deux murailles, et qui menace de vous laminer ni plus ni moins que pourrait le faire le plateau d’une machine hydraulique. Un temps de galop encore devant ce lac d’ordures que je ne puis nommer, et nous sommes au grand bazar qui entoure la mosquée des Ommiades ; là un spectacle du plus pur Orient va nous récompenser des labeurs de la route. Jetons d’abord un coup d’œil en observateur prudent sur les ressources culinaires de la place. Voici un âne porteur de deux baquets où se confisent au vinaigre des tranches de betteraves, des aubergines, des concombres. Préférez-vous les douceurs ? dites deux mots à ce négociant enturbanné qui se tient debout près d’une table chargée d’un plateau de cuivre sur lequel s’épanouit un nougat monstre. Ce restaurateur et ce pâtissier en plein vent, ou plutôt en plein bazar, qui pâtissent et cuisinent à la face des passans, doivent inspirer toute confiance aux estomacs les plus scrupuleux, quant à la respectabilité des produits de leur industrie. On pourrait croire au premier abord que ce monsieur porte une guitare, c’est une outre pleine d’une boisson rafraîchissante qu’il débite pour quelques paras le verre. Donnons encore un regard à ce café qui vous offre les ineffables jouissances de son pur moka, de ses pipes et de ses bancs de bois, à ce glacier, modeste Tortoni accroupi devant sa sabotière, et, ce tribut payé aux besoins de la nature, voyons un peu où nous sommes et qui nous entoure.

Une longue et haute galerie de bois se déroule devant nos yeux. Aux deux côtés de la muraille sont adossées des boutiques où s’étalent les produits les plus divers de l’industrie humaine, depuis les véritables pastilles du sérail et les tabatières en buis jusqu’aux moelleux tapis de Perse et aux riches manteaux de soie brodée d’or. Accroupi au premier plan de sa boutique, le marchand turc, grave, réfléchi, la pipe à la bouche, loin d’attirer le consommateur de la voix et du regard, semble plutôt un dragon jaloux chargé de repousser et de punir toute indiscrète curiosité. Peut-être toutefois ce sentiment de méfiance n’est-il ni injuste ni déplacé, car la foule qui se presse sous ces larges arcades, composée des élémens les plus hétérogènes, ne doit sans doute pas posséder des idées très orthodoxes sur le respect dû à la propriété. Ici des Arabes du désert aux kefilhès à couleurs éclatantes, avec leurs épais manteaux blancs rayés de noir, leurs bottes rouges aux talons de fer; là des Albanais, aujourd’hui soldats, demain bandits, et dont il ne faut pas désirer la rencontre quand la nuit est sombre et la route isolée; voici enfin des Turcs, de vrais Turcs en turbans de mousseline et de cachemire, en larges pantalons, en robes aux couleurs éclatantes, vert tendre, rose, azur, tels en un mot qu’il n’en existe plus qu’à l’état de souvenir historique en Europe, et qu’il faut traverser les chaînes du Liban pour les retrouver dans leur originalité. Et quoi que l’on dise de la vie d’esclavage et de captivité des dames turques, la plus belle partie du genre humain n’est ni la moins active ni la moins nombreuse dans la foule qui assiège journellement les allées des bazars. Voyez-les passer drapées dans leurs draps blancs comme des spectres, la face couverte d’un mouchoir de barège, chancelantes dans leurs doubles babouches d’un jaune tendre : au premier abord, l’œil s’irrite et maudit ce costume vraiment égalitaire, sous lequel se confondent beauté et laideur, richesse et misère, les fraîches couleurs du printemps et les rides de l’hiver; puis enfin l’habitude s’en mêle, et l’on finit, nouveau Pâris, par décerner la pomme de la beauté avec presque autant d’équité que l’on pourrait le faire dans Regent’s-Park ou aux Champs-Elysées.

Je n’ai donné là qu’un croquis de cette scène des Mille et Une Nuits, où l’on coudoie un lettré de Bassorah, un marchand de Samarcande, au milieu de boutiques de bric-à-brac (car les Turcs aussi ont leur bric-à-brac) qui cachent peut-être la lampe merveilleuse d’Aladin. Il faudrait remplir un volume pour retracer le panorama dans son entier et montrer ce vénérable aga à barbe blanche monté sur son rawan, devant lequel la foule s’écarte avec respect; cette longue file de chameaux qui a traversé le désert dans toute son étendue et vient déposer dans le grand khan les merveilleux produits de la Perse et du Cachemire; ce harem, la vieille mère, les jeunes femmes, les beaux petits enfans au teint de lis et de rose, sous l’escorte vigilante de deux eunuques armés de sabres et de pistolets; enfin, comme souvenir de l’Europe, ce digne consul précédé de deux cavas portant cannes à pomme d’argent, majestueux autant que peut l’être celui qui porte la paix et la guerre dans les basques de son paletot. En dernier trait qui m’a paru caractéristique, et j’ai fini. Dans les populations des grandes villes européennes, l’aveugle ne joue guère qu’un rôle de luxe, soit qu’il s’érige en statue sur les ponts, ou fasse sortir des sons mélancoliques des flancs d’une clarinette; en Orient au contraire, il prend part à la vie commerciale et se rend utile à la société en débitant des pois chiches et des raisins. C’est là en vérité un triste et curieux spectacle que de voir de pauvres diables aux orbites vides équilibrer les plateaux d’une balance et compter la recette de transactions où l’avantage n’est pas du côté du clairvoyant.

Rien de misérable, d’éclopé, de branlant comme l’aspect des maisons de Damas : vous entrez par une petite porte basse, vous suivez un long et sombre corridor, et immédiatement un spectacle d’une fantaisie tout orientale se présente à vos yeux. Voici une cour aux larges dalles où fleurissent des orangers et des citronniers; dans de vastes bassins de marbre s’élèvent des gerbes d’une eau fraîche et limpide; toute la muraille est bigarrée d’arabesques aux couleurs éclatantes; puis ce sont de grandes salles dorées de la base au faite, où des fontaines font entendre jour et nuit leur doux murmure. Le caprice du poète n’a jamais rien inventé de plus souriant que cette demeure; en un coup d’œil, elle vous fait comprendre les luxes et les joies de la vie oisive et insoucieuse de l’Asie. — Mais il y a des revers à la médaille, me disait un Européen exilé, devant lequel j’admirais toutes ces splendeurs : l’hiver, quand le vent du nord siffle à travers la muraille, vous échangeriez bien volontiers ces Alhambras au petit pied pour une mansarde bien fermée, où vous n’auriez pas besoin de fourrure pour conserver quelque peu de votre chaleur animale. — Ajoutons que cet exilé, homme à tendances atrabilaires, prosaïques, à ce qu’il m’a paru, me résumait en ces mots les jouissances culinaires et sociales de la vie de Damas : bœuf inconnu, beurre idem, pain immangeable, et pas une femme qui parle chrétien !

Encore un mot sur les Alhambras damasquins : je me trouvais un jour en visite chez un digne musulman; les premières paroles de bienvenue avaient été échangées, le café servi, et les chiboukhs tenaient fort convenablement lieu et place de conversation, quand un craquement, suivi d’un bruit épouvantable, se fit entendre, la maison trembla sur sa base, et, croyant à un tremblement de terre, je portai instinctivement les mains à ma tête. Mon hôte resta impassible, c’est à peine s’il daigna interroger du regard un serviteur consterné qui apparut quelques instans après à la porte d’entrée, et annonça d’une voix tremblante, comme me l’apprit mon interprète, que la moitié de la maison venait de s’écrouler. Bismillah (Dieu est grand), dit mon hôte, et il lâcha coup sur coup d’énormes bouffées de fumée. On doit penser que je ne prolongeai pas longtemps ma visite, pensant avec justice que le fatalisme de l’Osmanli faisait par trop bon marché, sinon de ses os, du moins des miens.

Les jardins, la campagne de Damas ne sont pas au-dessous de leur réputation, et quelques travaux de route peu dispendieux en feraient une véritable merveille; partout des ruisseaux, des arbres gigantesques, une végétation puissante : des noyers monstres, des forêts de pêchers, d’abricotiers, qui, au jour de la floraison, sont d’un aspect enchanteur; puis des champs de trèfle, de luzerne, de blé, de chanvre, mais pas un bananier, un palmier; rien ne vous annonce le désert qui est à l’horizon, et vous vous croiriez dans un des plus fertiles districts de la Normandie, si des turbans pittoresques et des tuniques éclatantes ne remplaçaient pas comme costume villageois la blouse bleue et le bonnet de coton.

La campagne de Damas est peu connue des voyageurs européens, qui, croyant aux on dit, ne s’y aventurent que bien armés et sous bonne escorte. Ce sont là précautions inutiles et mauvaise renommée imméritée aujourd’hui, car les habitudes de la population turque ont bien changé pendant ces dernières années. Il y a vingt ans, un Européen n’osait pas entrer en costume dans la ville sainte, et les chrétiens y étaient sujets à des insultes continuelles : aujourd’hui le paletot se montre sans danger en plein bazar, les chrétiens ont des églises, font des processions dans les rues, mais ils n’en ont pas moins conservé la conviction qu’ils sont aussi persécutés que l’étaient leurs pères aux temps de Dioclétien ou des premiers califes. De là des récits effrayans, et les plus expresses recommandations aux voyageurs de ne point s’aventurer dans ce dangereux éden sous peine de mort, de captivité, ou tout au moins de bastonnade. C’est un devoir de conscience pour moi de protester contre ces calomnies, et de promettre aux promeneurs aventureux une complète sécurité et des libertés qu’ils n’oseraient pas prendre en Europe, telles que de chasser les cailles dans des récoltes sur pied, ou de dévorer à belles dents des abricots, pêches ou raisins, sans avoir à redouter les procès-verbaux d’un garde-chasse ou d’un garde champêtre.

L’obligeance de M. G.., chancelier du consulat de France, aimable et savant exilé européen, me valut la bonne fortune d’assister à la distribution des prix de l’école des frères de Saint-Vincent-de-Paul, et je consigne dans tous ses détails cette scène vraiment originale où se révèlent dans leur entier les progrès de la civilisation européenne sur la terre asiatique. Une messe un peu longue et éminemment musicale ouvrait la fête comme de raison. L’église, avec ses bancs de bois, sa Vierge dorée, ses vases de porcelaine garnis de fleurs artificielles, avait un si parfait caractère d’église de village français, que, n’eussent été les costumes pittoresques de la population qui la remplissait, je me serais cru en Seine-et-Marne par quelque jour de solennité catholique. L’office fini, on passa dans une cour transformée en tente avec beaucoup de goût, où il fut procédé à l’examen des élèves devant les notabilités européennes du cru. L’histoire, le catéchisme, la grammaire française, la géographie, servirent successivement aux interrogations, et c’était vraiment un curieux spectacle que d’entendre ces enfans damasquins, quelques-uns fort intelligens, donner la règle des participes, la hauteur du Chimboraço ou la date de la bataille de Pavie. Quelques livres furent ensuite distribués aux plus méritans, et l’on passa dans la salle à manger, où l’hospitalité du père supérieur avait fait sentir un fort bon déjeuner, après lequel il me fit visiter en détail l’établissement. La punition infligée aux petits Damasquins récalcitrans n’est autre que la bastonnade sous la plante des pieds, et comme je me récriais contre la barbarie de ce châtiment, le bon abbé G... me fit observer qu’il avait tenté bien souvent d’introduire le fouet classique, mais que jamais les parens, à son grand regret, n’avaient voulu consentir à cette innovation, mettant comme condition première de l’envoi de leurs enfans à l’école qu’ils fussent bâtonnés comme l’avaient été leurs pères. Sauf ce détail caractéristique, qui sent son Orient d’une lieue, les écoles sont tenues d’une manière irréprochable, et en les visitant, l’on ne peut se dispenser de se sentir saisi de respect et de reconnaissance pour les laborieux ouvriers de l’Évangile qui viennent répandre aux limites du désert le langage de leur beau pays et les consolations de la religion catholique.

Il y a aussi à Damas des représentans des sociétés évangéliques, mais leurs travaux sont d’une nature plus intime que ceux des frères de Saint-Vincent de Paul ou des pères de Terre-Sainte, et je n’aurais pas entendu parler d’eux, si l’on ne m’eût appris que la femme de l’un de ces missionnaires venait d’accoucher de sa neuvième fille. J’ai vu à Damas deux pachas Turcs, l’un du parti libéral, l’autre du parti rétrograde. Je résume ici en quelques mots mon entretien avec le premier, mon entrevue avec le second. Ce sont deux scènes où il est bon de tout connaître, — le théâtre et les acteurs, que je me borne à désigner par des initiales.

A...-Pacha a quarante ans, il est de taille moyenne et a quelque tendance à l’embonpoint. Son teint brun est taché çà et là de petite vérole; sa barbe est longue et soyeuse, son œil remarquablement vif et intelligent. Il porte un fez à long gland bleu, une polonaise bleue, galonnée de soie, un pantalon gris perle, des bottes vernies. A sa poitrine est attachée le nicham en diamant de lieutenant-général. A...-Pacha, qui a visité l’Europe, parle remarquablement bien anglais et français, s’occupe avec succès de sciences mathématiques, et a publié un petit traité de calcul différentiel. Nous sommes dans un salon de grande dimension, entouré d’un sopha recouvert de toile perse; aux croisées, rideaux de même étoffe; au milieu du salon une cheminée de fonte anglaise; sur une table une pendule dorée, surmontée d’un amour de bronze soufflant des bulles de savon, et flanquée de deux vases de porcelaine remplis de fleurs artificielles. Le café et les confitures ont été servis ; je suis seul avec le pacha et à la tête de la meilleure pipe que j’aie encore fumée en Orient. Mon hôte oppose aux préjugés de l’Europe sur le gouvernement de son pays des faits qu’il est bon de connaître. — Vous nous appelez des barbares en Europe, me dit-il, je le sais et ne m’en formalise point; mais vous, qui vivez depuis plusieurs mois au milieu de nous, vous devez convenir que nous sommes des barbares de bon caractère et tout disposés à bien faire. Je dirai même plus, que nous avons beaucoup fait depuis trente années pour la protection des voyageurs et des Européens résidens, et pour la liberté des sujets chrétiens du grand-seigneur. Vous êtes notre hôte depuis six mois : de combien d’actes d’extorsion, d’abus d’autorité, de châtimens cruels avez-vous été témoin ? Là encore il y a progrès. Il y a trente ans, dans ce même pays, l’autorité du grand-seigneur n’était que nominale. L’histoire de la Syrie n’est qu’une longue suite de guerres intestines entre les pachas et l’autorité de Constantinople; je puis vous assurer qu’aujourd’hui il n’est pas un de nous qui osât, je ne dis pas rêver l’indépendance, mais désobéir à un ordre quelconque du divan. Ici également il y a progrès incontestable. Nos routes, nos travaux publics sont bien imparfaits, cela est vrai; mais pour pourvoir à ces améliorations si essentielles, il faut de l’argent, et, quoique l’empire turc soit un des pays les plus fertiles du monde, l’argent n’y est malheureusement pas abondant, parce que le crédit n’y existe point. Ici, l’action du gouvernement ne peut être qu’indirecte; c’est par l’exemple, par le contact des nations européennes, que nos populations peuvent apprendre qu’il vaut mieux posséder un coupon de rente ou des actions de chemin de fer que des colliers de pierreries ou des pots remplis d’or. Mais jusqu’ici, je n’ai point parlé de la réforme fondamentale accomplie dans l’empire turc, de l’institution de l’armée régulière. Venez, un de ces jours, me voir à l’improviste, pour que vous soyez bien sûr que rien n’a été préparé à l’avance, et ,je vous ferai accompagner à la caserne du régiment d’infanterie par un de mes aides de camp; j’ai confiance qu’en sortant de cette visite, vous ne nierez plus la grande œuvre commencée par le sultan Mahmoud, et que son fils et notre grand-visir actuel poursuivent avec tant de courage et de ténacité.

En cet instant, les portières du salon s’ouvrent, et un officier suivi de trois marmitons emmoustachés, en costume semi-militaire, portant sur de larges plateaux des plats fumans, entre dans la salle au pas accéléré. Croyant l’heure du dîner du pacha arrivée, je me dispose à me retirer, mais l’un des aides de camp me dit de rester, en ajoutant que c’est l’ordinaire de la troupe que l’on vient soumettre au pacha avant la distribution. Effectivement, les marmitons défilent un à un devant le général, qui goûte scrupuleusement à chacun des plats, dont l’odeur est en vérité fort appétissante. Puis, au commandement de l’officier, les marmitons font un demi à gauche, et s’en retournent au pas accéléré, comme ils sont venus. En cet instant et comme pour animer cette scène, un bataillon rentre au quartier, ayant en tête ses musiciens qui jouent d’une manière presque suffisante la marche de Semiramide. Je me lève et prends congé de mon hôte, comme un homme ébloui. Il faut l’action de l’air frais du dehors pour me faire comprendre que je suis à Damas, et que je viens de passer une heure avec un pacha,... et à trois queues, s’il vous plaît.

Ma visite à B...-Pacha m’a laissé malheureusement beaucoup moins satisfait. B...-Pacha a cinquante ans, une énorme corpulence, une figure en pleine lune, une barbe rare, un teint rubicond, trahissant un fort penchant aux jouissances de la dive bouteille. Il porte un fez rouge à plaque de diamans, un paletot-sac marron, sous lequel se montre un gilet de flanelle couleur de chair, des bas de laine gris, des babouches jaunes. B...-Pacha, allié à la famille impériale, appartient au parti rétrograde, et le grand-visir s’est débarrassé de lui par une sorte d’exil honorable. Au moral, B...-Pacha partage avec Schahabam la passion du poisson rouge, ainsi que l’indiquent trois bocaux distribués aux coins de la salle. Sa conversation révèle un homme qui eût fait l’ornement de la cour d’Aroun-al-Raschid par ses idées libérales et sa profonde connaissance des choses de l’Europe. Il m’a reçu dans une salle au rez-de-chaussée, dont les murs sont recouverts de dorures et de peintures bizarres. Quatre lustres de cristal sont suspendus au plafond. Au milieu de la salle s’élève un jet d’eau dans un bassin de marbre; au fond, un divan bas et profond, au coin duquel le pacha est accroupi. Devant le pacha, un interprète debout, le chasse-mouche à la main; à côté de lui, sur le divan, un derviche, sorte d’animal à moitié nu, les cheveux hérissés, tout repoussant de saleté, envers lequel l’autorité se montre fort attentive. Je ne rapporterai pas mon entretien avec B...-Pacha, il me suffira de dire que

Le beau temps et la pluie, et le froid et le chaud.
Sont des fonds qu’avec lui on épuise bientôt.


II. — LA PAQUE A JÉRUSALEM.

J’ai vu à Damas quelques restes de l’Orient de Mahomet; à Jérusalem, c’est l’Orient chrétien que je vais observer. A une centaine de pas de la porte de Bethléem, j’ai déjà rencontré une caravane de pèlerins grecs qui se rendait à Jérusalem pour assister aux cérémonies de la pâque. C’est une pauvre famille de quatre personnes : deux femmes, un homme et un jeune garçon, dont toute l’apparence, indiquant un long et fatigant voyage, eût été indigne d’attention sans un détail singulier qui explique l’extrême facilité de caractère des chevaux orientaux. La jument sur laquelle est monté le plus âgé des pèlerins avait mis bas le jour d’avant, et le pauvre petit animal à peine né, incapable de supporter les fatigues de la route, avait été placé par son maître en travers sur le pommeau de sa selle. Le pèlerin soutenait de la main ce cavalier novice avec le même soin qu’il eût pu prendre d’un enfant.

La pâque des Grecs schismatiques attire toujours à Jérusalem un concours considérable de pèlerins de l’Asie-Mineure, des îles de la Grèce, de la Russie. Le grand événement de la fête religieuse est la descente du feu sacré qui se reproduit annuellement et ponctuellement le samedi-saint à trois heures de l’après-midi, sans que jamais l’état de l’atmosphère vienne porter retard à ce miracle chronométrique. Vers onze heures, le samedi-saint, je me rendis au saint sépulcre, où M. de B... m’avait accordé une place dans la loge qui est réservée au consul de France pour cette cérémonie. La petite cour qui précède l’église du Saint-Sépulcre était tapissée de boutiques de chapelets, de croix, de scapulaires de toute sorte, autour desquelles s’agitait une populace dont l’attitude bruyante formait un digne prélude de la véritable saturnale qui se passait dans le sanctuaire. Il me fallut avoir recours à l’obligeance d’un père de Terre-Sainte pour me faire guider, à travers les corridors de l’église et du couvent, jusqu’à la partie supérieure de l’église appartenant aux Latins, où se trouvait la loge dans laquelle j’étais admis à prendre place; de là je pus contempler à loisir l’incroyable profanation dont une superstition aveugle souille chaque année des lieux chers à toute la chrétienté. La vaste rotonde au milieu de laquelle repose la sainte tombe était remplie d’une cohue hurlante, glapissante, s’agitant en tous sens. Un bal de l’Opéra, alors que la foule des danseurs se rue dans un galop infernal commandé par le bâton magistral de Musard, peut seul donner une idée de cette scène de paganisme et de folle adoration. Autour des parois du saint sépulcre une bande de gaillards, déguenillés, hauts en couleur, se faisait surtout remarquer par sa turbulence exagérée. J’appris, non sans étonnement, que c’étaient là les claqueurs de la fête, des gens payés par les prêtres grecs pour ranimer l’enthousiasme de la foule, lorsque la fatigue des membres et de la voix amenait quelques instans de silence et de repos au milieu de cette étrange assemblée. Les autres parties de l’église présentaient un spectacle plus calme, mais non moins curieux. Dans la partie de la galerie supérieure réservée aux Grecs, dans les corridors, dans les niches, partout où se trouvaient quelques pieds carrés de surface plane, étaient groupées des familles entières, hommes, femmes et enfans, établies là comme dans un campement. L’usage impose en effet aux pèlerins curieux d’accomplir les cérémonies du pèlerinage dans toute leur rigueur l’obligation de rester dans l’église du Saint-Sépulcre, sans en sortir, du jeudi-saint au jour de Pâques. l’on boit donc, l’on mange, l’on fume, pendant trois jours, dans l’église du Saint-Sépulcre, tout comme on pourrait le faire dans quelque khan de l’Asie-Mineure, et les pèlerins, après avoir accompli ces graves devoirs, se mettent en route, bien persuadés qu’ils ont beaucoup fait pour leur bien-être en ce monde et leur salut dans l’autre.

La partie de la galerie supérieure réservée aux Latins était remplie d’une assemblée cosmopolite dont l’attitude plus digne rappelait toutefois celle du public dans un foyer de théâtre par quelque jour de solennité dramatique. Dans la première arcade de gauche avait été disposée une sorte de tréteau garni de moelleux coussins sur lesquels le pacha de Jérusalem, comfortablement installé, fumait tranquillement. C’était un digne Turc calme et réfléchi, aussi avare de gestes que de paroles, et qui de sa vie ne s’était sans doute trouvé à pareille fête. Près de lui avait pris place le supérieur du couvent de Terre-Sainte, en robe de bure, les reins ceints du cordon de saint François, ses pieds nus reposant dans des sandales jaunes. La noble figure de ce religieux respirait la désolation, et de temps à autre il lançait des regards pleins d’une sainte colère contre la vile populace qui tourbillonnait sous ses pieds. Au-dessus de la loge du pacha était suspendu un portrait en pied représentant le roi Louis-Philippe en uniforme de lieutenant-général de la garde nationale; puis dans les autres travées c’étaient des voyageurs de toutes les nations, jaloux de joindre les détails d’une scène excentrique à la série de leurs impressions de voyage. Vous retrouviez là dans toute leur pureté ces traits caractéristiques des diverses nations qui résisteront longtemps encore au nivellement des mœurs européennes. Voyez en effet ce personnage bien rasé, bien cravaté, bien nourri, paletot sur le bras, parapluie dessous; est-il besoin d’un second coup d’œil pour déclarer que c’est là un touriste anglais ? Peu enthousiaste, peu communicatif, mais aussi peu gênant, il voyage sans bruit, sans embarras, et se considère comme aussi at home sous sa tente au pied des Pyramides qu’il peut l’être dans son appartement de Piccadilly. Ce monsieur barbu, à l’air affairé, familier et bon enfant, a évidemment reçu le jour dans la belle France; à lui le monopole de la poésie du voyage, les découvertes et les aventures. Quels dangers n’a-t-il pas courus au milieu des féroces Arabes Anésis qu’il a sabrés si galamment! Et cette délicieuse Rosine de harem, qui, subjuguée par son regard magnétique, a su tromper à son profit un Bartholo oriental ! Parlons un peu période des Séleucides, ou de cette merveille d’art koufique qu’il a découverte entre deux temps de galop et trois bouffées de cigare, et qui jette un jour tout nouveau sur l’histoire des premiers âges. Ajoutons à ces diagnostics qu’un Français voyageur est invariablement décoré, chargé d’une mission de son gouvernement et daguerréotypeur. Une mention spéciale à un gentilhomme finlandais, joli petit vieillard gras, lustré, pimpant, dévot, pèlerinant en Terre-Sainte avec une foi digne des premiers âges, et joignant à un bagage de voyage très comfortable un aumônier et un autel portatif, sur lequel il se faisait servir chaque matin une légère messe !

L’agitation redoublait dans la cohue pressée autour du saint sépulcre : c’étaient des cris, des trépignemens, toute l’attitude en un mot d’un public mal élevé, impatient de voir apparaître l’artiste en vogue; mais rien ne décelait des pèlerins venus de pays lointains et près d’accomplir l’un des actes les plus solennels de leur croyance. Le miracle lui-même au reste, en sa qualité sans doute de bon miracle, d’une notoriété incontestable et incontestée, s’annonça à l’avance par rentrée dans le sanctuaire d’une compagnie de troupes régulières turques de fort belle tenue. J’ai souvent admiré la patience des policemen de Londres et des gardes municipaux de Paris, mais je ne croyais pas que la mansuétude humaine put arriver aux limites de l’admirable résignation avec laquelle les soldats turcs subirent le flux et le reflux de cette mer de forcenés sans un mot, sans un geste d’impatience. Évidemment, les bons Osmanlis se croyaient au milieu d’êtres privés de raison, et l’on sait le respect que la loi du prophète recommande à ses fidèles pour ceux que la main de Dieu a frappés dans leur esprit. Enfin, à force de patience, les soldats Turcs parvinrent à s’échelonner dans la foule sur deux rangs, et une procession de prêtres grecs se mit tant bien que mal en marche autour de l’église. Il y avait là un appareil convenable de croix d’argent, de bannières de couleurs variées, de prêtres à longues barbes et à longs cheveux, habillés de brocard d’or, et qui eussent figuré à merveille les druides de la Norma. La procession circula autour de l’église à plusieurs reprises, puis les archimandrites grecs furent conduits en pompe au saint sépulcre, dont la porte se referma sur eux; car le miracle s’opère à huis-clos, avec la même naïveté que si nous étions encore aux jours où les allumettes chimiques allemandes attendaient leur Christophe Colomb.

Après l’entrée des archimandrites dans le tombeau du Christ, il se fît quelques instans de silence relatif; mais bientôt la foule impatiente remplit de nouveau l’église de ses clameurs. L’exactitude, cette politesse des rois, est aussi sans doute d’étiquette pour les miracles, car le troisième coup de l’horloge du couvent avait à peine sonné, qu’une petite flamme bleuâtre, sentant sa flamme de punch d’une lieue, — que l’on me pardonne mon scepticisme, — parut à un petit orifice du saint tombeau. Immédiatement une troupe de furieux, aux costumes multicolores, battit comme une mer déchaînée les parois de l’édifice sacré, chacun s’efforçant d’allumer la bougie qu’il tenait à la main à la flamme primitive. Le plan inférieur de l’église s’illumina comme par enchantement, et présenta un aspect inouï de têtes humaines surmontées de bras enflammés. La population féminine, reléguée aux étages supérieurs, n’avait pas tardé à prendre sa part dans cette scène de délire. Ardentes, échevelées, cramponnées aux balustrades, les femmes s’efforçaient d’allumer leurs cierges à la flamme sortie du sépulcre, et qui, à bout de bras, passait d’un étage à l’autre. Là du moins, quelques scènes révélaient une foi ardente. Ainsi, à quelques travées près de moi, un jeune homme lavait de la flamme consacrée la face et les bras de sa vieille mère paralytique étendue sur un matelas. Moins religieux, quoique plus attrayant, était l’aspect d’une jeune fille, nue jusqu’à la ceinture, qui se baignait les bras et la gorge dans la flamme divine avec une ardeur extatique fort imprudente.

Je ne pousse pas la conscience du voyageur jusqu’à l’asphyxie; aussi, au bout d’un quart d’heure, une fumée insupportable et une odeur des plus nauséabondes m’eurent chassé de cette saturnale religieuse, et je rentrais chez moi, quand je fus dépassé par plusieurs cavaliers porteurs de lanternes allumées, quoiqu’il fût à peine deux heures de l’après-midi. Mon drogman m’apprit que c’était le feu sacré que l’on allait répandre en Syrie et dans les îles de l’Archipel, et je ne pus me dispenser de lui souhaiter bon voyage.


III. — LE CAMPEMENT DES ANÉSIS.

En arrivant dans ce pays, sans nourrir de grandes illusions, sachant parfaitement qu’un beau cheval arabe est chose fort rare, même en Arabie, je m’attendais à rencontrer un certain nombre d’animaux vraiment remarquables. Cette attente a été complètement trompée, et depuis plusieurs mois que je suis ici, c’est à peine si j’ai vu deux ou trois chevaux de tête. Il n’est pas rare toutefois de rencontrer dans la campagne de charmans petits animaux; mais un travail hâtif et les énormes fardeaux qu’on leur fait porter les arrêtent dans leur croissance, et à quatre ans ils sont tarés dans tous leurs membres.

En arrivant à parler des chevaux orientaux au point de vue du service et de l’équitation, j’avoue que je me sens saisi de timidité à la pensée de heurter les préjugés les plus populaires, et de déclarer ex abrupto n’avoir jamais monté de chevaux plus insupportables que les chevaux de ce pays. Pas de pas, pas de trot, l’allure d’un mulet faisant sonner sa sonnette, ou un galop convulsif assez comparable aux ricochets d’une fusée, le tout rehaussé de coups de tête qui envoient constamment les franges de la bride au nez du cavalier, et d’un soufflement digne d’un phoque reprenant haleine à la surface de l’eau, voilà ce qui, dans les habitudes de ce pays, constitue le hack consommé ou le galant charger, et ce que je n’ai pu encore parvenir à apprécier. Il faut ajouter, pour être juste, que ces défauts proviennent exclusivement de l’équitation de fantasia à la mode chez les Orientaux, et des instrumens de torture dont ils se servent en guise de mors. Je cite à l’appui de cette opinion l’exemple du petit gris qui m’a porté victorieusement à travers les rochers du Liban, et qui commence à trotter et à marcher comme un cheval naturel.

Ici, quelques questions préliminaires. — Existe-t-il un pur sang arabe ?

Le pur sang arabe n’est pas, comme le pur sang anglais, un et indivisible, une seule et même famille; il se subdivise en de nombreuses races dont les plus renommées sont : les Nedji-Saklawy-Djedran, les Kuheglan-el-Hadjouse, les Abou-Arkoub, les Manahich, les Ubéyanes. Puis viennent environ trente familles moins estimées, telles que les Sholyman, les Deham, les Zaklawy-Zabahah, les Kubeïshas, etc. L’ensemble de ces familles constitue ce que l’on peut appeler le pur sang arabe.

Existe-t-il des signes caractéristiques pour reconnaître un animal de pur sang, un sujet de telle ou telle race ? J’ai encore précisé davantage cette question, en priant les connaisseurs de me décrire tantôt un cheval des Nedji-Saklawy-Djedran, les Montmorency de la race chevaline, tantôt un Kubeïshas, c’est-à-dire, pour continuer l’analogie nobiliaire, une bonne noblesse de province pouvant monter dans les carrosses du roi, mais rien de plus. J’ai toujours obtenu la description qu’a donnée Buffon de la plus noble conquête faite par l’homme sur les animaux, avec cette variante toutefois qu’en ce pays un beau cheval doit avoir le ventre gros. Je crois donc, jusqu’à plus amples informations, pouvoir résoudre la question par la négative, et dire qu’il n’existe point de signes caractéristiques pour distinguer les familles entre elles. L’œil du connaisseur reconnaît le pur sang arabe comme il reconnaît le pur sang anglais; mais il faut avoir recours aux documens généalogiques pour classer l’animal dans telle ou telle famille, de même qu’il faut avoir recours au stud-book pour distinguer un produit de Royal-Oak d’un produit de Gladiator.

Les chevaux de pur sang arabe ont-ils un stud-book, un arbre généalogique quelconque qui atteste la pureté de leur descendance ? Certains voyageurs ont affirmé qu’il existait des familles de chevaux arabes dont on pouvait retracer par documens écrits la généalogie jusqu’aux jours du roi Salomon. Les Arabes, gent fort poétique, comme chacun sait, ne pouvaient manquer d’encourager ces croyances naïves et profitables. Ils ont aujourd’hui des légendes à l’usage de leurs chevaux héroïques, dont ils donnent très volontiers connaissance aux voyageurs. J’en reproduis une comme modèle du genre, celle qui illustre la biographie du premier Sacklawy-Djedran connu. — Aux jours du prophète, un enfant, jouant avec des chevaux, fut tué près des tentes. Fathmé, fille de Mahomet, désira connaître le coupable et assembla les chevaux de la tribu, le sommant de se déclarer dans un speech éloquent, perdu malheureusement pour l’art oratoire. Aucun des coursiers interpellés n’ayant voulu toutefois assumer la responsabilité du forfait, la fille du prophète fit creuser un large fossé, et plaça de chaque côté une jarre pleine d’une crème épaisse comme la glace, puis elle ordonna aux chevaux de franchir l’obstacle. L’ordre fut exécuté, et la surface des deux vases resta immobile jusqu’au moment où le Saklawy-Djedran accomplit le saut. Le choc que son élan imprima à la terre fut tel que la surface des deux vases se fendit comme si elle eût été coupée avec un couteau. Ce simple indice révéla à l’habile princesse le coupable, qui s’excusa d’ailleurs en attribuant le meurtre à l’impétuosité irrésistible et involontaire de sa course. Les Nedji, les Kuheglan-el-Hadjouse ont tous une légende aussi authentique que celle du premier Saklawy-Djedran; mais si l’on sort du domaine de la fiction pour entrer dans celui de la question chevaline, si l’on cherche à s’éclairer sur l’origine de tel ou tel animal par une série de questions précises, on n’obtient que des réponses évasives qui permettent de supposer les plus épaisses ténèbres. Le directeur du haras de l’émir Beschir, haras dont les produits jouissent d’une grande réputation, interrogé par moi à plusieurs reprises s’il pourrait tracer sur documens authentiques, pour une période de cinquante années, la généalogie d’un de ses élèves, m’a toujours répondu que cela lui serait tout à fait impossible. Je crois donc n’être pas très loin de la vérité en affirmant que l’on ne saurait obtenir de pedigrees exacts, complets.

Certaines circonstances, matérielles pour ainsi dire, doivent s’opposer à ce que l’on puisse obtenir l’origine des chevaux arabes, même à un degré fort incomplet d’approximation. Les Arabes sont dans l’habitude de donner très peu de noms propres à leurs chevaux, qu’ils distinguent par le nom de leur race. De plus, les produits sont invariablement classés dans la famille de la mère. Le fils d’un étalon Kubeïsha et d’une jument Saklawy-Djedran prend rang de droit dans la famille des Saklawy-Djedran. Cette dernière circonstance prouve tout ce qu’il y a de confus, au point de vue des idées européennes, dans la classification du pur sang arabe en familles. De plus, les tribus se connaissent à peine entre elles. Aux environs de Damas aujourd’hui, le mois suivant elles campent sous les murs de Bagdad ; tel bel animal pris dans les combats, et le fait se présente souvent, se reproduit dans la tribu victorieuse sans que l’on puisse noter son origine. Il est vrai que l’intérêt bien entendu du propriétaire l’empêche de prostituer une noble jument à quelque animal de basse extraction, qu’un peuple qui vit, mange et s’habille comme l’on vivait, mangeait et s’habillait au temps des patriarches, doit, sinon monter les mêmes chevaux, du moins les enfans de ceux que montaient les patriarches. Je n’essaierai donc point de nier l’antiquité des races arabes, mais j’établirai que les documens nous manquent pour dissiper les mystères de leur origine. je parle de documens sérieux, bien établis; quant aux autres, ils abondent. Ici, vous les voyez apparaître sous la forme d’un joli sachet de soie qui, suspendu au col du cheval, est d’un effet fort élégant; là, ils sortent de la bouche d’un Arabe qui vous jure sept fois par sa barbe, si cela est nécessaire pour vous convaincre, que le cheval qu’il vous offre est fils de Saklawy-Djedran, petit-fils de Saklawy-Djedran, arrière-petit-fils de Saklawy-Djedran, et ainsi de suite jusqu’au roi Salomon. J’avouerai que tant qu’il ne m’aura pas été prouvé que la probité des Arabes, fort peu avantageusement connue jusqu’à ce jour, a été indignement calomniée depuis des siècles, je ne pourrai accepter avec une foi aveugle ces documens écrits ou verbaux. On ne se méprendra pas, je l’espère, sur la pensée fondamentale de toute cette argumentation : elle ne tend ni à dénigrer les admirables chevaux arabes, ni à prétendre que le pur sang ne s’est pas conservé dans toute sa pureté originelle au milieu des tribus du désert; elle tend seulement à faire toucher au doigt ce qu’il y a d’obscur, de confus, d’impénétrable dans la classification des chevaux arabes en familles distinctes.

Mon excursion chez les Arabes Anésis avait été entreprise dans l’unique intention de voir le cheval arabe sur le théâtre de sa naissance et de ses exploits. Le cheik Méhémet-Duhi, de la tribu des Arabes Anésis, dont les chevaux jouissent d’une si grande réputation, m’avait invité à mettre à contribution l’hospitalité de sa tente. Des amis anxieux, peu éclairés sur la probité de Méhémet-Duhi, cherchèrent à me détourner de me rendre à cette invitation; mais confiant dans la franc-maçonnerie du sport, je me mis en route, et après trois jours de marche j’arrivai en vue des tentes. Ce que j’avais vu jusque-là du désert ne m’avait offert, je l’avoue, qu’une compensation incomplète des fatigues de la route. Un terrain pierreux où poussaient de temps à autre quelques herbes sèches, un horizon à perte de vue dont rien ne venait troubler la stérile uniformité, résumaient le paysage que j’avais pu contempler depuis plus de soixante heures, quand j’aperçus le camp des Anésis. Les tentes étaient dressées dans un bas-fond où quelques herbes jaunâtres annonçaient des prétentions à la végétation et un semblant de ruisseau. Quelques cavaliers sur un monticule semblaient établis en sentinelle pour veiller à la sauvegarde du camp. Ces indices de vie, les premiers qui venaient animer la solitude de ma route, flattèrent doublement mes regards, et j’activai le pas de ma monture dans la direction des cavaliers. Je n’étais plus guère qu’à une bonne portée de fusil du monticule, quand il se couronna d’une multitude de cavaliers et de piétons; des hourrahs sauvages ébranlèrent les échos, et une avalanche humaine roula à ma rencontre. Ce fut comme une danse infernale, un sabbat gigantesque qui passa sous mes yeux avec la rapidité de l’éclair, et au milieu duquel je pus à peine saisir quelques détails caractéristiques de la scène : — une dame arabe en longs cheveux et en robe rouge, Sémiramis du désert, galopant à califourchon sur un magnifique animal; un monsieur, morion en tête, la poitrine couverte d’une épaisse cotte de mailles, vêtement peu de saison, et qui avait appartenu sans doute à la garde-robe de Tancrède ou du sultan Saladin ! La crinière au vent, vêtu d’une lance, un furieux, monté sur un cheval aussi léger de harnachement que son maître de costume, vint promener en passant son fer à trois pouces de mon nez avec une grimace peu rassurante. Les cavaliers passés, les piétons arrivèrent, les uns en manteaux rayés, les autres en chemises, ceux-ci brandissant des cimeterres impossibles, ceux-là armés de fusils à mèches, à rouet, contemporains de l’invention de la poudre, sinon antérieurs. Ces derniers commencèrent à brûle-pourpoint un feu roulant tel que je crois avoir eu beaucoup de chance en n’y laissant pas les trois quarts de mes cheveux et au moins un œil. J’accueillis toutefois ces honneurs du plus gracieux sourire, tout en regrettant profondément qu’il ne fût pas d’étiquette parmi les Arabes de tirer leur poudre aux moineaux plutôt qu’à mes cheveux.

Les tentes des Arabes, faites d’un tissu serré de poil de chameau, présentent plus de ressources contre les intempéries des saisons, chaleur ou froidure (car il fait froid aussi au désert) que l’on ne devrait en attendre. Il était près de midi, une bonne petite brise soufflait son haleine à travers les panneaux relevés de la tente. Assis sur un tapis dans la tente du chef, je me serais trouvé en position très comfortable pour un hôte du désert, s’il n’eût fallu répondre à une interminable série de politesses arabes. Le tableau qui s’offrait à mes yeux n’était pas toutefois dénué d’originalité. Seul, assis à côté de moi sur le tapis, était le chef Duhi, revêtu d’une robe de soie, mon offrande d’amitié, d’un goût assez bizarre; sous les plis de son kefilhé brun-orangé se montraient ses traits si fins et ses yeux de gazelle; à distance respectueuse, les anciens de la tribu accroupis en cercle, graves, majestueux dans leurs haillons comme des sénateurs romains sur leurs chaises curules. La plèbe, attirée par la nouveauté du spectacle d’un chapeau rond et d’une veste de chasse, se pressait aux abords de la grande tente, mais nul n’osait en franchir le seuil, et ni un mot ni un geste n’accusaient l’impatience d’une curiosité contraire aux lois du plus strict décorum. J’ai toujours eu la plus parfaite horreur pour les expériences culinaires; on comprendra donc facilement que je ne fus rien moins que rassuré en pensant au repas qui allait suivre. Le supplice commença par une tasse de café que j’avalai héroïquement, marc et liqueur. Suivit un plat de dattes accommodé à la graisse de mouton, devant lequel je sentis mon cœur défaillir, et dont je me tirai toutefois avec un peu d’adresse et d’artifice; mais ce n’était là que le prélude de mes tribulations ! La foule pressée aux abords de la tente s’ouvrit, et je vis paraître, porté sur les épaules de quatre hommes, quelque chose d’exorbitant et de fabuleux, un plat venu en droite ligne de la table du roi de Brobdignac. Sur les flancs moelleux d’une montagne de riz, un jeune chameau, un chameau de lait sans doute, victime innocente immolée à ma bienvenue, reposait, les membres repliés, le col droit, dans l’attitude la plus authentique. L’entrée de ce chef-d’œuvre non prévu par Carême fut salué des hourrahs enthousiastes de la foule; un sourire d’hôte satisfait illumina le visage du chef, tandis qu’à l’idée de fourrer mes doigts dans les entrailles de cet animal que la nature ne semble pas avoir fait pour les plaisirs de la table, une sueur froide parcourut tout mon être. Le danger était imminent et inévitable. Sous peine de forfaire aux lois de la plus simple politesse, je ne pouvais refuser de porter la main à cet étrange ragoût. Je m’y déterminai donc; mais jamais je n’oublierai la sensation pénible que j’éprouvai en enfonçant mes doigts dans le plat. Tous les trésors de la Californie n’eussent pu m’engager à faire passer dans mon estomac la viande mêlée de riz que j’en retirai, et la bouchée alla rejoindre les dattes sous mon mouchoir, tandis que mes dents mâchaient à vide avec une bonne volonté mêlée de terreur bien faite pour tromper les Arabes. La sagacité du cheik ne tarda pas au reste à deviner mes angoisses, et par son ordre le plat passa aux gros bonnets de la tribu, puis aux classes moyennes, enfin il échut à une nuée de petits drôles si voraces, si affamés, qu’en une minute, de la montagne de riz il ne restait plus un atome, et du pauvre animal à peine restait-il les os.

Sans nourrir de grandes illusions sur les renseignemens précis que les Arabes du désert pourraient me donner sur leurs chevaux, j’espérais du moins trouver parmi eux des détails complets sur les faits héroïques de la population chevaline du désert. Il me semblait que, sous la tente du Bédouin comme au milieu d’un betting-ring, un seul sujet devait défrayer la conversation, la race chevaline, et je m’apprêtais à recueillir de mes hôtes bronzés des particularités pleines d’intérêt sur les chevaux célèbres par leur fond, leurs formes ou leur vitesse, de La Mecque à Bagdad, de Damas à Bassorah. Je dois encore avouer que je rencontrai là une énorme déception. Je fis un soir poser à une vingtaine d’Arabes réunis près de moi sous la tente la simple question suivante : « Quel est le plus beau cheval que vous ayez jamais vu ? » Beaucoup me regardèrent avec la pitié qu’inspire généralement à des cœurs bien placés l’aspect d’un être privé de raison; quelques-uns m’assurèrent que c’était leur propre cheval, réponse dont mon parfait savoir-vivre se garda bien de contester la véracité. Un seul me répondit carrément que c’était un cheval gris qu’il avait vu dans la tribu des Bushirs, aux environs de Bagdad.

Depuis deux heures, j’avais quitté le campement des Arabes, et je poursuivais ma route à travers de vastes plaines pierreuses au milieu desquelles les immenses troupeaux de chameaux de la tribu paissaient avec une bonne volonté sans pareille des herbes invisibles. Soudain plusieurs cavaliers, la lance en main, le manteau au vent, passèrent à l’horizon, et je ne pus me défendre, à la vue de ces mystérieux envoyés, de la pensée que mon hôte voulait prendre dans ma garde-robe la monnaie de son hospitalité fastueuse et de son jeune chameau. Je me rendais là coupable au premier chef du crime d’ingratitude. Après avoir décrit un cercle à l’instar des oiseaux de proie, les cavaliers fondirent sur les chameaux dispersés. En un instant, les pasteurs eurent fait retentir le cri d’alarme et prirent la fuite en tête de leurs troupeaux dans la direction opposée aux cavaliers. C’était en vérité un spectacle inouï que de voir ces dix, quinze, vingt mille chameaux, que sais-je ? fuyant de toute la vitesse de leurs jambes, poursuivis par des cavaliers dont les montures dévoraient l’espace. L’amabilité de mon hôte avait terminé la série de ses politesses en me servant le spectacle d’une razzia au désert, un vrai morceau de choix, et dont la grandiose originalité me fit tout à fait oublier ce qu’il pouvait y avoir d’indigeste dans ses politesses antérieures.


IV. — LA CARAVANE DE LA MECQUE.

Quelques mots d’abord sur mes compagnons de voyage, ma suite, si sans trop d’affectation je puis employer ce nom pompeux. A tout seigneur tout honneur. Rajah-Jussuf a trente-trois ans, le nez proéminent, les yeux noirs et perçans, l’angle facial aigu comme l’angle du museau d’un renard, un teint pain d’épice clair. Il porte une écharpe grisâtre en turban, une robe de mousseline blanche à points bleus, une veste ronde de drap brun flottant à l’épaule comme un dolman de hussard, des bas blancs attachés par des jarretières de soie rouge, des babouches jaunes. Deux pistolets passés à la ceinture, un cimeterre pendu au côté et un tromblon en bandoulière donnent un cachet singulièrement martial au personnage. La position sociale de Rajah-Jussuf est des plus compliquées. Il possède à Damas une filature de soie, deux teintureries, un magasin de grains; il est drogman dans quelque consulat, et à ses momens perdus sert d’interprète aux voyageurs, fonctions modestes qu’il remplit en ce moment près de moi. Intrépide et poltron, naïf et menteur, prodigue et avare, fidèle d’ailleurs au maître qui paie généreusement ses services, le caractère de Rajah-Jussuf n’est pas moins bigarré que sa position sociale. Son langage appartient au meilleur temps de la tour de Babel. Le saïs égyptien Ali n’a de remarquable qu’un nez à humilier le nez typique de polichinelle et un visage olivâtre troué en écumoire par la petite-vérole. Son kefilhé brun-orangé est serré autour de la tête par un réseau de crins. Une veste ronde et un large pantalon de toile bleue, des babouches rouges complètent son costume. Ali est ivrogne comme peut seul le devenir un bon musulman, et m’oblige à une stricte surveillance sur mon eau de Cologne. Djebrand le cuisinier est natif d’Alep, grec de religion. Il a la voix câline, les manières insinuantes d’un eunuque du bas-empire, avec des prétentions peu justifiées au français; il est lâche, menteur, voleur, empoisonneur au premier chef. Le personnel de ma caravane comprend encore deux mougres ou muletiers, deux chameaux, quatre chevaux, trois mules, tous personnages muets. Le matériel se compose d’une tente, d’une cantine de voyage, et je puis dire maintenant ce que le théâtre représente, suivant la formule consacrée.

La scène se passe en Orient, dans le véritable Orient, l’Orient du calife Aroun-al-Raschid et de son visir Abou-Giafar. Sans préambule, je suis à une centaine de milles de Damas, aux limites du désert, dans la plaine où se réunissent les pèlerins avant de se mettre en marche pour La Mecque, et la caravane part dans deux jours. Vu de loin, cet immense assemblage de tentes aux couleurs variées, aux formes bizarres, réuni au milieu d’une plaine sans limites, semble un amas capricieux de nuages descendu au niveau du sol. A droite, un château fort eu ruine comme tous les châteaux forts de l’empire turc; au pied de ses murailles, un camp d’infanterie régulière aux tentes bien alignées; plus loin, une large mare entourée de joncs, et qu’avec un peu de bonne volonté on peut qualifier du nom de lac, et j’ai esquissé à peu près la vue à vol. d’oiseau du camp de Mezairib.

Voici plus d’une heure que je me livre aux exercices les plus soporifiques : tous sont restés sans effet devant l’infernale symphonie à laquelle se livre la partie quadrupède de la caravane, et qui serait capable de troubler dans leur sommeil les sept dormans eux-mêmes. Il y a surtout près de ma tente un âne avec qui j’avais fait amitié hier à la brune; l’ingrat semble avoir pris à tâche de conspirer contre mon repos; à lui appartient de donner le signal de l’attaque quand la fatigue a imposé un instant de silence aux musiciens de cet orchestre primitif. Je reconnais sa voix de basse qui domine les gloussemens des chameaux, le hennissement des chevaux, le bêlement des moutons, le chant du coq, et le cri de veille des sentinelles turques. Et penser que notre père commun, Noé, a passé quarante jours et quarante nuits dans l’arche en compagnie de tous les animaux de la création; certes la Providence lui devait bien en ré- compense la recette du vin, avec la manière de s’en servir.

Depuis le lever du soleil, et il est neuf heures, je viens d’errer dans le camp sans pouvoir rassasier mes regards de ce spectacle vraiment original. La foi religieuse a réuni dans cette plaine des échantillons de toutes les races asiatiques : le Persan, le Turcoman, l’homme du Caucase, l’habitant des rives du Gange, s’offrent ici aux regards avec leurs costumes, leurs traits divers. Des provisions de bouche, destinées à la nourriture de cette véritable armée, s’élèvent au milieu des tentes sous forme de montagnes de grains, d’avalanches de farine; puis ce sont des chevaux, des ânes, des mulets, des chameaux, des chameaux surtout par milliers, qui donnent à ce camp quelque chose d’excentrique en dehors de toute description, de toute idée. Le camp. de forme elliptique, est coupé de longues et larges rues; les troupes irrégulières, chargées d’accompagner et de défendre la caravane, en occupent la ligne extérieure. A l’intérieur, le camp est divisé avec beaucoup d’ordre. Là est le quartier marchand, ici sont réunies les tentes des dignitaires et des gens riches de la caravane; enfin une partie distincte est réservée aux chameaux qui font le service de la caravane et aux approvisionnemens. Des tentes remplies de tissus de toutes sortes, des magasins de fruits, d’épices, de petits couteaux et de verroteries, des cuisines en plein vent, tristes cuisines; des femmes arabes au visage tatoué, vêtues de longues chemises bleues, accroupies devant des paniers pleins de galettes qu’elles offrent à l’appétit du consommateur; enfin des encans où l’on procède à la vente publique d’un âne, d’un cheval ou d’un chameau, forment les traits distinctifs du quartier marchand, dont le mouvement d’ailleurs est en parfait contraste avec la calme tranquillité de cette partie du camp où sont réunies les tentes des dignitaires de la caravane. On y distingue d’abord le marphée, gigantesque fauteuil de jonc que l’on recouvre aux jours de solennité d’un drap vert semé de pierreries, et dans lequel on place l’argent et les cadeaux que le grand-seigneur envoie au tombeau du prophète. Près du marphée est le harem du pacha commandant la caravane, vaste tente circulaire de toile bleue, surmontée d’un croissant de cuivre, et dont la dimension égale presque celle de ces cirques nomades qui parcourent les foires de France. Des cavas bien armés, à l’air rébarbatif, veillent nuit et jour auprès de cet asile de la beauté. Près du harem, et communiquant avec lui par un couloir de toile, est le divan où le pacha donne ses audiences, et dont le luxe d’ameublement, tentures de soie, coussins de drap d’or, tapis de Perse, rappelle les beaux jours de l’Orient, alors que le Turc victorieux allait planter sa tente sous les murs de Vienne. Le pacha lui-même est un gros monsieur à barbe grisonnante, très fanatique, dit-on, et qui toutefois s’est abstenu jusqu’à présent de me faire trancher la tête. Il s’est empressé de se débarrasser du costume européanisé de Constantinople, ce qui annonce le goût de ses aises et même assez de goût, comme il est loisible de s’en convaincre quotidiennement de trois à quatre, heure à laquelle le pacha prend son repas en public. La scène ne manque point alors de caractère : accroupi sur le tapis, ayant devant lui un plateau d’argent chargé de vaisselle de même métal, le dignitaire turc se sert de ses doigts, en guise de fourchette; près de lui, un aga, le chasse-mouche à la main, combat à outrance les mouches et les insectes qui pullulent dans le camp. Dans un assez vaste espace ouvert devant la tente et protégé par des cordes, la musique du régiment d’infanterie, en costume à peu près européen, exécute du Rossini. du Meyerbeer, parfois même des mélodies du cru pleines de naïveté et de fantaisie. Le long des cordes se presse un public étonné de bourgeois de Samarcande, de banquiers de Téhéran, de derviches, de fermiers du mont Arafat, qui savourent sans doute pour la première fois de leur vie les boums-boums du trombone et les tantaras du cornet à piston.

J’arrive maintenant à parler de la partie la plus extraordinaire du camp, celle réservée aux approvisionnemens et aux chameaux de la caravane. Un parc de chameaux est en vérité une singulière chose. Ils sont là plusieurs centaines d’hercules à bosse et à quatre pattes, rangés par file double, devant une traînée de paille hachée, les uns debout, majestueux dans leur haute taille comme un vaisseau à l’ancre, les autres couchés avec mille poses diverses, tous le dos armé d’une pesante selle de bois recouverte de drap rouge. Là pas de convive glouton, de voisin turbulent, de vis-à-vis bavard : une assemblée de sages prenant leur repas ne présenterait pas un aspect plus calme et plus solennel. Ce sont là des vertus publiques qui sautent à l’œil de l’observateur; mais quel autre que l’Arabe pourrait dire les innombrables vertus privées du quadrupède si sobre, si patient, si modeste, si moral, si pudibond, si infatigable, qui est le compagnon de sa vie ? La Providence a donné à l’Arabe le plus infernal pays du monde : pour lui, point de frais ombrages, de luxuriantes moissons, de ruisseaux limpides; mais elle lui a donné le chameau, le chameau qui le nourrit de son lait, le couvre de sa toison, le chauffe de sa fiente, et le transporte avec une vitesse fabuleuse d’une extrémité à l’autre du désert. Toutes les vertus du patient animal trouvent leur emploi dans le long et pénible voyage de La Mecque, soit que le chameau y apparaisse comme bête de somme, soit qu’on l’emploie pour la monture ou le trait.

Peu d’animaux sont réservées à ce dernier service, parce que les dépenses d’un tartarawan sont fort considérables, et ne peuvent être supportées que par les pèlerins de grande fortune. Les tartarawans sont d’énormes chaises à porteur, où le luxe oriental se déploie dans toute sa fantaisie de dorures et d’arabesques. Les couleurs les plus tendres, le lilas, le rose, le bleu céleste, s’épanouissent sans exception sur les panneaux de cette manière de palanquin : puis ce sont des dorures, des glaces, des coussins de soie, des houppes de plumes d’autruche, des guirlandes de fleurs, des paysages où des Watteaux en turban ont déployé toute l’habileté de leurs pinceaux. Le harnachement du chameau attelé au brancard de devant est digne des splendeurs du véhicule. Caparaçonné de drap rouge, orné à profusion de plumes d’autruche et de sonnettes, majestueux et léger, il s’avance, portant comme un fardeau indigne de sa force la splendide machine. Moins brillant et plus humble est son compagnon attelé au brancard de l’arrière, et que l’on force à courber la tête sous le train du carrosse, posture incommode qui ne lui offre guère d’autre compensation que de pouvoir saisir entre deux pierres les rares touffes d’herbes échappées aux ardeurs du soleil et à la dent affamée des gazelles.

Après les tartarawans, réservés comme je l’ai dit à l’usage des gens riches qui font le pèlerinage, viennent, comme moyen de transport pour la petite propriété, les ashabs ou masahs. Ce sont des caisses de bois où un humain de petite taille et de petite corpulence peut entrer et se tenir tant bien que mal, et qui sont suspendues aux flancs du chameau comme les plateaux d’une balance dont la bosse de l’animal serait le point d’appui. Des bâtons croisés recouverts d’un morceau de toile bleue, toiture aussi impuissante contre la pluie que contre les ardeurs du soleil, complètent cet appareil d’une simplicité primitive. Rien d’effrayant comme les oscillations de ce château branlant. Les cahots d’une voiture de place au grand trot sur le pavé de Lyon, ou le tangage d’un navire sur une mer houleuse, par un temps de calme, n’offrent rien de comparable au mouvement saccadé, vertigineux de cette épouvantable machine, et je déclare les jouissances du paradis de Mahomet, quelles qu’elles puissent être, bien et dûment acquises aux malheureux qui ont subi nuit et jour pendant quatre mois l’hospitalité de cette véritable boîte de Procuste. Ce n’est toutefois qu’une des moindres souffrances réservées aux hadjis. La soif, la faim, les ardeurs d’un climat dévorant les attendent à chaque pas; mais il suffit de parcourir le camp à l’instant de la prière du soir pour comprendre qu’une foi ardente donne aux pèlerins la force de supporter toutes ces épreuves victorieusement.

Quand le soleil arrive à son déclin, et que la voix du muezzin appelle les croyans à la prière, l’aspect du camp devient imposant et solennel. Partout, sur le seuil des tentes, on voit les pèlerins disposés en bandes de quatre ou cinq. L’œil inspiré, le visage recueilli, le plus souvent un beau vieillard à barbe blanche récite en tête du groupe des versets du Coran, et donne le signal des attitudes si diverses qui distinguent la prière musulmane. Au loin, le bataillon régulier, aligné sur une seule file, célèbre avec un calme religieux la prière du soir. Un silence profond, que vient seul interrompre le chant grave et mélancolique de la prière arabe, règne au milieu de cette multitude : c’est là en vérité une scène d’un autre âge, pleine d’enseignemens et de méditations. L’Orient est là tout entier sous vos yeux, pur de tout contact européen, avec sa foi, son fanatisme, tel qu’il est sorti, il y a bien longtemps, des mains de Mahomet, tel qu’il subsistera jusqu’au jour où l’esprit d’incrédulité et de révolte, les lumières, comme cela s’appelle, aura miné l’édifice mahométan, comme il a miné en Europe la société et le christianisme. Je ne raconterai pas le voyage de La Mecque; mais voici quelques renseignemens qui peuvent tenir lieu du récit. Mon informateur est un vieux petit Turc, sec, tanné, réservé, propret, qui remplit les fonctions de médecin en chef de la caravane, et fait, moyennant une indemnité de 5,000 piastres (environ 1,250 francs), le voyage de La Mecque chaque année depuis trente-huit ans. Je constate ce chiffre avec impartialité, quoique l’on puisse en tirer la conclusion que le pèlerinage de La Mecque n’est point aussi meurtrier que les renseignemens de mon Sangrado musulman pourraient le donner à croire.

La caravane de La Mecque quitte tous les ans Mezairib le 27 du mois de schewall. Or, comme les mois de l’année turque sont variables, il s’ensuit que les pèlerins peuvent être appelés à faire le voyage en toutes les saisons. Ce n’est pas que les hadjis trouvent dans cet affreux climat grands avantages à se mettre en campagne à une époque plutôt qu’à une autre. En hiver, ce sont des pluies torrentielles, des boues impraticables et un affreux cortège de rhumes, de rhumatismes et de paralysies; au printemps, les changemens brusques de température, le khamsim, qui remplit l’atmosphère de sable enflammé, déterminent des fièvres intermittentes, des ophthalmies, etc. En été, vous avez à redouter les ardeurs d’un soleil dévorant, et une interminable série de dyssenteries, de fièvres chaudes, d’affections cutanées. Joignez encore à cette redoutable énumération que le choléra et la peste s’accommodent également des rigueurs de janvier ou des ardeurs d’août, et vous n’aurez énuméré qu’une partie des obstacles que le climat oppose à l’accomplissement de ce pèlerinage que tout bon musulman doit accomplir au moins une fois dans sa vie.

La distance de Damas au mont Arafat, près de La Mecque, se parcourt en trois cent soixante-dix-sept heures de marche, et compte trente-quatre stations, oasis, châteaux forts en ruine ou villages, où le hadji peut trouver quelques ressources. Sept de ces stations ont des ruisseaux, seize des puits, neuf des citernes; deux de ces stations n’offrent la ressource d’autre eau que celle que l’on y apporte. La route de la caravane est réglée, non pas par les forces des pèlerins, mais suivant les distances des stations. De là des marches forcées qui semblent dépasser les limites des forces humaines. La plus longue de ces étapes est de vingt-sept heures, que l’on parcourt tout d’une haleine, sauf quelques petits intervalles d’un quart d’heure de repos. Il s’agit à tout prix d’atteindre la station, et, arrivé là, ce n’est pas encore le salut. Qui sait ? Le soleil du désert a peut-être tari la citerne, ou bien encore une erreur du guide, qui ne s’explique que trop par l’immuable aspect de ces plaines sans limites, va mettre en danger le salut de la caravane. C’est là une vie de péril à jet continu, que je crois pouvoir en toute confiance recommander à l’attention des gens blasés à la recherche d’émotions fortes. En 1836, le guide s’étant trompé de route, au lieu d’arriver à la station du matin à sept heures, l’on n’arriva qu’à midi. Pendant ce court espace de temps, il succomba sous les atteintes de la soif et de la chaleur. « Je voyais la caravane fondre sous mes yeux comme la neige sous les rayons d’un soleil d’été, » me disait mon informateur dans la pompe métaphysique et effrayante de son langage oriental.

L’organisation de la caravane de Damas est poussée à un certain degré de perfection que l’on rencontre rarement dans les choses publiques de l’Orient. Des entrepreneurs ou mougres de la caravane, c’est là leur titre officiel, patronés par le gouvernement turc, se chargent de transporter les voyageurs et les marchandises moyennant des prix déterminés à l’avance par le conseil d’administration de Damas. Ces industriels patentés sont au nombre de quatre, et reçoivent du trésor public des avances assez considérables pour pourvoir aux avances qu’ils sont obligés de faire pour l’achat des chameaux, des grains, des objets de campement nécessaires au service des pèlerins.

Le prix des moyens de transport pour l’aller, variable chaque année, a été fixé pour la présente caravane à 700 piastres pour un chameau de monture ou une charge de 125 ocks de marchandises (environ 300 livres), à 2,250 piastres pour un ashab, et 4,250 piastres pour un tartarawan. Outre les moyens de transport, les entrepreneurs doivent fournir aux pèlerins de l’eau à discrétion autant que possible et l’abri d’une tente pour cinq ou six personnes. Les pèlerins riches, par des conventions particulières, s’assurent le comfort d’une tente privée.

Pour satisfaire à ces divers engagemens, les entrepreneurs doivent réunir de très grands moyens, personnel et matériel, d’abord des minière de chameaux : chaque ashab demande deux chameaux qui font le service alternativement, les tartarawans en réclament quatre; puis viennent les animaux nécessaires pour le service de monture des pèlerins, du bagage, des tentes, etc. Le personnel de serviteurs attaché à chaque entreprise s’élève aussi souvent à plusieurs milliers, car dans ce pays les fonctions domestiques se subdivisent à l’infini comme dans l’Inde. Les mougres de la caravane doivent donc avoir à leur solde des domestiques dont les fonctions spéciales sont de dresser et de plier les tentes; d’autres sont responsables du service de l’eau; ceux-là servent de palefreniers aux chameaux et sont attachés par groupes de; quatre à chaque escouade de vingt animaux. De plus, chaque tartarawan est accompagné de quatre porteurs de torche et d’un domestique. Le conducteur qui précède chaque ashab joint à cette fonction celle de porteur de fanal, (les domestiques au reste ne reçoivent que de bien faibles salaires qui varient pour l’aller de 2 à 300 piastres, y compris la nourriture. Il faut ajouter que beaucoup de pauvres gens, hors d’état de faire les frais du pèlerinage et poussés sur la route de La Mecque par une foi ardente, se louent comme domestiques aux entrepreneurs, et n’obtiennent que la nourriture pour rémunération de leurs services.

Dans les dépenses du pèlerinage, outre les moyens de transport, il faut faire entrer les cadeaux d’usage à faire aux gens de service, les aumônes que le pèlerin doit répandre sur la route, et ses présens au saint tombeau. Il suit de là que les frais d’un pèlerinage accompli dans des conditions de comfort et de respectabilité s’élèvent à 40 ou 50,000 piastres (10 ou 12,000 fr.) ; mais pour la majorité des hadjis, il ne dépasse pas 10,000 piastres (2,500 fr.), et pour un grand nombre même il s’accomplit, comme nous l’avons vu, sans bourse délier.

A neuf heures du matin, deux coups de canon donnèrent le signal de la levée du camp. Sans perdre de temps, les hommes chargés des tentes furent à la besogne, et une heure après la caravane était en marche. C’était un spectacle à ne pas négliger, et d’un temps de galop je rejoignis la tête du cortège, qui défila entièrement sous mes yeux. En avant, sur les flancs, des pelotons d’irréguliers bien montés éclairaient la marche de la caravane. D’abord venaient par centaines les pèlerins montés sur des chameaux, presque tous Persans à barbe longue, coiffés de bonnets pointus, et abrités sous des parapluies, de véritables rifflards verts, bleus, rouges, tels qu’ils n’en existe plus qu’en Orient, Arrivaient ensuite, avec une confusion naturelle à la première marche, les ashabs, les tartarawans, les bagages. A l’arrière, le pacha s’avançait entouré d’un brillant état-major, après avoir passé en revue les troupes régulières, tandis qu’à l’avant-garde le tartarawan lilas de la sultane favorite, resplendissant de dorures et de miroirs, paré, à l’instar d’un dais, aux quatre coins de bouquets de plumes d’autruche, brillait comme un diamant au soleil. Je renonce à décrire cette scène si pleine de luxe et de fantaisie orientale, et me borne à la recommander à l’attention de l’illustre peintre du Supplice des crochets. Quel chef-d’œuvre il en saurait tirer ! pour moi, je me disais qu’après avoir vu la pâque à Jérusalem et le départ des pèlerins de La Mecque, j’avais pu observer dans quelques-unes de ses manifestations les plus pittoresques la vie religieuse des populations de l’Orient.


Major FRIDOLIN.

Calcutta, décembre 1853.

  1. L’auteur de ces récits n’a choisi, dans les souvenirs d’un récent séjour en Orient, qu’un petit nombre d’incidens caractéristiques. Malgré la diversité des tableaux, une pensée commune domine cet ensemble d’épisodes : c’est le contraste de l’Orient musulman et de l’Orient chrétien, observés tour à tour à Damas, à Jérusalem et dans le désert, sur la route de La Mecque.