Scènes de la nature dans les États-Unis et le Nord de l’Amérique/Une Chasse au Raton

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UNE CHASSE AU RATON DANS LE KENTUCKY.


Le Raton, animal fin et rusé, se rencontre dans chacun de nos bois. Il n’est pas un enfant, dans les États-Unis, à qui son nom ne soit familier. C’est un grand mangeur d’oiseaux de toute espèce ; il n’en épargne aucun de ceux qu’il peut capturer durant ses courses nocturnes, et se repaît avidement de leur chair. Je ne crois donc pas sortir de mon sujet, en vous donnant quelque idée du plaisir que l’on trouve à le détruire, dans nos contrées de l’ouest ; et si vous permettez, cher lecteur, nous allons partir pour ce que, dans le langage du pays, on appelle une chasse au Ton.

Depuis quelques heures à peine, le soleil a disparu dans l’occident lointain ; les chantres de la forêt ont regagné leurs retraites ; la matrone, ayant couché son bambin, vient de reprendre ses fuseaux ; l’habitant des bois, ses garçons et l’étranger babillent devant un bon feu, en faisant toutes sortes de sages réflexions sur les événements passés, et anticipant sur ceux qui sont à venir. L’automne, sombre et triste, courbe déjà la tête sous les froides bouffées de l’hiver qui s’approche ; le maïs, droit encore sur sa tige, a cependant perdu toutes ses feuilles ; devant la cabane sont rangées d’énormes piles de bois ; les nuits deviennent piquantes ; la rosée, qui chaque matin a changé graduellement de forme et de consistance, revêt les herbes flétries d’une couche étincelante de glace. Pas un nuage au ciel ; des milliers d’étoiles scintillent, réfléchies sur la surface des eaux dormantes ; tout est silencieux, tout repose dans la forêt, sauf les rôdeurs nocturnes qui maintenant en fouillent les profondeurs. Qu’on est heureux dans l’humble cabane ! Excellentes gens ! C’est à qui se disputera le plaisir d’être agréable à l’hôte que le hasard a conduit près d’eux. On a dit que les Ratons abondaient dans le voisinage, et de suite l’on propose une partie qui est acceptée de grand cœur. La mère, toujours attentive, quitte son rouet, car elle a entendu ce que disait son mari. Elle s’approche de la cheminée, prend la pelle, écarte les braises, apporte un panier de pommes de terre qu’elle range devant le feu, et recouvre de cendre chaude et de charbons ; et tout cela, parce qu’elle devine qu’il y aura plus d’un estomac affamé au retour de la chasse. Douces et pures joies du modeste foyer, scènes délicieuses ! Le riche peut faire mieux, sans doute, ses banquets sont plus somptueux ; mais jamais il ne ressentira ce qu’éprouve, dans son cœur, le pauvre homme des bois. Pauvre ! Et pourquoi ? La nature et son industrie fournissent amplement à tous ses besoins ; la rivière et la forêt lui réservent les mets les plus délicats, et pour lui, le travail est encore un plaisir.

Maintenant, regardez : l’infatigable Kentuckien est sur pied ; ses garçons et l’étranger se disposent à le suivre. Tous les fusils sont mis en réquisition. Le brave homme ouvre sa porte que ferme un loquet de bois, et pousse dans sa corne un beuglement à épouvanter un loup. Les ratons détalent grand train, abandonnant les champs de blé ; ils traversent en toute hâte les sentiers, et courent se cacher dans l’épaisseur de la forêt. Le chasseur prend une hache sur un tas de bois, et rentre en criant que la nuit est claire et que nous ferons une superbe partie. Il souffle dans sa carabine, pour s’assurer qu’il n’y a rien, examine sa pierre et passe une plume dans la lumière. Sa poire à poudre est attachée à un sac de cuir où tient aussi son couteau ; en dessous pend une étroite bande de toile filée à la maison. Il prend une balle dans le sac, arrache avec ses dents le bouchon de bois de la poire, met la balle dans le creux de sa main, et avec l’autre, verse de la poudre dessus, juste assez pour qu’elle en soit couverte ; puis, le bouchon replacé de la même manière, il introduit la poudre dans le tube, frappe la crosse contre terre, graisse la bourre avec du suif, et la met sur le bout du canon dont l’intérieur est cannelé ; alors, il pose la balle à l’entrée, par-dessus la bourre, et la presse avec le manche de son couteau qui ramène en dedans les bords de la toile dont il l’a enveloppée ; enfin, tenant à deux mains sa baguette de noyer, il pousse doucement le tout en place. Une fois, deux fois, trois fois la baguette élastique a rebondi ; le chasseur relève son arme, la plume est retirée de la lumière, la poudre remplit le bassinet ; il le ferme et s’écrie : Je suis prêt ! Ses compagnons le sont aussi. Je voudrais que vous l’eussiez vu, pendant qu’il chargeait ; tout cela n’a pas pris plus d’une minute. Mais écoutez : on entend les aboiements des chiens.

Au dedans et au dehors, c’est un tapage à ne plus s’y reconnaître ; un domestique allume une torche, et nous partons pour la forêt. — Ne faites pas attention aux enfants, mon cher monsieur, dit l’homme des bois ; suivez-moi de près, car la terre est couverte de souches et de troncs d’arbres, et, devant nous, de longues branches de vignes pendent de toutes parts, à la traverse. — Toby, tiens la lumière plus haut, ou nous ne verrons pas les fondrières et les fossés. — Traînez votre fusil, comme disait le général Clarck ; — pas ainsi, mais comme cela, — très bien ! — Maintenant il n’y a pas de danger, voyez-vous ; surtout n’ayez pas peur des serpents : les pauvres bêtes ! ils en ont assez du froid qui les engourdit, et ne songent guère à mordre. — Les chiens ont éventé quelque chose ; — Toby, vieux fou, tourne donc à droite ; pas tant, avance un peu et donne-nous la torche. — Qu’est-ce que c’est ; qu’y a-t-il ? Ah ! jeunes drôles, vous vouliez nous jouer un tour ! Bien, bien, mais en arrière, où je vais… et en effet, les deux garçons, perçant de leurs yeux les ténèbres au milieu desquelles ils voient presque aussi bien que le hibou, s’étaient jetés parmi les chiens qui venaient de surprendre un raton par terre et l’entouraient en aboyant. Quelques coups sur la tête l’ont bientôt fait déguerpir. — Après, après, mes bellots ! et les chiens, le nez sur la piste, partent à toutes jambes. — Maître, crie le vieux Toby, ça va vers la crique. — À la crique donc, et en avant ! quels bois, mon Dieu ! pour sûr, ce n’est pas là le parc d’un milord anglais ! Pour le moment, nous courons dans un bas-fond ; un sol maigre recouvre à peine les couches d’argile durcie ; rien que des hêtres autour de nous, et çà et là, quelques érables. — Maudites jambes, — maudites branches de vigne. — Je suis empêtré ; j’en ai jusqu’au cou. — Coupez-les avec votre couteau ! — Je viens de m’abîmer le genou contre une souche ; ah bon ! mon pied tient entre deux racines ; je ne peux pas l’en arracher. — Toby, retourne en arrière ; ne vois-tu pas que l’étranger n’est pas fait à nos bois ? — Holà, Toby, Toby ! — J’étais véritablement pris, sans pouvoir bouger ; et le chasseur de rire, tandis que les garçons profitaient de l’occasion pour s’esquiver. Toby arrive, penche la torche vers le sol ; le chasseur, avec sa hachette, coupe une des racines, et je suis enfin délivré. — Vous êtes-vous fait mal ? — Non, du tout ! et nous repartons. Les jeunes gens avaient pris les devants à la suite des chiens qui venaient d’acculer un raton dans un petit bourbier. Bientôt nous les eûmes rejoints avec la torche. Maintenant, monsieur, regardez bien : Le Raton ne nageait pas, mais se soutenait avec ses pieds qui touchaient le fond du marais. L’éclat de la torche semblait beaucoup le gêner ; son poil était hérissé, et sa queue annelée paraissait trois fois plus grosse qu’à l’ordinaire. Ses yeux brillaient comme des émeraudes ; la gueule écumante, il surveillait chaque mouvement des chiens, prêt à saisir par le museau le premier qui tenterait de s’approcher. Ceux-ci le tinrent en haleine pendant quelques minutes ; l’eau commençait à se charger d’une vase épaisse ; le poil tout trempé lui retombait à plat sur le corps, et sa queue, couverte de boue, flottait immobile à la surface. Son grognement guttural, au lieu d’intimider les assaillants, ne faisait que les exciter d’avantage ; et tous, sans relâche ni miséricorde, ils le harcelaient de leurs aboiements furieux, comme une bande de chiens grossiers et mal appris qu’ils étaient. Enfin, l’un d’eux se hasarda à le happer au derrière, mais il dut promptement en démordre ; à un second qui l’avait attaqué par le côté, le Raton rendit son coup de dent, et je vous assure qu’il était mieux appliqué que celui qu’un troisième venait de lui porter à la queue. C’était vraiment pitié d’entendre gueuler le pauvre Tike que le Raton ne lâchait pas. Cependant, les autres s’étaient rués tous ensemble sur lui, avec des cris de mort ; mais, jusqu’au bout il tint bon, et resta suspendu au museau de son ennemi. À la fin, frappé à coups de hache sur la tête, il tomba, rendant le dernier soupir ; et le pénible battement de ses flancs faisait douleur à voir. Debout autour du marais, les chasseurs contemplaient son agonie ; l’éclat de la torche donnait aux objets environnants un aspect plus sombre et quelque chose de sinistre : c’était une de ces scènes que les peintres aiment à reproduire.

Nous avions déjà deux Ratons dont les fourrures valaient bien un demi-dollar, et dont la chair, qu’il ne faut pas oublier, devait, ainsi que le remarqua Toby, rapporter deux fois plus. — Et maintenant ? demandai-je. — Maintenant ! répondit le père, continuons ! Ainsi fîmes-nous, les chiens en tête, et moi bien loin à l’arrière-garde. En moins de rien, nos intrépides en eurent dépisté un troisième ; et en les rejoignant, nous les trouvâmes postés sur leur derrière, qui regardaient en haut et aboyaient. Alors on eut recours aux haches, et bientôt les copeaux volèrent d’une telle force, que l’un d’eux me frappa à la joue et me marqua si bien que mes amis me demandaient encore, une semaine après : Mais, au nom du ciel, où avez-vous donc attrapé ce coup à l’œil ? Cependant l’arbre commençait à trembler, puis à pencher d’un côté ; et refoulant l’air qui mugissait à travers les branches, la pesante masse finit par s’étendre sur la terre, avec un horrible craquement. Ce n’était pas un Raton, mais bien trois qui s’y étaient réfugiés. Seulement l’un d’eux, plus vieux et plus avisé, en sentant l’arbre frémir sous lui, avait lestement sauté de la cime en bas. Quant aux autres, ils s’étaient enfoncés dans le creux d’une branche, d’où ils furent promptement délogés par un des chiens. Tike et Lion, qui avaient flairé la piste du premier, détalèrent après, ne donnant sans doute pas de la voix aussi savamment que la meute bien dressée d’un de nos chasseurs de renards du Sud, mais en criant comme des enragés. Les fils du chasseur se chargèrent de ceux de l’arbre ; lui et moi, précédés de Toby, nous suivîmes l’autre ; et vous pouvez croire qu’il nous donna assez à faire à tous les trois. C’était un animal d’une taille extraordinaire. Après avoir longtemps couru, nous parvînmes à lui loger une balle dans la tête ; il ne fit qu’un bond et retomba mort : on dépêcha les deux autres à coups de hache et de bâton ; car, dans ce temps-là, on épargnait le plomb et la poudre, et l’on économisait ainsi de quoi tuer un daim, qui valait mieux que la peau d’un raton.

Maintenant, la lune brille au ciel, éclairant notre chasse qu’anime une nouvelle ardeur ; c’est le moment propice : en avant, en avant ! et nous allons, l’un suivant l’ombre de l’autre, qui s’allonge sur la terre. Qu’importent fossés et broussailles ! Nous doublons le pas en regagnant les montagnes. Quels hurlements, quel vacarme ! Ce sont encore les chiens. — Tous en cercle, les chasseurs lèvent la tête, cherchant à distinguer, à chaque bifurcation des branches, quelque chose de rond qui doit être un Raton. — En voici un, entre la lune et moi ; je le vois qui s’est mis en boule et se tient coi. Je lève un peu mon canon, j’ajuste, presse la détente, et l’animal dégringole. — Un autre ; encore un autre ! tous sur le même arbre. Pan, pan !!… Nous n’avons qu’à ramasser. — À présent, monsieur, allons-nous-en, dit l’homme des bois ; et contents de notre chasse, nous reprenons le chemin de la cabane. En arrivant, nous trouvons un bon feu ; au dehors, Toby s’occupe à préparer le gibier ; il étend les peaux sur une claie de roseaux et lave les corps. Cependant la ménagère dresse la table ; elle y dispose en rang quatre bols de petit-lait ; les gâteaux et les pommes de terre fument à faire envie, et les chasseurs commencent l’attaque.

Le Raton, ainsi que je l’ai dit, est un animal fin et rusé ; néanmoins, avec des soins on l’apprivoise, et il devient très familier. Comme le singe, il se sert fort adroitement de ses pattes de devant, apprend à trotter après son maître, à la manière d’un ours, et même le suit par les rues. Il est friand d’œufs, mais les préfère crus. Que ce soit le matin, le midi ou le soir, cela ne lui fait rien, quand il en trouve une douzaine, dans un nid de faisan, ou seulement lorsqu’il en flaire un que vous avez mis dans votre poche pour l’allécher. Il connaît les habitudes des moules, mieux que la plupart des conchyliologistes, grimpe on ne peut plus lestement, et monte au trou du pic, dont il dévore les petits. Très habile à découvrir la retraite des tortues, il l’est plus encore à dérober leurs œufs. Parfois, au bord d’un étang, il reste étendu comme un chat, faisant le mort, ou semblant dormir, jusqu’à ce qu’un canard imprudent passe à sa portée. Il n’est pas un nègre qui sache plus pertinemment que lui quand le grain est laiteux et agréable à manger. Les écureuils et les pics le savent également ; mais, dans la saison, le Raton séjourne bien plus longtemps qu’eux sur les champs de blé, et y prélève une véritable dîme. En hiver, sa fourrure est assez recherchée ; et on ne manque pas de gens qui disent que sa chair est bonne aussi. Pour moi, je préfère le Raton vivant au Raton mort, et j’ai plus de plaisir à le chasser qu’à le manger.